Et maintenant, faisons tomber les murs de Berlin qui sont en nous !

Il y a 30 ans, le 9 novembre 1989, le mur de Berlin s’effondrait sous le poids de sa propre pourriture, signant ainsi sans équivoque le retentissant échec politique, économique et humain du communisme réel – pas loin de 100 millions(*) de morts dans le monde, n’oublions pas. Mais dans les faits, l’échec était consommé et avait en quelque sorte été officialisé à la face du monde dès le moment où le mur fut construit.

Érigé en 1961 par le gouvernement communiste est-allemand sous le nom de « mur de protection antifasciste » (une rhétorique qui perdure…) au prétexte de protéger la RDA des agressions de l’Occident, il visait en réalité à mettre un terme à la fuite massive de ses citoyens vers l’Allemagne de Ouest. On estime à 3 millions le nombre de départs intervenus via Berlin entre 1949 et 1961 pour un pays qui comptait environ 17 millions d’habitants à l’époque.

Comme tous les pays d’obédience soviétique, la RDA bien surveillée par Moscou avait appliqué à la lettre le programme déterminé par Marx et Engels dans Le manifeste du parti communiste (1848). Et comme dans tous les pays qui procédèrent ainsi, la planification de l’économie et la collectivisation des terres entraînèrent rapidement et inéluctablement un effondrement des productions industrielle et agricole ainsi que des pénuries alimentaires.

Les Allemands de l’Est se mirent alors à « voter avec leurs pieds » de façon un peu trop voyante et il ne resta plus aux autorités de RDA que de les enfermer hermétiquement dans un pays devenu prison pour faire vivre le mythe des grands accomplissements du socialisme.

Loin de se décourager, nombre de citoyens tentèrent alors de passer le mur, au risque d’y perdre la vie ou d’être arrêtés et jetés en prison. C’est dire combien leur adhésion au régime était faible. Car le mur n’était pas un simple mur. C’était un véritable ouvrage de guerre comprenant plusieurs murs, un no man’s land, des barbelés et des miradors. Il était surveillé en permanence par des milliers de soldats armés ayant reçu l’ordre de tirer. Blindés et chiens policiers complétaient le macabre dispositif.

Dans leur malheur, les Allemands de l’Est ainsi que l’ensemble des populations qui ont vécu dans l’orbite soviétique ont cependant eu ce qu’on pourrait appeler une « chance » appréciable : la décadence économique et la répression politique furent telles qu’ils n’ont eu aucun mal à identifier le fait qu’il leur manquait un élément aussi essentiel que l’oxygène pour vivre, et cet élément, c’était la liberté – la liberté de circulation, la liberté d’expression, la liberté de réunion et d’association, la liberté d’entreprendre, bref, la liberté de se livrer à sa propre recherche du bonheur et de vivre sa vie sans que tout soit paramétré par avance par un pouvoir politique arbitraire, autoritaire et criminel.

Non pas que je recommande d’en passer par la terrifiante expérience socialiste pour mieux apprécier la liberté. Mais comme il serait bon que cette expérience réelle qui a vu tant de gens mourir et tant d’autres fuir l’invivable puisse nous rappeler à chaque instant que nous naissons libres et que rien ni personne n’a de légitimité à nous dicter nos comportements, nos choix et nos pensées ! – dès lors, naturellement, que nous respectons aussi la liberté des autres. Et comme il serait bon qu’elle nous pousse à placer la liberté au premier rang de nos exigences politiques !

Malheureusement, l’exercice de la liberté n’a rien de simple. Il suppose une prise de risque, un effort particulier de responsabilité et d’initiative personnelle que peu d’individus sont prêts à mettre dans la balance du confort et de la sécurité assurés, même à des niveaux médiocres.

On constate d’abord que l’habitude de la soumission prise au coeur de la terreur politique tend à persister quand cette terreur a disparu. Dans un entretien accordé en 2015 au journal Le Monde à l’occasion de son prix Nobel de littérature, l’auteur de La fin de l’homme rouge, Svetlana Alexievitch, explique qu’après 1990, elle s’attendait à voir apparaître des gens différents, des gens libres.

Elle observe pourtant que même les jeunes générations gardent des mentalités d’esclaves. Leurs parents, nostalgiques d’une époque où ils n’exerçaient aucune responsabilité mais se contentaient de recevoir ce que le régime voulait bien leur accorder, leur ont raconté un monde soviétique fantasmé, la santé gratuite, l’éducation, les crèches, l’absence de chômage, etc. Une illusion, en réalité, puisque tout s’est effondré.

Ensuite, à partir du moment où les menaces politiques les plus directes et les plus graves disparaissent ou sont absentes – justice arbitraire, prison, camp de travail, assignation à résidence, etc. – la demande de liberté tend à s’essouffler au profit d’une demande de protection qui fait arriver sur le devant de la scène des individus fondamentalement autoritaires qui pensent savoir mieux que tout le monde ce qui est bon pour nous.

Dans Qu’est-ce que les Lumières ? (1784), Kant fait remarquer qu’il « est si aisé d’être mineur ! » – mineur devant être entendu au sens d’un individu qui, comme un enfant, n’est pas sorti de l’état de tutelle :

« Si j’ai un livre qui me tient lieu d’entendement, un directeur qui me tient lieu de conscience, un médecin qui décide pour moi de mon régime, etc., je n’ai vraiment pas besoin de me donner de peine moi-même. »

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Mais, ajoute-t-il, il existe toutefois des hommes, peu nombreux mais décidés, qui sont sortis de leur minorité et qui ne sont que trop heureux de servir de tuteur aux autres -c’est la configuration typique des gouvernements socio-démocrates. Nous voici donc face à une seconde difficulté pour penser et agir par nous-mêmes : non seulement on trouve cela pénible, mais en plus on ne nous a jamais vraiment laissé faire l’essai de notre autonomie.

C’est précisément ce qui se passe dans nos sociétés occidentales. Si elles n’ont rien à voir avec la dictature communiste, elles restent souvent trop formatées et contrôlées par la puissance tutélaire de l’Etat – notamment en France à travers une puissance publique envahissante qui détermine de trop nombreux paramètres de nos vies en maniant savamment brimades, incitations, autorisations et interdictions jusque dans ce qu’on a le droit de dire et ne pas dire (lois mémorielles, chasse aux fake news) sans égard pour notre droit à la liberté et à la recherche personnelle du bonheur.

Il en résulte une adaptation pratique et stratégique des citoyens qui en viennent à trouver tout naturel de demander à l’État de réguler les rapports sociaux de A à Z et de pourvoir à tout via les impôts prélevés sur les individus les plus productifs. C’est ainsi qu’on a pu entendre récemment une mère de famille se plaindre en ces termes auprès d’Emmanuel Macron :

« Je trouve que les aides ne sont pas terribles quand on est toute seule avec deux enfants, en fait. Seule avec deux enfants au SMIC, je ne vois pas trop comment on peut s’en sortir. »

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En France, l’esprit de responsabilité a été à ce point émoussé par 40 ans d’État providence, stratège et nounou et par la croyance réitérée par Emmanuel Macron que la plus haute mission de l’État consiste à « protéger » les citoyens, que les gens en deviennent incapables de se penser comme des êtres actifs et autonomes. Beaucoup se considèrent avant tout comme des êtres en difficulté qu’il convient d’aider. Voilà le modèle français : les citoyens sont d’éternels mineurs et l’État est leur indéboulonnable tuteur !

En réalité, il serait possible à cette mère de famille de « s’en sortir » si les sommes colossales qui sont englouties sans efficacité – disons même avec un gaspillage aussi certain que récurrent – dans la dépense publique, donc dans les « aides », étaient laissées à la disposition des citoyens pour qu’ils les recyclent eux-mêmes dans l’économie sous forme de consommation, de dons ou d’investissements. On verrait alors la création de richesse augmenter, le chômage reculer et le pouvoir d’achat repartir à la hausse.

Mais non. Exigeant aides et protection dans une sorte de marchandage qui arrange bien les affaires électorales du pouvoir en place, les Français créent en fait les conditions du prolongement de leurs médiocres conditions de vie. Au passage, la liberté avec tout ce qu’elle comporte d’éblouissant sur le plan de l’accomplissement de soi par soi-même a été complètement oubliée.

À 30 ans de distance, les commémorations autour de la chute du mur viennent justement à point pour réveiller nos consciences engourdies. Elles nous rappellent que la liberté, c’est un peu comme l’amour : on la reconnaît – un peu tard – au bruit qu’elle fait quand elle disparaît complètement.

Alors n’attendons plus. Il est plus que temps de faire tomber enfin les murs de Berlin qui sont en nous car ils nous enferment et nous font mourir à petit feu. 


(*) Chiffre du Livre noir du communisme, ouvrage collectif sous la direction de Stéphane Courtois, Editions Robert Laffont, Collection Bouquins, 2000.


Illustration de couverture : La chute du Mur de Berlin, 9 novembre 1989, Photo Reuters.

19 réflexions sur “Et maintenant, faisons tomber les murs de Berlin qui sont en nous !

  1. « Je trouve que les aides ne sont pas terribles quand on est toute seule avec deux enfants, en fait. Seule avec deux enfants au SMIC, je ne vois pas trop comment on peut s’en sortir. »
    La réflexion cinglante mais plutôt juste de Julie Graziani sur LCI à ce propos tenu par cette « mineure » a déclenché un tollé général dont Julie aura du mal à se remettre (elle a été rapidement jetée par son propre journal, L’Incorrect, qui n’a pas tardé à (re)venir dans le rang des bien-pensants-qui-savent-ce-qui-est-bon-pour-nous).
    On n’est pas sorti de l’auberge !

  2. « les sommes colossales qui sont englouties sans efficacité » ne sont une perte que pour certains: d’autres en profitent largement. À tel point qu’une simple définition du collectivisme socialo-communisme pourait se résumer par: un système de combines qui permet à certains de jouir de l’effort des autres.

  3. Merci Nathalie !!!!
    En effet , nous Français, passons notre temps à attendre de l’Etat nourricier une aide … parentale ?

    De plus , nous sommes nombreux à nous plaindre de ne plus pouvoir exprimer nos idées sans être taxé de fascistes , populistes , réactionnaires… termes si violents qu’ils mouchent à tous les coups et nous rabaissent !

    Merci de citer Kant , que j’ai découvert en Hypokhâgne et qui m’a fait aimé la philo

  4. Lu l’article avec bcp de plaisir.
    Malheureusement le mur se reconstruit même à Berlin. Alors que la préparation des fêtes battait son plein, une loi visant à limiter les loyers à des niveaux ridiculement bas (env. 9,5 EUR/m²/mois) pour 5 ans a été décidée par le sénat de Berlin avec les applaudissements de bons nombre d’habitants.
    Il semble que même au vu de l’histoire récente encore dans toutes les têtes, alors que l’on fête la fin du communisme dans les cendres encore fumantes, le communisme renaisse déjà.
    C’est désespérant et attristant.

  5. Merci Nathalie pour cet article brillant.

    Les Gilets Jaunes, l’année dernière, n’ont fait que renforcer cette mainmise étatique. Je te lâche un petit billet et tu rentres sagement à la maison. Une petite couche de fumisterie Grand Débat et on plie.

    Plus de protection, mais au prix de quelle liberté; de quelles libertés ? L’état n’assure plus aucun régalien mais déborde de ses prérogatives.

    Comme je suis retourné à Berlin (ville que nous adorons) ce week-end avec mes fils, j’en ai profité, entre autres, pour regarder les prix de l’immobilier à l’achat. A la vente, c’est un prix moyen, approximatif de 3000€/m²
    Nous étions dans le quartier de Prenzlauer Berg, dans un appartement splendide mais vétuste. Je pense que beaucoup d’immeubles le sont à l’est. D’autres sont rénovés par contre, certainement par des fonds privés, genre mafia russe qui investirait, dit-on, dans la ville.

    Quelques disparités subsistent, comme le réseau de tram qui n’existe que dans la partie est de la ville; à l’ouest, le métro et les bus

    Je ne sais pas si cet encadrement des loyers n’aura pas un effet néfaste sur la dynamique d’achat.

    Encore une fois, l’assistanat n’a jamais rien résolu à long terme.

  6. Merci Nathalie.

    Je trouve par ailleurs particulièrement inquiétant le silence relatif autour de cet anniversaire. Tout se passe comme si la loi du silence et du mensonge, marque de fabrique du communisme, revenait en force. Les invraisemblables sorties de Mélenchon et du monde sur le sujet seraient risibles si l’idée sous-jacente n’était pas aussi perverse : un révisionnisme de l’histoire pour effacer le discrédit de ce système criminel qu’est le communisme.
    Que cela se passe en France aujourd’hui montre que notre pays est sur une très, vraiment trè,s mauvaise voie.

  7. Nous avons, en effet, quelques « pointures » de notre monde politique qui réinterprètent à l’envi la chute du Mur. Voir ici, c’est affligeant:
    https://www.nouvelobs.com/histoire/20191104.OBS20656/melenchon-et-l-annexion-de-l-allemagne-de-l-est-c-est-une-betise-incroyable-tacle-cohn-bendit.html#

    D’autres systèmes criminels nous menacent. Ce qui me terrifie est que j’en arrive à me quereller en vives discussions avec mes deux fils qui ne comprennent pas mes mises en garde malgré leur connaissance historique de l’oppression communiste.

    Je comprends leur idéalisme, propre à leur vingtaine à tous deux mais la propagande a toutefois bien œuvré.
    A leur âge, j’avais beaucoup moins d’illusions.

  8. 1969 : l’étudiant Jan Palach s’immole par le feu à Prague, pour protester contre le socialisme.

    2019 : l’étudiant « Anas K. » (nom dissimulé par la presse) tente de s’immoler par le feu à Lyon, pour réclamer davantage de socialisme (et aussi « pour la Sécu », et « contre le racisme »).

    • Mes mêmes fils et moi-même avons également visité Prague.

      On y a une appréciation du communisme, après 40 ans d’oppression, pour le moins, directe.

      Vous y trouvez le musée du communisme, tout proche de la Place Venceslas, lieu très touristique, (Vaclavské Námĕstí, en tchèque dans le texte), dont l’affiche publicitaire représente une matriochka avec des dents de vampire; le décor est planté.

      Sur l’autre rive de la Vltava qui traverse la ville, côté Malá Strana, se dresse le Mémorial aux victimes du communisme, très symbolique.
      Un escalier qui va en rétrécissant, le long duquel descendent sept silhouettes de bronze. La première, celle du bas, est entière, les autres disparaissant progressivement.

      Mon fils aîné portant la barbe, l’enregistrement à l’aéroport, vol retour, nous avait valu une petite fouille plus approfondie.
      Après le péril rouge, on les sent fébriles et à l’humour limité sur d’autres éventuelles formes d’oppression et de coercition.

      Que la chute du Mur de Berlin, le printemps de Prague et l’insurrection de Budapest semblent lointains.

  9. Dans le même domaine, j’ai été choqué par la lettre laissé par l’étudiant qui a tenté de se suicider (Sarkozy, Hollande et Macron sont responsable de ma mort), car c’était pratiquement un copié-collé de l’UNEF. Ce qui donne l’impression que cette dernière n’est pas pour rien dans la dépression de cet étudiant.
    J’ai gardé mon opinion pour moi et interrogé de manière neutre trois étudiants. Ils m’ont dit : « Ce type est irresponsable. Il devrait remercier d’avoir eu une bourse pendant deux ans, il est normal qu’on la lui supprime lorsqu’il triple son année. Et pourquoi ne travaille-t-il pas ? Si on est serveur de restaurant le dimanche, on est bien payé ! » L’un des trois a même rajouté : « On ne triple pas une année de fac, on change d’orientation ou on abandonne des études pour lesquelles on n’est visiblement pas fait, et on cherche un emploi »

    • Je n’ai pas voulu non plus jeter de l’huile sur le feu de cette affaire qui est absolument tragique tant elle repose sur un terrible malentendu personnel et politique, mais je partage assez votre avis. De la même façon, j’avais lu des témoignages sur les suicides à France Télécom qui, sans être aussi spectaculairement empreints de socialisme militant, laissaient transparaître un désir d’en rester à son poste, sans responsabilité ni initiative. D’où une complète déconnexion avec l’objectif managérial de transformer cette boîte traditionnelle en une grande entreprise du numérique du XXIè siècle.

      • Cette tentative de suicide est le signe d’une profonde maladie mentale collective (en plus d’être individuelle).

        Le détail qui tue (en plus du fait que l’étudiant protestait contre la suppression de sa bourse, alors qu’il triplait sa deuxième année) : sa petite amie a déclaré à la presse qu’il ne pouvait pas travailler pour payer ses études, puisque le « syndicalisme révolutionnaire » pour lequel il militait (texto) prenait tout le temps qu’il lui restait.

        A ce stade de bêtise / mauvaise foi / culot / etc., que voulez-vous qu’on dise ? Que le socialisme tue et qu’il rend fou, par exemple.

        A noter que ce gars suivait (il faut le dire vite) des études de sciences politiques. Tous les étudiants interrogés dans les articles larmoyants, publiés à cette occasion, qui se plaignent de leur « précarité », sont en sociologie, histoire de l’art, psychologie… enfin, uniquement des matières où les patrons se battent pour recruter.

        Vous qui vous intéressez à l’école libre, voyez cette université américaine qui place 98 % de ses étudiants à la sortie des études (gratuites), avec des salaires qui vont de 5 600 à 7 900 euros par mois ; pour commencer !

        Seulement, ils ne font pas licence en arts du clown (ça existe…). Ils font maçon, menuisier, opérateur de machines-outils, peintre en bâtiment, opérateur de centrale électrique ou horticulteur.

        https://alfinnextlevel.wordpress.com/2019/11/14/full-employment-to-graduates-from-this-trade-school/

        https://www.city-journal.org/williamson-college-of-the-trades

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