Quoi qu’il en COÛTE : la note du Trésor qui n’explique RIEN

Nos éminences de Bercy commenceraient-elles à s’inquiéter de l’inquiétude qui pourrait se développer dans l’opinion publique en raison de l’inquiétante explosion de la dette publique française induite par la désormais fameuse politique du « quoi qu’il en coûte » covidien ?

On le dirait bien, car après la grande tournée de rentrée de Bruno Le Maire dans les médias pour nous convaincre que l’économie française se portait à merveille, en omettant notablement le fait que ce pseudo-résultat fut obtenu par une furieuse distribution d’argent gratuit, ce fut au tour d’Agnès Bénassy-Quéré, chef économiste de la Direction générale du Trésor, de faire sur la question de la dette publique ce que les politiciens aiment bien appeler « de la pédagogie ».

Dans une note publiée le 2 septembre dernier sous le titre « D’où vient l’argent ? »elle a entrepris d’apporter une réponse rassurante à tous ceux qui se demandent par quel « miracle » notre État en déficit permanent et déjà très endetté, cet État qui disait même vouloir réduire ses dépenses, a pu déverser des milliards d’aide aux ménages et aux entreprises :

« Nos entreprises n’avaient plus de clients, et pourtant nous étions toujours payés en fin de mois. Comment ce miracle est-il possible ? Où est le loup ? »

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Hé oui, où est le loup ? 

Nulle part, d’après Mme Bénassy-Quéré. Et de nous expliquer ce que nous savions déjà, à savoir que l’État s’est endetté encore un peu plus.

Rappelons au passage que la dette publique française atteignait presque 100 % du PIB en décembre 2019 et qu’elle caracole maintenant à 118,2 % du PIB (chiffre INSEE à la fin du 1er trimestre 2021) :

Retour à la note. En temps ordinaire, l’État se finance auprès des ménages (et des entreprises quand elles ont une trésorerie positive) via le système financier (dépôts bancaires, comptes sur livret, assurance-vie) qui convertit leur épargne en placements et également via les investisseurs étrangers.

En temps de Covid, pas de problème pour couvrir l’accroissement soudain et colossal des besoins de financement de l’État puisque les aides accordées pour maintenir le pouvoir d’achat des ménages (prise en charge du chômage partiel) se sont largement converties en un surcroît d’épargne du fait de l’impossibilité de consommer certains biens et services immobilisés par les confinements. 

Parallèlement, continue Mme Bénassy-Quéré, la banque centrale européenne (BCE) a continué de racheter des blocs de prêts des banques, notamment leurs titres de dettes publiques – c’est la technique du « quantitative easing » – pour leur donner des marges de manœuvre supplémentaires pour prêter aux entreprises privées et aux États « tout en faisant pression à la baisse sur les taux d’intérêt payés par tous les emprunteurs ». Objectif : relancer l’économie.

Et de fait, pour ce qui est de prêter, les banques ont prêté aux entreprises. Alors, tout roule, comme nous l’affirme Bruno Le Maire ? Eh bien, pas tout à fait. Car les banques ont émis quantité de prêts garantis par l’État (les fameux PGE), c’est-à-dire des créances qu’elles étaient sûres de recouvrer d’une manière ou d’une autre. Autrement dit, le contraire d’une incitation à faire leur travail d’analyse du risque, ce qui les a conduites à soutenir des entreprises qu’elles n’auraient jamais financées en temps ordinaire. Du reste, le nombre de faillites d’entreprises est actuellement très inférieur à ce qu’il était en période pré-Covid. C’est parfaitement anormal.

Mais pas de quoi perturber Mme Bénassy-Quéré qui n’aborde nullement la question de la qualité des prêts accordés à l’économie. Il lui suffit de savoir dans une logique purement comptable que si la BCE crée effectivement des moyens de paiement, de la monnaie supplémentaire, en inscrivant ces blocs de prêts rachetés à son bilan, elle détient en face une créance de même montant sur les États. 

Bref, Mme Bénassy-Quéré nous explique doctement qu’actif égale passif. Cela me fait irrésistiblement penser à l’histoire du touriste en montgolfière qui demande où il est à un promeneur qui passait par-là. Le promeneur, obligeant et précis, lui répond : sous un ballon. Typiquement l’explication parfaitement exacte qui n’explique rien. 

Si les Français se posent effectivement des questions sur l’issue des aides Covid qui ont clairement consisté à distribuer de l’argent sans aucune création de richesse en contrepartie, c’est moins « D’où vient l’argent ? » que « Comment la France trouve-elle encore des gens assez fous pour lui prêter ? » et que « Comment tout cela va-t-il finir ? »

La fin du texte de Mme Bénassy-Quéré montre d’ailleurs qu’elle n’en sait rien elle-même, ou du moins qu’elle imagine implicitement que les stocks de dette et d’épargne vont se dégonfler gentiment d’eux-mêmes, sans casse pour personne :

« La question centrale va être la façon dont ces stocks d’actifs et de dettes vont influencer les flux nouveaux de production et de dépense, et comment ils peuvent progressivement se dégonfler sans enrayer la reprise. »

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Pour répondre à la première question, « qui est assez fou pour prêter à la France », il est évident que la politique de taux bas de la BCE (et des banques centrales en général) dans le but de soutenir voire relancer l’économie a pour effet de stimuler l’interventionnisme des États et le poids de l’État-providence. Une politique d’inspiration toute keynésienne que l’économiste Jacques Rueff qualifiait d’illusion, de « monde de magicien », et dont la France profite à plein sans vergogne sous le parapluie protecteur des pays dits « frugaux » du nord de l’Europe. Des pays qui pourraient finir par se lasser. Encore que stimulée par la crise du Covid, la tendance keynésienne soit de plus en plus en vogue au sein de l’Union européenne.

Quant à la seconde question, « Comment tout cela va-t-il finir ? », sa réponse dépend beaucoup de ce qu’il va advenir de ces blocs de prêts rachetés par la BCE et dont Mme Bénassy-Quéré nous dit qu’il constituent une créance de la BCE sur les États. Pour les rembourser, il va obligatoirement falloir augmenter les impôts à un moment où à un autre, avec tout ce que cela comporte d’influence négative sur l’investissement, donc sur la croissance du secteur marchand, donc sur l’emploi et le pouvoir d’achat, donc sur la collecte d’impôt.

En l’absence de remboursement – et c’est la situation dans laquelle nous sommes actuellement car les stocks de prêts ne font qu’augmenter – la BCE a créé de la monnaie sans aucune contrepartie dans l’économie réelle, ce qui signifie obligatoirement perte de valeur de la monnaie, inflation, ruine de l’épargnant, donc moindre capacité d’investissement dans l’économie, donc à nouveau crise, soutien public, et on recommence.

Dans tous les cas, l’issue nous sera gravement dommageable. 

Mais non ! nous dit Bruno Le Maire, la croissance va venir éponger tout cela. Mais justement, quelle croissance ? Celle qu’on va continuer de s’offrir à crédit, celle qui se fonde sur les méthodes de « magicien » dénoncées par Rueff, celle de la fuite en avant dans la dette, celle des taux maintenus artificiellement bas et des prêts accordés sans réfléchir ? Ou alors une croissance réelle fondée sur un retour au libre jeu du marché ? 

Fière de son État-providence, championne de la dépense publique et des impôts, la France n’a pas attendu la pandémie de Covid-19 pour enchaîner les déficits publics année après année depuis 45 ans sans jamais faire la moindre réforme significative pour alléger le boulet étatique porté par le secteur marchand. Mais le « quoi qu’il en coûte » de ces derniers mois a évidemment rendu la situation économique et sociale du pays plus préoccupante que jamais.

Je suis très pessimiste. Il faudrait faire machine arrière, redescendre de quelques marches et réfléchir d’urgence à la façon de le faire le moins douloureusement possible, car plus on attend, plus la chute sera dure. Et pourtant, des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour réclamer un « monde d’après » encore plus dépendant de l’interventionnisme étatique, donc de la dépense et de la dette publique. Ça promet.


Illustration de couverture : Dette publique France par rapport au PIB, graphique INSEE. Loup, Wikimedia Commons.

14 réflexions sur “Quoi qu’il en COÛTE : la note du Trésor qui n’explique RIEN

  1. Petite précision :
    L’Etat se finance aussi grassement sur les entreprises déficitaires par les innombrables taxes qu’elles doivent supporter. C’est même une des causes des difficultés des entreprises françaises et une des causes de notre chômage endémique.

  2. Pour comprendre l’apparente indigence des déclarations gouvernementales il ne faut jamais oublier que l’objectif prioritaire à court terme est la réélection, qu’elle vaut bien quelques milliards supplémentaires de cadeaux ainsi que le tapis d’inepties et de mensonges que le pouvoir déverse sur notre démocratie. De toutes façons, personne n’est vraiment curieux, surtout pas les médias du régime.

    Pour la suite, difficile de faire des prévisions. Est-ce le grand retour de l’inflation ? Va-t-on assister à une baisse du revenu national ? Le retour à la croissance est une vaste blague. Connaissant nos politiques, on peut s’attendre comme d’habitude au massacre des PME et TPE ainsi qu’à l’habituel clientélisme envers les grands groupes et les copains. Pourquoi changer des méthodes qui leur réussissent si bien ?

    Sans retour à la démocratie, sans défense des libertés publiques et de l’Etat de droit, nous continuerons de fonctionner en sous-régime. Et le pouvoir n’en aura que faire. C’est la grande différence entre une entreprise privée et un état : si l’entreprise privée perd 30% de son chiffre d’affaires, elle est forcée de s’adapter ou alors elle disparaît, l’Etat lui s’en fiche. On le voit bien avec le sous-développement des services régaliens à commencer par la justice dont le budget est un des plus bas d’Europe.

    Comme vous, je ne suis guère optimiste. Depuis plusieurs années je vois se profiler le spectre d’une société façon Amérique du Sud. Il est grand temps de s’intéresser au Brésil et à l’Argentine, c’est notre avenir. Sauf si Mélenchon gagne, auquel cas ce sera la convergence avec le Venezuela. C’est surement la faute des riches et des non-vaccinés comme ils disent.

  3. Pardonnez au cancre que je suis de se poser la question de QUi a intérêt à ce que « la BCE crée de la monnaie sans aucune contrepartie dans l’économie réelle » alors que cela signifie inflation, ruine, crise ?
    Et petite question subsidiaire : quand y a-t-il eu, au sein de l’UE, un « libre jeu du marché » qui n’ait pas été un marché de dupes, puisque l’adoption de l’euro a toujours favorisé l’économie de ceux que vous appelez les « pays frugaux » ?

    • Les Etats ont toujours trouvé pratique de rogner sur la monnaie pour financer leurs dépenses extravagantes, les guerres à une époque, l’Etat providence aujourd’hui qui permet d’élargir le cercle de l’emprise de l’Etat et qui permet également un certain clientélisme pour se maintenir au pouvoir.
      Quant à l’euro, pour moi c’est un faux problème. La France n’a pas eu besoin de l’Union européenne pour poursuivre sa politique de déficit et dette, ce qui a pesé sur la croissance de l’économie réelle et a conduit au décrochement actuel – décrochement que l’on met maintenant sur le compte de l’euro par pure recherche d’un bouc émissaire extérieur.
      J’ajoute que le frugaux d’aujourd’hui, l’Allemagne, les Pays-Bas… ont connu des difficultés par abus de politique social-démocrate, mais qu’ils ont fait des réformes, tandis que la France n’en a fait aucune.

      • Oui et non. Je partage votre point de vue néanmoins le fait que nous ne disposions plus de la possibilité de dévaluer comme nous l’avons fait jusque dans les années 90 pose un problème.

  4. Non encore une fois, ce n’est pas l’adoption de l’euro qui a favorisé l’économie des pays frugaux !
    L’euro en bref est une monnaie commune pour faciliter les échanges à l’intérieur de la zone concernée. Avec des résultats mitigés certes mais où en serions-nous les français sans l’euro ? Au Venezuela déjà sans doute !

    Les pays dit frugaux parce qu’ils comptent leurs sous, eux, en fait ils bossent certainement plus que nous et en plus leur camelote semble se vendre et leur permet de dégager des excédents !!!

    Nous on a les fantastiques plans de relance :
    plus de 2.000 bâtiments d’État en rénovation, facultés et logements étudiants, commissariats et MaPrimeRénov’, pour sponsoriser les travaux d’économie d’énergie des particuliers…
    La super croissance que voila et notre compétitivité ne va surtout pas s’améliorer et évidemment on pourra toujours faire croire que c’est l’euro qui nous plombe !

    Pression fiscale historiquement élevée et prohibitive pour le dynamisme de l’investissement, marché du travail ultra-rigide, du coup savoir-faire et compétences forcément en baisse (je passe sur notre système éducatif) pour une désindustrialisation à outrance, voilà nos fondamentaux !

    Derrière la Roumanie, nous voila donc dans les sous développés :
    https://lecourrierdesstrateges.fr/2021/09/08/relance-inflation-mefiance/?fbclid=IwAR3MKZOLnvhJuaLeYQ_T9u7gV1lgRTgBqw7Kz3G_zWEFReTowxyHtem9Ukk

    Conclusion : Nous vivons donc très largement au-dessus de nos moyens, ça en devient tellement indécent, que nos prêteurs finiront par s’en scandaliser…

    • Je comprends bien ce que vous dites et « Le Courrier des Stratèges » fait partie de mes lectures habituelles mais lorsque vous concluez : « Nous vivons donc très largement au-dessus de nos moyens… »
      de QUI parlez-vous ?
      Est-ce du Français moyen qui continue, nous dit-on à économiser malgré la crise avant que l’État ne trouve le moyen de mettre la main sur leurs économies ? Ou visez-vous notre État pléthorique et l’oligarchie qu’il entretient à milliards pour finalement nous expliquer que quoi qu’il nous arrive personne ne sera responsable de rien ?

      • Tous responsables nous sommes, tous les français (et leurs petites économies), oligarchie et hauts fonctionnaires compris, D’ailleurs ces derniers auraient tort de se remettre en question puisque les français en redemandent, drogués comme ils sont :
        https://www.lefigaro.fr/conjoncture/les-francais-semblent-attaches-au-maintien-du-perimetre-des-missions-de-l-etat-20210910?fbclid=IwAR24uQBjfATE5lv59y6XTCode7UrwOfM9CogAoY2z9awIcx4CHi1bIs2EtY

        Même si je suis toujours très circonspect en ce qui concerne les sondages…(ouverture du questionnement et versatilité des répondants).

      • @Tino : je suis plus que circonspect concernant ce sondage. Peu de français connaissent vraiment le périmètre d’action de l’Etat, beaucoup pensent que ce périmètre s’est réduit au cours des 40 dernières années, c’est un poncif qui est répété inlassablement par presque tous les partis, surtout LFI.

        Il faut distinguer en gros trois niveaux d’action de l’Etat:
        1) Les services directs au public : policiers, magistrats, enseignants, médecins etc. Ce que tout le monde voit c’est que la qualité et la quantité sont en baisse. Pour l’éducation nationale, les budgets sont certes en hausse, mais ce que tout le monde constate sur le terrain c’est l’absence des profs, les non-remplacements, les classes de collège à plus de 35, etc.
        A mon avis, c’est cette action que les français ne veulent pas voir reculer.

        2) Les emplois des administrations centrales, nationales ou locales. Ce sont tous les jobs de ceux qui ne rendent pas de service au public ou qui ne sont pas en support de ces derniers. Le meilleur exemple ce sont les centaines de milliers de profs qui ne sont plus en classe, ce sont également tous les jobs dont le seul but est de faire avancer l’agenda de chaque administration, un agenda déconnecté des attentes des français. C’est la partie immergée de l’iceberg celle que peu connaissent et comprennent.

        3) Les agences privées vivant de budgets publics : les ARS, les hautes-autorités, les comités théodules, etc, dont la seule raison d’être est de caser les copains, et d’assurer le contrôle de l’état par la mise en place de normes complexes et intenables. Comme pour le (2), la plupart des français ne connaissent pas l’étendue de ces « machins » dispendieux. Si on les informait sur l’état de la situation, je ne suis pas certain que les résultats seraient les mêmes.

        Du coup, les sondages sont biaisés. On interroge les gens sur un sujet qu’ils connaissent mal. Comme par hasard, tous ces sondages vont toujours dans le sens du pouvoir. Le sondage c’est le plébiscite moderne, c’est juste un outil qui est instrumentalisé par le pouvoir pour tuer dans l’oeuf la contestation.

      • @Mildred, à qui profite le crime? A beaucoup de monde, hélas. Ils sont très nombreux à vivre de l’argent des autres. Si les dépenses publiques représentent 60% du PIB, cela signifie grosso-modo 60% de la population active, à laquelle il faut ajouter une bonne partie des inactifs: retraités, chômeurs, tous ceux qui vivent de « revenus de substitution », sachant que 30% des revenus des ménages sont des prestations sociales….

        C’est une illustration parfaite de la remarque de Bastiat: “L’Etat, c’est la grande fiction par laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde.”

        Et il n’est pas question de jeter la pierre à tous ces bénéficiaires. Ils ne font que profiter d’un système créé par d’autres! La remise en ordre des finances publiques sera longue et douloureuse…

  5. L’ état , les banques et certaines entreprises travaillent ensemble pour construire une Europe dirigée par une élite qui sait mieux que nous ce qu’ il faut faire.
    En même temps la plupart des personnes sont tellement c.non.s …..

  6. Je suis très pessimiste.

    En d’autres termes ce pays est foutu (© h16) On le sait depuis longtemps. La question c’est quand et comment l’Etat va s’effondrer (et entraîner avec lui bon nombre de victimes). Pour avoir une idée de la manière dont cela peut se passer, lire et relire « La grève » d’Ayn Rand.

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