Trois choses à savoir sur Nigel Farage : Brexit, Brexit et Brexit

Mise à jour du 27 mai 2019 : Les résultats des élections européennes au Royaume-Uni sont conformes aux attentes. Le Brexit Party de Nigel Farage recueille 32 % des voix, les Lib-Dem 20 %, les Travaillistes 14 %, les Verts 12 %, les Conservateurs 9 %, Change UK 3,4 % et l’UKIP 3,3 % (voir ci-dessous). En revanche, faible participation : 37 %.

Européennes 2019 : Au Royaume-Uni, le « brexiter » Nigel Farage emporte tout sur son passage. Portrait.

Incroyable mais vrai ! Trois ans après le référendum de juin 2016 qui a donné la victoire au camp du Brexit avec 51,9 % des voix, les Britanniques sont toujours dans l’Union européenne (UE) et ils en sont réduits à participer dans l’urgence aux élections européennes qui se déroulent en ce moment dans les 28 pays membres.

Si chez nous le suspense est de mise entre le parti du Président et celui de sa principale opposante Marine Le Pen, rien de tel outre-Manche : en quelques semaines, le tout nouveau « Brexit Party » de Nigel Farage, brexiter(1) de toujours, a pris la tête de la course, creusant une spectaculaire distance avec tous les autres partis.

Si les urnes confirment les derniers sondages, le Brexit Party devrait recueillir dans les 35 % des voix tandis que les conservateurs au pouvoir sous la houlette de Theresa May seraient à 10 %, les travaillistes et les Lib-Dem entre 15 et 20 % et les écologistes à 8 %.

L’ancien parti pro-Brexit de Nigel Farage, l’UKIP, tomberait à 3 % et le parti Change UK créé spécialement pour récolter les voix pro-UE et obtenir un second référendum décollerait difficilement d’un petit 4 % (voir l’agrégateur de sondages ci-dessus).

Cette recomposition fulgurante du paysage politique britannique qui se fait jour à la faveur de cette élection complètement improbable traduit mieux que n’importe quelle analyse politique l’impatience et le mécontentement des partisans du Brexit. Non sans quelques bonnes raisons dont Nigel Farage a su profiter brillamment.

Quand elle est arrivée au pouvoir en juillet 2016 après la démission de David Cameron, Premier ministre initiateur mais perdant du référendum, Theresa May avait déclaré « Brexit means Brexit », c’est-à-dire « Brexit signifie Brexit ». Elle s’était engagée à le faire advenir dans les délais convenus sans tergiverser, soit deux ans au plus tard après le dépôt de la demande auprès de l’UE (activation de l’article 50), ce qui fixait la date ultime de sortie au 29 mars 2019.

Or le délai est non seulement dépassé, obligeant les Britanniques à désigner une fois de plus des députés au Parlement européen, mais l’accord négocié par May avec l’UE a déjà été rejeté trois fois par les députés britanniques et pourrait l’être une quatrième fois début juin. Les élites politiques et tout le système de « l’establishment » si souvent critiqués pour leur royal dédain des aspirations populaires auraient voulu se tirer une balle dans le pied qu’ils n’auraient pu mieux faire.

La situation est donc devenue parfaitement ubuesque, et voilà que Nigel Farage est arrivé !

Que fera-t-il en tant que député du Parlement européen fort d’un groupe d’une trentaine de personnes ? Difficile à dire, vu que l’objectif est d’y rester le moins longtemps possible. En revanche, on voit bien le coup de pression que son succès électoral de ce week-end enverra au gouvernement et aux députés : ne vous imaginez pas qu’un second référendum(2) donnerait la victoire aux partisans du maintien dans l’UE, réalisez le Brexit ou vous serez décimés par mon parti lors des prochaines élections générales – tel est le message envoyé par Farage et son électorat.

Un électorat qui vient de tout l’échiquier politique britannique. « Qu’est-ce que nous voulons ? Le Brexit ! Quand le voulons-nous ? Maintenant ! » – voilà ce que clament à l’unisson les nouveaux supporters du Brexit Party. Et peu importe leur parcours politique antérieur, que ce soit au parti conservateur, dont les électeurs sont beaucoup plus en faveur du Brexit que les députés, ou au parti travailliste, plutôt pro-UE en général mais dont plus d’un tiers des électeurs a voté pour le Brexit.

Et également à l’UKIP, ce parti pro-Brexit co-fondé en 1993 par Nigel Farage en opposition au Traité de Maastricht (1992) et dont il a quitté la direction début juillet 2016, juste après le référendum, estimant peut-être un peu vite que son travail qui consistait à obtenir le Brexit était accompli (vidéo, 29″) :

C’est précisément l’une des faiblesses qui sont volontiers reprochées à Nigel Farage : cette brillante élection ne sera-t-elle à nouveau qu’un coup d’éclat de sa propre carrière politique ? Pourra-t-on compter sur lui pour « l’après » ? Son programme tient en un seul mot : Brexit, comme en témoigne son site de campagne, même si le slogan « Change politics for good » (changer la politique pour de bon) semble y ajouter la promesse – vague, il faut bien le dire – d’un projet politique global. Au-delà du Brexit, alpha et omega de son engagement actuel, quelle politique sera-t-il capable de proposer au Royaume-Uni ? Tous ces points restent flous.

On se rappelle par exemple qu’après la victoire du Brexit, il s’était défilé avec embarras devant l’une des promesses phares des brexiters : affecter la contribution britannique à l’UE estimée à 350 millions de livres par semaine, soit environ 20,5 milliards d’euros par an (en réalité moins de 5 milliards en net) au NHS (National Health Service, équivalent de notre système de santé) dans la plus pure tradition socialiste.

De là à le trouver un brin populiste et opportuniste, voire même un peu collectiviste si ça peut aider la cause…

Né en 1964 dans le Kent, Nigel Farage se lance dès la fin de sa scolarité dans une carrière de courtier à la City de Londres sans passer par l’université. Sur le plan politique, il se sent proche des idées de Margaret Thatcher, euroscepticisme compris, ce qui l’oriente d’abord vers le parti conservateur. Mais le soutien de ce dernier au traité de Maastricht en 1992 le pousse à la démission.

En 1993, il participe à la création de l’UKIP ou Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni avec d’autres déçus du Parti conservateur avec l’idée de militer pour la sortie de l’UE afin que le pays retrouve son autonomie de décision. Député européen depuis 1999, il prend la direction de l’UKIP en 2006 et amène ce parti à obtenir le meilleur score (27 %) lors des élections européennes de 2014.

Cette année-là, le Front national de Marine Le Pen arrive également en tête avec plus de 24 % des voix en France. Les deux partis siègent cependant dans des groupes différents au Parlement européen car Nigel Farage a toujours refusé de s’allier avec le FN jugé trop xénophobe pour les standards de l’UKIP à l’époque.

Charismatique et grande gueule, Nigel Farage n’a pas son pareil pour stigmatiser les lourdeurs bureaucratiques de Bruxelles. De nombreuses joutes verbales l’opposent aux membres de la Commission européenne ou du Conseil européen, sans compter toutes les occasions de dire depuis le Parlement européen ce qu’il pense de la politique menée au Royaume-Uni. Il ne parvient cependant jamais à se faire élire à la chambre des communes malgré six tentatives.

Ayant finalement obtenu en 2016 le Brexit qui avait motivé la création de l’UKIP, il quitte la direction du parti et se rapproche beaucoup de Donald Trump, élu peu après Président des Etats-Unis. Ce dernier suggère que Nigel Farage ferait un excellent ambassadeur du Royaume-Uni à Washington, mais Theresa May rejette sèchement la proposition.

Fin 2018, observant que l’UKIP n’a obtenu que 1,8 % des voix lors des élections générales anticipées de 2017 après 12,5 % en 2015, et critiquant son rapprochement avec le leader controversé d’extrême-droite Tommy Robinson ainsi que l’orientation anti-musulmans de son dirigeant actuel, il coupe complètement les ponts avec son ancien parti :

« Les Partis conservateur et travailliste ayant ouvertement rompu leurs promesses sur le référendum et les élections législatives, l’UKIP devrait se situer haut dans les sondages. (…) Je dois toutefois admettre avec regret que je pense maintenant que ce ne sera plus le cas (…) Il y a une grande place pour un parti du Brexit dans la politique britannique, elle ne sera pas remplie par l’UKIP. »

.
Mais cette place vacante sera occupée dès le début de 2019 par son nouveau Brexit Party. Avec quelques couacs malvenus, comme ces cadres du parti qui se sont crus obligés de faire part de leur admiration pour Tommy Robinson, forçant Farage à prendre ses distances avec eux. Ou comme ces questions en suspens sur le financement du parti.

Mais surtout, avec quel succès ! Un succès qui n’a pas échappé à Florian Philippot, l’ex-lieutenant de Marine Le Pen qui, depuis le fin fond des 2 % d’intentions de vote pour sa liste pro-Frexit Les Patriotes, tente de surfer sur le succès de Nigel Farage :

Une proximité qui pose question. Chez nous, Florian Philippot est peut-être le représentant le plus achevé de l’étatisme de droite. Déçu par le Traité de Maastricht à l’instar de Nigel Farage, il est aussi traumatisé par les privatisations Balladur de 1993 car selon lui « l’Etat perd quelque chose. » 

A une époque, Nigel Farage reprochait aux conservateurs britanniques de ne plus parler des entreprises, de la création de richesses et de la baisse de la fiscalité. D’avoir oublié leur héritage thatchérien, en somme. Mais où en est-il lui-même sur tous ces sujets ?

Uniquement préoccupé d’obtenir le Brexit, quitte à se montrer démagogue et opportuniste, il se retrouve à la tête d’un vaste parti souverainiste qui réalise en quelque sorte le dépassement des clivages entre conservateurs et travaillistes. Dans ces conditions, quelle sera la proposition politique de Nigel Farage lorsqu’il s’agira de gouverner un Royaume-Uni dûment sorti de l’Union européenne ? A ce moment-là, marteler Brexit, Brexit et Brexit ne suffira plus.


(1) Brexit : Sortie du Royaume-Uni de l’UE – Brexiter : partisan du Brexit. On dit aussi partisan du « leave » (quitter) – Remainer : partisan du maintien dans l’UE.

(2) En 2018, Nigel Farage n’était pas contre un second référendum. Il pensait que son résultat confirmerait la demande de Brexit, ce qui aurait l’avantage de mettre fin une bonne fois pour toutes aux espoirs des remainers.


Illustration de couverture : Nigel Farage lors d’un meeting de son nouveau parti le « Brexit Party » à l’occasion des élections européennes de mai 2019. Photo PA.

6 réflexions sur “Trois choses à savoir sur Nigel Farage : Brexit, Brexit et Brexit

  1. Ce n’est pas d’un Flenchxit que nous avons besoin, c’est d’un clean-socialism, voire même d’un erase-socialism.
    Mais pour ceux qui aime bien leurs écrans, ils pourront choisir un delete-socialism. Quant aux GJ et aussi à tous ceux qui ne sont pas des urbains parisiens, quant ils auront compris que toutes leurs misères de fin de mois dans leur monde rural, communal, départemental itou itou, vient de l’hydre socialiste français, alors ils devront « eraser something from one’s memory ». Et se réveiller après le 27 mai, pour vivre une vie sans le Big brother de la macronie aux pensées complexes.
    Il faut effacer le socialisme de tous les dictionnaires nationaux.

    • C’est en effet le drame du mouvement des Gilets jaunes. L’incompréhension radicale des méfaits du socialisme les amène au nihilisme et à l’auto-destruction. L’irrationnel, la superstition et le complotisme fleurissent.

      On ne peut rien construire de bon sur un tel champ de ruines psychique, moral et intellectuel. Il va falloir bien plus que des tableaux Excel pour sortir nos compatriotes de là — et je n’ai rien contre ceux qui produisent les tableaux Excel aptes à faire comprendre la situation, bien au contraire. Ils sont indispensables.

      Les anti-système sont aussi dévastés par cette faillite morale et intellectuelle que les pro-système, et c’est bien là le plus préoccupant.

      Je le vois très bien dans le dialogue que j’engage avec des pro-gilétistes modérés qui sont loin d’être des fanatiques. L’émotion et les croyances idéologiques reprennent très vite le dessus sur la raison.

  2. Pour « l’après » de ces élections européennes fantômes, avant les general elections, il y aura d’abord un gouvernement avec BoJo qui devra absolument réussir son brexit, avec les mêmes rapports de force au Parliament, bon courage à lui. Farage n’existe pas en politique intérieure.
    En 2022 ou si anticipées, les prochaines élections n’auront peut-être pas de Brexit party si le UK est sorti;
    et si, par malheur 🙁 , il est encore là, le peuple britannique, s’il existe encore, mettra plutôt Corbyn le Rouge, en espérant qu’il aura été remplacé d’ici là, ou Vince Cable pourquoi pas (?); quant à un tory ou un brexiteer, c’est clairement improbable, mais bon…
    la politique outre manche est un tel panier de crabes!

    Merci d’avoir fait remonter votre article de 2016, le commentaire de madame Irma marchenoir est à mourir de rire: quelle clairvoyance!

    • @ Françoise

      Contrairement à ce que vous prétendez, et conformément à la raison de votre présence, ici, qui consiste essentiellement à calomnier les gens et à semer la zizanie, mon ancien commentaire sur le Brexit est parfaitement pertinent, aujourd’hui comme hier. Votre stupidité n’ayant d’égale que votre malveillance, j’en mets le lien ici afin que chacun puisse en juger :

      https://leblogdenathaliemp.com/2016/07/08/brexit-et-consequences-theresa-may-sera-t-elle-prime-minister/#comment-2131

      Vous serez bien aimable de nous indiquer à quel endroit nous pouvons consulter vos écrits politiques, afin que nous puissions profiter de vos prodigieuses capacités de prévisionniste, à vous.

      C’est vous qui donnez des leçons de foi à Nathalie ? Votre variété de catholicisme à vous me paraît beaucoup plus proche de la bigoterie. Rappelons que la bigoterie est une perversion de la religion, qui consiste à proclamer bruyamment sa foi alléguée, à multiplier les manifestations extérieures d’accomplissement du rite, et surtout (car c’est bien là le but) à faire le reproche à autrui de n’être pas un aussi bon chrétien que soi.

      C’est, en somme, la négation de la foi authentique.

      Ce comportement est extraordinairement ressemblant à celui du militant de gauche, qui passe son temps à faire valoir sa supériorité morale alléguée sur la terre entière. C’est l’essence du politiquement correct.

      Sans surprise, vous manifestez ici vos convictions anti-libérales. Tout cela est parfaitement cohérent.

Répondre à zelectronAnnuler la réponse.