Taxe d’habitation et cafouillage : Bruno Le Maire is back in town !

Heureusement qu’Emmanuel Macron nous assure qu’il garde le cap. Et heureusement que les ministres les plus éminents prennent toujours la précaution oratoire de glisser « baisse des dépenses publiques et des impôts » dans leurs discours. Car à les écouter dire puis se dédire et se contredire à peu près tous les jours, on pourrait presque croire que le gouvernement navigue à vue et tente de se raccrocher hypocritement à la demande de « justice sociale » des Gilets jaunes pour trouver chez « les riches » les recettes fiscales nécessaires à ses nouvelles dépenses…

A ce jeu de la mauvaise foi débitée sur un ton d’enfant de choeur, Bruno Le Maire est indiscutablement le plus fort, ainsi qu’il nous l’a amplement prouvé depuis que, de jeune messie prétendument « libéral » des Républicains (sans succès, il faut le dire), il s’est reconverti pratiquement du jour au lendemain en pilier incarné du « en même temps » macronien.

On peut compter sur lui pour répéter en boucle et la main sur le coeur partout où il passe que l’Etat au sens large doit baisser les impôts des Français et donc baisser ses dépenses car il en va de la prospérité du pays :

« Il faut maintenant accélérer la baisse des impôts. Mais pour cela, il faut accélérer la baisse des dépenses publiques. (…) C’est la condition du redressement de la France et c’est la condition pour la prospérité de tous les Français. » (Twitter, 3 déc 2018)

« Il n’y aura pas de baisse durable des impôts et des taxes sans réduction des dépenses publiques. » (Twitter, 17 déc 2018)

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Mais une fois ces quelques mots concédés pour la forme aux vertus d’une cure d’amaigrissement de notre Etat obèse pour faire redémarrer l’activité et voir en conséquence l’emploi repartir et le pouvoir d’achat augmenter, tout est immédiatement oublié. Ne reste plus que la lancinante question de savoir comment boucler les comptes publics sans s’éloigner trop des fameux 3 % de déficit que l’Union européenne nous impose théoriquement de respecter.

En début de mandat, la suppression de l’ISF voulue par Emmanuel Macron, pour partielle et symbolique qu’elle était, semblait témoigner d’un état d’esprit gouvernemental tourné vers la production de richesse et la responsabilisation des citoyens plutôt que vers la redistribution d’une richesse de moins en moins dynamique.

Mais cette orientation politique qui pourrait incontestablement nous être favorable – et dont de nombreux pays se sont inspirés avec succès ainsi que j’aurai prochainement l’occasion de le montrer avec l’exemple des Pays-Bas (MàJ du 13 jan 2019 : ici) – a été immédiatement étouffée par les nécessités dirigistes du « en même temps ».

Les politiques publiques avides de moyens telles que transition écologique, plan banlieues, Pass culture, égalité hommes femmes, fonds pour l’innovation, etc. se sont empilées à vive allure tandis que les emplois publics tardent à diminuer malgré toutes les promesses en ce sens. Les ambitions sur ce sujet sont d’ailleurs très faibles : étaient prévues 1 600 suppressions de postes pour 2018 et 4 164 pour 2019. Comparés à nos 5,66 millions de fonctionnaires, ces chiffres sont ridicules.

Ces dernières années, la construction des budgets français a toujours été un exercice de haute voltige dans lequel les « insincérités » et les manoeuvres comptables visant à repousser les dépenses et avancer les recettes ont beaucoup contribué à leur donner une apparence acceptable. Les projets de loi de finances pour 2018 et 2019 n’ont certes pas fait exception à la règle, mais les mesures prises en décembre dernier pour amadouer les Gilets jaunes, mélanges d’annulation d’impôts et de dépenses supplémentaires, ont accentué les déséquilibres pour un montant de 14 milliards d’euros.

C’est pourquoi, après avoir consciencieusement débité une nouvelle fois sa tirade sur la baisse des dépenses et des impôts, Bruno Le Maire n’a pas tardé à en venir au fait : et si l’on maintenait la taxe d’habitation (TH) pour les foyers les plus aisés ?

Au printemps, cette taxe avait déjà donné lieu à pas mal de cafouillages. Lors de sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron s’était engagé à la supprimer pour 80 % des foyers les plus modestes. Afin d’éviter que le Conseil constitutionnel n’y décèle éventuellement une rupture de l’égalité des citoyens devant l’impôt, le gouvernement a ensuite décidé d’étendre la suppression à tous le foyers fiscaux, avec pour conséquence de faire passer la baisse de recettes fiscales induite de 10 milliards à 18 milliards d’euros.

Malgré diverses incantations du gouvernement incluant les termes « économies », « refonte de la fiscalité locale », « choc de simplification » et « Action publique 2022 » afin de donner un peu de crédibilité à la promesse présidentielle qu’il « n’y aura aucune augmentation de la fiscalité », l’idée de l’instauration d’une surtaxe à la taxe foncière des résidences secondaires a rapidement fait son chemin.

Aujourd’hui que la situation est pire à tous points de vue, il est évidemment tentant de revenir sur cette exonération de la TH pour les foyers les plus riches. Tentant pour les recettes fiscales, naturellement, mais si Bruno Le Maire met ce nouveau revirement, pardon, cette proposition sur la table, c’est avant tout parce qu’il a la « justice sociale » chevillée au corps ! Et ça tombe drôlement bien, figurez-vous, parce que que les Français sont justement en grande demande de justice.

Mais n’attendez pas de Bruno Le Maire qu’il dise les choses clairement ou simplement (vidéo, 01′ 27″) :

Il est donc important « d’aller au bout » de la suppression de la TH à laquelle le gouvernement s’est engagé, mais il est également important de demander aux Français ce qu’ils en pensent pour les ménages les plus aisés. Question du journaliste, histoire de bien préciser les choses : donc vous n’êtes pas fermé au maintien de la taxe d’habitation pour les 20 % les plus aisés ? Ce à quoi le ministre « semble », je dis bien « semble », avoir répondu que non. Par souci d’écoute des Français, naturellement.

Tout ceci se passait donc dimanche 6 janvier dernier. Dès le lundi 7 sur RTL (à 11′ 24″), le ministre du budget Gérald Darmanin venait apporter de l’eau au moulin de son collègue de Bercy en se montrant favorable au maintien de la taxe pour les ménages qui ont « de gros revenus et de grosses habitations ». Les très riches, quoi.

Quant au porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux, il indiquait que cette possibilité était sur la table si le grand débat national proposé aux Français par Emmanuel Macron dans le cadre de ses mesures pour sortir de la crise des Gilets jaunes faisait ressortir une telle demande.

Et le mardi 8 janvier, surprise ! Si le gouvernement continue à indiquer que sa décision dépendra des conclusions du grand débat national, Bruno Le Maire clame partout qu’on l’a mal compris alors qu’il avait été on ne peut plus clair :

« J’ai redit dimanche qu’il fallait aller au bout de la suppression de la taxe d’habitation. Aller au bout de la suppression de la taxe d’habitation, cela veut dire aller au bout de la suppression de la taxe d’habitation. »

Mais ses conseillers admettent comme Darmanin « qu’on pourra regarder comment on fait pour les plus riches » (soit nettement moins que 20 % des foyers fiscaux, le seuil de 80 % étant atteint à 2 500 € de revenu mensuel net pour un célibataire).

Notons au passage que le grand débat qui se voit donc élevé au rang de boussole pour guider l’action gouvernementale vers plus de « justice sociale » brille surtout par une succession de « péripéties » complètement déboussolées qui vont à n’en pas douter lui donner un fort crédit dans l’opinion.

Au bout du compte, il semblerait bien que le gouvernement réalise la performance d’avoir décidé de supprimer complètement la taxe d’habitation tout en disant qu’il attend les conclusions du grand débat tout en voulant la conserver pour les « très riches ».

Le « en même temps » s’est manifestement mué en grand n’importe quoi.

Il ressort de toutes ces contorsions que le gouvernement, aux abois plus que jamais, ne sait plus où trouver de l’argent sans avoir à remettre en cause ses propres décisions passées. Même l’ISF, que les déclarations récentes d’Emmanuel Macron semblaient avoir mis à l’abri de tout « détricotage », va faire l’objet d’une évaluation dont on devine qu’elle pourrait finalement tout changer.

Le bel alignement conceptuel de campagne qui consistait à libérer et protéger a volé en éclat, ne laissant plus qu’un pilotage à vue pathétique que le gouvernement tente de reconceptualiser au moyen du grand débat national et de l’instrumentalisation de la « justice sociale » demandée par les Gilets jaunes.

Là où la vraie réponse consisterait à alléger les charges et les réglementations qui entravent de plus en plus les forces productives afin de faire de la France un pays qui protège par l’emploi plutôt que par les allocations chômage, il sera aisé de faire en sorte que cette demande aboutisse à une « meilleure » répartition de l’effort fiscal, l’intérêt étant que si de l’impôt peut être récupéré par ce biais auprès des foyers les plus aisés, il sera moins nécessaire de faire montre du moindre « courage » pour baisser les dépenses publiques.


Illustration de couverture : Le ministre de l’économie Bruno Le Maire, « Le grand Rendez-Vous » d’Europe 1, CNews et Les Echos, le 6 janvier 2019. Capture d’écran.

11 réflexions sur “Taxe d’habitation et cafouillage : Bruno Le Maire is back in town !

  1. Stupeur et tremblements, c’est le titre de l’article que j’ai posté hier soir sur mon profil LinkedIn (Pierre Vuillaume) pour caractériser l’attitude du gouvernement dans la crise actuelle.

  2. Ce cafouillage nous permet tout de même d’apprendre qu’on fait partie des 20 % des Français les plus riches, dès lors qu’étant célibataire, on gagne plus de 2 500 € nets.

    Ce qui démontre une chose et une seule : le socialisme appauvrit les peuples qui le choisissent.

    A ce sujet, je vous remets une petite couche de Jean-Louis Caccomo. C’est son dernier billet :

    « La France est bloquée dans une situation étrange et malsaine : presque tout le monde semble faire le même constat d’immobilisme et de crispations qui paralysent à la fois la société et le pouvoir, entretenant un divorce croissant entre la société et ses élites ; mais personne ne veut assumer la responsabilité d’un véritable changement. […] »

    « La tentation est grande d’assimiler cette impuissance structurelle à une défaillance éventuelle du personnel politique qui serait corrigée par l’arrivée au pouvoir d’un homme fort et autoritaire. Terrible illusion et dangereuse tentation. »

    https://caccomo.blogspot.com/2019/01/la-confusion-des-genres.html

    A lire ce texte de près, je soupçonne qu’il s’agit d’une republication, et qu’il a été écrit il y a fort longtemps. Le drame est qu’à la première lecture, il semble avoir été rédigé hier soir. Pour commenter le mouvement des Gilets jaunes, l’appel au général de Villiers et tout ce que nous venons de connaître.

    Caccomo décrivait, déjà, l’immobilisme du pays au tournant des années 2000 (c’est ma supposition). Quinze ans plus tard, nous n’avons pas bougé. Mais les réserves d’argent gratuit des autres se sont amenuisées.

    On appréciera le propos lucide, simple et formidablement bien écrit de Caccomo. Ce sont des gens comme lui qui devraient être portés au pinacle, et pas un cadre de la fonction publique municipale dévoyé comme Christophe Dettinger, le « boxeur gitan », adulé par tant de Gilets jaunes pour avoir frappé, à coups de pied à la tête, un gendarme jeté à terre.

      • C’est pourtant la réalité. Ce sont les chiffres officiels. C’est l’une des choses que le mouvement des Gilets jaunes a révélées, pour ceux qui l’ignoraient : il est très difficile de bien gagner sa vie en France, et beaucoup de gens la gagnent très médiocrement, même s’ils ne sont pas des « pauvres » officiels.

        Une fois ce constat fait, ce qui compte, ce sont les conclusions qu’on en tire : veut-on plus de socialisme, c’est à dire exactement ce qui a provoqué les maux dont on se plaint ? Ou plus de libéralisme, ce qui est la seule voie de nature à les faire disparaître ? Les Gilets jaunes ont choisi la première voie, comme la totalité des mouvements de protestation de masse précédents.

  3. Les dépenses publiques ont toujours été pléthoriques lorsque le socialisme était au pouvoir, tant par électoralisme racoleur que par dogmatisme spéculatif sur la supériorité de l’idéologie gauchiste qui se doit d’être entretenue selon son rang, parée naturellement de toutes les vertus.

    Malgré la rhétorique éculée, dans un but d’apaisement, de Le Maire, aucun gouvernement socialiste digne de ce nom n’envisagera de réduire son train de vie dispendieux.

    Tant qu’aucun cacique, édile, élu, parlementaire, ministre, n’ira proposer de réduire les dépenses publiques ni de réduire charges salariales et patronales pour relancer une dynamique d’embauche, ces propos sonneront creux, tout autant que les mesures spécieuses dont on nous rebat les oreilles depuis trop longtemps.

    Subventions, contrats aidés, ARE et consorts ne font qu’entretenir la dette publique.

    Arrêtons avec l’ISF, arrêtons avec l’augmentation du pouvoir d’achat sans même s’enquérir de son financement.
    Augmenter le SMIC ne relancera jamais la consommation mais enrayera l’embauche.

    L’État n’a jamais généré de richesses, il en prélève et le socialisme en est un navrant exemple dans la démesure.

    Les richesses proviennent du privé, de l’investissement, de la production, du travail, du rendement. Lorsque j’entends certains « éclairés » prôner le passage à 32 h, j’enrage.

    « Le vice inhérent au capitalisme, c’est le partage inéquitable des biens ; la vertu inhérente au socialisme, c’est le partage équitable des maux… »

    Winston Churchill

  4. Pingback: Taxe d’habitation : le retour des acrobaties de Bruno Le Maire | Contrepoints

  5. Encore une attaque en règle contre les fonctionnaires !
    Croyez vous réellement qu’un État puisse se passer de ses fonctionnaires ? Si tel est le cas, ce monde va vite devenir anarchique !
    Et quand bien même 5 ou 6 millions de fonctionnaires seraient jetés dans le monde impitoyable des travailleurs, les vrais, ceux qui « utilisent et font vivre l’argent », pensez-vous vraiment qu’il y aura de la place pour tous ?
    Ce qu’il faut valoriser en France, c’est le travail et non pas la richesse ! Et le travail est aussi accompli par les fonctionnaires qui ne sont pas tous des ventrus obèses, pas davantage que les travailleurs du privé …

    • Ouais mais les fonctionnaires, ils sont loin de beaucoup travailler et de faire le temps de travail légal; l’oisiveté prévaut.
      Si les gouvernants étaient moins lâches et opéraient un revirement drastique pour réduire le domaine étatique, rien que la transition aurait de quoi occuper les fonctionnaires quelques années.
      Puisqu’ils sont là et qu’on peut pas les virer, y’a qu’à les faire bosser.

    • Hormis le régalien, il n’est pas de fonctionnaire légitime. Un pays comme la Suède, peu suspect de n’être pas socialiste, a privatisé toute sa fonction publique à part le régalien et a fait de substantielles économies.

  6. La suppression de la TH est d’une grande débilité jacobine.
    Politique car comme ça les élus des collectivités locales privés de ressources sont en guerre contre le gouvernement et trainent des pieds un maximum pour le grand débat.
    Centralisatrice de l’impôt et son uniformisation sur un territoire non-homogène pénalisent certains et en favorisent d’autres. Le principe d’une fiscalité localisée permettait à chaque territoire de faire jouer ses avantages compétitifs naturels ou historiques.
    Aux régions et aux communes de gérer le bien-être quotidien des citoyens, celui-ci pouvant être vécu et donc choisi librement localement.
    Rapprocher la fiscalité du citoyen renforce la représentativité des élus et redonne confiance aux citoyens en leurs représentants !
    Par les temps qui courent ce serait particulièrement opportun !

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