Réforme libérale : c’est possible ! (L’exemple édifiant des Pays-Bas)

Cet article est la mise en forme du petit speech que j’ai fait jeudi dernier à l’occasion du « verre du 10 janvier » auquel j’avais convié les lecteurs de ce blog (voir en fin d’article).

Chaque jour qui passe donne un peu plus l’impression que la France s’enfonce systématiquement dans les mauvaises décisions pour obtenir cette prospérité et cette « justice sociale » qui lui échappent malgré des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires toujours plus élevés. D’article en article, mon blog et d’autres en témoignent.

Mais aujourd’hui, au risque de sortir cette froide calculette qui horrifie tant Marlène Schiappa, j’aimerais vous dire que la réforme libérale, « yes, we can ! » D’autres l’ont fait, et non seulement ils n’en sont pas morts, mais ils s’en portent beaucoup mieux !

Les exemples des grandes transformations libérales menées dans les années 1980 sont connus. J’ai eu l’occasion d’évoquer la Nouvelle-Zélande à propos de la fin des aides à son agriculture mais c’est l’ensemble du pays qui, de « protégé » de toutes parts et au bord de la faillite qu’il était, a été plongé avec succès dans une liberté économique retrouvée.

Quant au Royaume-Uni, dans les années 1970, c’était vraiment « l’homme malade de l’Europe ». Vivant depuis 1945 avec l’idée keynésienne que c’est la dépense publique qui permet de fournir des emplois à tout le monde, allant de nationalisations en nationalisations et de grèves en grèves décrétées par des syndicats tout puissants, il s’est retrouvé en véritable situation de faillite que seul un prêt du FMI de 4 milliards de dollars en 1976 – plus grand emprunt jamais consenti par le FMI à l’époque – lui permit d’adoucir.

Mais ce sont les « brutales » réformes « ultra-libérales » engagées par Margaret Thatcher à partir de 1979 qui l’ont véritablement sauvé. J’ai raconté cet épisode de l’histoire britannique dans l’article « Essayons de parler de Margaret Thatcher sans nous fâcher » que je vous invite à lire (et partager).

Observons qu’au moment précis où le changement arrivait chez nous sous la forme du programme commun de la gauche, d’autres pays faisaient des choix inverses, parfois sous la houlette de leaders de gauche (Nouvelle-Zélande) et que, curieusement, ils se retrouvent dotés aujourd’hui d’une agilité économique et sociale inconnue chez nous.

On pourrait arguer que l’éloignement temporel et/ou géographique de ces exemples les rend inaptes à servir de repère pour la France de 2019 – les Français, trop convaincus que la France est une divine exception en ce monde, sont toujours très habiles pour trouver mille bonnes raisons de ne surtout pas s’engager dans la voie de la réforme libérale.

Mais qu’à cela ne tienne car des exemples plus récents et tout aussi révélateurs existent : les lois Hartz sur le travail en Allemagne au début des années 2000, ou encore la véritable résurrection de l’Irlande après la crise de 2008 (j’ai un article de 2015 là-dessus). Et, point où je voulais en venir, les réformes mises en oeuvre aux Pays-Bas pour enrayer la récession consécutive à crise de 2008. J’ai été amenée à faire quelques recherches sur le sujet suite à des informations très intéressantes reçues d’un lecteur néerlandais que je remercie.

Le pays avait entamé un processus de réforme dès les années 1990, mais c’est en 2010 avec l’arrivée au pouvoir de Mark Rutte (centre-droit libéral, en coalition(1), photo ci-contre) que les choses se mettent à bouger en profondeur. Il a été réélu en 2012 (élections anticipées) puis en 2017.

À quoi tiennent les différences avec la France ?

· Le marché de l’emploi est beaucoup plus flexible qu’en France. Notamment, les employeurs peuvent licencier librement pendant 2 ans après l’embauche tandis que les salariés ont plus d’incitation à reprendre un emploi rapidement. Avec 3,7 % de chômage, le pays est au plein-emploi et connaît même des tensions telles que la précarité est du côté des employeurs.

· Les systèmes d’assurances sociale et médicale ont basculé de l’assistance à la responsabilité individuelle : le « Participation Act » de 2015 a entériné l’idée que chaque individu doit participer à la société et se prendre en charge lui-même et que l’Etat n’intervient qu’en dernier recours.

· Le système de retraite, considéré comme le meilleur d’Europe, intègre une part de capitalisation et l’âge légal de départ en retraite a été repoussé de 65 à 67 ans.

· L’enseignement n’est pas géré en monopole d’Etat. 75 % des élèves sont scolarisés dans des écoles privées qui ont la maîtrise total du recrutement de leurs professeurs et de leurs choix pédagogiques. L’objectif n’est pas de faire parvenir 80 % d’une génération au bac, mais de repérer les talents et d’orienter les élèves dans les filières où ils se montreront performants.

· Les dépenses publiques ont été considérablement réduites (de plus de 48 % en 2010 à 43 % en 2017), non seulement les dépenses sociales (22 % du PIB contre 32 % en France) mais l’ensemble du train de vie de l’Etat. Mon correspondant me signalait que le budget des affaires étrangères, ministère auquel il appartenait, avait été baissé de 25 % et qu’une dizaine d’ambassades avaient été fermées.

· La fiscalité a également été allégée, notamment pour les entreprises, et cela s’est vu rapidement sur l’emploi et le pouvoir d’achat.

Suite à quoi le déficit public de plus de 5 % du PIB en 2009 est passé à un excédent de 1,1 % en 2017 et la dette a reflué de plus de 62 % du PIB à 55 % aujourd’hui (2018). Après avoir atteint un pic de presque 8 % en 2013, le taux de chômage est revenu à son niveau d’avant crise (3,7 %).

Ce que nous Français appelons avec dédain « austérité » est perçu aux Pays-Bas comme un investissement pour l’avenir et la plupart des problèmes que doit affronter le pays sont analysés avec pragmatisme plutôt qu’à travers le filtre des idéologies.

L’innovation est le maître-mot du développement économique, non sans résultat concret puisque les Pays-Bas ont été classés au second rang du Global Innovation Index 2018 (France : rang 16).

Quant au système éducatif néerlandais, en dépit du fait qu’il est très libre et très concurrentiel (point de vue étatiste français), ou plutôt parce qu’il est libre et concurrentiel (point de vue libéral), il obtient systématiquement des scores bien meilleurs que la France dans les classements internationaux PISA, TIMSS et PIRLS (voir à ce sujet mon article « Et la dette scolaire ? »)

On m’objecte souvent que si les dépenses publiques de la France sont si élevées, c’est aussi parce qu’elles incluent un effort de défense nationale bien supérieur à celui des autres pays européens. Mais cet argument ne tient pas. Le budget de la défense(2) des Pays-Bas représente 1,2 % de son PIB contre 1,8 % chez nous (avec l’objectif de monter à 2 % à la fin du quinquennat). Ces petits 0,6 % de différence sont donc tout à fait anecdotiques dans l’écart de 14 % entre nos dépenses et les leurs.

Résultat et conclusion : voici quelques chiffres édifiants du match France Pays-Bas !

France Pays-Bas
Nombre d’habitants (millions, 2017) 67 17
PIB (milliards d’€, 2017) 2 287 733
Croissance (2017) 2,2 % 2,9 %
Dépenses publiques (% PIB, 2016) 57,0 % 43,0 %
Prélèvements obligatoires (% PIB, 2017) 48,4 % 39,2 %
Solde public (% PIB, 2017) -2,7 % 1,1 %
Dette (% PIB, 2017) 98,5 % 56,2 %
Taux de chômage (sept 2018) 9,3% 3,7%
Taux de chômage des jeunes (sept 2018) 20,4 % 7,5 %
Budget de la défense (% PIB, 2016) 1,8 % 1,2 %
Rang liberté économique (Heritage 2018) 71 17
Rang liberté humaine (Cato Institute 2018) 32 6
Rang liberté de la presse (RSF 2018) 33 3

Sources Eurostat : PIB, solde, detteDéfenseChômageChômage JeunesPrélèvements obligatoires – OCDE : Dépenses publiques – HeritageCato InstituteRSFIREF.

Pourquoi ce qui a été possible en de nombreux points du globe ne serait-il pas acceptable ou envisageable chez nous ? Sommes-nous si fiers de nos accomplissements, si certains de la valeur de notre modèle social pour refuser de voir que nous sommes partout à la traîne au point de glisser lentement mais sûrement vers le décrochage des pays développés ? Faudra-t-il attendre que la faillite arrive ou que la colère atteigne un point de non retour pour réagir enfin – et rendre la transformation encore plus douloureuse qu’elle ne le serait aujourd’hui ?


Le « verre du 10 janvier » auquel j’avais convié mes lecteurs a donc eu lieu ! Nous étions plus de 40, sans doute un peu serrés dans une petite salle du café des Editeurs (Paris), mais l’ambiance fut chaleureuse et animée grâce à quelques bouteilles de Chardonnay. Chers participants, c’est avec mon coeur, et pas ma calculette, que je vous remercie d’avoir répondu si nombreux et si sympathiquement à mon invitation !


(1) Au départ en 2010, Mark Rutte forme un gouvernement de coalition minoritaire avec les démocrates chrétiens, soutenu par le parti anti-immigration de Geert Wilders. Mais en 2012, ces derniers ayant refusé de voter le budget, Rutte doit convoquer des élections anticipées qu’il gagne de peu devant les travaillistes. Il forme alors un gouvernement de coalition avec ces derniers. Lors des élections de 2017, nouvelle victoire de son parti. Cette fois-ci, la coalition se fait avec les démocrates chrétiens. → À partir du moment où la feuille de route est claire, la vie politique semble beaucoup plus consensuelle aux Pays-Bas qu’en France.

(2) Dans l’Union européenne, le premier budget de défense nationale par rapport au PIB est celui de l’Estonie (2,4 %, on pense Russie), suivi de la Grèce (2,1 %, on pense Turquie) et du Royaume-Uni (2 %). Avec 1,8 %, la France arrive en 4ème position.


Illustration de couverture : Tulipes et moulin aux Pays-Bas.

9 réflexions sur “Réforme libérale : c’est possible ! (L’exemple édifiant des Pays-Bas)

  1. Ce n’est pas avec l’oligarchie qui – j’allais dire dirige la France – est au pouvoir que nous allons engager des réformes pour l’intérêt général des Français et de notre république.
    Il nous faut changer de système puis d’équipe pour redresser le pays.

  2. Un des marqueurs d’une société périclitante est la disparition de la classe moyenne, symptomatique d’une déliquescence socio-économique.

    Certains privilégiés sont aspirés vers le haut par occasions opportunes, investissements heureux (l’argent attire l’argent, dit-on) et ceux qui ne sont rien (sic), cette plèbe tant négligée, ceux qui se lèvent tôt pour un salaire souvent dérisoire, plongent dans la précarité et l’indigence, aidés en cela par les zélateurs de la fiscalité totalitaire.

    Nous sommes rongés par un socialisme latent et persistant, instillé dans les esprits par cette nécessité de le parer de toutes les vertus au point que le modèle de réforme libérale évoqué par Nathalie est inenvisageable en France actuellement.
    La gauche française n’ose pas vraiment mener une politique de gauche selon ses critères (fort heureusement d’ailleurs) car frileuse à l’idée de déplaire à une aile prétendue plus libérale. La droite n’ose pas mener la politique de droite qui nous est désormais vitale de peur d’être rangée parmi les populistes et l’extrême-droite.
    Nous sommes dans une tyrannie de la posture et de l’idéologiquement correct.

    Preuve en est, la droite française est figée dans un attentisme et une inertie funestes malgré les opportunités et le devoir qu’elle a de proposer les alternatives probantes et les solutions envisagées qui existent.
    Notre démocratie brandie opportunément par tous les intrigants appointés s’écrit désormais avec deux S et est foulée aux pieds par ces mêmes.

    Cette caste dominante doit faire amende honorable et envisager éventuellement de faire fonctionner réellement notre démocratie car selon moi, les GJ n’ont pas quitté la rue.
    La taxe carburant n’était que le catalyseur de ce mécontentement chronique.

    La réforme est nécessaire et indispensable. J’en ai assez de me dire que la différence entre le fascisme et la démocratie qui nous est vendue ainsi est la même qu’entre « Ferme ta gu….. » et « Cause toujours… »

    Mr Macron, qui n’a de cesse de vouloir se distinguer, souhaitait commémorer mai 68. Il est servi.
    Quant à traverser la rue, l’avenir nous dira en quelle occasion cela se fera.

  3. C’est surtout que les Pays-Bas attirent les entreprises étrangères par leur fiscalité sur les sociétés ou les groupes et la liberté économique comme vous l’indiquez.
    Il est intéressant d’examiner le PIB/habitant qui a toujours été extrêmement fort aux Pays-bas :
    http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/tend/NLD/fr/NY.GDP.PCAP.PP.CD.html
    Ce qui l’autorise à garder un niveau de dépenses publiques importantes mais c’est bien le PIB qui fait la différence par rapport à nous (voir corrélation PIB et dépenses) :
    https://entrepreneurs-pour-la-france.org/Les-impasses/La-fuite-sociale/article/Quelques-elements-de-reflexion-a-soumettre-aux-gilets-jaunes-sur-l-Economie-de-leur-pays?fbclid=IwAR0u8FywP7zH86X9VmgOoi6LQyHkRNKjz9JZ2hj72By-w5xExnLjAjndSRQ

  4. Excellent travail, voilà une monographie qui me manquait. J’ai souvent l’occasion de comparer la mentalité entrepreneuriale des différents pays au travers d’achats en ligne. Les Pays-Bas se distinguent régulièrement par la qualité de leurs prestations. Si vous avez besoin d’un truc et qu’il existe un vendeur hollandais, foncez !

    Angleterre : avant les réformes « ultra-libérales » de celle que certains appellent encore « la sorcière Thatcher », on comptait, parmi les entreprises d’Etat, une agence de voyages et une entreprise de déménagement. Comment peut-on déménager sans fonctionnaires, je vous le demande ? C’est à cette époque que les (richissimes) Rolling Stones se sont constitués réfugiés fiscaux… en France. Depuis, le vent a tourné, des deux côtés de la Manche.

  5. Suggestion : dans le cadre de la nécessaire Propagandastaffel libérale, je propose de bannir l’expression si courante « train de vie de l’Etat ». En effet, la réduction de ce fameux « train de vie », si souvent réclamé par d’innombrables socialistes (dont ceux à gilet jaune), porte, dans l’esprit de ces derniers, sur le nombre de feuilles d’or plaquant les carosses utilisés par les ministres et autres zélits ; jamais sur le nombre de professeurs-fonctionnaires, d’infirmières-fonctionnaires, d’artistes-fonctionnaires ou de fonctionnaires-fonctionnaires.

    Ni sur le montant des allocations sociales (à l’exception de celles servies aux immigrés), et pas davantage sur les subventions servies à l’association de développement du biniou breton dans le Cantal (en revanche, les subventions fournies à lémédias seront assidûment dénoncées).

    Ce n’est pas le train de vie de l’Etat qu’il faut réduire ; ce sont de gros morceaux de l’Etat lui-même qu’il nous faut amputer.

  6. « rendre la transformation encore plus douloureuse qu’elle ne le serait aujourd’hui ? »
    Je dois avouer que je ne comprend pas cet élément de language utilisé par nos politiques (en particulier Fillon à l’époque) qui consiste à nous expliquer que les réformes seront douloureuses. L’objectif est bien de faire en sorte que cela aille mieux et non pas l’inverse, donc pas de raison que cela soit douloureux. Ce sera surtout douloureux pour ceux qui vivent doucettement au croché de la république, mais e.g. pour un enseignant payé au lance-pierre, tous ceux qui travaillent et malgré tout raquent les fonds de tiroirs en fin de mois, ou ceux exclus de l’emploi par des lois impossibles, cela devrait aller mieux. Les seuls pour lesquelles cela pourrait empirer, seraient ce qui approchent de la retraite car il faudra bien qu’on passe à la retraite à`65 voir 67 un jour ou l’autre. Mais bon en réalité, ds ma famille tout le monde est parti en retraite à 65.
    A part ca, je ne vois pas ce qui pourrait être plus douloureux qu’aujourd’hui.
    Une diminution de la dépense sera surtout douloureuse pour les profiteurs, qui sont heureusement encore en minorité, pas ceux qui ne profitent pas et ne s’en sortent pas.
    Merci pour l’article, très instructif.

    • Il me semble au contraire que les politiciens pèchent par démagogie sur ce point, en laissant penser aux Français qu’il suffit d’appuyer sur le bon bouton pour que tout aille mieux. Même si l’on fait les bonnes (et profondes) réformes libérales, les effets positifs ne seront pas immédiats, et il y aura des effets négatifs à court terme.

      Ce fut le cas sous Thatcher. De mémoire, ça a pris trois ans. Si vous supprimez des postes de fonctionnaires, ben… ça sera légèrement gênant pour les titulaires des postes en question. Si vous supprimez des subventions aux « assoces », ben… un certain nombre d’entre elles vont devoir fermer, purement et simplement. Si vous facilitez le licenciement, dans un premier temps, il y aura plus de licenciements. Si vous créez le chèque scolaire, un certain nombre de bons profs du public pourront se faire embaucher pour plus cher dans le privé, mais les mauvais perdront leur emploi. Etc.

      C’est pourquoi il est indispensable de prévenir les gens à l’avance, et de prévoir des mesures palliatives temporaires là où c’est nécessaire (c’est à dire pas partout). Si vous dites à des fonctionnaires : bonsoir, c’est fini, vous ne pouvez pas simplement les mettre sur le trottoir. Il faut les accompagner. Si vous supprimez les subventions à l’association pour l’art contemporain sur les ronds-points, eh bien… que les artistes contemporains se débrouillent pour trouver un vrai travail.

      En fait, c’est l’une de mes grandes craintes. Je pense que les gens sont absolument persuadés que toute « réforme » doit produire des effets immédiats. Le libéralisme n’a déjà pas bonne presse, mais si on laisse croire que ça marche comme dans un jeu vidéo (j’appuie, ça fait boum !), les Français risquent d’être dégoûtés de toute réelle réforme libérale pour toujours.

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