Mobilier national : PRIVILÈGES et MÉDIOCRITÉ en décor Louis XVI

Dans son rapport 2019, la Cour des comptes n’est pas tendre pour le Mobilier national. Direction et syndicats s’offusquent bruyamment… On comprend pourquoi : sous le lustre des tapis et des fauteuils Grand Siècle se cachent abus et privilèges des agents et accomplissement médiocre des missions.

C’est officiel, les magistrats de la Cour des comptes n’ont pas plus de cœur que de sensibilité artistique ! Avec leur immonde politique de la calculette et leur mesquinerie maladive pour des broutilles, ils vont finir par assassiner la création et les métiers d’art dans lesquels la France impose son excellence au monde entier depuis des siècles. Qu’on se le dise, faire des tapisseries « n’est pas rentable mais nécessaire » et s’attaquer à des professionnels aussi passionnés que ceux du Mobilier national et ses manufactures est une atteinte scandaleuse à l’esprit du beau !

Je me moque, bien sûr, mais comment s’en empêcher lorsqu’on voit la bronca que le rapport annuel publié ce mois-ci par la Cour des comptes a provoquée dans les rangs des 358 salariés du Mobilier national et des manufactures nationales des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie (MNGBS) ?

Il est vrai que le rapport (complet, synthèse) commence fort : « Une institution à bout de souffle » estime la Cour dès le titre de son chapitre consacré à cette vénérable institution dépendant du Ministère de la Culture.

Outrés, choqués et chagrinés, la direction du Mobilier national et les syndicats maison – CGT et CFDT – sont immédiatement montés au créneau sur le mode « Apprenez, Mesdames et Messieurs, qu’ici on fait de l’ÂÂRT ! » Sous-entendu : vous n’allez quand même pas avoir le culot de nous demander des comptes, à nous qui sommes le témoignage vivant de l’exception culturelle française !

Ecartant d’un revers de main les critiques sur l’organisation, le temps de travail et l’absentéisme, au motif qu’il s’agirait de faits isolés, voire inexacts, montés en épingle par la Cour des comptes dans l’unique but de remettre en cause le MNGBS, ils préfèrent mettre en avant l’exceptionnelle collection de meubles, tapis et tapisseries laissés à sa garde, le savoir-faire inégalé des artisans d’art qui œuvrent amoureusement à les entretenir, le talent des créateurs qui dessinent et produisent de nouvelles pièces originales ainsi que la dévotion de tout le personnel à un métier qui est devenu une passion (vidéo, 01′ 30″) :

Crainte suprême de Cérile Faucheux, le chef de l’atelier menuiserie que l’on voit s’exprimer dans la vidéo :

« Le contribuable va se poser des questions. »

Intéressante perspective qui nous confirme si besoin était que lorsqu’il s’agit du service public, le contribuable est prié de se laisser plumer sans crier.

Mais vu la façon dont les rapports de la Cour des comptes s’empilent dans les placards poussiéreux de la République, on peut s’aventurer sans risque à rassurer M. Faucheux : ce n’est certainement pas demain la veille que lui et ses collègues seront odieusement contraints de travailler comme on l’entend généralement dans le secteur privé.

Il est cependant significatif de constater une fois de plus que le fait d’être un service public, entièrement dédié à l’art de surcroît, auréolerait les missions dudit service d’une forme de vérité religieuse transcendantale qu’il serait particulièrement hérétique de vouloir mettre en doute.

Pas de chance pour M. Faucheux et consorts, la Cour des comptes a justement pour mission de « s’assurer du bon emploi de l’argent public et en informer le citoyen ».

Difficile pour elle de s’exonérer de quelques chiffres et statistiques, même si peu de personnes les liront et encore moins auront l’audace d’en tirer les conclusions qui s’imposent. Pourtant, en ce qui concerne le Mobilier national, ses observations sont accablantes.

Les sages de la rue Cambon ne nient pas « la richesse du patrimoine dont [le Mobilier national] a la garde et la qualité de ses savoir-faire dans les métiers d’art », mais ils observent que l’organisation actuelle « en vase clos » favorise l’immobilisme. Les agents en poste veillent scrupuleusement à maintenir leurs conditions de travail avantageuses comparativement à ce qui existe par ailleurs. Il en résulte un faible taux de rotation des personnels qui ne permet pas de recruter les profils originaux dont l’institution aurait besoin.

La gestion des ressources humaines est non seulement « sclérosée » mais elle est aussi des plus laxistes. On apprend par exemple que les agents du Mobilier national travaillent en moyenne 30 heures par semaine. « Le nombre de jours réellement travaillés sur une année est quant à lui encore plus faible », ajoute la Cour des comptes, allant de 120 à 176 jours suivant les ateliers. A titre de comparaison, un salarié lambda aux 35 heures travaille 228 jours par an.

La première raison en est l’absentéisme, plus de 22 jours par an en moyenne. Mais on a beau être dans ce paradis du travail qu’est la fonction publique, tous les salariés ne sont pas égaux, loin de là ! Concernant spécialement les maladies ordinaires, la Cour relève que, curieusement, les salariés protégés semblent pâtir d’une santé extrêmement délicate :

« Entre 2013 et 2017, le nombre des jours de congés pour maladie ordinaire par agent a été de 12,9, mais celui des 11 représentants titulaires du personnel au comité technique et au CHSCT s’élevait à 23,1 (+80%) et celui des 9 représentants du syndicat majoritaire à 26,2 (+100%), sans que ni leur âge moyen, ni leur sexe ne permettent de l’expliquer. »

Bizarre, bizarre, non ? On commence à comprendre pourquoi ça râle ferme à l’ombre des tapisseries et pourquoi les syndicats se sont précipités pour qualifier le travail de la Cour des comptes « d’accusations fausses ». Mais continuons.

Il n’est même pas certain que le temps de travail effectué au profit du Mobilier national se monte à 30 heures hebdomadaires, car les horaires ne sont pas vérifiés et les agents bénéficient du système de la « perruque » : ils ont la possibilité d’utiliser les ateliers et toutes leurs ressources pendant les horaires de travail pour y réaliser des travaux personnels.

Ajoutons que les salaires sont complétés par des dotations « habillement » vagues et incontrôlées et parfois par des logements « occupés à des conditions particulièrement favorables », et on en déduit assez logiquement que le MNGBS brille par sa faible productivité et un médiocre accomplissement de ses missions.

Du côté de la préservation du patrimoine, j’avais déjà eu l’occasion de signaler que le plus grand désordre semble régner dans les greniers et les inventaires de l’État à tel point que les « disparitions » du mobilier national se comptent par milliers, quand il ne s’agit pas de vols purs et simples au profit de fonctionnaires indélicats, notamment dans les préfecture et les ministères…

La Cour des comptes pointe également les mauvaises conditions de conservation des collections, tant en matière de sécurité que d’entretien, ainsi que les coûts exorbitants du Mobilier national pour la création et la restauration des objets. Il en résulte que les demandes en ameublement des ministères, ambassades etc. tendent à s’orienter ailleurs, rendant certaines missions effectuées au sein du MNGBS parfaitement inutiles. Le tout pour un budget soutiré aux contribuables de 25 millions d’euros dont 19 dévolus aux rémunérations et autres avantages.

Ce n’est pas la première fois que la Cour des comptes déterre les monstrueux gaspillages et les scandaleux abus qui sont commis à l’ombre de l’intouchable service public. Les horaires de travail très légers des fonctionnaires territoriaux sont connus, les subventions à rallonges de la Manufacture de Sèvres ou la monumentale dérive financière du Grand Paris Express également – et ce ne sont que quelques exemples dans un océan de grand n’importe quoi.

Avec le Mobilier national, le pillage tranquille des fonds publics prend un nouveau tour : d’une certaine façon, les employés se sont purement et simplement approprié l’établissement public qui les emploie.

Suite à son constat franchement désolant, la Cour des comptes préconise quelques réformes consistant à remobiliser les équipes et rationaliser le fonctionnement, quitte à s’adresser systématiquement au secteur privé lorsqu’il est moins cher. Mais le système de la « perruque » – à proscrire, selon la Cour des comptes – suggère une bien meilleure idée :

Puisque les agents du Mobilier national effectuent des travaux pour leur propre compte, on en déduit qu’il existe un marché privé de la restauration et de la création de meubles et tapis de haute qualité. Prenons-les à leur propre jeu en restituant l’ensemble des activités protégées du MNGBS au secteur privé. On pourrait très bien imaginer qu’Elysée, ministères et ambassades se fournissent auprès de fabricants privés mis en concurrence et ainsi toujours poussés à améliorer l’attractivité de leurs produits sur le plan du design comme sur celui de la fabrication.

Quant au patrimoine, hormis la conservation des éléments les plus exceptionnels, ceux qui ont une valeur artistique et historique insurpassable, les autres pièces pourraient être vendues aux enchères afin de rejoindre les collections privées d’amateurs d’art éclairés qui seront attentifs à leur entretien et leur sécurité.

Fondamentalement, l’État n’a pas vocation à être créateur d’art. Il n’a même pas vocation à s’occuper du patrimoine puisqu’il se montre à ce point incapable de le faire correctement tant en matière de coût que de service rendu. Quant au contribuable, il n’a pas vocation à financer les petits privilèges et la grande médiocrité qui prolifèrent sous les tapis et les fauteuils Louis XVI du Mobilier national.


Illustration de couverture : Fauteuils du Mobilier national. Photo © Mobilier national.

10 réflexions sur “Mobilier national : PRIVILÈGES et MÉDIOCRITÉ en décor Louis XVI

  1. Un scandale de plus à mettre sur le compte de certains « fonctionnaires ».
    Il est fort probable que dans un contexte (privé et non sclérosé), ils se révèleraient en majorité parfaitement créatifs et efficaces, et peut-être même seraient encore mieux rémunérés, sans « représentants syndicaux » !

  2. Si toi vouloir me chercher des noises moi tout casser: tables, chaises et brûler les tapisseries.
    Signé la Confédération Générale du Terrorisme (d’état), objet social : prises d’otages & séquestrations, chantages et menaces diverses, racket.

  3. Un excellent article. Bien que vous n’en n’ayez pas le titre vous êtes une bien meilleure journaliste que beaucoup. Je ne comprends pas pourquoi ce genre d’abus est toléré, non seulement là mais presque partout dans la fonction publique, et particulièrement dans la territoriale. Qui se souvient du livre hallucinant de Zoé Sheppard : Absolument dé-bor-dée ! ou le paradoxe du fonctionnaire – Comment faire les 35 heures en… un mois ! https://www.amazon.fr/dp/2226206027/ref=cm_sw_r_cp_apa_i_QBOzCbSNH6FW4

  4. Merci pour votre article.

    Un autre dossier du même genre hérité de l’ancien régime et que notre République n’a su ni gérer ni céder au privé, c’est l’ONF :
    https://www.capital.fr/economie-politique/pourquoi-loffice-national-des-forets-est-au-bord-de-la-faillite-1324279?fbclid=IwAR1KA1-DPodjcYMufVJvw57ZK_GQXfP04O3m0oNrR_PPmE7VQt6QsOlSKM0
    http://www.ifrap.org/etat-et-collectivites/office-national-des-forets-la-situation-est-grave
    Explosif ! Et la lâcheté est de mise et nous continueront à payer…

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  6. L’expression « en vase clos » est intéressante car, dans le domaine culturel, on peut la reprendre dans bien d’autres cas où l’argent du contribuable sert à financer une activité particulière plus ou moins obscure pour l’homme de la rue-contribuable, ce dernier étant considéré par ailleurs comme inculte et méprisable par nombre de cultureux. L’argent du contribuable est utilisé en circuit fermé, entre soi, aux bénéfices des seuls « insiders » directement concernés et intéressés par cet argent. Le contribuable est ici sollicité uniquement pour payer mais surtout pas pour la ramener et demander ce qu’on fait précisément de son argent (il n’y comprendrait rien, le pauvre !). En France, c’est ainsi une réalité rarement dénoncée dans le théâtre dit public, dans l’art (plastique, visuel) dit contemporain, dans la danse dite contemporaine, dans la musique dite contemporaine, etc.

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