SOS patrimoine en détresse !

Le soleil brille sur la France en ce dimanche 16 septembre 2018, et comme chaque année à la même époque, son vaste patrimoine historique et artistique est à l’honneur pour le plus grand plaisir des 12 millions de visiteurs qui se pressent pour honorer ce rendez-vous culturel incontournable de la rentrée. Et pourtant, de désagréables nuages noirs s’amoncellent dangereusement sur les vieilles pierres et les vénérables objets de notre mémoire nationale : ils sont tellement nombreux qu’on ne sait plus comment les entretenir, et même le Palais de l’Elysée souffre d’un certain abandon ! SOS, notre patrimoine est en péril !

Conséquence d’une histoire riche et ancienne, la France compte à son patrimoine protégé plus de 44 000 bâtiments (dont 75 % sont des châteaux, des habitations remarquables et des églises), 290 000 objets tels que sculptures, tableaux et pièces de mobiliers et 2 400 parcs et jardins. On en déduit vite que les coûts d’entretien et de restauration sont extrêmement onéreux. On se demande même comment il est possible de conserver un patrimoine aussi étendu dans de bonnes conditions.

Le ministère de la Culture participe au financement à hauteur de 362 millions d’euros par an et il a promis un fonds supplémentaire de 15 millions d’euros pour les petites communes. Les communes possèdent en effet près de 47 % des monuments historiques tandis que les propriétaires privés en détiennent 43 %. Ces derniers reçoivent une aide publique sous forme de déduction fiscale – pour autant qu’une déduction fiscale, qui revient à moins ponctionner un revenu initialement gagné par le contribuable, puisse s’assimiler à une « aide publique ».

Mais à l’évidence, tout ceci ne suffit pas, et de loin. Stéphane Bern, qui a été mandaté par le Président de la République pour imaginer des solutions innovantes de sauvegarde du patrimoine, a identifié pas moins de 2 000 monuments « en péril » ! Le loto du patrimoine qu’il a lancé récemment devrait pouvoir rapporter entre 15 et 20 millions d’euros et sera consacré à 269 monuments prioritaires dont 18 dits emblématiques.

Une goutte d’eau, quand on pense par exemple que les seuls travaux du Fort-Cigogne (archipel des Glénan) sont estimés à 3,6 millions d’euros ; et quand on voit que l’Etat est par ailleurs fin prêt à mobiliser 466 millions d’euros dans une restauration controversée du Grand Palais qui a toutes les chances de courir au dépassement de budget caractéristique de ce genre de grands projets de prestige, comme le soulignait récemment la Cour des Comptes.

L’initiative, qui fait appel au désir individuel des personnes de participer financièrement à la protection des monuments historiques tout en s’appuyant aussi sur leur espoir de tirer le « gros lot », est à saluer, mais elle reste très modeste. C’est la raison pour laquelle Stéphane Bern a récemment « poussé un coup de gueule », inquiet de ne servir que de cache-misère dans une opération avant tout médiatique.

Le fait est que lorsqu’on a un ministère de la Culture dont le budget annuel est de 10 milliards d’euros (quand celui de la justice est de 8 milliards), lorsqu’on sait que sur cette somme énorme, 4 milliards vont à un audiovisuel public fort peu indépendant et à peu près tout le reste à des opérations plus ou moins loufoques de soutien à « l’exception culturelle française » parmi lesquelles on voit figurer des subventions à la Manufacture de Sèvres ou le financement d’un faux cachalot en polyester pour alerter les populations sur la pollution des océans, on a la forte impression que le patrimoine est le cadet de ses soucis.

Du reste, si l’on se tourne maintenant vers tout ce qui est mobilier et oeuvres d’art, le plus grand désordre semble régner dans les greniers et les inventaires de l’Etat à tel point que les « disparitions » du mobilier national se comptent par dizaines de milliers (pas loin de 40 000 selon l’IFRAP en 2009) :

« Il arrive que certaines toiles soient tellement bien cachées dans les combles des musées, mairies, préfectures, ambassades… qu’on finisse par les oublier. La preuve au musée des Beaux-Arts de Menthon où la conservatrice Elsa Puharre a fini par retrouver une nature morte du peintre tchèque Othon Coubine (1883-1969) : Elle était dans les combles, cachées par d’autres œuvres empilées… Il fallait farfouiller pour la trouver. »

Quand ce ne sont pas des vols purs et simples au profit de fonctionnaires indélicats, notamment dans les préfecture et les ministères…

Il est probable que parmi les 290 000 pièces concernées, toutes ne soient pas dignes du Louvre ou du Musée d’Orsay. Pourrait-on suggérer à l’Etat ou aux communes d’en mettre certaines aux enchères ? De nombreux amateurs privés seraient certainement heureux de les avoir chez eux. Ils en prendraient soin et ne priveraient personne de pouvoir les admirer puisqu’en l’état elles sont cachées, oubliées et mal entretenues dans des greniers poussiéreux dont il n’existe aucune liste fiable.

Bonne nouvelle, il semblerait que le mobilier de l’Elysée soit sous bonne garde. En revanche, l’électricité, la plomberie… c’est une autre histoire. Pour bien faire, ce sont 100 millions d’euros sur 7 ans qu’il faudrait consacrer à la résidence présidentielle.

Pour y parvenir, Emmanuel Macron ne propose pas un loto, mais une « Boutique de l’Elysée » qui vend des mugs, des T-shirts, des stylos ou encore des chocolats aux couleurs « bleu blanc rouge » estampillées Elysée dont les bénéfices seront affectés aux travaux.

Là encore, la formule évite la coercition de l’impôt, mais, pour autant qu’on sache, uniquement à condition que l’opération se montre bénéficiaire, ce qui n’est pas forcément acquis car les prix sont très élevés : 55 € pour un simple T-Shirt par exemple.

A partir de 2019, le risque de déficit disparaît car l’Elysée se contentera de toucher des royalties de 12 % sur les produits, tous fabriqués sous licence « Elysée » par des entreprises sélectionnées pour la qualité de leurs fabrications Made in France. Des entreprises privées, mais aussi des établissements publics comme la Monnaie de Paris et la Documentation française.

Outre les possibles connivences qui pourraient se former entre l’Etat et les entreprises choisies, on ne peut s’empêcher de regretter que cette opération soit placée sous le signe du « Made in France » et s’accompagne d’un discours typiquement protectionniste façon Arnaud Montebourg comme nous en servent tous les partis anti-capitalistes :

« Acheter « made in France » c’est récompenser les talents de notre territoire et soutenir l’emploi local. »

L’emploi sera soutenu si les entreprises se montrent dynamiques et innovantes par elles-mêmes au sein d’un vaste marché concurrentiel, certainement pas si l’Etat leur crée des protections artificielles qui les exonèrent de tout effort d’innovation.

Et l’on ne peut s’empêcher de sourire quand on voit notre mammouth étatique se lancer dans des petites tentatives commerciales marginales pour essayer de colmater ses lacunes alors qu’il dépense et taxe par ailleurs sans retenue. Serait-ce l’aveu paradoxal que le patrimoine, ou tout au moins les éléments non nécessaires au fonctionnement de l’Etat, serait mieux pris en charge si des personnes privées ou des mécènes motivés s’en occupaient ?

Lors des journées du patrimoine de l’an dernier, Françoise Nyssen avait dit être « tout à fait pour le développement du mécenat ». On ne peut que l’encourager à aller franchement dans ce sens, pas seulement pour le patrimoine, mais également pour de nombreuses actions culturelles qui gagneraient à se diversifier esthétiquement et idéologiquement sous l’influence d’une multiplication d’acteurs et de financeurs.

SOS patrimoine en détresse ? Première opération de sauvetage : baisser les impôts et permettre aux dons des particuliers et des entreprises d’émerger.


Illustration de couverture : Boutique de l’Elysée, site officiel. Capture d’écran de la page d’accueil.

11 réflexions sur “SOS patrimoine en détresse !

  1. Au sujet de cette journée du patrimoine, j’ai vu que l’Elysée permettait de visiter les caves, sauf un « saint des saints » où se trouvaient les bouteilles exceptionnelles, réservées à la consommation du Président, et donc in-visitables.
    Je suggère qu’au lieu de vendre des mugs et autres colifichets, l’Elysée mette en vente ASAP (as soon as possible) toutes les bonnes bouteilles. Elle peuvent se vendre avec une prime sur le cours du marché, compte tenu de la qualité du vendeur.
    Il m’est en effet assez pénible d’imaginer notre président sans qualité boire jour après jour ces nectars. Ce serait comme un président d’entreprise trop bien salarié alors que sa société est acculée à la faillite.

  2. Il me semble que Orélifilipéti, alors ministre avait fait interdire la publicité sur les bâches de protection et autres clôtures de chantiers de restauration, qui procurait un appoint non négligeable. Mais bon, il faut la comprendre, la vile publicité capitaliste dégradait l’image des monuments … Et pour un socialiste, seul l’état est assez pur et désintéressé, pour garantir la protection du Patrimoine National !

  3. Parfois ça tourne au pugilat entre 2 hommes politiques, en l’occurrence Wauquiez et Collomb pour le musée des tissus de Lyon.
    Victoire à Wauquiez mais surtout pour une des plus grande collection française qui allait disparaitre. La région va quand même « casquer » un maximum malgré une campagne de dons et une participation de la filière textile.
    https://www.20minutes.fr/societe/2248055-20180403-lyon-dons-affluent-musee-tissus-tisse-avenir-ambitieux
    https://www.lyonplus.com/actualite/2018/05/28/musee-des-tissus-daniel-fruman-coupe-le-cordon

  4. D’un autre côté, vous imaginez le scandale si la e-boutique à colifichets de l’Elysée avait été alimentée par les Chinois… politiquement impensable.

    A 50 euros le ticheurte, il a intérêt à être fait en poil d’angora, massé à la bière et nourri aux petits légumes bio, amoureusement cultivés par Natacha Polony.

  5. Voilà l’histoire vraie d’une petite commune de l’Aude que je connais bien puisque ma soeur y habite. C’est une commune de vingt habitants (et c’est une commune !) qui possède une petite chapelle où sont peintes des fresques du XIIe siècle, de toute beauté. Figurez vous qu’un fonds américain a proposé de les restaurer gratuitement. Refus du maire qui n’aime pas les Américains, vieux reste du midi rouge. C’est désolant de bêtise.

  6. Ah mais vous comprenez, avec le mécénat, avec les fondations privées, les riches peuvent faire ce qu’ils veulent de leur argent et en plus passer pour généreux. Horreur absolue ! Dans l’esprit de nos collectivistes, de nos intermittents du spectacles, de nos syndicats, etc. il est hors de question de les laisser dépenser leurs argent avec plaisir pour des causes qu’ils auront choisies : il faut que l’argent (le plus possible) passe obligatoirement par l’impôt, il faut que ce soit coercitif et punitif, et il faut ensuite que ce soit utilisé uniquement selon les canons de la petite coterie qui fait autoritairement la loi sur la culture (et sur tout le reste en France).
    Ils n’ont rien contre l’argent des horribles capitalistes quand il arrive anonymement sous forme d’impôt. Ce qu’ils ne supportent pas, c’est que ce financement puisse être un choix et qu’on puisse identifier un mécène qu’ils détestent.

  7. Le ministre de la Punition fiscale :
    « La fraude fiscale est toujours insupportable, moralement scandaleuse. »
    « L’impôt est dû et toute manœuvre d’évitement est une trahison envers la collectivité. »

    http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2018/09/17/20002-20180917ARTFIG00004-le-plan-du-gouvernement-pour-lutter-contre-la-fraude-fiscale.php

    Et en plus, vous êtes priés de donner de l’argent volontairement pour refaire la plomberie de l’Elysée. Un peu comme dans les pays communistes, où la population exprime son amour à ses dirigeants en leur faisant des « cadeaux ». Un peu forcés, les cadeaux, mais tout de même. On se rappelle le train entier de « cadeaux » offerts par les communistes français à Staline pour son anniversaire.

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