Européennes : un duel RN/LREM pour deux projets anti-libéraux

Les élections européennes du dimanche 26 mai prochain sont à double détente. En tant que citoyens français, nous avons tendance à nous focaliser sur leur incidence politique nationale symbolisée par le duel serré entre la République en Marche (LREM) et le Rassemblement national (RN). Mais si l’on adopte une vision européenne, les manœuvres en cours pour la formation de groupes significatifs au sein du futur Parlement européen montrent que ces deux partis férocement opposés au plan national se démènent chacun de son côté et chacun à sa façon pour faire émerger des courants ayant la caractéristique commune de s’opposer à l’Europe libérale des origines.

Crédité de 24 % d’intentions de vote dans les derniers sondages, le RN devance le parti du Président de la République qui obtient 22,5 %. L’écart reste cependant dans la marge d’erreur, ce qui nous garantit un certain suspense pour la soirée électorale de dimanche prochain.

Mais ce suspense ne concerne que l’interprétation française du scrutin. Au niveau de l’Union européenne, si le profil de vote observé depuis le début des mesures se maintient, c’est-à-dire deux partis de tête au coude à coude et les autres loin derrière, peu importe de savoir qui du RN ou de LREM arrivera premier : l’un et l’autre parti devraient envoyer environ 23 députés au Parlement européen dans les deux cas de figure.

En revanche, l’ordre d’arrivée est évidemment crucial pour le quinquennat du chef de l’État. Après les turbulences de l’affaire Benalla cet été, les démissions des ministres d’État Hulot et Collomb cet automne et la longue séquence houleuse des Gilets jaunes pendant l’hiver, Emmanuel Macron a tout misé sur ses largesses de sortie du Grand débat national avec l’idée de reprendre la main dans les urnes au printemps. Parce que qui dit « dans les urnes » dit « légitimité », une caractéristique indispensable de la vie démocratique qui lui est fortement contestée.

Dès lors, on imagine bien la soirée électorale de dimanche prochain.

Soit LREM arrive en tête, même de peu, retrouvant ainsi un peu d’air pour tenir jusqu’aux municipales de 2020 et renvoyant du même coup tous les autres partis à leur légitimité inférieure. On entend déjà Gérald Darmanin ou Marlène Schiappa gloser avec satisfaction sur la politique du gouvernement qui porte ses fruits, sur le cap qui est le bon, sur les réformes qui continueront et sur les Français qui ont parfaitement compris tout cela en renouvelant leur confiance à l’exécutif.

Ce qui ne manquera pas de déclencher en retour dans l’opposition de longs discours sur l’abstention, premier parti de France, derrière lequel le parti présidentiel représente en réalité bien peu de chose. Toujours très élevée lors des élections européennes, elle pourrait en effet atteindre plus de 56 % (après 57,6 % en 2014 lors du quinquennat Hollande et 59,4 % en 2009 à l’époque Sarkozy).

Soit le RN arrive en tête, et l’équation de Macron s’en trouve considérablement compliquée. Conscient des difficultés de Nathalie Loiseau, tête de liste peu charismatique et malencontreusement auréolée d’une proximité de jeunesse avec l’extrême-droite qui fait sourire quand on sait qu’elle a axé toute sa campagne sur l’idée traditionnelle à gauche de faire « barrage à l’extrême-droite », Emmanuel Macron s’est lancé lui-même dans la campagne électorale, jusqu’à prendre la place principale sur les affiches. Dès lors, l’échec de LREM à conserver son premier rang devient indiscutablement l’échec du Président.

Mais là aussi, l’abstention sera utile pour minimiser l’importance d’un scrutin dont le parti présidentiel va soudain se rappeler qu’il est en fait européen et ne saurait constituer une sanction sérieuse contre la politique domestique du gouvernement. Les Français ont exprimé une colère, nous dira Bruno Le Maire, que le gouvernement a parfaitement anticipée avec les mesures que le Président a annoncées en clôture du Grand débat. Ce sont 17 milliards pour le pouvoir d’achat qui viennent d’être mis sur la table, Mme Martichoux (RTL), abondera Gérald Darmanin sur un autre plateau télé.

Du reste, le cas de figure d’un RN en première position nationale avec 24 élus au Parlement européen n’est pas nouveau. En 2014, le parti de Marine Le Pen avait déjà obtenu pas loin de 25 % des voix, devançant non seulement le Parti socialiste au pouvoir (14 %) mais également l’opposition de droite (20,8 %). Finalement, sauf gros décrochage de dernière minute, LREM ne s’en tirerait pas trop mal pour un parti exécutif forcément passé au crible de son bilan.

Pour le RN, tout l’enjeu de ces premières élections depuis la présidentielle consiste à réaffirmer son statut de premier opposant. Or c’est un objectif qu’il atteint haut la main dans les deux cas de figure. La cerise sur le gâteau serait d’affirmer son leadership politique en arrivant premier, une option d’autant plus recherchée par Marine Le Pen – elle parle même de « faire tomber le gouvernement » – que sa prestation ratée lors du débat d’entre-deux-tours de la Présidentielle face à Emmanuel Macron avait jeté le doute sur sa volonté réelle d’accéder au pouvoir. Or sa situation d’opposante sera d’autant plus crédible qu’elle donnera l’impression que sa volonté de gouverner est entière.

Mais quel que soit le résultat final du duel national, il y a fort à parier que le gouvernement continuera dans la désastreuse voie keynésienne tracée par Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse de sortie du Grand débat, quitte à allonger le tir vers encore plus de dépenses publiques s’il se voyait trop distancé par le RN, histoire de s’assurer la paix sociale et faire mentir ceux qui l’accusent de n’être qu’un banquier.

Cela ne devrait pas lui faire trop mal au cœur car c’est exactement ce qu’il préconisait dans sa lettre à nos partenaires européens intitulée « Pour une renaissance européenne » d’où le nom « Renaissance » de la liste de Nathalie Loiseau. Or ce programme, que j’ai commenté ici, ressemble à s’y méprendre à une tentative d’appliquer à l’Union européenne les vieilles recettes dirigistes et dépensières de la France plutôt que d’en faire un espace de liberté dans lequel inscrire une France enfin débarrassée de ses tabous économiques sclérosants.

La République en Marche étant nouvelle au Parlement européen, elle cherche donc à constituer un groupe significatif pour faire valoir ce projet « progressiste » contre les vues plus libérales de la CDU allemande par exemple. C’est ainsi qu’elle a décidé de rejoindre le groupe européen ADLE des centristes et des libéraux où siégeaient déjà les députés du Modem et de l’UDI (voir tableau ci-dessous). Avec plus de 20 députés et probablement 23, son apport ne sera pas négligeable.

Mais le plus intéressant – et du coup on se demande ce que vont devenir les libéraux de ce groupe – c’est de voir que les Partis socialistes, plus ou moins en déconfiture partout et qui siégeaient jusque-là au sein du groupe européen S&D, trouvent – et ils n’ont pas tort – qu’il y a beaucoup de convergences entre le programme « Renaissance » et leurs propre agenda « progressiste ». Comme le dit le Président actuel de ce groupe, tête de liste du SPD en Allemagne :

« Macron n’est pas un socialiste, mais pourquoi ne devrions-nous pas parler avec lui ? »

Voilà qui est clair et qui confirme Emmanuel Macron dans ses habits de social-démocrate chiraco-hollandais ! Chez nous, une telle alliance ne réjouit pas Raphaël Glucksman, tête de liste d’un PS chichement crédité de 6 % des voix qui tente désespérément d’exister face au « banquier » et à la « dingue ». Mais Benoît Hamon, le glorieux leader de Génération.s (2 %), est convaincu que le PS finira par se rallier à Macron, argument qu’il utilise pour faire revenir les socialistes à lui.

Quant au RN, depuis les dernières élections européennes de 2014, et plus précisément depuis l’échec de la présidentielle, il a abandonné l’idée du Frexit ainsi que celle de la sortie de l’Euro. Mais toujours vent debout contre la mondialisation et le libre-échange et soudain sensible à l’écologie et aux circuits courts, il prône protectionnisme européen, localisme et patriotisme économique.

Ce dernier point est porté par le nouveau jouet conceptuel du RN, la Responsabilité nationale des entreprises ou RNE, sorte de pendant constructiviste nationaliste de la Responsabilité sociale des entreprises (RSE) chère à Emmanuel Macron. L’accès des entreprises aux marchés publics serait conditionné au respect de la RNE aussi bien pour les embauches que pour le choix des fournisseurs.

Bref, le RN s’active maintenant pour une transformation anti-libérale de l’UE depuis l’intérieur, ce qui le pousse à rechercher des alliances afin de former un groupe susceptible de peser sur les votes du Parlement européen.

Et c’est ainsi que de grandes manœuvres sont également en cours du côté du groupe européen ENL qui abrite les partis d’extrême-droite. Le dirigeant Italien Matteo Salvini a pris la tête d’une « alliance Salvini » à laquelle le RN pourrait participer et qu’il espère étendre à des formations telles que le parti Droit et Justice (PiS) polonais (jusqu’alors dans le groupe CRE avec le Parti conservateur britannique) ou le Fidesz du hongrois Viktor Orbán (jusqu’alors dans le groupe PPE avec LR et la CDU allemande).

Rien n’est encore joué cependant, car des divergences importantes traversent ces partis, notamment le rapport à la Russie qui est rédhibitoire pour les Polonais ou l’interventionnisme étatique revendiqué du RN qui irrite certains partis d’Europe de l’Est. De plus, le partenaire italien de Salvini, le mouvement 5 étoiles (M5S), pourrait constituer un groupe à part du fait de la rivalité grandissante entre les deux anciens alliés.

J’ai récapitulé la composition actuelle du Parlement européen ainsi que les évolutions possibles à l’issue des élections 2019 dans le tableau ci-dessous :

Répartition des députés européens et, parmi eux, des députés français au Parlement européen élu en 2014. Evolutions possibles en 2019.

Groupe UE Ligne politique Parlement 2014 % 2014 France 2014 France 2019 ? Parlement 2019 ?
GUE/NGL Extrême-gauche 52 7% 5 8
S&D Socialistes (PSE) 187 25% 12 5  ↓ 
Verts/ALE Ecologistes 52 7% 6 8
ADLE Centre/Libéraux 68 9% 7 23 ↑(LREM)
PPE Droite 219 29%  20 8  ↓
CRE Conservateurs 72 10% 0 ↓(Tories)
ELDD Souverainistes 43 6% 6 ∅(Farage)
ENL Extrême-droite 34 5% 15 23 ↑Salvini
NonInscrits Divers 24 3% 3 M5S ?
TOTAL 751 100% 74 79

Le Royaume-Uni étant censé quitter l’UE à plus ou moins court terme, le groupe CRE des conservateurs serait alors très affaibli et le groupe ELDD des souverainistes non liés à l’extrême-droite pourrait disparaître (il est notamment composé des députés du Brexit Party de Nigel Farage).

Avec ses deux fois 23 députés répartis également entre LREM et le RN, les élections européennes françaises auront donc pour résultat européen final d’accentuer le poids des anti-libéraux, qu’ils se revendiquent « progressistes » ou « nationalistes ». De mon point de vue, une perspective peu réjouissante. Ça promet.


Illustration de couverture : Drapeau de l’Union européenne et drapeaux des États membres.

22 réflexions sur “Européennes : un duel RN/LREM pour deux projets anti-libéraux

  1. Merci pour cet article.
    « Responsabilité nationale des entreprises  » = « Responsabilité sociale des entreprises »
    Arf donc en fait Macron fait une politique d’extrême droite 🙂

    • Si même le RN se met à copier le programme de Macron, cela montre d’une part le total manque d’imagination de tous les partis politiques et qu’ensuite, au fond sur la vision et les idées, Macron est leader, ce qui est assez atterrent..

    • Encore (et toujours) un billet de bon aloi
      Coller aux entreprises les cacophonies et autres dérives de cet état socialo à tendance fasciste ressemblerait à de l’humour si la situation n’était pas si déliquescente. Toujours pas un mot sur le monstre ventripotent qui veut tout régir, ni l’explication politique de la phrase : plus il y a de fonctionnaires et plus il y a de chômeurs !

  2. Moi, j’attends l’avis de Françoise pour commenter. Elle nous apporte toujours des éclairages originaux et intéressants, qui permettent de faire rebondir la discussion.

  3. Une précision: le groupe CRE Conservateurs est le groupe le plus libéral ou le moins étatiste/collectiviste (si vous préférez) du paysage de cette élection européenne.
    Il est intéressant, sinon triste, de noter qu’aucun parti français n’en fait partie…

  4. si vous cherchez un groupe libéral, allez voir du côté de ALDE; les CRE sont déjà un oxymoron rien que dans leur nom!
    mais dites moi, juste pour rigoler:
    pourquoi des anarcho capitalistes (oops pardon, des minarchistes) voudraient aller voter?

  5. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi Macron s’implique autant dans la campagne, ce n’est pas son rôle, et de plus en cas de seconde place il n’a plus le fusible Loiseau pour faire passer la défaite.

    • La première chose assez incompréhensible, c’est d’avoir choisi Nathalie Loiseau pour mener cette liste dans un contexte social qu’il savait difficile. Choix malheureux quand on voit en face le bagout et l’aisance d’un Jordan Bardella. Je ne parle ni intelligence ni compétences ni couleur politique, mais personnalité forte pour mener une liste électorale.
      Pour moi, ce choix témoigne une fois de plus de l’hubris de Macron :
      1. Les européennes ne sont pas à ses yeux des élections assez importantes et 2. Il pensait qu’il y arriverait fingers in the nose après ses mesures du grand débat.
      Terrible présomption. Maintenant il est obligé de mouiller sa chemise et c’est quitte ou double.

      • H16 avait émit l’hypothèse lors de la nomination de Castaner, que Macron n’a plus de réserve de gens compétents, et qu’il est obligé de nommer des seconds couteaux. Hypothèse que je partage, et qui à mon avis explique la nomination de N. Loiseau. Il est aussi possible, qu’elle lui est été imposée, mais par qui et pourquoi. Il faudrait fouiller ds le passé de cette dame.

    • Je reste toujours baba de consternation devant l’audience flatteuse que cet homme – dont le « ‘no pasaran’ a structuré les engagements d’une vie » (dixit himself), ce communiste pour le dire sans fausse coquetterie – arrive à obtenir du côté de la droite conservatrice. Mais est-ce si étonnant, finalement ? Chaque jour qui passe nous montre combien les constructivistes des deux extrêmes sont proches, comme en témoigne le récent transfuge LFI vers RN.
      Vous remarquerez que Castelnau fustige Macron pour son intention présumée de démantèlement de l’État providence, tandis que nous, les libéraux, reprochons au contraire à Macron de ne pas remettre en cause l’Etat providence.
      Là où on pourrait le suivre serait sur la régression des libertés publiques, mais ce genre de considération venant d’un communiste qui soutient le régime Chavez / Maduro fait doucement rigoler !

      • Exactement. Régis « de » Castelnau, « Maître » comme l’appellent ses groupies sur son blog, ancien membre dirigeant du Parti communiste français, ancien avocat du PCF, ayant mis le bololo en Amérique du Sud et s’en vantant encore aujourd’hui, n’ayant jamais renié ses convictions communistes, est un excellent représentant de la droite de gauche — ou l’inverse.

        Vous avez plein de bonshommes dans son style qui sont adulés par les populations, parce qu’ils font semblant d’être de droite, tout en étant en réalité socialistes jusqu’à la moëlle.

        Le côté droite consiste en général à s’opposer à l’immigration ou à l’islam (ça devient vraiment difficile pour la gauche de continuer à propager les sottises tolérancielles et vivre-ensemblistes), et ils ont le « drouâ » de le faire au regard du politiquement correct, puisque, pour tout le reste, ils sont à gauche.

        Ils réalisent donc la synthèse ultime, ils prouvent que l’eau sèche peut exister, que le socialisme sans douleur est réalisable et qu’un autre monde est possible. Ils remettent un jeton dans le manège qui « prouve » que l’URSS et les autres n’ont pas définitivement réfuté les illusions du communisme.

        De même que les attentats, « cépaça l’islam », de même l’Union soviétique, ou le Venezuela, ou la Corée du Nord, « cépaça le socialisme ».

        Causeur.fr est très représentatif à cet égard. S’il est dirigé par Elisabeth Lévy qui dit globalement des choses raisonnables, si Alain Finkielkraut est un ami de la maison, on y trouve aussi des gens comme Jérôme Leroy, communiste enragé, Jean-Paul Brighelli, réactionnaire de gauche, ou… « Maître » de Castelnau lui-même.

        Natacha Polony et Riposte Laïque appartiennent à la même boutique.

        C’est ce que j’appelle l’élastique maudit de la politique française. Quoi que vous fassiez, d’où que vous veniez, il vous ramène inéluctablement à la position par défaut, la seule admissible, la position de gauche.

      • Eh ! Le Gnôme, vous avez raison : notre avocat communiste est bel et bien l’arrière-petit-fils du général Édouard de Curières de Castelnau, grand chef à plumes pendant la Grande Guerre.

  6. Bon en fait cette élection est encore transformée en plébiscite pour le président français comme finalement l’élection de 2005 que certains esprits chagrins continuent à dénoncer comme un exemple antidémocratique. En 2005, il s’agissait de virer Chirac.
    De plus cette élection n’a rien de motivant puisque des sujets fondamentaux ne sont pas abordés, ne serait-ce que celui de la politique monétaire. Imaginons que les taux voisinent légèrement les 2% et tout le montage européens s’écroule. Pas un seul candidat n’a abordé le sujet, en seraient-ils même capables ?
    Et le parlement européen a-t-il seulement quelque pouvoir sur le budget de Bruxelles, la CJCE, la BRI, ou sur quoi que ce soit d’important ? En fait il ne fait que de la diversion sur l’écologie, les migrants, la taxation des GAFA et des marchés financiers, et toutes les modes sociétales qui passent.
    Saurait-il même gérer une crise importante diplomatiquement ou militairement; qui promet des dispositifs pour y pallier un jour ?

    Et nos candidats ne visent que la « justice », fiscale et sociale (salaire mini), égalitaire avant tout. La France est forcément la victime des autres, ben voyons !.

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