Fin de la loi AVIA contre la haine ou le triomphe de la Constitution

La loi Avia a été censurée par le Conseil constitutionnel et c’est heureux pour nos libertés. Reste à veiller à ce que notre Constitution ne devienne pas elle-même le siège de tous les constructivismes idéologiques, auquel cas elle ne nous protégerait plus.

Belle journée que le 18 juin pour les libertés publiques en France !

Hasard du calendrier, certes, mais la loi Avia contre la haine sur internet ayant été soumise à la moulinette du Conseil constitutionnel le 18 mai 2020 par des sénateurs emmenés par Bruno Retailleau (LR), c’est un mois plus tard, soit quatre-vingts ans jour pour jour après l’appel du général de Gaulle enjoignant aux Français de résister à l’oppression que les membres du Conseil ont lourdement dépecé cette loi déjà dénoncée pendant tout son parcours législatif comme extrêmement dangereuse pour la liberté d’expression.

Comme souvent, tout avait commencé par les meilleures intentions du monde : la haine ne passerait plus par internet et le monde virtuel serait enfin tout beau et tout gentil ! Les propos haineux, les apologies de la violence et de la discrimination, le non-respect des lois mémorielles, les invectives racistes, homophobes, sexistes, etc. – tous ces contenus que d’aucuns se croyaient autorisés à pondre derrière l’anonymat de leur écran allaient enfin disparaître des réseaux sociaux !

Concrètement, la loi Avia s’articulait autour de deux grandes mesures inscrites dès son article premier :

· Contenus à caractère terroriste ou pédopornographique : l’administration pouvait demander aux plateformes en ligne de les retirer dans un délai d’une heure, faute de quoi elles encouraient une peine d’un an de prison et 250 000 € d’amende.

· Contenus à caractère haineux ou sexuel : les plateformes en ligne devaient les retirer ou les rendre inaccessibles dans les 24 heures sur simple signalement d’une personne ayant simplement donné son nom et les raisons qui rendaient selon elle ce contenu illicite au regard de la loi Avia. Là encore, des sanctions pénales à l’encontre des plateformes étaient prévues en cas de manquement à cette obligation.

Dans les deux cas, aucun juge à l’horizon pour rendre une décision de justice à charge et à décharge ; seulement l’administration, qui est censée appliquer les décisions du pouvoir en place et lui en rendre compte, ce qui n’est jamais bon pour échapper à l’arbitraire et au discrétionnaire de décisions purement politiques ; ou alors seulement les signalements de particuliers dont il y a tout lieu de craindre qu’ils pourraient devenir extrêmement vagues et nombreux compte tenu des faibles conditions requises.

Second problème, et de taille, la haine n’est pas une notion juridique. Elle n’est définie par aucun texte qui permettrait de savoir où s’arrête la liberté d’expression et où commence la haine selon la loi Avia. Il est vrai que cette dernière donnait une liste assez vaste de tout ce qui tombait sous le coup de ses interdictions.

Mais prenons le cas de la discrimination religieuse, par exemple. Lorsqu’en début d’année, la jeune Mila tenait sur Instagram les propos ci-dessous :

« Je déteste la religion (…), le Coran, il n’y a que de la haine là-dedans, l’Islam, c’est de la merde, c’est ce que je pense. (…) Votre religion, c’est de la merde, votre Dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul, merci, au revoir »,

propos qui lui ont valu harcèlement, menaces de mort et toute la bêtise idéologique de la Garde des Sceaux, était-elle dans la haine façon Avia ou faisait-elle simplement usage de sa liberté d’expression ?

Pour rendre sa décision de non-conformité avec la Constitution, le Conseil constitutionnel s’est appuyé sur l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC, 1789) :

« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »

.
Actant d’abord que l’évolution des technologies et des pratiques de communication rendent les plateformes d’expression et de débat en ligne parfaitement éligibles au droit défini dans cet article, les Sages soulignent ensuite que le législateur a toute compétence pour réprimer les abus de la liberté d’expression – ce que la loi Avia se flattait de faire eu égard aux contenus à caractère terroriste, pédopornographique, haineux ou sexuel.

Mais le Conseil constitutionnel insiste également sur le fait que la réponse envers les abus en question doit être « adaptée, nécessaire et proportionnée au but poursuivi », faute de quoi elle porte une atteinte inconstitutionnelle à la liberté d’expression et de communication.

C’est précisément là que rien ne va plus dans la loi Avia.

Dans le cas des contenus pédopornographiques ou d’apologie du terrorisme, l’atteinte à la liberté d’expression est constituée par le fait que l’administration devient seul juge du caractère licite ou illicite des propos ainsi que par le minuscule délai d’une heure laissé aux plateformes pour retirer les contenus incriminés.

Dans le cas des contenus haineux ou à caractère sexuel, le court délai de 24 heures associé aux peines encourues et au fait que n’importe qui puisse opérer un signalement sans aucune confrontation judiciaire risque de pousser les plateformes à retirer tous les contenus signalés sans prendre le temps de vérifier précisément leur caractère effectivement illicite. D’où une nouvelle atteinte évidente à la liberté d’expression.

Si le Conseil constitutionnel qualifie sa décision de « non-conformité partielle », c’est en réalité toute la loi Avia qui s’effondre car la censure de son article premier entraîne tout le reste qui n’en était qu’une série de modalités particulières. 

Mme Avia ne s’avoue pas vaincue pour autant dans son « combat de longue haleine contre les discours de haine sur internet ». Elle a d’ailleurs immédiatement relancé l’idée de la création de deux nouveaux « bidules » à coup sûr citoyens et solidaires : l’observatoire de la haine en ligne et le parquet judiciaire spécialisé. 

Mais pour l’instant, sa loi est retoquée pour non constitutionnalité et je m’en réjouis. Ce qui est très plaisant dans cette affaire, c’est de penser que nous avons des institutions qui font leur travail et, surtout, que nous vivons sous le régime d’une Constitution qui est encore capable de garantir effectivement nos libertés publiques.

Malheureusement, ainsi que je l’écrivais il y a environ un an, nombreux sont les partis, les factions, les groupes d’opinion qui tentent de faire prévaloir leur point de vue en essayant de le forcer au sein de la Constitution.

Après le principe de précaution sanctuarisé par Jacques Chirac dans la Charte de l’environnement intégrée au bloc de constitutionnalité, le gouvernement actuel souhaite y inscrire l’impératif écologique. On assiste aussi à des tractations pour y faire figurer le droit à l’avortement, tandis que d’autres pensent aux racines chrétiennes de la France et d’autres au droit des animaux, voire au droit des arbres

La Constitution a beau être le texte fondamental de notre République, celui qui, trônant au sommet de la hiérarchie des normes, est censé limiter les pouvoirs des gouvernants et définir les rapports entre les gouvernants et les gouvernés afin de garantir à chaque citoyen que ses droits naturels seront protégés, elle n’en est pas moins l’enjeu ultime de tous les constructivismes idéologiques.

Cette fâcheuse tendance revient à vouloir graver dans le marbre l’état de la science, de la culture, de l’histoire ou de l’opinion. Une tendance contre laquelle il nous faut résister de toute nos forces, faute de quoi le Conseil constitutionnel n’aura plus, à l’avenir, qu’à admettre que toute nouvelle loi, aussi réductrice et privatrice de liberté soit-elle, est parfaitement constitutionnelle. 


Illustration de couverture : Le Conseil constitutionnel censure lourdement la loi Avia contre la haine sur internet, 18 juin 2020. Capture d’écran et photo AFP.

9 réflexions sur “Fin de la loi AVIA contre la haine ou le triomphe de la Constitution

  1. J’ai exactement le même commentaire. Suivi plus ou moins distraitement.

    Liberté d’expression: elle semble se terminer où débute celle des autres – Haine: notion très subjective en notre bel hexagone, qui a très fâcheuse tendance à être franchement polarisée, dont les divers communicants et réseaux sociaux ont une conception sélective.

    Bravo donc pour ce jugement. Cela rabattra le caquet de ces chantres du flicage institutionnel.
    J’ai envie de croire que la Constitution est encore au-dessus des lois d’un pouvoir arbitraire, comme cela se doit.

    Merci encore pour ce billet instructif et objectif.

  2. Ce n’est malheureusement que partie remise car la France se soviétise. La preuve : cette loi a été votée…oui, et, à part le conseil constitutionnel, n’a éveillé l’émotion de pas grand monde. Comme quoi l’endormissement doctrinaire des médias fini par porter avec le temps.

    • C’est le but. On nous veut résignés.

      La crise sanitaire fut même une aubaine, ça permet de diluer, de faire passer en douce quelques mesures, tout en érigeant notre poudré en sauveur providentiel, qui prodigue conseils paternalistes à grand renfort d’interventions télévisées, d’un ton compassé (pour masquer la grande impéritie de nos incapables aux manettes) et va parader, comme de coutume, au Mont Valérien et à Londres le 18 juin.

      Toujours dans la posture. C’est sa griffe.

      Ainsi cela sera plus facile le 28, tas de moutons. Sans moi, par contre.

  3. Jamais les Français n’auront autant protesté, autant manifesté dans la rue ou sur les réseaux sociaux concernant particulièrement le sociétal ou l’écologie planétaire.

    C’est de l’activisme mis en spectacle par les médias de façon névrotique et tous surréagissent, autant l’opinion, même la bourse que les gouvernants, ces derniers pour satisfaire l’opinion évidemment. D’où la tendance à vouloir inscrire dans la loi, voir dans la constitution des points de vue minoritaires, ignorants de notre histoire sans aucune justification scientifique ou pire sans la moindre observation des impacts réels. D’ailleurs plus c’est complexe et plus on a droit à des préconisations avec des solutions puériles inapplicables dans la vraie vie. C’en est à pleurer.

    Nos gouvernants connaissent parfaitement les dossiers dans tous les domaines mais agissent pour autant de façon contraire au bon sens et aux priorités. C’est une façon d’exister et d’esquiver à court terme les devoirs fondamentaux d’autant qu’on a lâché du pognon quoi qu’il en coûte.
    Le réel ne compte pas (en particulier l’économie anesthésiée avec le pognon artificiel), seules les perceptions comptent, ce qui n’est pas perçu n’existe pas. Et donc si on ment, si on cache alors il ne se passe rien !

    La France, soumise à 8 semaines de confinement et à un arrêt menaçant de son économie, est aujourd’hui dans un état de sidération et de grande fragilité émotionnelle. La preuve nous avons déjà eu droit au début d’un grand carnaval exutoire qui va évidemment se poursuivre jusqu’à la satiété ou la fatigue…(observer le carnaval de Rio donne la simulation).

    Il est donc urgent d’attendre et de ne préparer aucune loi fondamentale et à fortiori constitutionnelle et d’ignorer totalement ces nombreux prophètes qui tentent de recycler leurs idéologies mortifères et de nous enfermer dans un régime autoritaire.
    Il y a déjà bien trop de lois à supprimer mais en tout cas bien suffisantes pour tenter de vivre dans la liberté d’entreprendre ou de vivre tout simplement.

    • « Jamais les Français n’auront autant protesté, autant manifesté dans la rue ou sur les réseaux sociaux concernant particulièrement le sociétal ou l’écologie planétaire. »

      J’aurais préféré qu’ils protestent pour l’économie parce que c’est quand même le nerf de la guerre.

      « Nos gouvernants connaissent parfaitement les dossiers dans tous les domaines »

      Je respecte votre point de vue, cela dit, j’ai malgré tout quelques doutes.

  4. Il faut évidemment se féliciter de cette condamnation claire et tranchée. Votre optimisme m’étonne, cependant. Il est manifeste que le gouvernement tentera de remettre le couvert d’une manière ou d’une autre… et cette loi était tellement extrémiste, que même une version atténuée serait encore radicalement liberticide.

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