Et le prix du gnangnan politique est décerné à … Bruno Le Maire !

Complément du 23 novembre 2018 : BRUNO LE MAIRE, mon préféré ! Et ce n’est pas un compliment ! Le 5 novembre chez Bourdin : « Les Français aiment la voiture et j’aime la voiture ! » Mais apparemment, ça ne suffisait pas dans le parler-faux et le grand n’importe quoi : aujourd’hui, Bruno Le Maire nous déclare sans rougir : « Les impôts et les taxes, ça suffit ! » Au fait, Bruno, c’est qui le ministre de l’économie ?

Parmi les séquences médiatiques du week-end, on a surtout retenu l’étrange amnésie mâtinée de connivence calculée qui a saisi Jean-Luc Mélenchon lorsqu’il s’est retrouvé plus ou moins inopinément face au Président de la République. Quelle injustice pour Bruno Le Maire ! Son registre est certes moins sexy puisqu’il parle de comptes publics et de projet de loi de finances, mais à écouter le festival de petites phrases creuses et de platitudes politiquement correctes qu’il nous a servi ces derniers jours, c’est à se demander si côté langue de bois ce ne serait pas lui le meilleur d’entre tous.

Comme souvent quand Bruno Le Maire s’exprime, c’est toujours le côté « bon élève gendre idéal » qui apparaît en premier. Samedi dernier, nous avons donc eu droit au discours qui s’est imposé chez tous les dirigeants qui veulent montrer du sérieux dans la gestion des affaires nationales, ne serait-ce que pour ne pas encourir trop sévèrement les blâmes et autres procédures pour déficit excessif de l’Union européenne :

« Il n’y a pas de prospérité durable avec des comptes publics qui ne sont pas bien tenus. » (8 septembre 2018)

« Enfin un peu de lucidité ! » serait-on tenté de dire.

À vrai dire, notre ministre de l’économie est coutumier de ces déclarations très orthodoxes. Il y a un an, il écrivait déjà en en introduction du projet de loi de finances pour 2018 :

« Si la dépense publique était la réponse à tout, nous devrions donc avoir le chômage le plus bas et le taux de croissance le plus élevé en Europe. Nous en sommes loin. » (27 septembre 2017)

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Et encore tout récemment, dans l’émission Les 4 Vérités sur France 2 (voir la vidéo en fin d’article), il donnait la définition de ce qu’il appelle pompeusement « la nouvelle prospérité française » :

« La nouvelle prospérité française, elle ne doit pas être bâtie sur la dépense et sur la dette, mais sur la croissance et le travail. » (6 septembre 2018)

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À l’entendre, avec l’élection d’Emmanuel Macron en mai 2017, nous serions donc entrés dans un cycle radicalement nouveau, celui où la sphère publique arrête de dépenser à tout va comme c’était le cas par le passé.

Un passé où les acteurs actuels du « nouveau monde » étaient déjà impliqués jusqu’au cou, Macron comme ministre de Hollande et Le Maire comme ministre de Sarkozy. Mais laissons cela. Il nous suffit de constater que la nouvelle prospérité française a visiblement pris un peu de retard à l’allumage, si ce n’est du plomb dans l’aile :

Le budget établi pour 2018 n’a nullement entériné ces sages préceptes, les dépenses et les prélèvements obligatoires ont continué à augmenter, la croissance française, loin de décoller, se tasse plus que jamais rendant l’objectif de 2 % pour 2018 inatteignable, et le chômage n’a pas reflué de façon significative (tableau ci-contre).

En fait de comptes tenus, Bruno Le Maire s’est contenté de nous annoncer dans la foulée que le déficit public serait en dessous de la limite fatidique des 3 % en 2018 et 2019, grâce (attention, violons) aux « efforts considérables » de l’État, des ménages et des entreprises. Que les particuliers et les entreprises soient sans cesse ballotés d’une décision fiscale à une autre, certes. On pense à la hausse de la CSG couplée à la baisse des cotisations salariales ou à l’invraisemblable fiasco la taxe à 3 % sur les dividendes.

Mais quels efforts de l’État ?

Il faut savoir tout d’abord que jeudi dernier l’INSEE a publié un communiqué dans lequel il indique avoir accédé aux demandes d’Eurostat, l’organisme de la statistique de l’Union européenne, à propos de la dette de la SNCF et de la recapitalisation d’Orano (ex-Areva).

Il en résulte que le déficit public rapporté au PIB qui était de 3,4 % pour 2016 et de 2,6 % pour 2017 remonte à 3,5 % et 2,7 % pour ces deux années respectivement. De la même façon, la dette publique atteint maintenant 2 257,8 milliards d’euros à fin décembre 2017 au lieu des 2 218,4 milliards précédemment notifiés, soit 98,5 % du PIB contre 97 % (voir tableau ci-dessus).

On pourrait facilement se dire qu’il s’agit là d’un simple ajustement de méthode comptable qui ne change rien de fondamental. En réalité, ceci signifie qu’en laissant des dettes telles que celle de la SNCF en dehors du périmètre de nos comptes publics, on se berçait d’une sorte d’illusion qui conduisait à repousser les indispensables réformes de structures à plus tard. Cette nouvelle alerte sur la fragilité de notre comptabilité nationale doit absolument être entendue.

Il faut reconnaître ensuite que lorsqu’on a obtenu un déficit de 2,7 % du PIB après de nombreuses années situées au-delà de 3 %, et qu’on a déjà annoncé 2,3 % pour les deux années suivantes, il n’est guère fabuleux de faire machine arrière en promettant tout juste qu’on sera en dessous de 3 %. Et ceci d’autant moins que le déficit public moyen des 28 pays de l’Union européenne se situe actuellement à 0,5 % et celui des 19 pays de la zone euro à 0,1 % du PIB.

Quelles que soient les félicitations que M. Le Maire se décerne avec complaisance à propos de la politique menée depuis 15 mois sur le mode « c’est vrai que c’est plus long et que c’est plus difficile, mais ça donnera des résultats solides », et même s’il lui est facile d’écarter d’un revers de main négligent la critique sur la baisse de la croissance sous prétexte qu’elle émane de l’entourage de François Hollande, la France continue à s’aveugler dangereusement sur les réformes indispensables à faire en matière de baisse de dépenses et de remise à plat des missions de l’Etat. 

On voit surtout Bruno Le Maire déployer beaucoup d’activité pour aller chercher de la taxe partout. Dernière idée en date, qu’il pousse à fond et qui a été discutée ce week-end par les pays membres de l’Union européenne : la taxation des GAFA à hauteur de 3% de leur chiffre d’affaires sous un prétexte des plus fumeux de justice fiscale réclamée d’après lui par les peuples européens.

S’il était véritablement question de couper dans les dépenses, on pourrait envisager de commencer à rembourser la dette publique et baisser les impôts de façon importante, choc fiscal qui serait bénéfique à l’activité. L’attitude de Bruno le Maire laisse plutôt penser qu’il cherche prioritairement à combler le déficit par une fiscalité accrue.

Du reste, la mesure annoncée de réduire les effectifs de la fonction publique de 4 500 personnes a de quoi faire rire. C’est une boutade, l’épaisseur du trait, quand on songe que nous avons 5,67 millions de fonctionnaires (2016 et 2017).

Il est également question de grignoter trois francs six sous d’économie en revalorisant les pensions à un taux (0,3 %) inférieur à l’inflation (2,3 %) qui s’accélère nettement ces derniers mois. Or pour toucher leur retraite, les retraités ont versé des cotisations prélevées sur leur salaire pendant toute leur vie active. On pourrait donc s’imaginer que le montant de cette retraite est en rapport  direct avec ce qu’ils ont payé pour cela.

Mais non. Dans notre système obligatoire et collectivisé de retraite par répartition, le montant de la pension est strictement politique. Au-delà de considérations techniques sur l’espérance de vie et l’âge de départ en retraite, il dépend surtout des besoins de l’État pour tenter de masquer son incurie générale – « maîtriser les dépenses publiques » dirait le Premier ministre – comme nous en avons la preuve éclatante aujourd’hui. Le cynisme de l’État est sans limite.

Mais vous pouvez compter sur le gentil Bruno Le Maire pour faire mine de comprendre les frustrations de ses concitoyens. Interrogé sur le lien qui semble cassé entre le Président et les Français qui ne voient toujours rien venir après plus d’un an de gouvernance Macron, il fait assaut de dolorisme et de volontarisme dans un déchaînement de mots d’un creux abyssal :

« Nous sommes face à la vérité de Français qui sont impatients, qui ont beaucoup souffert, qui depuis des décennies affrontent le chômage de masse, qui sont inquiets sur ce que va devenir la France. (…) Il va falloir faire preuve, encore plus pendant les mois qui viennent, de fermeté, de constance et de détermination. » (Les 4 Vérités, 6 septembre 2018)

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Et vous pouvez compter sur lui également pour nous faire comprendre à demi-mot que le seul cynisme qui existe en France est celui des entreprises. Faisant commodément l’impasse sur la démence fiscale et la furie réglementaire de l’État, il explique avec beaucoup de tranquillité que si la croissance n’est pas au rendez-vous, c’est tout simplement parce que les entreprises n’innovent pas, ne forment pas, n’investissent pas et ne rémunèrent pas assez.

Lui, Bruno le Maire, éducateur en chef d’entreprises indisciplinées, va changer tout cela. D’où sa loi PACTE, sorte de loi Macron bis examinée actuellement à l’Assemblée, qui est censée « faire grandir les entreprises » et repenser leur rôle social.

Faire grandir les entreprises ou leur mettre les bâtons dans les roues ? On se le demande, surtout quand on l’entend ensuite déclarer qu’il est hostile à l’idée de considérer le travail dominical dans la loi PACTE, tandis qu’il se montre au contraire très favorable à un amendement LREM qui obligerait les entreprises à « révéler les écarts entre les niveaux de rémunération et repérer les déséquilibres ».

Autrement dit, dans l’esprit de Bruno Le Maire, tout ce qui est de nature à favoriser l’activité économique est à rejeter et tout ce qui entrave la liberté d’entreprendre au nom d’une fausse notion de la justice sociale est à encourager. A ce rythme, la nouvelle prospérité française n’est certainement pas pour demain mais le politiquement gnangnan se porte bien, merci Bruno.

Pour conclure, je vous laisse découvrir l’inénarrable Bruno Le Maire et toutes ses certitudes d’énarque dirigiste qui n’a rien connu d’autre dans toute sa carrière que les postes politiques (hormis deux ans d’enseignement avant l’ENA). Voici l’intégrale de son passage de jeudi dernier dans l’émission Les 4 vérités (08′ 04″). Je préfère vous prévenir, c’est extrêmement pénible :


Illustration de couverture : Le ministre de l’économie Bruno Le Maire dans l’émission Les 4 Vérités de France 2 le jeudi 6 septembre 2018. Capture d’écran.

13 réflexions sur “Et le prix du gnangnan politique est décerné à … Bruno Le Maire !

  1. Maîtriser les dépenses publiques en réduisant le pouvoir d’achat des retraités… Ils ont déjà commencé avec l’augmentation de la CSG sans que cela provoque de crise sociale majeure. Pourquoi se priver?

  2. J’écoutais la radio hier midi pour avoir les nouvelles du jour, et j’ai pris connaissance du résultat du sondage à la question posée du jour. Le sondage n’a pas de valeur scientifique, mais donne une petite idée de la mentalité des personnes qui y ont répondu.

    La question était la suivante: Faut il une loi pour limiter l’usage des réseaux sociaux. Figurez vous que 50 % de ceux qui ont répondu ont dit oui, contre 40% de non.

    Ce qui veut dire que la majorité des individus a abdiqué toute notion de liberté et de volonté, et que nous sommes mûrs pour un esclavage où nos décisions seront prises par l’Etat.

    • Oui, c’est totalement démoralisant. Est-ce que ces 50 % réalisent l’intrusion dans la vie privée et la confiscation des décisions personnelles que cela implique de « limiter l’usage des réseaux sociaux par la loi » (genre il y aura des compteurs spécifiques dans les ordis et les programmes s’éteindront quand le quota autorisé sera atteint) ? Est-ce qu’ils réalisent qu’ils en sont à demander aux pouvoirs publics de réguler chaque minute et chaque action de leur vie comme s’ils étaient incapables de la moindre jugeote personnelle ?
      Il y a fort à parier que nombre d’entre eux pensent plutôt à réguler la vie des autres qu’ils désapprouvent (à propos des réseaux sociaux ou autre), mais le résultat est le même, ils rêvent d’une société surveillée où tout le monde sera entré de force dans un certain modèle du « bien vivre » au mépris des choix individuels. Ca fait froid dans le dos.

  3. Le petit Bruno dresse le constat que les entreprises française ne sont pas compétitives. Au hasard, ne serait-ce pas pour un problème d’investissement trop faible, lui même du à une taxation trop forte ?
    J’ai adoré la fin, quand il explique que la justice, c’est quand tout le monde est taxé…
    Le plus fort, où le plus navrant, c’est qu’il prétend que moi, citoyen, je demande ça. Et que ça n’a rien à voir avec son intérêt personnel de ministre et d’énarque. S’il taxe, ce n’est pas pour nourrir le Léviathan, mais pour répondre à Vox Populi.
    En traduction énarque-français, ça donne : « vous êtes des ploucs et je vous méprise, de toute façon vous paierez quand même et j’encaisserai ».

  4. Les médias français et étrangers ont porté Macron aux nues, ils ont imposé son élection, ils ont volé la souveraineté populaire, ils ont accompli un coup d’état soft; et maintenant, ils tirent à qui mieux mieux sur l’ambulance.
    Ce qui est à condamner, ce n’est ni Macron ni son équipe mais les médias d’une part et les Français d’autre part. Le peuple français qui manque manifestement de jugeote à les gouvernants qu’il mérite. A ce stade de la crétinerie, une loi pour limiter l’usage des réseaux sociaux est superfétatoire.
    Les Français ont élu un président sur ordre des sponsors du business de connivence sans assise autre que celle que celle provoquée par la mise hors-jeu scélérate de Fillon. Ils ont cru une image, une forme sans contenu et bien sûr, ils découvrent leurs insatisfactions.
    Croire que la reprisette économique de 2017 était due à l’équipe Macron est carrément le comble de la bêtise. Et d’ailleurs croire qu’une intervention quelconque du gouvernement dans l’économie du pays puisse fournir de la croissance, est une absurdité tragiquement tenace. Les entreprises sont les seules responsables de leur croissance et les sanctions du marché sans immédiates et terribles alors que nos gouvernants ne sont jamais sanctionnés, même pas inquiétés pour leurs gabegies.

    • Oui, enfin, Macron en diable et Fillon en saint, ça ne parvient pas à me convaincre, voyez-vous…

      Une partie de la droite transforme Fillon en sauveur rétrospectif, mais l’ennui c’est que nous n’en saurons jamais rien. Il incarnerait le libéralisme face à tous les autres, étatistes forcenés ? Il serait le héraut de la lutte contre l’immigration et pour l’identité nationale, face aux baisseurs de culotte de droite comme de gauche ?

      Il y a des faits probants, pour lui tresser ce genre de couronnes ? Le lèche-pompisme éhonté dont il a fait preuve envers Vladimir Poutine, personnellement, ne plaide pas beaucoup en faveur de sa statue en héros libéral.

      • N’est évoqué Fillon que pour le contexte électoral. Quant à l’évaluation du libéralisme de Fillon, cela a déjà été fait sur ce blog, il me semble.
        Sinon les comparatifs des programmes des candidats par l’Ifrap étaient assez clairs et comme Macron fait moins que prévu…
        Evidemment on ne saura jamais ce que Fillon aurait fait réellement.

  5. Si le Bruno a l’air un peu rigide et coincé, c’est très certainement que la laisse trop tendue lui tire sur le cou … ce qui crée une gêne visible ….
    Cela dit, il est laborieux et pathétique le Bruno …

  6. « Il est effrayant de penser que l’on pourrait ignorer quelque chose, mais plus effrayant encore de penser que dans l’ensemble, le monde est dirigé par des individus persuadés qu’ils savent exactement ce qui se passe » Amos Tversky

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