3. Se débarrasser des 3 % : tel est le vrai projet européen d’Emmanuel Macron – et ce n’est pas nouveau

Quand j’écrivais mon article consacré à la folle dérive des comptes publics 2020 il y a une semaine de cela, j’étais loin de me douter que je me lançais en fait dans une trilogie.

En revanche, tout indiquait déjà que les beaux discours complaisamment ressassés par le ministre de l’Économie Bruno Le Maire sur l’impérieuse nécessité de réduire notre dépense publique pour revenir dans les clous d’un déficit de 3 % n’étaient que babillage énarchique de façade (second article) dressé devant le véritable objectif européen d’Emmanuel Macron : se débarrasser définitivement des 3 % (article du jour).

Résumé des épisodes précédents :

En 2020, les dépenses publiques de la France ont caracolé à 62,1 % du PIB contre seulement 56 % en 2019, ce qui était pourtant déjà un record mondial. De ce fait, le déficit public s’est creusé à 9,2 % du PIB après 3,1 % en 2019 et la dette s’est envolée de 98,1 % à 115,7 % du PIB. Un résultat très médiocre comparativement aux performances des pays européens moins enclins à laisser l’État s’occuper de tout et n’importe quoi n’importe comment.

Conséquence attendue du « quoi qu’il en coûte » ? Oui, mais pas seulement.

Dans son rapport sur le budget de l’État en 2020 publié hier, la Cour des Comptes pointe notamment la croissance des effectifs de la fonction publique d’État (+ 2 801 emplois en lieu et place des microscopiques 47 postes en moins prévus dans le projet de loi de finances initial) ainsi que la hausse « massive » des dépenses d’intervention pour l’écologie, l’égalité ou le culturel hors crise sanitaire. Le problème de ces dépenses nouvelles étant qu’elles sont vouées à se reproduire d’année en année.

Autrement dit, même sans parler de la conjoncture covidienne, cette nouvelle exécution budgétaire vient nous confirmer s’il en était besoin qu’il n’a jamais été question de s’attaquer sérieusement à l’accumulation des dépenses publiques de la France, qu’il n’a jamais été question de repenser sérieusement son modèle économique et social et qu’il n’a jamais été question de chercher à rendre efficient un service public largement doté financièrement et pourtant complètement décrépi. 

Le comble de l’hypocrisie étant que face à une dette qui atteint maintenant 115,7 % du PIB et qui fait couler beaucoup d’encre, le gouvernement a immédiatement « installé » une nouvelle Commission pour l’avenir des finances publiques chargée de réfléchir à la meilleure façon de rembourser. Conclusion de ces cogitations, la même qui revient assez régulièrement sous la plume ou dans la bouche de ministres et de hauts fonctionnaires qui ne l’appliquent jamais : il faudrait parvenir à mieux maîtriser la dépense publique !

Comme disait Pierre Moscovici en mai 2017, alors qu’il était commissaire européen à l’économie : « Si le déficit public signifiait croissance et emploi, ça se saurait ». Une judicieuse remarque qui ne lui est néanmoins jamais venue à l’esprit lorsqu’il était ministre de l’Économie de François Hollande et qu’il se charge de rappeler à Bruno Le Maire maintenant qu’il officie comme Premier président de la Cour des Comptes. Lequel Bruno Le Maire n’a jamais lésiné sur les déclarations du style : « Pour réduire la dette, nous devons réduire notre dépense publique » – pour n’en surtout rien faire ensuite.

Les dirigeants français sont-ils complètement schizophrènes ? Emmanuel Macron et Bruno Le Maire sont-ils complètement écartelés entre leur prétendu désir d’assainir les comptes publics de la France et leur soumission quasi religieuse au modèle français qui prétend depuis 1945 que la prospérité se trouve uniquement dans les monopoles d’État, la dépense publique débridée et la redistribution massive de la richesse créée par le secteur marchand ?

Pas du tout. 

Le modèle français de l’État providence, stratège et nounou reste plus que jamais d’actualité en France, y compris chez Emmanuel Macron que d’aucuns voudraient faire passer contre toute réalité pour un ultra-libéral forcené. Il n’a pourtant pas hésité à se référer aux « Jours Heureux », titre initial du programme collectiviste du Conseil national de la résistance, pour redonner espoir à des Français brutalement entravés dans leurs libertés de vivre et travailler par le premier confinement.

Tout le discours sur le retour indispensable et imminent aux normes du pacte de stabilité de l’Union européenne – la limite des 3 % pour le déficit public et celle des 60 % pour la dette publique par rapport au PIB – n’a d’autre but que de montrer patte blanche à Angela Merkel et faire patienter une Commission européenne qui s’est montrée de fait très patiente vis-à-vis de la France : son déficit public était encore de 3,1 % du PIB en 2019 pour une moyenne de 0,6 % dans la zone euro avec 16 pays en excédent.

Mais l’objectif véritable est ailleurs et il fut mis en branle dès l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée.

En déplacement à Berlin quelques jours après son élection, il plaidait déjà pour une « refondation historique » de l’Europe et tentait notamment de faire prévaloir l’idée d’un budget de la zone euro et la mise en place d’investissements d’avenir pour relancer la croissance avec des « injections d’argent neuf ». En filigrane, se profilaient les surplus budgétaires allemands que les pays déficitaires comme la France n’ont aucun scrupule à vouloir mettre à contribution plutôt que de chercher à baisser leurs propres dépenses.

Au fil du temps, force fut de constater que chaque nouvelle intervention d’Emmanuel Macron pour « refonder » l’Union européenne ressemblait à s’y méprendre à une tentative de lui appliquer les vieilles recettes dirigistes et dépensières de la France plutôt que d’en faire un espace de liberté dans lequel inscrire une France enfin débarrassée de ses tabous économiques sclérosants. 

Jusqu’à estimer en novembre 2019 dans un entretien au magazine britannique The Economist que la règle d’un déficit limité à 3 % du PIB relevait d’un « débat d’un autre siècle ». Nous avons besoin de plus d’expansionnisme, de plus d’investissement, a-t-il expliqué, fidèle à ses déclarations de début de mandat.

Avec la crise sanitaire, l’Union européenne a suspendu le pacte de stabilité jusqu’en 2022, ce qui arrange bien les petites affaires de la France et donne à Emmanuel Macron une formidable opportunité de remettre cette épineuse question sur le tapis. Et ce d’autant plus que la France va prendre la présidence tournante de l’Union au premier semestre 2022, période qui s’ajuste à merveille avec la campagne pour l’élection présidentielle.

C’est ainsi que « dans le même temps » où la Commission pour l’avenir des finances publiques dont je parlais plus haut privilégiait un chemin de maîtrise des dépenses pour réduire le poids insoutenable du déficit et de la dette, le Conseil d’analyse économique très officiellement rattaché au Premier ministre planchait de son côté sur la suppression pure et simple des 3 % et des 60 % et nous livrait hier le fruit de ses profondes réflexions.

En substance : privilégier l’idée de soutenabilité du déficit et de la dette pays par pays plutôt que sur un critère numérique unique applicable à tous les pays quelle que soit leur situation budgétaire effective. Chaque gouvernement fixerait sa propre trajectoire et la soumettrait à une autorité nationale indépendante telle que la Cour des Comptes en France. Que va dire M. Moscovici à présent ?

Nul doute qu’il y ait une forme d’arbitraire dans les limites du pacte de stabilité. Pourquoi pas 3,2 %, pourquoi pas 62 % ou 65 % ? Notons cependant à la décharge de l’Union européenne qu’elle a toujours fait preuve de pas mal de compréhension vis-à-vis des dépassements et que les pays ont toujours eu du temps devant eux pour mener à bien leurs réformes structurelles. Au final, les mauvais élèves ne sont pas si nombreux, mais la France en fait hélas partie depuis trop longtemps sans avoir fait le moins du monde la preuve de la supériorité de son modèle particulier.

Plus qu’une limite précise et immédiatement impérative, l’existence des 3 et 60 % a surtout l’immense avantage de rappeler qu’un pays ne peut dépenser indéfiniment sans se retrouver à la fois en situation de déficit grave et affligé d’une taxe-mania aigüe tout en n’apportant pas la prospérité promise à ses citoyens. À ce titre, j’ai déjà eu l’occasion de citer les exemples particulièrement gratinés du Royaume-Uni dans les années 1970 et de la Grèce en 2015. 

La volonté d’Emmanuel Macron de ramener l’évaluation des comptes publics à des considérations adaptées à chaque pays pourrait facilement passer pour un regain de souveraineté nationale, mais je crains pour ma part que ce ne soit in fine que le prétexte parfaitement populiste et en l’occurrence opportunément électoraliste d’un abandon complet de toute idée de redresser une France qui n’en finit plus de sombrer dans la combinaison délétère déficits-médiocrité. 

Quand je pense qu’il se trouve quand même des politiciens et des économistes pour dénoncer les politiques d’austérité d’Emmanuel Macron… Ça promet.


Illustration de couverture : Emmanuel Macron, photo AFP.

16 réflexions sur “3. Se débarrasser des 3 % : tel est le vrai projet européen d’Emmanuel Macron – et ce n’est pas nouveau

  1. Chère Nathalie,
    Je suis votre blog depuis quelques années, et comme tous vos articles, c’est scanné, net et précis. Mais, c’est aussi effrayant de voir sous nos yeux le résultat de l’incapacité de toute cette pourriture qui a envahie notre démocratie pour en faire un système où quelques dizaines de milliers se servent, profitent et ruinent la France. J’ai bien dit la France, dont d’ailleurs ils n’en ont rien à faire car depuis le 14 juillet 1789 ils l’appellent la République. Comme beaucoup d’autochtones j’assiste à la disparition de la France et je me fais du souci pour nos enfants et petits enfants. J’espère ne plus être là quand ils devront raser les murs et maudiront leur ancêtres. Malheureusement vos articles si bien écrits me donnent le bourdon car il y a rarement quelque chose d’optimiste, mais c’est du réel !
    Dans l’espoir qu’on nous envoie un homme providentiel qui pourrait sauver la France qui est tombée si bas.

  2. Que voulez-vous ! La France est emprisonnée dans un régime crypto-communiste depuis 1945, dû pour moitié aux institutions mises en place à cette date par les 4 ministres rouges du général de Gaulle, et pour moitié à l’idéologie que celles-ci ont secrété et continuent de secréter au sein de la population, indépendamment de son bord politique.

    En fait, le sort de l’Europe a été façonné, des années 30 jusqu’à nos jours, par trois grandes figures socialistes : Adolf Hitler, Joseph Staline et le général de Gaulle, qui a conclu avec le précédent, en 1941, une alliance secrète visant à piloter l’Europe à deux une fois la paix revenue. Dans un sens anti-capitaliste, anti-américain et anti-libéral. (Voir « De Gaulle et les communistes », d’Henri-Christian Giraud.)

    Heureusement, les forces de la liberté ont fini par avoir le dessus sur une grande partie de l’Europe. Mais la France est toujours figée dans ses fondations dirigistes, mises en place en 1941. C’est une drogue qui est irrésistible, et qui s’accompagne d’une novlangue systématique, où les mots disent le contraire de ce qu’ils signifient en réalité : émancipation pour soumission à l’Etat, justice sociale pour injustice socialiste, fraternité pour lutte de tous contre tous…

    Quant aux soi-disant « anti-système », qui se réclament de l’extrême-droite, leur doctrine est en réalité… nationale-socialiste. Le fait que le génocide anti-juif n’y figure pas ne change rien au reste.

    Pour Hitler, la haine du Juif n’était qu’une métaphore de la haine anti-capitaliste et anti-libérale. Etant, comme tout socialiste pur, un révolutionnaire adepte de la violence, il est allé jusqu’au massacre, la fin justifiant les moyens.

    Nos populistes sont certes moins enragés, mais l’absurdité de leur doctrine économique n’est pas très différente. Preuve en est leur affinité proclamée avec le régime du Kremlin, dont l’anti-libéralisme est l’un des principaux piliers idéologiques.

  3. Rien de bien nouveau, l’historiographie économique française certifie que les capitaux concentré-cartellisés, globalement les mêmes en 1914 qu’en 2021 préfèrent le pillage systématique du bas de laine français( les français ) afin de maintenir leur médiocrité capitalistique en empoisonnant l’atmosphère politique et économique et contribue à nourrir via l’ Etat l’antagonisme et la décrépitude.

  4. J’aimerais bien comprendre comment font-ils pour nous sortir un déficit à 9.2% du PIB quand les prélèvements obligatoires caracolent à 46% et les dépenses explosent à 62.1%…

  5. Certes la limite des 3% est arbitraire mais elle est rendue nécessaire par l’existence de l’Euro et si on devait lui substituer un seuil plus objectif ce serait tout simplement 0%, la règle d’or qui figure déjà dans la constitution Allemande. Au passage, les 3% sont trompeurs dans la mesure où on compare le déficit au PIB de la France alors qu’il faudrait comparer le déficit de l’Etat au budget de l’Etat.

    S’agissant du projet macronien, il arrive après les échecs des tentatives de coordination des politiques budgétaires. Ces dernières visaient à pallier un défaut fondamental de l’Euro : contrairement aux zones monétaires intégrées comme les USA, l’UE ne dispose pas d’un budget conséquent qui lui permettrait de transférer des fonds publics aux pays en difficulté dans le cas de chocs asymétriques.

    Aux USA, lorsqu’un état est en crise, il y a deux mécanismes de rééquilibrage : les fonds fédéraux et la mobilité géographique. Le premier nous est impossible en raison de la faiblesse du budget européen et le second ne fonctionne pas car nous appelons cela l’immigration et ça déplait aux populations. En cause le fait qu’il n’y a pas d’intégration politique en Europe. Un portugais, un polonais et un français ne se sentent pas vraiment citoyens européens, alors qu’un texan et un new-yorkais sont avant tout des américains.

    En Europe, avant l’Euro, à l’époque du SME, le rééquilibrage se faisait par les taux de changes, les dévaluations, notamment en France et en Italie. Chez nous, la dernière eut lieu en 1994 sous Balladur. Mais depuis l’Euro ce n’est plus possible et les états se trouvent démunis. Alors, le seul levier d’ajustement c’est le PIB. De fait, les PIB de l’Italie et de la France souffrent de sous-performances depuis vingt ans. En France le change a été donné par les dépenses publiques, donc la dette. D’où déficit commercial, désindustrialisation, et délocalisations.

    Je comprends donc les intentions de notre président, car le problème est réel. Par contre, comme vous je ne suis pas certain que ce soit la meilleure approche, cela ressemble plutôt à une fuite en avant. Mais l’alternative c’est la refonte de notre système économique et sociale, et je ne suis pas sûr que la population l’accepte. J’ai bien l’impression que la majorité préfère le sous-emploi et le déclin, même si ce n’est pas explicitement dit comme ça.

  6. L’objectif de Macron n’est-il pas de collectiviser les dettes des états membres de l’UE? Et in fine, d’attribuer à l’UE un pouvoir fiscal sur ses état membres?
    Quand je vois ce que Merkel est en train de faire du fédéralisme allemand, on peut craindre qu’ils aient la même volonté de centralisation accrue pour l’UE.

    • Je ne partage pas cette conclusion qui laisserait penser que le seuil est inutile ou ne repose pas sur des fondements économiques. Certes le seuil en lui-même est arbitraire et ne résulte pas d’un calcul économique ni même d’une théorie économique. Par contre, l’existence du seuil est rendu nécessaire par la monnaie unique.

  7. La croissance rentable ne venant que du secteur privé on voit mal comment stabiliser les pertes. Imaginez que vous ayez un groupe avec deux sociétés. Le chiffre d’affaires de la société A ne cesse de grossir mais elle perd de l’argent. Elle se finance en prélevant sur les profits de la société B dont le chiffre d’affaires ne cesse de diminuer. Vous voyez certainement le problème qui ne peut que mal aboutir…

    Nous sommes en France dans la situation à peut près équivalente à celle de l’Union Soviétique des années soixante.
    Si on présentait les comptes de la France de façon honnête, ce serait comme cela :
    https://lecourrierdesstrateges.fr/2021/04/15/une-trajectoire-budgetaire-desormais-incontrolable/

    Repérez le canot de sauvetage le plus proche pour éviter la noyade.

    • « Le déficit – l’écart entre dépenses et recettes – ne devrait donc pas s’exprimer par rapport en PIB mais par rapport aux recettes fiscales et seulement celles-ci. »

      Pourquoi écarter les cotisations sociales ?

      • Même si certains le contestent parce que ça les arrangent, les cotisations sociales font partie des recettes fiscales. Ne sont-elles pas versées à l’Etat ou à ses organismes d’ailleurs renfloués par celui-ci pour déficits chroniques.

      • C’est bien mon point de vue. Nous sommes bien d’accord que les dépenses publiques, telles qu’elles sont présentées par Simone Wapler, comprennent les allocations sociales et autres prestations, qui correspondent au service censément rendu par les cotisations sociales ?

        Dans ces conditions, c’est 17 % qui est le vrai pourcentage du déficit, de sorte que le numérateur et le dénominateur soient homogènes.

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