DETTE : et c’est reparti pour la grande illusion keynésienne !

Replay du 16 mars 2021 : Avec la crise économique consécutive aux restrictions anti-Covid, la modern monetary theory (MMT) qui postule aimablement que « le déficit et la dette ne posent aucun problème » fait son grand retour. Pour le meilleur… ou pour le pire ?

C’est le tube économique de ce début d’été 2019 : Vive les déficits et vive la dette ! Ainsi le veut la modern monetary theory (MMT) ou « nouvelle politique monétaire » popularisée aux États-Unis par Stephanie Kelton, la conseillère économique de Bernie Sanders (démocrate d’extrême-gauche), et ainsi le proclame chez nous l’ancien chef économiste du FMI Olivier Blanchard.

Une ritournelle qui ne manquera pas de tintinnabuler plaisamment aux oreilles d’Emmanuel Macron, alors qu’il échoue comme ses prédécesseurs à maîtriser les dépenses publiques, ainsi que la Cour des Comptes vient de nous le rappeler, et alors que notre dette publique frôle dangereusement les 100 % du PIB d’après la dernière publication de l’INSEE.

                         

                        Stephanie Kelton                                                                         Olivier Blanchard
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Que nous dit donc la MMT ? Que l’on peut laisser filer les déficits, donc la dette publique, sans risquer la faillite, pour peu qu’on ait des projets d’investissement et des travailleurs disponibles. Le contre-exemple de la Grèce ou les difficultés de l’Italie s’avèrent incapables d’entamer ce bel optimisme au motif que l’euro, monnaie non souveraine pour ces pays, ne jouit d’aucun des privilèges dont les États-Unis bénéficient avec le dollar.

La monnaie unique européenne, affligée de ses critères de convergence et de son pacte de stabilité – déficit public inférieur à 3 % du PIB et dette publique inférieure à 60 % du PIB – serait donc la grande coupable qui empêcherait les peuples d’accéder à la prospérité économique éternelle. Un refrain connu en nos contrées européennes, mais qui ne tient pas à l’analyse comparative entre les pays.

Il suffit d’ailleurs de regarder le programme promu par Stephanie Kelton et repris intégralement par Bernie Sanders en vue de la Primaire démocrate pour se convaincre que la souveraineté monétaire n’est que l’alibi vaguement technique d’une politique de dépenses publiques volontaristes dans le droit fil de Keynes et de Roosevelt en leur temps.

Tout ce qui fut énoncé par ce dernier dans le Second bill of rights – droit à un emploi décent, à un salaire décent, à un logement décent, à une retraite décente, à l’éducation et à la santé – se retrouve maintenant à l’instigation de Stephanie Kelton dans le programme de Bernie Sanders sous la forme du salaire minimum à 15 $, de l’assurance-santé pour tous et de l’effacement de la dette des étudiants. Une recette très vénézuélienne, finalement.

En employant le terme « investissement », Stephanie Kelton laisse entendre qu’on parle de dépenses ponctuelles, de grands projets pilotés par l’État qui généreront de la rentabilité, et donc de la croissance et des emplois. Ce n’est à l’évidence pas le cas des dépenses sociales, et, de plus, rien ne vient corroborer le fait que les investissements réalisés par l’Etat via l’impôt et la dette pourraient s’avérer plus rentables que s’ils étaient laissés aux initiatives du privé.

Finalement, le seul « avantage » de ce système réside dans le fait que le pouvoir et le champ d’intervention de l’État en sortent considérablement renforcés puisque l’État se trouve ainsi à même d’orienter les investissements selon ses propres « fins sociales ».

Pour plus de justice sociale et fiscale, naturellement, mais aussi en direction de la transition écologique, par exemple. Tiens, tiens, on ne s’y attendait pas du tout…

C’est exactement ce que nous dit Olivier Blanchard. Pour lui, la période de taux bas que nous connaissons – environ 0 % pour les emprunts à 10 ans aujourd’hui en France – va durer encore une dizaine d’années. Pour l’État, dont la charge des intérêts de la dette est ainsi très faible par rapport à des périodes antérieures, c’est donc le moment d’investir :

« Je suis pour maintenir les déficits à court terme s’ils sont nécessaires pour maintenir la demande, mais (et c’est un « mais » important) à condition de les utiliser pour des mesures qui améliorent la croissance à plus long terme, comme le combat contre le réchauffement climatique. »

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M. Blanchard est d’ailleurs convaincu que même si Emmanuel Macron ne le dit pas franchement, c’est néanmoins ce qu’il fait. On ne peut que donner raison à l’économiste sur ce point, d’autant que si la Cour des Comptes s’inquiète aujourd’hui, c’est précisément parce qu’elle redoute une dérive budgétaire.

Et de fait, même si Bruno Le Maire et Gérald Darmanin continuent à dire de temps en temps, comme par habitude, que « les comptes de la nation seront tenus », les mesures lancées en réponse aux Gilets jaunes et à l’issue du Grand débat repoussent aux calendes grecques toute velléité de rigueur budgétaire.

Si, en plus, des théoriciens distingués viennent expliquer que la dette et les déficits sont synonymes de croissance et d’emplois, pourquoi se priver ?

Eh bien, d’abord, parce que la France est déjà en l’état la championne du monde des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires. Avec 56 % du PIB pour les premières et 45 % pour les seconds (2018), non seulement personne (ou presque, suivant les années) ne fait mieux, mais la France est sur une lancée ininterrompue depuis 1974, date du dernier budget de l’État en excédent.

Sauf de 1981 à 1984, période ouvertement dépensière – programme commun de la gauche oblige ! – vous pouvez être certains que les comptes publics ont dérivé allègrement à l’insu du plein gré des dirigeants. En revanche, on ne voit pas en quoi ce laxisme a été favorable au pays : son taux de chômage est au double ou au triple de celui de ses voisins plus rigoureux et le niveau de l’éducation nationale est à la traîne.

Ensuite parce que rien ne dit que les taux resteront bas pendant encore 10 ans et que la croissance internationale continuera à entraîner la France dans son sillage. Les prévisions de croissance pour 2019 ont du reste été revues à la baisse et la France ne peut plus guère compter que sur 1,4 % (soit moins que les 1,5 % nécessaires pour voir le chômage refluer) au lieu des 1,7 % retenus initialement dans le PLF 2019.

Pour la Cour des Comptes :

« Compte tenu de ses niveaux élevés de dette et de déficit, la France disposerait de peu de marges de manœuvre pour faire face à un ralentissement conjoncturel ou un choc financier. »

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Inquiétude qui déclenche l’ironie un brin méprisante de M. Blanchard. Car lui aussi parle bien évidemment « d’investissements » qui vont se montrer rentables à long terme. D’où son idée de dépoussiérer les comptes publics dont l’Union européenne et la Cour des Comptes sont les gardiens vigilants mais complètement « rétrogrades ». Les dépenses courantes d’un côté et les dépenses en capital de l’autre et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes keynésiens possibles !

Certes. Mais outre le fait qu’il est parfois difficile de distinguer entre les deux types de dépenses – et M. Blanchard lui-même ne s’interdit pas une confusion opportuniste lorsqu’il se dit peu inquiet de dépenses accrues de 1 ou 2 % du PIB si c’est pour satisfaire les revendications des Gilets jaunes – se pose aussi la question de la qualité de l’État comme investisseur avisé.

C’est faire montre d’une amnésie incroyablement prétentieuse que d’oublier combien l’État français a l’art de transformer ses (forcément) beaux et indispensables projets en débâcles financières retentissantes qui se chiffrent parfois en petits millions et le plus souvent en milliards. La SNCF, mais aussi Orano (ex-Areva), Notre-Dame-des-Landes ou le projet d’infrastructures de transport Grand Paris Express sont là pour témoigner des incuries récurrentes de l’État et/ou de la folie des grandeurs des élus, sans compter tous les plans calculs et autres minitels qui furent rapidement ridiculisés par des initiatives privées autrement plus pertinentes.

C’est le moment de se rappeler ce que Jacques Rueff disait des théories de Keynes, qu’il surnommait d’ailleurs le « magicien » de Cambridge, dans son article article « La fin de l’ère keynésienne » :

« En donnant indûment aux gouvernements le sentiment que, par l’investissement, ils avaient le moyen de procurer l’expansion désirée et de bannir le chômage honni, la doctrine du plein-emploi (de Keynes) a ouvert toutes grandes les vannes de l’inflation et du chômage. »

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Premier problème, si j’ose dire, celui de la faillite économique.

Qui se double immédiatement et obligatoirement d’un second problème, celui de l’extension du pouvoir et du domaine de l’Etat, ainsi que je le soulignais plus haut. Comme l’écrivait déjà Rueff :

« La vérité, c’est que tous les régimes d’économie dirigée impliquent l’existence d’un organisme susceptible de prendre des décisions arbitraires, autrement dit dictatoriales. La dictature est ainsi une condition et une conséquence de l’économie planifiée. »

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Or qu’est-ce qu’une économie où l’État se veut stratège et se donne sciemment le rôle de l’investisseur privilégié, si ce n’est une économie de plus en plus dirigée ?

Stephanie Kelton se revendique à l’extrême-gauche du paysage économique américain et Olivier Blanchard se dit volontiers néo-keynésien. Leurs propositions ne sont donc ni très étonnantes ni franchement « nouvelles ». En revanche, l’engouement qu’elles suscitent a de quoi inquiéter. Plus grave encore, le gouvernement français a déjà pris les devants. Une fois de plus, ça promet.


Illustration de couverture : Evolution de la dette publique française qui a atteint 99,6 % du PIB à la fin du 1er trimestre 2019. Graphique INSEE. Capture d’écran.

21 réflexions sur “DETTE : et c’est reparti pour la grande illusion keynésienne !

  1. Depuis la relance Chirac de 1974, avec tout les déficits accumulés en lubies à la mode, comme le plan fibre de Fabius, nous devrions être le peuple le plus développé et le plus heureux de la terre. Force est de constater que ce n’est pas le cas, mais pas un élu ne se posera la question de savoir pourquoi. Pas un électeur non plus d’ailleurs, mais il faut dire que l’offre est restreinte et que tout ce qu’on lui propose est keynésien en diable. Alors, de plus en plus se réfugient dans l’abstention.

  2. Méfions-nous peut-être des prévisions du macroéconomiste Olivier Blanchard. En août 2008, il publiait un document de travail au NBER sur l’état de la macroéconomie, la discipline (https://www.nber.org/papers/w14259). Pour lui, l’état, à l’époque, de la macroéconomie était « bon ». Quelques semaines plus tard, la crise bancaire de l’automne 2008 s’enclenchait aux États-Unis avec les conséquences que l’on sait. Au cours des années suivantes, nombre d’économistes ont critiqué et reconnu la faiblesse de la macroéconomie à intégrer dans ses modèles explicatifs les activités bancaires et financières, leur impact sur les grands agrégats macroéconomiques…

  3. La « macronéconomie » ? c’est la pire !
    La ventripotence de l’état (5,5 millions de fonctionnaires) a dépassé les bornes depuis longtemps, il est curieux qu’il n’ait pas explosé en entrainant avec lui la majeure partie de la classe politique (680 000 élus)

    • salauds de riches, qui font rien qu’à voler l’argent des pauvres! car c’est bien connu, pour qu’un riche s’enrichisse, il faut que des pauvres meurent de faim !
      Heureusement en France, il y a de moins en moins de riches, le pays se purifie, ouf, à quel enfer échappe-t-on !

  4. Merci pour ce zoom sur ces 2 personnages. Cela nous promet encore qq autoroutes solaires.
    Comprend pas que les Français continuent à vouloir financer ttes ces gabegies. L’argent que l’état empreinte, c’est l’argent que chacun d’entre nous ne peut empreinte nous empêchant de faire nos propres choix économiques.

  5. « 5,5 millions de fonctionnaires, 680.000 élus. Soit 10 % »

    Pareil s’il y en avait 12,36 % ! Soit une marge de 1 sur 8 !

    À moins que 130.00 d’entre eux, ayant conscience d’être en surnombre, aient démissionné entre temps !

    Hallucinant ! C’est avec des approximations de ce tonneau qu’on rate son braivet !

  6. Ca tombe bien que vous évoquiez la MMT, j’allais vous suggérer un article sur le sujet. Je commence à léviter doucement chez moi en écoutant ce qui se dit sur BFM Business sur la question.

    L’autre jour, émission surréaliste avec les experts habituels, dont la moitié semblent dire que la MMT est une nouvelle version des baquets de Mesmer ou de l’utopie étatiste, mais dont l’autre moitié a bien l’air d’être séduite par cette « nouvelle ère » et ces « nouvelles règles », à l’opposé du sens commun.

    Alain Madelin, la poupée vaudou hyper-turbo-libérale que les étatistes passent leur temps à transpercer d’épingles, a même dit, tenez-vous bien… qu’Olivier Blanchard et Marine Le Pen devraient tous les deux recevoir le prix Nobel d’économie.

    J’ai beau me pressurer le citron, je n’arrive pas à voir une once d’ironie dans ses propos. Il est vrai que d’homme politique libéral, il est devenu gestionnaire de fonds, et que l’argent gratuit des autres turbiné par les banquiers centraux fait très bien les affaires de la Bourse, merci beaucoup.

    Nous sommes vraiment rentrés dans la deuxième dimension. Le problème, c’est que lorsqu’on en sort, ça fait des dégâts. Il n’est pas conseillé de s’approcher des trous noirs.

  7. Et puisque vous parlez d’illusion keynésienne, j’en profite pour signaler le dernier billet de Jean-Louis Caccomo, où il démontre de façon très simple que la théorie de Keynes est scientifiquement fausse :

    https://caccomo.blogspot.com/2019/07/pourquoi-la-theorie-de-keynes-est.html

    Au passage, cet article semble avoir été écrit récemment, et ne pas être une republication. Il y fait, en effet, allusion à l’horrible hospitalisation forcée qu’il a subie. C’est le signe qu’il va mieux, ce qui est réjouissant.

  8. « …la disparition de l’espace culturel européen… »

    J’ai été un peu faiblard ce matin ! Bien sûr cela m’arrive, comme à tout le monde.
    Le terme que je voulais utiliser, que j’affectionne particulièrement c’est « l’espace civilisationnel européen ». L’ECE !
    Rien à voir avec l’UE !

    Ceux qui ont la faiblesse de prendre connaissance de mes commentaires savent de quoi il retourne !

    La Civilisation contient la Culture !

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