MACRON : enfin SEUL, enfin ROI

Rappelez-vous : le 15 mai 2017, la nomination d’Édouard Philippe à Matignon avait dû être retardée de plusieurs heures. En cause, le choix de son directeur de cabinet. Tout à l’ivresse de sa récente victoire présidentielle qui le poussait à se montrer plus jupitérien et plus maître des horloges que jamais, Emmanuel Macron pensait pouvoir placer facilement son ami et directeur de la CNAM Nicolas Revel auprès du futur Premier ministre. Mais ce dernier résiste et impose finalement son propre ami Benoît Ribadeau-Dumas.

La rupture entre les deux hommes était-elle déjà consommée en pointillés à ce moment-là, avant même que le quinquennat n’ait vraiment démarré ? Si l’arrivée au gouvernement d’Édouard Philippe flanqué de Le Maire et Darmanin a parfaitement joué son rôle d’arme de destruction massive de la droite, la suite de l’histoire n’a pas tardé à révéler les malentendus latents au sein du duo exécutif.

Rappelez-vous à nouveau : alors que le Premier ministre devait donner son traditionnel discours de politique générale à l’Assemblée nationale le 4 juillet 2017, Emmanuel Macron n’a pu s’empêcher de lui voler la vedette en prononçant la veille un long discours tout d’envolées philosophico-printanières devant le Parlement réuni en congrès à Versailles. Comme si déjà il ne se résolvait pas à s’effacer devant les prérogatives du chef du gouvernement ; comme s’il voulait se placer définitivement en surplomb de tout et montrer urbi et orbi combien toute action entreprise ne sera jamais que l’expression de sa volonté et la conséquence du cap que lui, Président, ambitionne de donner à la France.

Mais de son côté, Édouard Philippe aussi veut exister, jusqu’à devenir la caricature désolante de la psycho-rigidité technocratique. Car c’est lui qui a eu soudain l’idée catastrophique et furieusement impopulaire dans la France « périphérique » d’imposer une baisse de la limitation de vitesse sur les routes secondaires de 90 à 80 km/h – mesure coercitive parfaitement inutile en matière de sécurité routière et complètement décalée au regard des réformes dont le pays a dramatiquement besoin depuis quarante ans. 

C’est lui également qui s’est arc-bouté férocement sur le maintien de la hausse des taxes sur les carburants qui a achevé de précipiter la France dans la révolte des Gilets jaunes, y compris contre l’avis du Président qui avait prévu de revenir dessus dès son discours du 27 novembre 2018 sur la programmation pluriannuelle de l’énergie – hausses qui ont finalement été annulées une dizaine de jours plus tard, non sans nous offrir en prime un joli petit cafouillage supplémentaire entre Matignon et l’Elysée.

Emmanuel Macron voulait un exécutant docile et discipliné, un simple « collaborateur » comme disait Nicolas Sarkozy en parlant de son propre Premier ministre François Fillon, pas un importun par trop indépendant. Or malgré une bonne entente sur le « dépassement des clivages » entre la droite et la gauche et sur la place éminente et indépassable de l’État, Édouard Philippe persistait à suivre un « cap » gouvernemental pas totalement en phase avec celui du Président de la République. 

Pas étonnant dès lors que la solution soit venue de Nicolas Sarkozy dont on ne doute guère qu’il maîtrise à fond tous les ressorts de l’hyper-présidence. Selon Les Indiscrets du Point du 11 juin dernier, l’ancien Président aurait conseillé à Emmanuel Macron de mettre la suppression du poste de Premier ministre au menu de son programme présidentiel pour 2022 et de nommer entre-temps à Matignon « un fidèle » peu susceptible de lui faire de l’ombre.

Aussitôt suggéré, aussitôt fait par le Président et aussitôt accepté par le nouveau Premier ministre ! À peine nommé, Jean Castex choisissait comme par hasard Nicolas Revel comme directeur de cabinet et le soir même au 20 heures de TF1, il s’empressait d’assurer publiquement à Emmanuel Macron :

« Je ne suis pas ici pour prendre la lumière mais pour avoir des résultats. » (Jean Castex, TF1, 3 juillet 2020)

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Autrement dit, outre qu’il n’a pas omis de dire qu’il était fils d’une institutrice du Gers et élu local d’un village de la France profonde, informations censées lui conférer une proximité populaire à laquelle sa formation d’énarque et son parcours purement administratif ne font pas spontanément penser, il se présente comme un pur technocrate dont la mission consiste uniquement à faire advenir la politique décidée par le Président. 

Ainsi que je l’écrivais dans un portrait que je lui avais consacré alors qu’il venait d’être appelé à Matignon pour endosser le rôle de « Monsieur Déconfinement » (avril 2020), Jean Castex a d’abord été le « Monsieur Santé et Hospitalisation » de Xavier Bertrand, le « Monsieur Social » de Nicolas Sarkozy puis le « Monsieur Sports et JO » d’Emmanuel Macron. À l’instigation d’Édouard Philippe, il a même failli être aussi « Monsieur Intérieur » en remplacement de Gérard Collomb et « Monsieur SNCF » en remplacement de Guillaume Pepy.

Eh bien, le voici maintenant propulsé au rôle de confiance de « Monsieur Exécution » du Président de la République. Un poste qui ne manquera pas de lui convenir parfaitement car Jean Castex se définit essentiellement comme un haut-fonctionnaire entièrement dévoué au service de l’État :

« J’ai été formé pour être serviteur de l’État donc lorsqu’on m’appelle je me dois d’être présent. »

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Qui dit service de l’État dit évidemment État et qui dit Macron dit évidemment que tout le « penser printemps » que le Président a vanté tant et plus pendant sa campagne électorale et au début de son mandat ne peut que passer par notre triple État providence, stratège et nounou, certainement pas par les initiatives incontrôlées des individus forcément irresponsables qui composent la société.

À cet égard, le choix de Nicolas Revel comme directeur de cabinet poussé par Emmanuel Macron est particulièrement révélateur. Exactement comme Castex, quoique venant de la gauche alors que le nouveau Premier ministre vient de la droite, Revel, fils de Jean-François mais tellement différent, est un pur produit de l’ENA et de l’administration.

Directeur de cabinet de Bertrand Delanoë à la mairie de Paris puis Secrétaire général adjoint de l’Élysée en même temps qu’Emmanuel Macron entre 2012 et 2014 (mandat Hollande), il rejoint ensuite notre sublime « Sécu » comme directeur général de la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM) où il s’active notamment à mettre en place le tiers-payant généralisé avec la ministre de la Santé de l’époque Marisol Touraine (PS).

Impossible de coller de plus près à notre modèle social puissamment collectiviste, puissamment déresponsabilisant et puissamment inefficace ! C’est pourquoi dans la prétendue nouvelle étape du quinquennat qui se dessine ces jours-ci, c’est en réalité le Macron qui clamait à des entrepreneurs quelque peu abasourdis « votre amie, c’est l’Urssaf » que l’on retrouve. 

Le Président a beaucoup parlé de nouveau monde et il a souvent dit qu’il croyait en l’innovation et à l’ambition personnelle, mais sa façon de vouloir nous rendre amicales les administrations qui n’ont d’autres fonctions que de prélever taxes et cotisations sur les forces productives du pays et celles qui ont pour mission de les dépenser selon les fins sociales du moment est la confirmation absolue qu’il s’inscrit totalement dans l’État dévorant que nous traînons depuis 1945, avec nulle idée d’en sortir. Du « gaullisme social », pour le dire comme Jean Castex sur TF1 vendredi soir, autrement dit dirigisme et dépenses publiques.

Avec l’annexion de Matignon réalisée sans avoir à changer la Constitution grâce à la docilité annoncée de Castex et Revel, voici Emmanuel Macron enfin seul maître à bord d’un État qu’il souhaite dominateur et stratège de tout. Ça promet.


Pour en savoir plus sur le parcours de Jean Castex, je vous suggère de lire la partie II de l’article Jean Castex, le « SUPER MEC » du déconfinement ? (27 avril 2020).


Illustration de couverture : Emmanuel Macron entouré du nouveau Premier ministre Jean Castex (à gauche) et du Dircab qu’il lui a adjoint, Nicolas Revel (à droite).

14 réflexions sur “MACRON : enfin SEUL, enfin ROI

  1. Merci pour cette analyse détaillée.

    C’était notre Mr Dé-confinement, en charge d’essuyer les plâtres post-Covid. Désormais destiné à être le Premier Fusible.

    J’avoue ne pas trop saisir les intentions de Macron. Certes une personnalité de moindre stature à Matignon peut lui assurer les coudées franches et laisser libre cours à sa mégalomanie, cependant Édouard Philippe part avec un capital sympathie certain dont il pourrait se souvenir en 2022. Ainsi que les électeurs.

    Qui initia vraiment cette démission, d’ailleurs ?

    Malgré cela, je pense que notre poudré compte sur la nouvelle vague des Khmers Verts pour orienter son programme qui verra très certainement son blason redoré et nos portefeuilles un peu plus plats.

    Je vis à Bordeaux et je n’augure rien de bon pour ma vieille auto de 20 ans d’âge qui continue de rouler sans faillir.

    On reprend les mêmes guignols repeints en vert. C’est dramatique.

  2. Le « gaullisme social »‘, lol, un peu comme l’austérité gaspilleuse, ou le romantisme porno.
    Bref, Macron n’est absolument pas « maître des horloges », mais complètement soumis à l’énarchie, à cette république de hauts-fonctionnaires qui parasitent le pays, Macron serviteur servile de l’état profond, beau parleur qui ne fait qu’exécuter toujours plus activement les mêmes principes jacobins depuis Giscard.

    • Bel oxymore, en effet. Rien d’étonnant à cela, la rhétorique pompeuse et ampoulée est une des composantes de ce socialisme d’apparat.

      Gaullisme social, il fallait oser. Comme disait un célèbre dialoguiste, c’est même à cela qu’on les reconnaît.

      • Pourquoi oxymore ? Le général de Gaulle a donné des signes d’anti-libéralisme et de sympathie avec l’URSS avant 1945.

        Plutôt qu’un oxymore, ce serait un pléonasme.

      • Pour l’anti-libéralisme, ça me paraît évident, mais pour le « social », j’ai un doute. Mais je peux me tromper. Il me semble que d’avoir fait entrer dans l’état Thorez et toute la clique communiste partait d’une volonté d’éviter une potentielle guerre civile, alors que le pays sortait tout juste de la guerre. Je ne vois aucune volonté sociale et progressiste dans l’action du général De Gaulle, qui me paraît plus conservateur, tendance monarchiste. J’espère ne pas me tromper!

      • @ Dr Slump

        Mes connaissances en la matière sont limitées, mais voyez sur ce sujet Jean-Gilles Malliarakis, son blog et ses livres. Tout dépend de ce qu’on entend par « social ».

        Vous mentionnez à juste titre le côté monarchiste du général de Gaulle. Il semble qu’il ait envisagé, à un moment, de rétablir la monarchie, même si ça n’a pas duré longtemps.

        A cet égard, l’une des caractéristiques les plus frappantes de l’histoire de France est que le monarchisme est largement socialiste, justement. Par monarchisme, j’entends la doctrine en vigueur après l’abolition de la monarchie.

        Le monarchisme français est un catholicisme de gauche. C’est très frappant chez les grands écrivains monarchistes de la fin du XIXe siècle et du début du XXe. C’est manifeste chez l’Action française.

        Plus récemment, je ne sais quel prétendant au trône de France a paradé aux côtés des Gilets jaunes.

        Si vous enlevez tout ce qui, dans le discours monarchiste, traite du roi, vous retrouvez un banal discours de gauche.

        Même chose, d’ailleurs, chez de nombreux catholiques intégristes (donc supposés d’extrême-droite). Une fois que vous retirez de leur discours ce qui concerne la foi (et qui n’est pas toujours prépondérant, loin de là), il vous reste une vulgate socialiste et de lutte des classes.

        La haine de l’argent, le culte du Pauvre, la haine des « Anglo-saxons », du capitalisme et de l’entreprise sont très marqués chez ces gens-là.

        Par constraste, la monarchie la plus forte dans le monde actuellement, la Couronne britannique, a une culture conservatrice et libérale.

        (Cela n’empêche pas l’Eglise anglicane, dont la Reine d’Angleterre est le chef, d’être tenue par des gauchistes enragés, mais c’est une autre question.)

      • Je pense que les initiateurs de cette locution n’ont même pas été effleurés par ce qui motive votre remarque.

        C’est surtout sur cela que je voulais ironiser. Je pense qu’ils voient De Gaulle comme un despote conservateur.

      • Jean-Gilles Malliarakis écrivait il y a deux jours :

        « Le mot de droite n’appartenait pas au vocabulaire de référence du général de Gaulle, lequel raisonnait essentiellement en terme de rassemblement. On chercherait vainement sous sa plume pourtant féconde une réfutation du marxisme en tant que tel, ni même une franche condamnation du stalinisme, tout au plus parlera-t-il du régime affreux de l’Union soviétique alors qu’il justifie de nouer avec elle en 1944 une belle et bonne alliance. […] »

        « De 1954, date à laquelle, selon l’expression de l’homme de Colombey ‘le rassemblement était devenu une débandade’, à 1977, quand le RPR fut fondé à Égletons où Jacques Chirac se revendique d’un ‘travaillisme à la française’, aucun parti d’obédience gaulliste n’a jamais utilisé le mot ‘droite’. Il faut attendre Sarkozy pour voir apparaître franchement le concept. »

        https://www.insolent.fr/2020/07/les-droites-et-le-nouveau-gouvernement.html

  3. Voila donc le monde d’après. EP endosse les échecs des 3 années passées et Castex va poursuivre ou relancer les réformes mal enclenchées avec les objectifs hyper-technocratiques universalistes jacobins que l’on sait. Macron avait dit qu’il voulait supprimer l’ENA, c’était donc une bouffonnerie de plus. Le monde d’après est donc celui d’avant avec encore plus de à dilapider pognon (sous réserve de calmer les 4 radins du nord, ce qui n’est toujours pas gagné).

    Ils n’ont d’ailleurs que cela à annoncer, aide par-ci et subvention par là et surenchères pour les jaloux ou les plaignants qui se jugent moins servis.

    Pour autant l’activité économique somnole, c’est mon impression quotidienne. L’aéroport d’Orly jeudi après-midi désert, m’a particulièrement traumatisé. Ben oui on n’est pas nombreux m’a fait remarquer une hôtesse, les autres ont peur de venir travailler…

    Et vu le taux de participation aux élections, j’observe surtout l’abattement, la résignation, et au final la fuite ou la colère potentiellement probable.

    En attendant place à la dictature des minorités jusqu’à la lie.
    Nous sommes maintenant sûrs que la France aura décliné 5 années de plus avec Mr Macron !

  4. Que dire ? Juste un exemple : l’Allemagne a fait son plane de relance en Mai…nous il viendra en Septembre. L’inertie, marque ultime de l’Enarchie, et de la bureaucratie qu’elle choie, nous plonge un peu plus dans la logique soviétique.

  5. Le parcours de Nicolas Revel me laisse pantois. Comment JF Revel a-t-il pu donner naissance à un type pareil ? Le simple fait qu’il ait travaillé à et pour la Sécu laisserait penser qu’il n’a rien de libéral. A-t-il seulement lu les livres de son père ? Qu’il s’appelle Revel plutôt que Ricard donnerait à penser que oui… Mais alors il serait libéral. Bizarre, bizarre.

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