Décès de VGE : c’était comment, déjà, GISCARD à la barre ?

L’ancien Président de la République Valéry Giscard d’Estaing (VGE), 94 ans, est décédé hier mercredi 2 décembre 2020 après avoir été hospitalisé à plusieurs reprises ces derniers mois. Malgré son âge avancé, il avait été récemment l’objet d’une plainte déposée par une journaliste allemande qui l’accusait de lui avoir touché les fesses avec insistance lors d’une interview réalisée en 2018 et une enquête à ce sujet avait été ouverte en mai dernier.

Selon son directeur de cabinet, il ne se souvenait de rien, mais le fait est que que VGE s’était construit une solide réputation de séducteur à laquelle il tenait manifestement beaucoup. Il a même écrit une petite bluette intitulé La princesse et le président (2009) qui laisse complaisamment planer le doute sur une éventuelle liaison qu’il aurait pu avoir avec lady Di.

Je vous rassure tout de suite : VGE a été élu à l’Académie française en 2003, soit bien avant cette incursion dans le style Harlequin, et l’on peut supposer que ce sont plutôt ses écrits et mémoires politiques, notamment Démocratie française et Le pouvoir et la vie, qui ont motivé cette éminente distinction.

Passons donc à la politique.

Il y a deux « 10 mai » dans la vie de VGE :

·  celui dont on se souvient tous, le 10 mai 1981, lorsque, mortifié, il dut céder sa place présidentielle à François Mitterrand (PS) qui venait de le battre avec plus d’un million de voix d’avance ;
· et sept ans auparavant, le 10 mai 1974, date du premier débat télévisé d’entre-deux tours organisé en France, débat qui fut décisif dans sa (courte) victoire sur le même Mitterrand au second tour du 19 mai suivant.

C’est en effet lors de ce moment de télévision mémorable que le jeune et fringant VGE rétorque à son opposant qu’il est un « homme du passé » et, surtout, qu’il n’a pas « le monopole du cœur » (vidéo, 01′ 52″) :

VGE a révélé par la suite qu’ayant eu l’occasion de reparler de ce débat avec François Mitterrand, ce dernier lui aurait dit :

« Votre phrase ‘Vous n’avez pas le monopole du cœur’ m’a déstabilisé, elle m’a coupé le souffle. Ce soir-là, j’ai perdu 3 000 000 d’électeurs. »

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Mitterrand a trouvé sa revanche en 1981 en glissant habilement dans le nouveau débat qui les opposait que si lui était l’homme du passé il y a sept ans, Giscard était devenu entre-temps « l’homme du passif ». Dès sa victoire acquise, ses lieutenants tel Jack Lang s’en sont donné à cœur joie pour expliquer que la France venait de passer « de l’ombre à la lumière ». Il ne restait plus à VGE qu’à se fendre d’un « Au revoir » lugubre aux Français (vidéo, 01′ 01″) :

S’il est vrai que l’élection de Mitterrand consacrait une rupture radicale avec plus de vingt ans de gaullisme et ses séquelles pompidolienne et giscardienne, l’arrivée de Giscard à l’Élysée en 1974 n’en constituait pas moins une promesse de changement et de modernité, non seulement par l’âge (il avait 48 ans ce qui en faisait à l’époque le plus jeune Président de la Vème République) mais également par le style qu’il voulait moins compassé et plus proche des gens.

On se rappelle notamment ses dîners avec les Français et ses causeries mensuelles « au coin du feu », résurgence de ce que faisait déjà Roosevelt dans les années 1930 aux États-Unis, sans oublier son fameux « Bonsoir Madame, bonsoir Mademoiselle, bonsoir Monsieur » proféré sur un petit ton mi-professoral mi-pédant qui a beaucoup inspiré les humoristes de l’époque (vidéo, 15″) :

La com’ et la pipolisation des dirigeants étaient en train de faire leur grande entrée dans la politique française avec toute la démagogie que cela implique. Déjà pendant la campagne, VGE avait pris soin de s’entourer d’une ribambelle de stars du spectacle et du cinéma, dont l’éblouissante Brigitte Bardot qui arborait fièrement le T-Shirt estampillé du fameux slogan gentiment équivoque « Giscard à la barre » :

Mais sur le moment, se rappelle Marielle de Sarnez qui participait à la campagne de 1974 avec les Jeunes républicains indépendants :

On avait l’impression de passer « d’une République en noir et blanc à une République en couleurs. »

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Et de fait, à de nombreux égards, VGE s’est employé à desserrer le carcan politique et sociétal dans lequel vivait la France afin de répondre aux aspirations de liberté qui s’étaient exprimées en mai 68. Il a ainsi abaissé l’âge de la majorité de 21 à 18 ans, dépénalisé l’avortement (loi Veil), instauré le divorce par consentement mutuel, confié un tout nouveau secrétariat d’État à la condition féminine à la journaliste et co-fondatrice de l’Express Françoise Giroud, éclaté le monopole de l’ORTF sur l’information en plusieurs chaînes publiques (ça reste timide) et élargi la possibilité de saisine du Conseil constitutionnel aux parlementaires.

Sur le plan économique, on a l’habitude de dire que le dernier budget à l’équilibre fut celui de 1974 et c’est parfaitement exact.

Confronté à la flambée des prix du pétrole dès le début de son mandat, VGE adopte rapidement des mesures de relance de l’économie de type keynésien qui font monter les dépenses publiques de 40 à 46 % du PIB et plonger le déficit public jusqu’à 2,9 % du PIB en 1975. Ce dernier sera rapidement réduit par la suite pour se fixer à 0,4 % en 1980, ce qui fait que la dette publique reste assez stable sur le septennat dans une fourchette de 20 à 22 % du PIB.

Il se trouve que VGE était un grand partisan de l’équilibre budgétaire. En 1965, alors qu’il était ministre des Finances du général de Gaulle dans le gouvernement Pompidou, il souhaitait même rendre obligatoire le respect d’une sorte de règle d’or budgétaire qui interdirait les déficits, mais n’obtint pas gain de cause.

On constate cependant que pour sa part, il a ajusté les recettes et les dépenses par augmentation considérable des recettes au sein desquelles les prélèvements obligatoires passent d’environ 33 % à 39 % du PIB au cours de son septennat, touchant aussi bien les particuliers que les entreprises, ainsi qu’on le voit nettement sur le graphique INSEE ci-dessous :

Le top départ de la dépense publique incontrôlée et des prélèvements obligatoires harassants était donné. Pas très libéral, tout ça.

Du côté de l’emploi, l’effet négatif des chocs pétroliers se fait vite ressentir. Peu important au début de 1974 (600 000 personnes), le nombre de chômeurs atteint 1,5 million à la fin du mandat de VGE et constitue l’un des thèmes centraux de la campagne électorale de 1981. Pas question d’arriver à 2 millions, promet Mitterrand (ce qui arrivera néanmoins très rapidement).

L’inflation accompagne cette explosion du chômage et incite Raymond Barre devenu Premier ministre en 1976 à instaurer un contrôle des salaires et des prix. En 1978 cependant, cette politique qui n’a pas produit les résultats escomptés est abandonnée en faveur d’une option plus concurrentielle qui provoque l’indignation des syndicats, du PS et des gaullistes dirigistes.

Pour résumer, disons que les « trente glorieuses » au cours desquelles la France se reconstruisait et s’équipait étaient bel et bien terminées. Alors que la croissance se situait chaque année au-dessus de 5 % à partir de 1960 (et encore à 6,3 % en 1973), le PIB se replie de 1 % en 1975 sous l’effet du choc pétrolier et ne repassera jamais au-dessus de 5 %. VGE achève son septennat sur une croissance de 1,1 % en 1981.

Présidence VGE (1974-1981)  –  Chômage, inflation, croissance et comptes publics
Sources : Dépenses publiquesPrélèvements obligatoiresDéficits publicsDette publiqueCroissance Inflation.
Remarque : Les chômeurs correspondent à la catégorie A de la DARES.

% du PIB Dép. publ. Prélèvts oblig. Déficit public Dette publ. Chômeurs (milliers) Inflation (%) Croissance (%)
1973 39,3% 33,5% -0,1%     9,2% 6,3%
1974 39,9% 33,7% 0,1% 20,0% 600 13,7% 4,3%
1975 44,5% 35,1% -2,9%     11,8% -1,0%
1976 45,0% 37,1% -1,6%     9,6% 4,4%
1977 44,2% 37,0% -1,1%     9,4% 3,5%
1978 45,2% 37,2% -1,8% 21,2%   9,1% 4,0%
1979 45,5% 38,9% -0,5% 21,2%   10,8% 3,6%
1980 46,4% 39,6% -0,4% 20,8%   13,6% 1,6%
1981 49,0% 39,8% -2,4% 22,0% 1 500 13,4% 1,1%
1995 54,8% 42,1% -5,1% 56,0% 2 500 1,8% 2,1%
2007 52,6% 42,3% -2,6% 64,5% 2 400 1,5% 2,2%
2012 57,1% 43,9% -5,0% 90,6% 3 160 2,0% 0,0%
2017 56,5% 45,1% -3,0% 98,3% 3 750 1,0% 2,2%

Sur le plan politique, VGE a d’abord choisi Jacques Chirac comme Premier ministre. Ce dernier est un ministre de la famille gaulliste, mais à la mort de Pompidou en avril 1974, il considère que Jacques Chaban-Delmas, le candidat déclaré de ce courant, ne fera jamais le poids face à François Mitterrand qui se présente pour l’union de la gauche. Il décide donc de soutenir la candidature de VGE qui représente le courant centriste et européen de la majorité de droite. 

Il démissionne cependant avec fracas en 1976, estimant non seulement que les gaullistes ne sont pas assez bien représentés au gouvernement, mais que le président a en fait l’objectif de voir son parti les Républicains indépendants (RI) « giscardiser » le parti gaulliste de l’époque (UDR).

Entre les deux hommes, la guerre est officiellement ouverte. Chirac ayant décidé de se présenter à la présidentielle de 1981, il obtient 18 % des voix au premier tour contre 28,3 % pour VGE et 25,9 % pour Mitterrand. Pour le second tour, suite à un dîner chez la socialiste Édith Cresson, il indique qu’il votera pour le Président sortant mais préconise à chacun de « voter selon sa conscience ». Le message manque de conviction, et pour VGE, Chirac restera à jamais « celui qui l’a fait partir » de l’Élysée.

Face à la gauche et à François Mitterrand qui manœuvre ferme pour s’imposer enfin à la tête du pays, VGE bénéficie en cours de mandat d’une rupture temporaire entre le PS et ses partenaires du PCF qui présentent des listes séparées lors des élections législatives de 1978. Un rabibochage de dernière minute intervient entre les deux tours mais ne permet pas à la gauche d’obtenir une majorité à l’Assemblée nationale. Les Français ont fait le « bon choix » demandé par Giscard dans son discours resté fameux de Verdun-sur-le-Doubs :

Dernier axe marquant dont j’aimerais parler, celui de l’approfondissement des institutions européennes. Très proche du Chancelier allemand Helmut Schmidt (SPD, social-démocrate) avec lequel il s’entend bien, il participe à la création du Conseil européen (qui consacre le rôle des États dans la construction communautaire) et obtient l’élection du Parlement européen au suffrage universel.

Lorsqu’il quitte l’Élysée en 1981 à l’âge de 55 ans, il devient membre de droit du Conseil constitutionnel en tant qu’ancien président de la République et il renoue avec la politique locale dans le Puy-de-Dôme et la région Auvergne. De 1989 à 1993, il est élu député européen et en 2001, il se voit confier la tâche de rédiger une constitution pour l’Union européenne connue sous le nom de Traité constitutionnel européen (TCE) par lequel le Parlement européen se trouverait renforcé. 

Le résultat est mitigé car si les dispositions du TCE seront finalement intégrées au traité de Lisbonne et adoptées par voie parlementaire en 2007 conformément à ce que Sarkozy avait annoncé lors de sa campagne présidentielle, le référendum organisé en France en 2005 par Jacques Chirac pour ratifier le traité initial se solde par le succès du « non » avec 54,68 % des suffrages exprimés.

Grosse déception pour VGE qui qualifiait son texte de « facilement lisible, limpide et assez joliment écrit », ajoutant « je le dis d’autant plus aisément que c’est moi qui l’ai rédigé » et qui approuvait le choix du référendum « à condition que la réponse soit oui » !

Ce rejet s’ajoutant à la blessure de 1981, peut-être a-t-il trouvé un peu de consolation en notant dans Le pouvoir et la Vie (tome 3, 2006) cette remarque plutôt finement observée à propos des Français et de la politique :

« Je pense en moi-même que les français naissent, travaillent et meurent à droite, mais qu’ils sont instruits et informés à gauche, ce qui explique leurs tendances schizophrènes. »

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Dans son livre La grâce de l’État , Jean-François Revel souligne que dès son arrivée au pouvoir, François Mitterrand n’a rien eu de plus pressé que de commander un bilan du septennat de son prédécesseur pour se faire briller aux yeux des Français. Mal lui en prit, car le rapport montra que sur la période 1974-1981, le pays avait tenu une place plus qu’honorable parmi ses pairs du monde développé :

         

En fait de « passif », la France n’avait encore rien vu. Mais elle n’allait pas tarder à comprendre…


La suite de cet article est à lire ici (Mitterrand, 1981-1995) et ici (Chirac, 1995-2007).


Illustration de couverture : Valéry Giscard d’Estaing, Président de la République de 1974 à 1981. Portrait officiel de Jacques-Henri Lartigue.

6 réflexions sur “Décès de VGE : c’était comment, déjà, GISCARD à la barre ?

  1. Pour Giscard, la France voulait être « gouvernée au centre ». C’est ce qui l’a conduit à des réformes libérales concernant les mœurs, mais aussi à des réformes ou inflexions socialisantes en matière de politique sociale: notamment en faveur des handicapés ce qu’on ne peut lui reprocher, mais le doigt gouvernemental était dans l’engrenage. Depuis, les présidents « de droite » n’ont cessé de draguer « la gauche » par des nominations et des mesures sensées la séduire.
    Si l’on se souvient de la lamentable affaire des avions renifleurs sensés trouver du pétrole (il me semble), le polytechnicien qu’il était a massivement fait investir la France et EDF dans les centrales électronucléaires. Nous lui devons cela, même au prix d’un endettement massif d’EDF (compté dans les statistiques de la dette?).

  2. Il est tout à fait plaisant que vous débutiez votre article par les frasques sexuelles – vraies ou supposées – de Valéry Giscard d’Estaing, qui lui donnent toute sa place dans le concert de nos P.Q. (présidents queutards). J’ai écouté la radio de 6h45 à 8h49 sur Radio Classique et personne n’a, ne serait-ce qu’évoqué le sujet. Alors bravo !
    Personne du reste n’a parlé, non plus, de ce mot du Général de Gaulle, à qui son ministre des Finances – Valéry Giscard d’Estaing – demandait de donner son nom à un emprunt national : « Vous avez raison, c’est un très beau nom d’emprunt !  » Se non è vero….
    Et à ce propos, il me reste à dire que VGE n’eut de cesse qu’il n’eut racheté le château d’Estaing aux religieuses qui en étaient les propriétaires. Religieuses qui dirigeaient aussi l’Institution Saint Joseph de Nice où j’ai été pensionnaire pendant une bonne dizaine d’années.

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