Encore quelques mots sur le Chili

Cet article complète Qu’il est difficile de quitter la route de la servitude ! publié le 23 octobre.

Le général Augusto Pinochet a régné sur le Chili de 1973 à 1990. La féroce répression politique qu’il a menée contre ses opposants se chiffre à 3 200 morts et disparus, 38 000 cas de torture et des dizaines de milliers d’exilés. Ces circonstances qui manifestent assez clairement le mépris dans lequel il tenait les droits civils suffisent à le ranger résolument du côté des ennemis de la liberté. Le pape Jean-Paul II en visite au Chili lui avait rappelé que « le peuple a le droit de jouir de ses libertés fondamentales, même s’il commet des erreurs dans l’exercice de celles-ci » – mais le Caudillo s’en fichait.

Ajoutez la composante économique et vous n’êtes guère plus avancés car c’est seulement à partir de la transition démocratique de 1988 et surtout après 1990 que la situation s’améliorera significativement.

Malgré les brefs conseils de Milton Friedman, Pinochet (photo) a alterné les moments keynésiens avec les privatisations réservées aux amis, l’armée gardant la haute main sur les mines de cuivre. L’alphabétisation s’est améliorée mais la malnutrition a ravagé les campagnes, les salaires réels ont chuté, le PIB s’est replié de 14 % en 1982, le chômage a caracolé jusqu’à 31 % en 1983 et la dette (publique et privée) a purement et simplement explosé.

Et de toute façon, quelques mesures d’origine libérale prises dans un océan de contraintes et d’oppression n’ont jamais suffi à caractériser un environnement authentiquement libéral. Un point à toujours garder à l’esprit. La liberté économique est une composante importante de la liberté, pas sa seule composante.

En revanche, ce serait tomber bien naïvement dans le piège que la gauche nous tend depuis toujours à propos de ses déroutes économiques et politiques intrinsèques, partout documentées mais partout faussement attribuées à des complots de la CIA et des multinationales, que de s’imaginer que Pinochet fut le fossoyeur de la démocratie et de la prospérité chiliennes.

Comme l’écrivait Jean-François Revel en 1983, soit 10 ans après la chute de Salvador Allende (1970-1973) et l’arrivée au pouvoir de Pinochet :

« Quand Pinochet a tué la démocratie au Chili, elle était déjà morte. »

De la même façon, si la situation économique resta longtemps désastreuse, elle avait déjà été soigneusement détruite par la politique collectiviste d’Allende.

• Il faut savoir d’abord que ce dernier a été élu en novembre 1970 dans le cadre d’une élection triangulaire où il obtint 36,2 % comme candidat de l’Unité populaire, coalition de partis de gauche allant des marxistes-léninistes aux socio-démocrates. Le candidat conservateur recueillit 34,9 % des voix et le candidat démocrate-chrétien 27,8 %. Dans cette situation, la constitution chilienne ne prévoyait pas un second tour entre les deux premiers candidats, mais un vote du Parlement pour trancher entre eux.

On constate donc – avec Jean-François Revel qui décrit par le menu tout le processus dans son livre La tentation totalitaire (1976) d’où je tire mes chiffres – que loin de fomenter l’échec d’Allende, les partis opposés à l’Unité populaire, très majoritaires au Congrès, ont au contraire décidé de le porter au pouvoir alors qu’ils avaient constitutionnellement toute faculté d’opter pour le candidat conservateur.

Les démocrates-chrétiens étaient d’autant plus favorables à Allende qu’ils souhaitaient voir se poursuivre la politique d’Etat-providence qu’ils avaient déjà commencé à mettre en œuvre lorsqu’ils étaient au pouvoir. Ils avaient reçu du nouveau « Compañero Presidente » (petit nom qu’Allende se donnait) l’assurance que celui-ci gouvernerait avec le Parlement – promesse qu’il s’empressa d’oublier une fois élu.

On a beaucoup parlé d’une tentative de corruption ourdie entre la CIA et la multinationale ITT afin de pousser les parlementaires chiliens à voter contre Allende, mais il s’avère finalement que le complot était inutile et que, quand bien même il aurait eu lieu, il échoua.

Il n’en demeure pas moins que le nouveau Président du Chili ne représentait que 36,2 % du corps électoral. C’est peu quand on a en tête d’imposer une politique délicieusement « cubaine » connue sous le nom de « Via chilena al socialismo » (voie chilienne vers le socialisme). Du très classique, en l’occurrence, quand on connait le Manifeste du Parti communiste de Marx et Engels (1848) :

  • Augmentation des salaires de 40 à 60 % ;
  • Nationalisation des industries et des banques ;
  • Redistribution des terres agricoles ;
  • Blocage des prix ;
  • Grands travaux ;
  • Recrutement de fonctionnaires et dépenses publiques en hausse ;
  • Epuisement des réserves en devises ;
  • Marxisme-léninisme obligatoire dans les écoles ;
  • Cessation du paiement des dettes auprès des créanciers étrangers.

La première année, ce système entièrement tourné vers la dilapidation des richesses créées antérieurement provoqua une illusion de croissance et de prospérité. Mais très rapidement, ce fut la débandade.

L’inflation devint galopante, atteignant plus de 600 % en 1973 contre 28 % en 1971, tandis que les productions tant agricoles qu’industrielles s’effondraient. La pénurie de tous les biens d’usage courant (pain, sucre, farine, huile…) devint chronique et alimenta un marché noir des plus actifs. Le Venezuela avant l’heure, en quelque sorte. Côté finances publiques, les dépenses passèrent de 13 % du PIB en 1970 à 53 % en 1973 et le déficit s’embourba jusqu’à atteindre 24,7 % du PIB en 1973 contre 2,7 % en 1970.

Quant au respect des lois et de la Constitution, Allende s’érigea sans peine en véritable leader communiste propre à servir de modèle à ses nombreux disciples du continent sud-américain, Chávez et Maduro en tête. Qu’une élection – étudiante, syndicale, locale – prive l’Unité populaire de la majorité et l’on voyait aussitôt Allende créer une instance parallèle en sa faveur ou procéder au noyautage de la structure dissidente. Enfin, Allende ne négligea aucun effort pour museler la presse et les journalistes d’opposition.

S’il est avéré que la CIA a versé des fonds au syndicat des camionneurs, lesquels, petits propriétaires indépendants pour la plupart, étaient excédés à l’idée de voir le gouvernement réquisitionner leur outil de travail, il est tout aussi exact que la Présidence Allende marqua l’arrivée au Chili d’un flot ininterrompu d’agents des services spéciaux cubains dans le but de consolider le régime. (Photo : Allende et Castro)

La colère de la population devint si profonde que la triche aux élections prit rang de culture politique afin de maintenir la fable de la réussite du régime et de l’adhésion populaire. Quand, en août 1973, la situation vira à la grève générale et à l’insurrection, Allende fit entrer des militaires au gouvernement et il nomma lui-même Augusto Pinochet au poste de commandant en chef des forces armées.

C’est un peu par hasard et au dernier moment que celui-ci se retrouva en première ligne le 11 septembre 1973 pour mettre fin aux violations constitutionnelles nombreuses du gouvernement, ainsi qu’en avaient décidé les parlementaires chiliens par un vote décisif dès le 23 août. De Charybde, le Chili était à la veille de tomber dans Scylla.

• Compte tenu de cet épisode crucial complexe de l’histoire chilienne contemporaine (le combo Allende Pinochet), il est difficile de regarder la contestation actuelle qui fait rage uniquement comme la simple demande innocente et spontanée de plus de justice sociale. Cette composante existe et le gouvernement de Piñera doit y répondre, mais elle n’est pas seule en jeu.

D’une part, parce que le pays n’est pas en faillite comme il l’était en 1973 puis en 1983, mais au contraire sur un chemin de développement économique et de sortie de la pauvreté attesté, même si beaucoup reste à faire.

Et d’autre part, parce que les rodomontades exprimées bruyamment par le Président vénézuélien Nicolás Maduro et son numéro deux, le Président de l’Assemblée constituante vénézuélienne Diosdado Cabello, en direction du Forum de São Paulo (association de partis de la gauche radicale sud-américaine) dès le lendemain des premières émeutes chiliennes suggèrent avec insistance que les soulèvements qu’on observe dans plusieurs pays du continent répondent à une orchestration précise venue du Venezuela (vidéo, 01′ 42″) :

Récupération opportuniste d’un dirigeant démonétisé en mal d’impact international ? Toujours est-il que Maduro admet l’existence d’un plan de « convergence des luttes » de tous les mouvements sociaux, progressistes et révolutionnaires d’Amérique du Sud et des Caraïbes et qu’il se félicite de son excellent déroulement victorieux. Selon ses propres mots, tout avance encore mieux qu’il ne l’espérait ! À noter qu’il y a seulement un mois, il était en voyage officiel en Russie afin de s’assurer du soutien de Vladimir Poutine, soutien que ce dernier s’est empressé de lui renouveler.

Quant à Cabello, qui préside une instance typiquement « bolivarienne », à savoir la Constituante instaurée par le pouvoir vénézuélien parallèlement à l’Assemblée pour contrer son échec lors des législatives de 2015, il fut encore plus clair :

« Lo que está pasando en Perú, Chile, Ecuador, Argentina, Honduras es apenas la brisita, viene un huracán bolivariano. »
Ce qui se passe au Pérou, au Chili, en Équateur, en Argentine, au Honduras, ce n’est qu’une petite brise. Mais un ouragan bolivarien est en train de se lever.

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Selon lui, l’insatisfaction sociale résultant des diktats du FMI et de l’ultra-libéralisme pinochetiste à l’œuvre dans ces pays est colossale tandis que le Venezuela jouirait d’une paix sociale et d’une prospérité fabuleuses :

« Quién protesta aquí ? El pueblo no, la burguesía, los grupos empresariales (…), las grandes familias, los que destrozaron este país durante años, pero el pueblo no, el pueblo está con la revolución. »
Qui proteste, ici ? Pas le peuple. La bourgeoisie, les entreprises, les grandes familles, ceux qui ont détruit ce pays pendant des années, mais le peuple non. Le peuple est avec la révolution.

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On aimerait en rire. Qui pourrait croire que la révolution bolivarienne serait capable d’apporter le moindre bien à des pays qui ont déjà beaucoup avancé sur le chemin de l’émancipation économique et politique quand elle montre tant de talent à détruire les pays où elle passe, à commencer par le Venezuela ?

Il n’est certes pas question de dire ici que tout est parfait au Chili, au Pérou, en Équateur, etc. Ce n’est pas le cas et il reste un long chemin à parcourir (ci-contre, le Président chilien Sebastián Piñera).

Mais à l’inverse de ce qui se fait au Venezuela, dont la ruine est consommée, ce chemin passe à mon avis surtout par l’approfondissement de l’État de droit, la séparation des pouvoirs, l’indépendance du judiciaire, le renforcement des conditions concurrentielles, la protection des contrats, la fin de tout capitalisme de connivence, l’abolition totale des privilèges, la garantie des libertés individuelles, la liberté d’expression, l’ouverture commerciale, les échanges scientifiques, culturels, éducatifs. Un chemin de liberté et de responsabilité.

Tous domaines dans lesquels « l’esprit cubain », de Castro à Guevara et Allende et de Chávez à Maduro, a lamentablement échoué, quoi qu’en dise la propagande gauchiste.


Illustration de couverture : Vue de la capitale du Chili, Santiago, au pied de la cordillère des Andes.

44 réflexions sur “Encore quelques mots sur le Chili

  1. Vaste programme aurait dit De Gaule quand à votre avant dernier paragraphe. Et celui-ci ne vaut-il pas en grande partie pour la France ? Je ne donne pas d’exemples tant ils sont nombreux. La France n’est pas libérale et donc encore moins ultra-libérale (qui ne veut rien dire).
    Pour la justice fiscale ou tout groupe de mots auquel est associé le mot social, je m’en réfère toujours au mot belette, ainsi :
    « Nous devons aux Américains un grand enrichissement de la langue avec l’expression significative « mot-belette ».
    De même que le petit prédateur peut prétendument aspirer tout son contenu dans un œuf, sans préciser par la suite que cette coquille est vide, les mots-belette sont ceux qui, ajoutés à un mot, le privent de tout contenu et de sens.
    Je pense que le mot-belette par excellence est le mot social. Personne ne sait ce que cela signifie vraiment. La vérité est qu’une économie sociale de marché n’est pas une économie de marché, un État de droit social n’est pas un État constitutionnel, une conscience sociale n’est pas une conscience, la justice sociale n’est pas la justice ;
    ainsi je crains aussi que la démocratie sociale ne soit pas une démocratie. » – Frédéric Von Hayek

  2. Comme l’écrit Goufio, votre avant dernier paragraphe peut s’adresser à la France actuelle dirigée par un président progressiste hermaphrodite de droite et de gauche en même temps . Et je crois que « le chemin de liberté et de responsabilité » dont chaque français voit chaque jour perdre le sens réel du mot, se terminera comme en Amériques de Sud, en faillite plus que sociale.

  3. Je retiens : « Il n’en demeure pas moins que le nouveau Président du Chili ne représentait que 36,2% du corps électoral. »
    Évidemment, comparaison n’est pas raison : mais je me demande combien de Français savent qu’au premier tour de la présidentielle de 2017, Macron n’avait obtenu que 18,19% du nombre des inscrits ?

    • Je tiens à ajouter que la réalité c’est que 15% des français en âge de voter ont voté Macron (vote du 1er tour, seul vote véritable d’adhésion au personnage…)
      Donc 85% des français n’ont pas porté le programme de Macron.

      • @ Oblabla

        Ce genre de calculs, qui pullule sur le Web, est parfaitement abusif. Il y a une constitution dans s’pays, et une loi électorale. Elle ne prévoit nullement le mécanisme que vous alléguez. Macron a été légitimement et démocratiquement élu par les Français, que cela vous plaise ou non.

        Les abstentionnistes n’avaient qu’à pas s’abstentionner, et le président de la République n’est pas élu sur ses résultats au premier tour. Sinon, il n’y en aurait pas de second.

        J’en ai un peu marre de lire cette basse propagande. La démocratie, cela consiste aussi à accepter sa défaite.

  4. Le miracle économique du Chili a au contraire tout à voir avec les choix économiques de Pinocchio, à tel point que les sociaux-démocrates à sa suite n’ont pas changé de politique économique, un peu comme Tony Blair le travailliste qui a poursuivi la politique de Margaret Thatcher, tout simplement parce que tout le monde a bien vu que ça avait marché et sorti le pays de l’ornière où les travaillistes l’avait fourré depuis la guerre. Idem au Chili après Allende.

    • Tiens pour une fois, je ne suis pas d’accord avec vous. C’est bien la première fois ! Mais le dégoût qu’on peut avoir pour Pinochet ne doit pas nous faire nier la réalité, c’est la politique libérale, mise en place par les fameux boys, qui a été à l’origine de la grande croissance et fait du Chili l’étoile brillante de l’économie latino-américaine, notamment l’ouverture extérieure, le libre-échange, mais aussi toutes les privatisations, libérations des prix, options favorables aux entreprises, équilibre des comptes publics, allègements fiscaux, dérégulation administrative, etc.

      • Non, les liens avec l’université de Chicago et le penchant libéral chilien datait de bien avant l’époque de Pinochet (années 50, il me semble).
        En ce qui concerne les réformes sous Pinochet, c’est seulement avec Hernán Büchi à partir de 1985 que se mettent en place des structures économiques d’inspiration franchement libérale. Cela a été approfondi à partir de 1988 et surtout après 1990. Avant ça, on a eu du capitalisme de connivence, de la dépense publique et une dette qui explose pendant les années de crise.
        Ce que vous décrivez, c’est le Chili aujourd’hui après 30 ans de libéralisme économique et politique.

      • « Les réformes libérales ont commencé dès les années 1970 » :
        Même avant ça. Le Chili dans l’ensemble a été peu étatisé. Dans mon précédent article, j’ai parlé du bon habitation : le gouvernement laissait aux famille le choix de s’entendre avec in constructeur plutôt que de distribuer lui-même les logements. Si je me souviens bien, cela date des années 30 (à vérifier).
        En aucun cas Pinochet n’a fait entrer le libéralisme au Chili. En revanche, Allende y a fait entrer le socialisme.
        Comme vous, à une époque, je pensais, parce que c’était répété partout comme un mantra, que le miracle économique chilien était dû au tournant libéral de Pinochet. Mais en cherchant confirmation, j’ai vu que c’était plus compliqué :
        1. La tradition libérale chilienne était beaucoup plus ancienne que cela.
        2. Les résultats économiques de Pinochet n’étaient pas fabuleux (beaucoup dépendant d’une heureuse tournure des cours du cuivre)
        3. Les réformes libérales effectives n’ont eu lieu qu’à partir du moment où le pays est entré dans une transition démocratique. C’est d’ailleurs une excellente nouvelle que de le constater. L’homme a besoin de jouir de tous ses droits pour avancer. Une dictature qui tue, emprisonne et torture réserve forcément ses faveurs à ses fidèles.

      • Hernan Büchi le décrit lui-même :

        « The most important economic reform in Chile was to open trade, primarily through a flat, low tar­iff on imports. Much of the credit for Chilean eco­nomic reforms in the following 30 years should be given to the decision to open our economy to the rest of the world. The strength of Chilean firms, productive sectors, and institutions grew up thanks to that fundamental change.

        Successful crisis management was critical because the extreme crisis jeopardized the reforms that the Chilean government had implemented beginning in 1974. These reforms included open­ing the economy to the world, privatizing some state companies, and restraining a severe inflation­ary crisis through fiscal discipline and tight mone­tary policy. These pioneering reforms held out the promise of future prosperity for our country.
        By putting itself on the road to becoming one of the world’s most open economies, Chile was a step ahead of other countries in adjusting to today’s glo­balization phenomenon. Before Margaret Thatcher or Ronald Reagan, the Chilean government dared to privatize inefficient state companies. The bal­ance in fiscal and monetary issues, which is now a requirement to join big economic and political blocs like the European Union, was achieved more than a quarter-century earlier by this small country in a southern corner of the world. »

        https://www.heritage.org/international-economies/report/how-chile-successfully-transformed-its-economy

      • Non, voyez les analyses de Büchi lui-même, Pinochet a bien fait revenir le libéralisme économique au Chili. Bien sûr qu’avant Allende, il y avait déjà eu des périodes libérales, mais ça n’empêche pas que ça a repris en force dans les années 1970 :
        « The reforms that the Chilean government had implemented beginning in 1974. These reforms included open­ing the economy to the world, privatizing some state companies, and restraining a severe inflation­ary crisis through fiscal discipline and tight mone­tary policy. These pioneering reforms held out the promise of future prosperity for our country. »

        Le pays a connu une croissance très forte à la fin des années 1970, entre 8 et 10 % l’an, voir le schéma dans ce lien (1971 à 2007) :
        « After the recession of 1975 the economy expanded from 1977 to 1980 with high growth rates. It made Chile a showcase for Monetarists and economic liberals. Milton Friedman called it in his Newsweek column from January 25, 1982 a Miracle of Chile. Nevertheless, the economic growth rate of the whole 1975–1980 period was below the potential Chilean growth rate. »
        https://en.wikipedia.org/wiki/Economic_history_of_Chile#%22Neoliberal%22_reforms_(1973%E2%80%9390)

      • Comme vous le dites, il serait tout à fait souhaitable que la libéralisation politique aille de pair avec la libéralisation économique, et les succès économiques aussi avec la démocratie. Mais ce n’est pas le cas, nous avons des tas d’exemples de régimes autoritaires ou de dictatures qui ont réalisé des prouesses économiques notables, avant de se démocratiser, ce qui d’ailleurs, souvent, ne tarde pas à arriver. Le Chili de Pinochet est un exemple et il est faux de dire que « les réformes libérales effectives n’ont eu lieu qu’à partir du moment où le pays est entré dans une transition démocratique », elles ont eu lieu bien avant. Ça a été aussi le cas de la Corée du Sud, de Taiwan, de Singapour, de la Chine, pour ne pas remonter à la France de Napoléon III, qui n’était bien sûr pas une dictature, mais un régime autoritaire. Et aussi l’Allemagne du IIe Reich, devenu la première puissance économique européenne à la fin du XIXe siècle. La Russie de Witte également, avec moins de succès…

      • L’économiste américain Robert Barro a étudié les liens entre croissance économique, Etat de droit, liberté économique et démocratie. Voilà un résumé de ses analyses :

        Il faut distinguer démocratie et État de droit, dans la première des élections ont lieu, la séparation des pouvoirs est organisée et les libertés individuelles sont respectées, dans le second les droits de propriété et la loi sont respectées (rule of law), mais il n’y a pas forcément de démocratie. Par exemple, le IIème Reich allemand (1871-1918) est un État de droit, mais pas une démocratie. Singapour, la Tunisie, la Malaisie et la Chine sont des régimes autoritaires, peu démocratiques, mais stables et protégeant les droits de propriété, avec une croissance forte. L’Arabie saoudite, le Koweït et les Émirats sont également dans ce cas. À l’inverse, l’Afrique du Sud, la Bolivie, la Colombie ou le Sri Lanka sont des démocraties électorales, mais le règne de la loi et la sécurité sont faibles. L’Inde est une démocratie, mais pauvre, et elle a beaucoup de chemin à parcourir pour être un État de droit, la corruption et les privilèges y étant endémiques.
        L’État de droit favorise la croissance : les droits de propriété sûrs et la protection des échanges incitent les gens à travailler et investir. Mais qu’en est-il de la démocratie ? Un gros avantage est qu’elle limite les pillages, les tendances propres aux autocrates à abuser de leur pouvoir pour s’enrichir, eux et leur clique, aux dépens du pays. Elle entraîne aussi en général une redistribution des revenus, puisque les masses nomment leurs responsables et ont plus de poids sur la politique économique. Cette redistribution est favorable à un plus grand consensus social, moins de conflits internes, et donc elle a un effet positif pour l’économie. Mais d’un autre côté, si la redistribution est largement étendue, comme sous Perón en Argentine dans les années 1950, et si elle est accompagnée d’une redistribution des actifs (terres) et de nationalisations, elle peut porter atteinte aux droits de propriété, au système légal, et ainsi décourager l’investissement et l’effort individuel. Les transferts sociaux trop poussés peuvent également encourager une frange de la population à se détourner du travail et de l’emploi productif. En outre, il faut des prélèvements fiscaux supplémentaires pour les financer, ce qui de l’autre côté peut avoir des effets négatifs sur l’investissement et l’activité des catégories aisées.
        Que disent les études empiriques sur la question ? Tout d’abord il existe divers organismes qui mesurent la démocratie, ainsi que son évolution, son extension ou son recul dans les différents pays. Le plus connu est Freedom House qui publie un rapport annuel mesurant les libertés individuelles et les droits électoraux selon une batterie d’indices. Le nombre de pays où les libertés individuelles et les droits politiques sont respectés, partiellement respectés, ou non respectés, apparaît dans ce tableau (le détail par pays est en annexe) où on constate la progression des régimes démocratiques :

        Libertés individuelles et droits politiques partiels non respectés
        1975 40 (25 %) 53 (34 %) 65 (41 %)
        1985 56 (34 %) 56 (34 %) 55 (33 %)
        1995 76 (40 %) 62 (32 %) 53 (28 %)
        2005 89 (46 %) 58 (30 %) 45 (24 %)
        Source : Freedom in the World 2006

        L’État de droit est également mesuré à travers tous les organismes évaluant le risque pour les investisseurs étrangers (par ex. le PRS Group publiant un International Country Risk Guide) utilisant des indicateurs sur l’application de la loi, l’ordre, les conflits religieux, le degré de corruption, la qualité des administrations, etc. Une étude de la Banque mondiale calcule un Rule of Law index qui combine divers indicateurs éstimant la confiance des agents, l’observation de la loi, l’étendue de la délinquance, l’efficacité de la justice et l’application des contrats.
        Par ailleurs, la liberté économique est mesurée par divers organismes, comme l’institut Fraser au Canada, à travers un Economic Freedom of the World Index, évaluant la protection des droits de propriété, la part de l’État, l’étendue des choix individuels, l’ouverture à l’extérieur et le degré de concurrence (voir annexe à ce chapitre).
        Les trois facteurs retenus ici, la liberté économique, l’État de droit, la démocratie, sont indépendants les uns des autres, on peut en avoir un, deux ou trois, mais tous peuvent contribuer à la croissance économique. La séquence historique en Europe a été la suivante : l’État de droit tout d’abord, dans les monarchies absolues des XVIe au XVIIIe siècle, la liberté économique ensuite, au XVIIIe siècle, avec le recul des pratiques mercantilistes, la fin des contrôles religieux ou étatiques sur les activités économiques, enfin la démocratie, qui s’affirme du XVIIIe au XXe siècle en Europe occidentale. Des enchaînements apparaissent : l’État de droit et la liberté économique ont favorisé l’avènement de la révolution industrielle et la croissance économique moderne, celles-ci ont entraîné la formation d’une classe moyenne de plus en plus large, éduquée, et qui a fait pression et a fini par obtenir des droits étendus, droits d’expression, de vote, de culte, de circulation, etc., ce qui explique la montée des institutions démocratiques (« effet Aristote-Lipset » ).
        Les tests empiriques sur les liens entre État de droit, démocratie, liberté économique, d’un côté, et croissance économique de l’autre, ont été menés avec les résultats suivants. Tout d’abord la liberté économique et l’État de droit favorisent indiscutablement la croissance, la corrélation est positive et va vers cette dernière. L’étude du Fraser Institute montre que la liberté économique favorise une croissance plus forte, une hausse des niveaux de vie, une amélioration de l’indicateur du développement humain. Les recherches de Robert Barro montrent également le lien entre État de droit et croissance économique (voir Barro, 2000), notamment à travers le rôle de l’investissement. Par contre, le lien entre démocratie et croissance est moins clair. Barro suggère une courbe en U inversé, un effet positif au début pour les pays qui sortent de dictatures, parce que les droits sont renforcés, puis un effet négatif, après un certain seuil de progrès démocratiques, parce que la redistribution freine l’activité. Mais de façon générale, le lien est faible : The fact is that democracy is a tricky matter. Il y a des dictatures, comme des démocraties, avec une croissance forte, d’autres avec une croissance faible. On peut en fait distinguer deux types de dictateurs, ceux qui tendent à favoriser la croissance, à travers les droits de propriété et l’ordre, comme Pinochet, Ben Ali ou Lee (Singapour), si le gâteau augmente, leur part augmente aussi. D’autres qui ont eu des résultats très mauvais (en Afrique, Mobutu, Idi Amin Dada, Bokassa, etc. ou en Asie, Marcos ou Mao, en Amérique latine, Castro, Perón, Videla), et qui étaient plutôt axés sur le détournement à leur profit, mais au désavantage de l’économie, ou bien dans de grands schémas catastrophiques (Mao, Castro, Perón).

      • On peut plutôt penser que c’est le contraire : des réformes libérales aussi poussées n’ont pu être menées que par une dictature, jamais une démocratie n’aurait pu faire passer de pareils changements. Il suffit de voir la difficulté en France à faire passer le quart du dixième d’une réformette, dont le libéralisme ne pourrait éventuellement convaincre que la nuit par temps de brouillard, pour s’en persuader.

  5. “Les Juifs se caractérisent par des formes déterminées de délits: l’escroquerie, la duperie, la calomnie et, surtout, l’usure […]. Ces faits font soupçonner que la race influe sur la délinquance”. “[…] les gitans constituent habituellement des groupements délictueux ou la paresse, la fureur et la vanité prédominent. Parmi eux, les homicides sont plus nombreux”. Quant aux “arabes”, “il y a quelques tribus honnêtes et laborieuses mais les plus nombreuses sont aventurières, imprévoyantes, oisives et portées aux larcins”.

    S. Allende

    Un antisémite eugéniste qui pose avec un homophobe, les gauchiasses ont les idoles qu’ils méritent.

  6. Passionnant et nécessaire.

    En parlant d’Amérique latine, Ann Coulter explique ici [ https://www.takimag.com/article/we-too-can-be-a-failed-latin-american-state ] pourquoi les libéraux américains doivent s’opposer à l’immigration des Latinos : parce que ceux-ci manifestent une tendance historique à voter pour le socialisme dans leur pays, qu’ils l’obtiennent, et que, face aux désastreuses conséquences du socalisme, ils se pressent aux portes des Etats-Unis… où ils voteront, à nouveau, pour le socialisme.

    C’est une conclusion similaire qu’on peut tirer du récent drame de l’immigration en Grande-Bretagne : 39 clandestins morts de froid dans un camion frigorifique, fuyant la misère du communisme chinois et vietnamien. Et la gauche nous explique qu’il faut ouvrir grand les frontières… pour remédier au sort de ces gens… qui fuient la misère… créée par le même communisme que la gauche veut instaurer en Occident.

  7. Les événements de protestation en cours, mettent l’accent sur la jeunesse des manifestants, la spontanéité, la rapidité de la révolte et l’absence de leaders politiquement identifiables ou des syndicats. Au départ, l’occasion de la révolte est souvent minime en apparence, ce sont les réseaux sociaux et le téléphone portable qui sont l’instrument de ralliement pour les contestataires. A chaque fois les autorités sont prises de court et réagissent avec un temps de retard. « Trop tard, trop peu », disent en choeur les citoyens, surpris par leur nombre et leur force. Ils rejetaient une nouvelle taxe, ils exigent désormais un changement de régime. « Les réformes faites à temps affaiblissent l’esprit révolutionnaire », notait Cavour, l’unificateur de l’Italie. Les réformes venues trop tard nourrissent l’esprit révolutionnaire. Le pouvoir, qui s’est longtemps refusé à tout compromis, à toute concession, donne soudain l’impression de paniquer.

    Ces improvisions font rapidement apparaître un manque criant de cohérence idéologique, la revendication d’un informaticien chilien en colère : « Nous demandons justice, honnêteté, éthique au gouvernement. Nous ne voulons pas le socialisme, le communisme, nous voulons moins d’entreprises privées, plus d’État. »
    On a entendu les mêmes revendications lors de la crise des gilets jaunes en France ! À l’ère de la mondialisation, comment vouloir échapper au collectivisme tout en réclamant davantage d’interventionnisme étatique ? C’est comme ceux qui ne veulent pas de globalisation des échanges commerciaux mais qui défendent comme un bonnet rouge de vendre tout de même ses cochons de Bretagne, à l’Allemagne ou la Chine.
    On peut affirmer en tout cas que le symptôme est mondial, incohérent, tout et son contraire, finalement pathétique !

    @ JB
    « des réformes libérales aussi poussées n’ont pu être menées que par une dictature »…pas nécessairement, ou alors par un cataclysme totalement destructeur, crise systémique ou guerre totale (Allemagne en 1945) qui remet entièrement les compteurs à zéro et oblige à tout repenser autrement.

    Le drame est que la crise financière de 2008 qui aurait dû être un cataclysme économique a été esquivée par une énorme supercherie (anti-libérale pour le coup), le renflouement par fabrication artificielle de monnaie, des banques en défaut mais aussi et surtout des États potentiellement en défaut par l’intermédiaire des dispositifs palliatifs de masquage, QE, FMI et donc de fuite en avant.
    Où sont passés par exemple les milliards de Mario DRAGHI ? Ils ne servent malheureusement qu’à combler les déficits publics pour pratiquer des politiques sociales redistributives. Ces mesures, lutte contre les inégalités de revenus, protection de l’environnement, n’ont pas d’impact sensible sur la croissance économique.
    Les peuples vivent dans un rêve total de disponibilités de richesses qui n’existent pas ! Ni les gouvernants, ni les riches n’ont actuellement la possibilité réelle et matérielle de satisfaire ces demandes sauf à mentir encore en faisant tourner encore et encore la planche à billets. En fait ils sont nus, c’est là le tragique de la situation.
    Pour preuve il y a eu fin septembre, un évènement passé relativement inaperçu mais pourtant symptomatique du tragique de la situation : une crise de liquidité dans les échanges inter bancaires (très forte hausse des taux d’intérêt interbancaires) qui a une fois de plus failli faire tout exploser. Seul remède en mode panique, la Réserve fédérale américaine a été obligée d’injecter plus de 50 milliards de dollars dans le système pour le décoincer. Avec des milliers de milliards de liquidités déjà injectés depuis 2010 comment peut-il se faire qu’il y ait crise de liquidités ? En fait les banques disposant de trésorerie refusent de venir en aide aux plus faibles parce que les banques ne se font plus confiance. Le marché est pourri !
    Voilà là où le peuple devrait concentrer son attention, la conduite amateuriste et laxiste des affaires publiques par le détournement du rôle premier de la monnaie. La fonction essentielle de l’État consiste « à définir et à protéger les droits de propriété » ! Ben là vous repasserez, taux d’intérêts négatifs et monnaie dévaluée équivalent à spoliation généralisée.
    Avec cette accélération, le monde des simulacres n’en a plus pour longtemps. Ce qui viendra après est soit le chaos, soit la rédemption (libérale ?).

    • Oui, on peut citer également la situation des pays asiatiques après 1945, comme le Japon et la Corée du Sud, le traumatisme total a été l’occasion de changements radicaux, par exemple les réformes agraires qui ont établi ces pays sur des bases plus saines, en grande partie à l’origine de leurs succès ultérieurs. Les économistes classiques du développement, dans les années 1950 et 1960 ont même conclu que les différences entre l’Amérique latine et l’Asie, l’échec relatif du développement pour la première, le succès remarquable de la seconde, la plus grande égalité des revenus en Asie, les énormes différences en Amérique latine, venaient de là : cette dernière n’avait pas connu la guerre et donc avait conservé ses structures archaïques. Comme quoi, à quelque chose malheur est bon.
      Pour ce qui concerne les pays développés, démocratiques, bien sûr que des réformes libérales sont possibles, il n’est que de voir les cas de la Nouvelle Zélande, des pays scandinaves, de la Hollande, de l’Angleterre, mais ce sont des pays où la culture économique est plus complète qu’en France, et pas obscurcie par un marxisme persistant. La Grande-Bretagne par exemple a un long passé de libre-échange, débuté en 1846 avec l’abolition des Corn Laws, un long passé de commerce libre débuté en 1571 (en France il a fallu attendre la Révolution pour voir les péages, octrois et droits divers entre provinces abolis), et un long passé sans corporations de métiers (supprimées seulement en France par le décret d’Allarde en 1791), et donc une Margaret Thatcher y est possible, ce qui n’est guère envisageable au pays de l’étatisme-roi, comme on l’a bien vu avec l’éviction de François Fillon.

  8. « des réformes libérales aussi poussées n’ont pu être menées que par une dictature » :
    Je n’avais pas relevé, mais quelle sinistre perle ! Despote éclairé, le retour ! On nage en pleine incohérence puisque le libéralisme considère que les hommes n’ont pas à se faire « dicter » quoi que ce soit par quelque autorité de groupe que ce soit tant qu’ils respectent les droits naturels des autres. Sans parler de la « tentation totalitaire » sous-jacente !
    Bref, nice try de réhabilitation de Pinochet, mais il est impossible de réhabiliter un chef d’Etat criminel et tortionnaire. Le fait que la gauche cherche toujours à culpabiliser les dictateurs de droite et trouve mille vertus aux dictateurs de gauche ne change rien à l’affaire.

  9. @ JB
    Ouais ben vous avez qu’à raconter que la démocratie est incompatible avec la croissance aux habitants de Hong-Kong, vous aurez beaucoup de succès !

    Après une dictature serrée et des milliers de morts, disparus et torturés, Pinochet a infléchi sa politique à partir de 1981 avec la nouvelle constitution pour passer effectivement et progressivement à une libéralisation de l’économie. Avec cette nouvelle constitution instaurant la démocratie, il n’a pas manqué de se faire virer en 88 et poursuivre en justice. Cette inflexion était-elle véritablement de sa volonté ou de l’entourage ou de la très forte pression (chantage) US (Reagan arrivant au pouvoir) ?

    • Mais non, la démocratie n’est pas incompatible avec la croissance, sinon on se demanderait comment l’Angleterre et les Etats-Unis sont arrivés là, plus tous les autres. On se demanderait aussi comment les Trente glorieuses se sont produites… La démocratie n’est évidemment pas hostile à la croissance, mais à l’inverse elle n’est pas indispensable à la croissance, sinon la Corée du Sud ne se serait pas développée, et la Chine non plus, et pas davantage le Chili de Pinochet, et là aussi, bien d’autres, comme la France du Second Empire ou l’Allemagne de Guillaume II.
      Pour ce cas, le Chili de la dictature, les mesures de libéralisation de l’économie ont commencé dès les années 1970, pas seulement après 1981, voir les nombreux articles à ce sujet.

  10. @ JB
    Vous m’amusez avec tous vos liens. Celui qui mène à un article du Minarchiste montre bien que la situation économique chilienne a commencé à décoller dans la seconde moitié des années 1980, après 1985 en l’occurrence. Tout montre que plus la démocratie s’installe et plus les résultats s’améliorent. Bref, exactement ce que je dis. En 1983, le Chili était en pleine crise et les Chiliens n’avaient pas encore vu le début d’une queue de cerise d’amélioration. Le prédécesseur de Hernán Büchi était un certain Cerda qui était revenu aux bonne vielles méthodes keynésiennes et avant cela, il y eut effectivement des privatisations qui ont fait le bonheur des potes de Pinochet, l’armée gardant la haute main sur le cuivre (ressource stratégique).
    Il y a cependant un point important qu’on peut mettre au crédit de Pinochet. Je n’en ai pas parlé en tant que tel sinon pour mentionner la « transition démocratique » qui prend place peu ou prou à partir de 1985 justement, car ce n’était pas franchement le sujet de l’article, mais il est remarquable de noter que Pinochet a quitté le pouvoir de son plein gré en 1990 après un référendum (1988) où croyant s’offrir un plébiscite il ne récolte que 44 % des voix contre 56 % à l’opposition. Un cas unique (à vérifier) dans la sombre histoire des dictatures de gauche ou de droite.
    Je regrette beaucoup que mon article qui parle de bien d’autre chose et qui souligne l’esprit de revanche bolivarien sur un pays qui s’est sorti de la misère économique et politique par le libéralisme économique ET politique n’ait donné lieu qu’à cette obsession mal placée à faire de Pinochet le libérateur libéral du Chiili, un peu comme à gauche sont trimballées les mêmes approximations honteuses sur des héros sanguinaires.

  11. On peut tomber d’accord sur un certain nombre de points. D’abord que la croissance a été plus régulière après la crise de 1982 avec la poursuite des réformes, le graphique suivant montre les taux pour la période 1971-2007. A l’exception de 1999, elle est restée élevée après 1982. Pour la décennie 1970, il y a eu seulement les années 1977-1981 caractérisées par une croissance forte :
    https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/be/Economic_growth_of_Chile.PNG
    D’accord aussi sur la situation actuelle et sur la fin de la dictature.

    Par contre, je pense que vous minimisez les réformes des années 1970, il n’y a pas eu que quelques privatisations ayant profité aux potes de Pinochet. Il y a eu aussi une réorientation complète de la politique économique, évolution vers le libre-échange et libération des prix en particulier, réorientation reconnue par Büchi (voir ce qu’il en dit plus haut) et tous les observateurs :

    « Chile was drastically transformed from an economy with a protected market, with strong government intervention, into a liberalized, world-integrated economy, where market forces were left free to guide most of the economy’s decisions. Before 1973 the role of the state was to promote investment and industrialization. The Chicago Boys restricted government intervention and public enterprise activities. Businesses and lands expropriated during the presidency of Allende were re-privatized (with the exception of the copper mines). Price controls were abolished, import liberalized, the financial market and capital flows were deregulated. » (Wikipedia, « Economic History of Chile »)

    Luis Cerda a été ministre des Finances moins d’un an en 1984-1985, mais c’est Sergio de Castro qui a été l’artisan des réformes libérales des années 1970, ministre de l’économie en 1975, ministre des finances de 1976 à 1982 :
    « En 1979, l’économie décolle avec un taux de croissance de 8,3%. Le 31 décembre 1976, De Castro remplace Cauas à la tête du ministère des Finances. Il occupera ce poste jusqu’au 22 avril 1982.
    L’ampleur des réformes réalisées pendant cette période est énorme. Liberté des prix, ouverture du marché des capitaux, libéralisation financière, réforme de l’État, réforme de la politique sociale, privatisations, réforme fiscale, réforme des pensions, réforme du marché du travail, réforme de l’enseignement, nouveaux cadres réglementaires, etc. Bien entendu, De Castro n’a pas de rôle directeur dans toutes ces matières, mais d’une certaine manière, c’est bien lui le dénominateur commun des réformes, le leader qui chapeaute le groupe, l’architecte du « miracle chilien ». »
    José Lopez-Martinez, dans Contrepoints, 2013, « Sergio de Castro, Chicago Boy et architecte du « miracle chilien » »

    Sur le rôle de la démocratisation enfin, il me semble moins important que vous le soulignez, sinon la dictature chinoise n’aurait pas réalisé une croissance à 10 % l’an pendant plus de trente ans, en sortant des dizaines de millions de gens de la misère et en formant une énorme classe moyenne. Plus tous les autres cas de dictatures ayant réussi au plan économique, avant de se démocratiser, comme la Corée du Sud ou Taiwan. Les réformes libérales au Chili ont commencé au moment le plus dur de la dictature, bien avant les premiers signes de démocratisation. Ce qui ne fait pas bien sûr de Pinochet « le libérateur » du pays, mais au moins n’a-t-il pas suivi la voie du corporatisme, de l’étatisme et de l’interventionnisme tous azimuts comme la plupart des régimes d’extrême-droite.

    • Vos exemples sont très mauvais !

      Corée du sud et Taïwan sont à considérer en état de guerre jusque à la fin des années 1980 (chute de l’URSS comme par hasard). Etat de guerre veut dire pouvoir militaire nous sommes dans une exception libérale. Malgré tout, il faut pourtant saluer une progression vers l’économie libérale mais il s’agit d’un contexte politique (guerre froide) extrêmement particulier. A lire Serge Berstein,
      https://www.persee.fr/doc/mefr_1123-9891_2002_num_114_2_9875
      D’ailleurs le libéralisme influe considérablement sur une attitude de pacification par la vertu des échanges. C’est à saluer pour ces deux pays qui demeurent d’ailleurs toujours dans des situations diplomatiques (ne serait-ce que leur reconnaissance nationale) toujours très instables.

      La Chine, alors là c’est carrément osé d’en prendre l’exemple avec sa croissance à 10%.
      Les chiffres officiels dont nous disposons sur la Chine sont faux, que ce soit la production agricole et industrielle ou le développement économique. Ce qui est normal puisque ce sont des chiffres officiels, c’est-à-dire fournis par des agences gouvernementales dont la survie des dirigeants de ces agences dépend de la bonne santé des chiffres fournis.
      La croissance chinoise n’a rien de miraculeux : elle vient du passage à une productivité industrielle normale des jeunes quittant la campagne où ils avaient une productivité marginale quasi nulle. Le rattrapage passé il faudra se lancer dans un effort de recherche et de développement, ce qui est plus coûteux que l’imitation, c’est là qu’on les attend.

      Ce qui échappe aux consommateurs est largement gaspillé dans des investissements inutiles : autoroutes et TGV sous utilisés, immeubles vides, surproduction d’acier et de panneaux solaires…
      Le Parti communiste chinois est partout aux commandes en doublon des autorités politiques locales et des chefs d’entreprise. A chaque échelon d’administration, il existe une structure, dénommée SASAC, qui détient le capital, en totalité ou en majorité, des entreprises clés, nationales ou locales. Celles dont l’Etat ne détient pas la majorité du capital sont aisément mises au pas quand il le faut par le retrait des autorisations nécessaire pour exploiter ou par la suppression des financements octroyés pour leur développement.

      A force de trop financer, pour des raisons politiques, des entreprises boiteuses, dites en Chine les Zombies, et des pays pauvres, les créances douteuses représentent une masse considérable occultée par des procédés divers et variés de refinancement à très long terme, de titrisation ou au travers de sociétés de défaisance. Surendettée, surchargée de trop d’entreprises déficitaires soutenues à bout de bras, minée par les querelles internes qui agitent le PCC. En terme économiques et sociaux, la Chine est un colosse aux pieds d’argile comme le fut l’empire soviétique parce que rien n’est à son prix, rien n’oscille autour de l’équilibre et il faut des digues.

      Du coup, la dette dépasse 260 % du PIB, contre 140 % avant la crise de 2008, soit largement plus que les États-Unis, la zone Euro ou le Japon. Or le maintien en vie des industries vieillissantes ou en surcapacité diminuera la productivité de l’ensemble de l’économie et sa capacité à rembourser les dettes.

      Si Hayek était encore vivant, il dirait comme dans les années 80 que l’URSS allait s’écrouler, personne ne l’avait cru, il dirait pareil aujourd’hui pour la Chine !
      Sans liberté économique il ne peut pas y avoir de développement humain. Et la liberté économique fonctionne nécessairement avec la liberté politique.
      Vos exemples sont mauvais et ne font pas loi !

      Dans le processus chilien, l’analyse de Nathalie est ok sauf à chipoter sur les dates, pour réussir à affirmer qu’une dictature pourrait favoriser le libéralisme.

      • Bon, la dictature chinoise depuis 40 ans n’a pas réussi à développer le pays ni à réduire la pauvreté, OK…
        Quant à Josué de Castro, il n’a pas du tout réorienté l’économie chilienne, bon.

      • Sur la liberté économique, dans ses deux aspects, 1) liberté de créer et posséder une entreprise ou posséder et vendre une terre, ie le capitalisme (propriété privée des moyens de production, un mode d’appropriation), et 2) liberté des prix, liberté des acteurs, des agents économiques, décentralisation des décisions, libre jeu de l’offre et de la demande, ie l’économie de marché, un mode de régulation, elle est – cette liberté économique – la condition nécessaire de la liberté politique. Il n’y a a pas de démocratie, de libertés individuelles, sans liberté économique au départ. Et aucun pays qui a supprimé la liberté économique n’a pu établir de démocratie.
        Par contre, elle n’est pas une condition suffisante, beaucoup de pays ayant accepté la liberté économique ont été des régimes autoritaires ou des dictatures. Ce qui se passe c’est que ces pays en général évoluent vers la démocratie, la liberté économique favorise cette évolution. Le mécanisme est en gros le suivant : la liberté économique, dans ses deux aspects, favorise le développement, la montée d’une classe moyenne, et celle-ci revendique des droits et finit par les obtenir. La liberté économique favorise la croissance, le développement, et la liberté politique.

      • Et la question qui se pose est évidemment pourquoi, pourquoi la démocratie n’a pu s’établir qu’avec la liberté économique ? Et la question corollaire, pourquoi là où elle a été supprimée, les libertés politiques n’ont jamais pu être conservées ou mises en place ?
        La réponse tient à mon sens en un mot, trois plutôt : séparation des pouvoirs.
        On insiste habituellement sur la séparation des pouvoirs politiques (exécutif et législatif), législatifs entre eux (deux chambres), politiques et judiciaire, pouvoir central et pouvoirs régionaux, et avec raison, mais on omet toujours une autre séparation des pouvoirs, essentielle, et de laquelle dépendent toutes les autres, c’est la séparation des pouvoirs entre pouvoirs politiques ET pouvoirs économiques. Seul le capitalisme de marché assure (parfois mal, mais elle existe) cette séparation des pouvoirs, puisque le pouvoir économique n’appartient pas entièrement à l’Etat. Milton Friedman, Leszek Kolakowski et Raymond Boudon ont insisté sur ce point, mais peu d’autres à ma connaissance.
        Au contraire, la collectivisation des moyens de production, dans le socialisme réel, plus la planification centrale autoritaire (la suppression des mécanismes du marché), concentrent tous les pouvoirs économiques au sommet. Il n’y a plus aucune séparation des pouvoirs économiques et pouvoirs politiques. Et comme dans la doxa marxiste les pouvoirs politiques doivent être également concentrés (dictature du prolétariat, en fait sur le prolétariat, et sur les autres aussi), il n’est pas besoin d’être un grand clerc pour savoir ce qui va arriver. En outre, comme disait Thomas Sowell, « Le socialisme ne fonctionne qu’au paradis, où l’on peut s’en passer, et en enfer, où on l’a vraiment. »
        Parfois attribué à Ronald Reagan :
        « Socialism only works in two places: Heaven where they don’t need it and hell where they already have it. »

  12. @ PB

    « La séparation des pouvoirs entre pouvoirs politiques ET pouvoirs économiques. »

    Notion intéressante, en effet. De façon générale, votre distinction entre Etat de droit, liberté économique et démocratie est très utile pour comprendre les tendances actuelles. Et en particulier ce qu’il est convenu d’appeler le « populisme ».

    Plus généralement, pour comprendre l’attirance actuelle pour les régimes autoritaires. En France, par exemple, la tentation est grande de voir dans la Chine un modèle, politique comme économique.

    Je suis mal à l’aise, cependant, avec la définition de l’Etat de droit comme étant celui qui garantit le droit de propriété (autorisant ainsi des régimes non démocratiques à se qualifier ainsi).

    Pour moi, l’Etat de droit est avant tout celui qui se soumet à ses propres lois. Il est donc difficile de le distinguer de la démocratie. L’Etat de droit est caractérisé, comme son nom l’indique, par la prééminence de la loi. Il a donc partie liée avec le libéralisme.

    La notion d’Etats défendant le droit de propriété, bien qu’autoritaires, est nénamoins intéressante. Notons que ce n’est pas du tout le cas de la Russie, ni, sauf erreur, de la Chine (que je connais moins).

    • Oui, la séparation des pouvoirs entre pouvoirs économiques et pouvoirs politiques est le trou noir de toutes les analyses : il ne se passe pas un jour sans que la séparation des pouvoirs exécutif, législatif, judiciaire ne soit abordée, mais la première, essentielle, ne l’est jamais.
      Quand on discute avec les gauchistes en disant que leur système a toujours évolué en tyrannie parce qu’il concentrait tous les pouvoirs, en commençant par remettre tous les pouvoirs économiques au sommet, ils vous répondent invariablement :
      « La bonne blague, parce qu’en régime capitaliste, ces pouvoirs sont séparés peut-être ? »
      On a beau leur dire que oui, la séparation est imparfaite, qu’il y a des passerelles, de la collusion, de la corruption entre entreprises et Etat, qu’on voit ça tous les jours, mais que c’est mieux qu’une absence totale de séparation, rien n’y fait. Ils s’imaginent remédier à ces imperfections en allant plus loin dans la concentration, en supprimant totalement toute séparation des pouvoirs. On admire la cohérence et la logique…
      Alors pourquoi ce thème n’est jamais abordé ? Simplement à mon sens parce que ça remettrait en cause toute la doxa bobo-bien-pensante occidentale, le capitalisme est mauvais par définition, c’est juste un mot pratique pour désigner tous les maux de la planète. Si on admet que la liberté économique est la condition des libertés politiques, toute cette croyance simpliste s’effondre, donc il ne faut pas en parler. Si tous les pays de la planète sauf deux ou trois ont adopté le capitalisme de marché, c’est que les hommes ne sont pas insensés, ils adoptent en général ce qui fonctionne, sinon ils ne seraient pas là. C’est l’efficacité économique du système qui explique son adoption générale, mais il y a aussi le premier aspect : il est le seul à permettre la démocratie. Efficacité et liberté, aucun autre système n’a pu s’approcher de ces résultats. Mais il ne faut pas le dire, c’est mal vu…

    • Sur l’Etat de droit, comme celui qui se soumet à ses propres lois, c’est une définition judicieuse. Par exemple le IIe Reich de Bismarck et Guillaume II est un Etat de droit et pas une démocratie (pas de séparation des pouvoirs entre législatif et exécutif notamment, c’est l’empereur ou le chancelier et leur cabinet qui décident, qui édicte les lois et règlements, le parlement a des pouvoirs limités, il vote le budget en particulier). Un bon exemple est celui de la politique anti-socialiste de Bismarck à partir de 1878, peu avant les assurances sociales (1883 à 1887), la création du premier Etat-providence, la carotte et le bâton donc. Au plus fort de la répression, les deux seuls députés socialistes au parlement, Karl Liebknecht et August Bebel, ne sont pas inquiétés, ils peuvent continuer à s’exprimer librement, et ils ne manquent pas de le faire. Une dictature les aurait arrêtés ou fait disparaître, le régime respecte au contraire ses propres lois.

    • “The political virtue of a free society is that it makes power responsible, disperses power into as many centres as possible, thereby creating a system of checks and balances, and refuses immunity from criticism and review to any centre of power and prestige.”

      Reinhold Niebuhr
      https://capx.co/even-labour-supporters-know-jeremy-corbyn-is-unfit-for-public-office/?omhide=true&utm_source=CapX+briefing&utm_campaign=f4a5f2c0bc-EMAIL_CAMPAIGN_2017_06_09_COPY_02&utm_medium=email&utm_term=0_b5017135a0-f4a5f2c0bc-241866553

  13. Bonjour à tous, tous ces commentaires sont passionnants. Vous avez un texte qui décrit l’évolution économique chilienne depuis 1970 ici: https://journals.openedition.org/cal/168
    Pinochet a commencé au tout début avec les recettes autoritaires de toute armée au pouvoir et évidemment cela a foiré mais le virage a été très rapide comme la forte remontée dès 1975 le montre, puis la crise de 1982 et de nouveau des réformes pour relancer . Bref, Pinochet était là pour bouffer du coco, il l’a fait , mais contrairement aux cocos, il n’a jamais prétendu savoir diriger l’économie et a laissé ce domaine à d’autres très rapidement, dès 1975.

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