Syndicats : bruyants, bloquants… et NON-représentatifs

On les entend moins et on les voit moins battre le pavé depuis que le gouvernement s’est chargé lui-même de bloquer toute l’activité du pays dans l’espoir de circonscrire l’épidémie de Covid-19, mais nos syndicats préférés sont toujours bien présents sur le papier, ainsi que nous le rappelait hier le ministère du Travail en divulguant leur « audience » calculée sur la base des différentes élections professionnelles en entreprise qui se sont déroulées depuis 2017.

Sauf qu’entre « audience » et représentativité effective, ou plutôt non-représentativité effective des syndicats par rapport à l’ensemble des salariés, se déploie un monde de capacité de nuisance, de grève et de blocages de faible légitimité du fait d’une participation fort peu enthousiaste des salariés aux scrutins syndicaux.

Comme vous le savez et comme vous avez eu mille fois l’occasion de le constater lors des grandes grèves SNCF à répétition qui font le charme de la « justice sociale » à la française ou lors de petits débrayages locaux plus discrets mais tout aussi « sociaux et solidaires », nos vaillants syndicats se font un point d’honneur de protéger au mieux les travailleurs contre la terrible course au profit et la casse du service public auxquelles se livrent inlassablement les patrons à leurs dépens, État employeur compris.

Du reste, malgré le calme relatif induit par les périodes de confinement, on a quand même eu droit au spectacle affligeant mais assez prévisible d’une CGT extraordinairement préoccupée par la sécurité sanitaire des travailleurs et s’ingéniant à tout bloquer chaque fois qu’une reprise du travail se dessinait.

Las, selon les chiffres livrés hier, la centrale de Philippe Martinez n’a guère été récompensée de ses efforts. Dépassée par la CFDT lors du précédent round électoral du secteur privé, elle recule encore un peu plus. Fini la belle époque où elle dominait tout le monde dans le public comme dans le privé.

Mais il faut croire que l’espoir fait vivre. Tandis que la CFDT se félicitait par communiqué du « syndicalisme utile » qu’elle a eu le bon goût de mettre en œuvre et qui lui a valu à nouveau la première place dans le choix des salariés du privé, la CGT se promettait de combler son déficit de présence auprès de tous les salariés pour redevenir la « première organisation syndicale dans le secteur privé ».

Elle dispose toujours de la première place dans la fonction publique, mais compte tenu de la différence d’effectif des deux catégories – 5,7 millions de fonctionnaires contre quelque 20 millions de salariés du privé – la CFDT est devenu le premier syndicat français en 2018. Un premier coup dur qui se confirme aujourd’hui et qui promet de belles batailles internes comme la CGT les aime entre les partisans de la « lutte sociale » qui prônent une adaptation radicale du capitalisme et ceux de la « lutte des classes » qui prônent son complet renversement.

Concrètement, le ministère du travail a compilé les résultats des élections syndicales qui se sont tenues de 2017 à 2020 dans les entreprises de plus de 11 salariés, en mars et avril dernier dans les entreprises de moins de 11 salariés et en janvier 2019 pour les salariés de la production agricole. Au total, 20,1 millions de salariés concernés, 14,1 millions d’inscrits et… 5,4 millions de votants, soit une participation plus que terne de 38,2 %, dont seulement 5,0 millions de voix « valablement exprimées ».

« L’audience », qui détermine la capacité d’une organisation syndicale à signer des accords collectifs donc à prendre des décisions essentielles au nom des salariés, est calculée en faisant le rapport entre les voix valablement exprimées obtenues par un syndicat et le total des voix valablement exprimées. Si elle se situe au-dessus de 8 %, le syndicat est jugé officiellement « représentatif ». 

Le cycle électoral 2017-2020 accorde ainsi le label de syndicat apte à représenter les salariés du privé à la CFDT, la CGT, FO, la CGC (cadres) et la CFTC (travailleurs chrétiens) comme indiqué dans le Tableau 1 ci-dessous (chiffres en orange) :

Tableau 1. « Audience » syndicale dans les entreprises pour le cycle 2017-2020
Source : ministère du Travail – Total inscrits : 14,1 millions – Effectif total : 20,1 millions

  Audience Audience Voix  % inscrits % effectif
  2013-16 2017-20 (milliers)    
CFDT 26,37 % 26,77 % 1 343,1 9,5 % 7 %
CGT 24,85 % 22,96 % 1 151,9 8,2 % 6 %
FO 15,59 % 15,24 % 764,3 5,4 % 4 %
CFE-CGC 10,67 % 11,92 % 597,8 4,2 % 3 %
CFTC 9,49 % 9,50 % 476,6 3,4 % 2 %

Mais si l’on rapporte les suffrages recueillis aux inscrits, voire à l’effectif total des salariés, c’est un tout autre profil qui se dessine : forte d’une audience de 26,77 %, la CFDT n’a été élue en fait que par 9,5 % des inscrits et 7 % des effectifs salariés du privé. La situation se dégrade évidemment encore plus quand on descend la liste des syndicats par audience décroissante. 

Dans l’ensemble, et en ajoutant aux résultats précédents ceux des dernières élections syndicales dans la fonction publique (2018), on constate dans le Tableau 2 ci-dessous que la participation n’excède pas 41,4 % des inscrits et 31 % du nombre total de salariés.

La fonction publique génère un taux (49,8 %) un peu plus élevé que la moyenne – on n’en attendait pas moins d’un secteur qui se flatte de travailler hors concurrence et qui bénéficie de l’emploi à vie – mais comme partout ailleurs, la participation y est en baisse par rapport à la précédente édition (52,8 %).

Chez les TPE (entreprises de moins de 11 salariés), la CGT a obtenu la meilleure audience, mais dans le contexte d’une participation insignifiante de… 5,4 % des inscrits ! Il est plaisant d’incriminer le Covid pour cette faible mobilisation, mais si la participation est bien en chute libre, elle n’a jamais été franchement élevée : 10 % en 2012 et un tout petit 8 % en 2017.

Sur l’ensemble du secteur entreprises, la participation se situe à 38,2 % des inscrits comme je l’ai déjà indiqué plus haut, en baisse non négligeable de 4,6 points par rapport au cycle électoral 2013-2016.

Tableau 2. Participation des salariés aux élections syndicales du cycle 2017-2020
Sources : Entreprises – dont TPEFonct. publiqueIndépendantsPopulation active

Cycle 2017-2020 Effectifs Inscrits Votants Taux Part. Taux Part.
  (millions) (millions) (millions) / inscrits / effectif 
<11 salariés (TPE)   4,9 0,3 5,4 %  
> 11 salariés   9,2 5,1 55,7 %  
Total Entreprises 20,1 14,1 5,4 38,2 % 27 %
Fonction publique 5,7 5,2 2,6 49,8 % 45 %
Total salariés 25,8 19,3 8,0 41,4 % 31 %
Indépendants 3,6        
Total Pop. active 29,4        

Que cette timidité française à participer pleinement à la vie syndicale, timidité que l’on retrouve également dans un taux de syndicalisation parmi les plus bas en Europe (de l’ordre de 11 % quand l’Allemagne est à 20 %, voir graphique du ministère du Travail ci-dessous à gauche) ne vous fasse pas commettre l’erreur de penser que les syndicats français limitent leurs activités à une vague figuration sans conséquence.

Malgré un manque de soutien direct évident de la part des premiers intéressés, soutien largement compensé par des subventions étatiques rondelettes qui s’imposent à tous les contribuables, le tableau de chasse de nos syndicats est impressionnant :

Loi travail Hollande El Khomri (2016), ordonnances travail d’Emmanuel Macron (2017), réforme de la SNCF et fin du recrutement au statut de cheminot (2018) puis, avant l’immobilisme covido-confinatoire, réforme des retraites incluant la fin des régimes spéciaux particulièrement appréciés des agents de la RATP et de la SNCF (2019) – autant d’épisodes hauts en couleur et en contestation où on les a vus déclencher blocages et grèves à rallonges avec pour objectif ultime d’obtenir une réécriture (cas de la CFDT) ou le retrait pur et simple des projets en question (CGT, SUD Solidaires), tout en causant au passage le maximum de dégâts à l’économie. 

   
     Taux de syndicalisation, 2016, DARES                              Jours de grève, 2019, WSI

Ce n’est certainement pas un hasard si la France apparaît toujours dans le haut des classements lorsque l’on évalue le nombre de jours de grève pour 1 000 salariés et par an. Et encore, le chiffre de 114 en moyenne sur la période 2009-2018 indiqué dans le graphe de l’Institut Allemand WSI reproduit ci-dessus à droite ne tient-il pas compte de la fonction publique…

Maintenant que les dépenses publiques de la France ont atteint le sommet astronomique de 62,1 % du PIB (2020), on voit mal comment la moindre tentative de réforme pourrait échapper à la redoutable culture de la grève qui semble marcher main dans la main avec la culture de l’État-providence. Ça promet.


Illustration de couverture : Appel de la CGT à une manif intersyndicale contre la réforme des retraites, décembre 2019.

24 réflexions sur “Syndicats : bruyants, bloquants… et NON-représentatifs

  1. Je ne comprends pas votre aversion pour les syndicats. Quand un salarié a un problème grave dans son travail, heureusement que les syndicats sont là pour le représenter, souvent face à un tribunal.
    Les salariés savent bien les trouver quand ils en ont besoin, et heureusement.

      • La perfection n’est pas de ce monde et j’admets certaines dérives mais malgré tout j’ai tendance à défendre les syndicats à une époque ou l’emploi est de plus en plus ubérisé. Qui à part un syndicat aurait défendu le petit personnel d’entretien des hôtels parisiens.

    • Mon expérience de juge prud’homal depuis 2013 m’incite à penser que les salariés font plus confiance aux avocats qu’aux défenseurs syndicaux pour faire valoir leur droits devant le tribunal, en l’occurrence le conseil de prud’hommes.

      • Je suis d’accord. Mais avant de consulter un avocat, il faut nommer la distorsion au droit du travail, monter un dossier, négocier avec l’employeur. Pour cela les syndicats sont en première ligne. Le conseil des prud’hommes vient en dernier recours pour l’indemnisation de la violation du droit du travail.
        Je suis d’accord avec Louis. Les syndicats, même non-représentatifs, sont le dernier rempart contre les atteintes au droit du travail.
        Le comité d’entreprise d’EDF a été brocardé pour sa richesse, ses colonies de vacances,…Pourtant ce n’est pas la CGT qui a démantelé EDF, c’est l’Europe et l’ultralibéralisme de Macron.

      • @Anne : Ainsi, ce serait l’Europe et l’ultra-libéralisme de Macron qui voudraient démanteler EDF. Cela fait des décennies qu’EDF est géré par l’Etat, c’est sous Hollande (des socialistes) que la décision de faire Hinkley Point a été prise (+32 milliards de dette), que le secteur nucléaire d’Areva (en faillite) a été refilé à EDF, etc. Mais tout ça serait la faute de l’ultralibéralisme. Ah, ce libéralisme, il nous pourrit vraiment la vie ! Heureusement qu’il y a la CGT pour sauver l’essentiel.

      • C’est un peu le problème. En France, « je vous emmerde » est non seulement un argument valable, mais un motif de fierté. Dans les pays normaux, personne ne se vante de se vautrer dans la fange et de semer le désordre.

        Après, les Français se plaignent du désordre qui les accable. Ben… bonhomme… faut savoir ce que tu veux.

  2. Pour ma part je ne crois pas qu’il faut supprimer les syndicats car les dirigeants on besoin d interlocuteurs.Simplement il faut que certains syndicats et la CGT en priorité comprennent que le monde a changé et qu’il doivent évoluer

    • Totalement d’accord avec vous. Cet article ne dit d’ailleurs absolument pas qu’il faut supprimer les syndicats. Il dit qu’en France, ils sont peu représentatifs tout en ayant pour les plus extrême-gauche d’entre eux une capacité de blocage de toute réforme qui dépasse largement la question du dialogue social et la défense des travailleurs pour tomber dans une ambition beaucoup plus politique qui est celle de l’anti-capitalisme.

      J’aimerais rappeler que dans ce blog je m’attache à mettre en avant les valeurs libérales : liberté économique, liberté d’association et liberté syndicale, liberté de déplacement, liberté éducative, liberté de conscience, liberté religieuse, liberté d’expression. En aucun cas les blocages imposés si fréquemment en France par quelques-uns à tous, dans les facs, dans les entreprises, dans les transports (à tel point que c’en est même devenu une sorte d’originalité touristique) ne peuvent se prévaloir de respecter la liberté des individus.

  3. @Robert Marchenoir
    Vous avez une idée insultante du syndicalisme. Je suppose que vous êtes bien assis en permanence sur votre canapé, à regarder passer les trains, alors que d’autres s’activent et se bougent pour faire respecter le droit du travail. Savez-vous combien d’heures les élus passent sur les dossiers? Visiblement ce n’est pas votre problème, et je dirais tant mieux.Restez en dehors de tout cela, vous nous rendez service.
    Se vautrer dans la fange pour parler du syndicalisme est indigne d’une personne qui normalement devrait réfléchir. Et ne m’insulter pas, comme vous le faîtes habituellement pour les intervenants avec lesquels vous n’êtes pas d’accord.

    • @ Anne

      Ah ! ça y est, j’en ai chopé une. Celle-là, je vais me la faire.

      Donc vous vous permettez de m’insulter, en « supposant que je suis bien assis en permanence sur mon canapé, à regarder passer les trains, alors que d’autres s’activent et se bougent pour faire respecter le droit du travail. ».

      Et d’un même souffle, vous permettez de m’interdire préventivement de vous « insulter », sachant que pour vous, cela consiste à s’opposer à votre idée du syndicalisme, puisque vous prétendez que j’ai « une idée insultante du syndicalisme ».

      Eh bien je vous le confirme : je conchie en totalité votre idée du syndicalisme. Je conchie en totalité le droit du travail, cette horreur communiste qui opprime la France. « Se bouger pour faire respecter le droit du travail », c’est bien l’un des actes les plus immoraux qui soient.

      Bien sûr, cela arrangerait vos petites affaires que les citoyens « restent en dehors de tout cela », et vous laissent diriger le pays comme vous le faites depuis le coup d’Etat communiste de Maurice Thorez en 1945.

      Ne comptez pas sur moi pour ça, ma petite dame. Ici, votre petit numéro d’intimidation ne marche pas. Vous avez pu jouer à ce petit jeu-là dans votre repaire de la fonction publique, mais ici, nous sommes libres, figurez-vous, et vous ne faites plus la loi.

  4. En parlant de liberté économique je voudrais rappeler quand même que même avec Margareth Thatcher les impôts existaient

    Pour ma part je suis contre l étatisme mais ne crois pas dans un libéralisme économique où l’on enlève tout impôt.Je crois en une troisième voie .
    Et je suis persuadé qu’à tout pouvoir il faut un contre pouvoir les syndicats en faisant partie de ceux là et vous même par vôtre blog.
    .Par contre je suis contre le blocage pensant que le dialogue social est le seul moyen de faire avancer les choses.Mais il faudrait qu’à la fois le Patronat et les syndicats ne soient pas dans un affrontement continue.

    • « ne crois pas dans un libéralisme économique où l’on enlève tout impôt »

      Vous êtes marrante, vous !
      Je fais une critique du fonctionnement des syndicats français, vous répondez : il ne faut pas supprimer les syndicats.
      Je parle de liberté économique et vous dites il ne faut pas supprimer tout l’impôt.

      Mais où avez-vous vu cela ? Ai-je dit qu’il fallait supprimer les syndicats et tous les impôts ?

      Sur ce dernier point des impôts, permettez-moi de rappeler quand même que la France est à 44,7 % de prélèvements obligatoires sur PIB soit le 1er rang mondial (certaines années, le second). Il me semble qu’entre rien et ça, on peut revenir à quelque chose de moins confiscatoire (ce qui ne sera possible que si l’on se décide à arrêter de dépenser toujours plus).

      Quoi qu’il en soit, merci de ne pas créer artificiellement des déclarations que je n’ai pas faites pour vous donner le plaisir facile de les réfuter (technique de l’homme de paille qui permet d’avoir toujours raison tout en répondant à côté de plaque – voir Schopenhauer)

      • Je n’ai jamais dit où pensé que vous ne vouliez pas d impôts c’est simplement le cas de certains libéraux, désolé si vous l’avez pris pour vous.
        Mes prises de position sont de façon générale et ne s adresse pas qu’à vous si c’est le cas je le précise

      • @Nathalie : on lit parfois également que le libéralisme serait contre l’existence de l’Etat et on nous sert alors l’exemple de la Somalie qui en serait l’accomplissement ultime. Facile ensuite pour les adversaires du libéralisme de démonter ce mensonge qu’ils ont eux mêmes créé.

        Le malheur du libéralisme c’est d’être trop peu compris pour ce qu’il est. Soit on l’accuse de vouloir supprimer l’Etat, l’impôt, les syndicats, etc. soit on l’accuse d’être le projet de personnalités et de mouvements fort peu libéraux au demeurant. Souvenez-vous qu’à l’ultra-gauche on a même accusé Hollande de mener des politiques libérales ce qui est un comble quand on se souvient de la rigidité idéologique de son gouvernement !

        La seule solution c’est l’information, l’éducation, la connaissance, ce que vous faites fort bien et qui se révèle particulièrement utile. Mais le rapport de force est déséquilibré car on ne retrouve l’exposition du libéralisme ni à l’école ni dans les médias de masse. S’agissant de l’école je pourrais vous en raconter de bonnes sur le cours de SES de seconde. C’est gratiné.

      • Le Code du Travail protège de l’esclavage. D’ailleurs les « ubérisés » se considèrent souvent comme les nouveaux esclaves modernes. Heureusement qu’il y a la CGT pour les défendre. Cela n’est pas incompatible avec le libéralisme.

  5. Pour ma part je crois en la cogestion où toutes les parties défendent leurs intérêts au mieux de l entreprise et du pays .
    Ce que j’aimerais c’est savoir ce que vous reprochez à ce type de cogestion qui n’a rien à voir avec celle à la Française et plus plus proche de l allemande

  6. Simplement certains libéraux pensent que l impôt c’est un vol .Dans le mouvement libéral de ce que j’en lit il y a des conceptions diverses.Par contre j’ai du mal à comprendre que l’on puisse être à la CGT et libéral car la CGT est quand même très très proche du Parti communiste pour être gentil et les marxistes ne sont pas des libéraux mais plutôt encore à la lutte des classes

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