Éducation : découvrez le bulletin des élèves qui entrent en 6ème …

Question corollaire : le mammouth peut-il encore être sauvé ?

En matière d’aptitudes scolaires de nos enfants en lecture, en sciences ou en maths, nous autres Français sommes devenus très familiers des tests internationaux PISA, PIRLS ou autres TIMSS qui nous placent invariablement depuis quelques années à des rangs très médiocres par rapport aux autres pays.

Une situation peu flatteuse que confirme malheureusement en tous points l’évaluation nationale menée l’an dernier à l’entrée en 6ème et dont les résultats sans appel ont été publiés mercredi dernier. Comme l’a indiqué le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer au début de sa conférence de presse de rentrée :

A l’entrée en 6ème « entre 20 et 40 % des élèves ont des difficultés en français et en mathématiques. »

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• On sait que Jean-Michel Blanquer est un grand adepte des méthodes quantitatives pour évaluer les actions menées dans l’Éducation. Il fut d’ailleurs le principal instigateur des évaluations organisées en CE1 et CM2 du temps du ministre Luc Chatel (quinquennat Sarkozy), ce qui contribua à lui donner une image « de droite » auprès des syndicats d’enseignants, essentiellement hostiles à ces évaluations par crainte de les voir se transformer en évaluation des professeurs.

En cette rentrée 2018, « l’évaluationnite aiguë » du ministre soulève à nouveau des angoisses chez les syndicats. Il est vrai que pour l’année scolaire qui s’annonce, Jean-Michel Blanquer a prévu deux évaluations en CP, une en CE1 et une en 6ème, à quoi il faut ajouter un test pour les élèves de Seconde qui formeront la première génération d’élèves à passer le nouveau Bac prévu pour 2021.

Dans l’esprit du ministre, il s’agit d’abord de dresser un portrait exact des élèves pour mieux les aider et donner des points de repère aux enseignants afin qu’ils puissent adapter leur enseignement aux forces et faiblesses de leurs élèves. Il s’agit ensuite de savoir où en est globalement la France. Faisant allusion aux tests internationaux, Jean-Michel Blanquer s’interroge :

« Est-il normal que les résultats de notre école nous viennent de l’étranger ? Ne méritons-nous pas un système national d’évaluation nous permettant de mieux nous connaître nous-mêmes et donc de progresser ? »

Mais les syndicats redoutent de voir s’installer ainsi une mise en concurrence des établissements et des professeurs, situation de défiance à leur encontre qui serait pour eux à l’opposé de « l’école de la confiance » que le ministre se vante de promouvoir.

• Malgré ces réticences, Jean-Michel Blanquer a pu lancer l’an dernier sa première grande évaluation nationale. Pour la première fois en France, l’intégralité des élèves de 6ème, soit 810 000 enfants répartis dans plus de 7 000 établissements scolaires publics ou privés sous contrat, ont été évalués en novembre dernier sur leurs connaissances et compétences en français et en mathématiques. Les résultats sont disponibles au niveau national, mais également à l’échelon de chaque académie.

Le test, le même pour tous, n’a pas abordé tous les aspects du programme censément connu des élèves qui quittent le primaire. En français, il s’est intéressé aux points « Lecture et compréhension de l’écrit » et « Etude de la langue », tandis que « Nombres et calculs », « Grandeurs et mesures » et « Espace et géométrie » formaient les trois parties de l’évaluation en mathématiques.

Il ressort de cette étude que l’ordre de grandeur moyen que l’on a généralement en tête sur le niveau des élèves à l’entrée en 6ème – à savoir : 20 % d’entre eux ne possèdent pas les savoirs fondamentaux nécessaires pour évoluer sereinement au collège – est plus que largement confirmé.

Au niveau national, 15 % des élèves sont arrivés au collège en 2017-18 avec une maîtrise insuffisante ou fragile du français. En maths, ce chiffre monte à 27 %.

Ce dernier chiffre est véritablement effrayant et l’on comprend que le ministre ait demandé à Cédric Villani de faire des propositions pour stimuler le goût des maths chez les enfants. Dans cette matière, la rentrée 2018 donnera d’ailleurs la priorité à la résolution de problèmes et au calcul, et les 4 opérations seront introduites dès le CP.

De la même façon, en français, les programmes se recentrent sur la lecture, l’écriture et le vocabulaire et délaissent tous les nouveaux concepts grammaticaux introduits récemment tels que le prédicat pour en revenir aux traditionnels COD, COI et compléments circonstanciels. La dictée quotidienne ainsi que deux séances d’écriture par jour deviennent la norme, malgré les vives réticences des syndicats majoritaires qui y voient « une conception archaïque de l’enseignement ».

Dans le détail, s’il n’existe pas de différence filles garçons significative en maths, on observe en revanche une différence marquée en français où les filles sont seulement 12 % à avoir des lacunes à l’entrée en 6ème contre 18 % des garçons.

On observe aussi que les élèves « en retard » dans leur scolarité (10 % des effectifs) présentent des résultats très inférieurs à la moyenne. Ils sont 49 % et 66 % à avoir une maîtrise insuffisante ou fragile en français et en maths respectivement.

Les élèves qui viennent d’entrer dans un collège privé sous contrat ont les meilleurs scores : seuls 7,8 % (français) et 16,4 % (maths) d’entre eux, soit à peu près la moitié des moyennes nationales, manifestent des lacunes.

Les élèves accueillis en Réseau d’éducation prioritaire (REP et REP +) montrent des difficultés en français pour 26 et 36 % d’entre eux respectivement. En Maths ces pourcentages passent à 43 et 56 %. Ces chiffres décevants confortent le ministre dans sa décision phare de dédoubler les classes de CP et de CE1 dans les zones d’éducation prioritaire pour aboutir à des classes de 12 élèves. Mise en oeuvre dès l’an dernier auprès de 60 000 enfants, la mesure est reconduite pour toucher 190 000 enfants cette année et 300 000 par an dès la rentrée 2019.

L’étude met également en évidence des disparités de résultats selon les zones géographiques, le Nord, le Sud-Est et les départements d’outre-mer étant les moins bien placés (voir ci-contre : français en bleu et maths en rose).

En outre, le profil social des collèges pèse clairement sur les performances. Mais le rapport nuance ce résultat général :

« Cependant, la prise en compte du niveau social ne permet pas d’expliquer toutes les différences entre académies : à niveau social comparable, des différences de performances entre académies subsistent. »

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• C’est à ce stade qu’entrent en jeu la personnalité du chef d’établissement, son autorité sur les élèves et sur l’équipe pédagogique, le projet d’établissement, l’implication des enseignants etc. – c’est-à-dire tout ce qui transforme une simple administration d’enseignement en une bonne école, un bon collège, dont les parents se passent les coordonnées de bouche-à-oreille avec l’espoir d’y voir admettre leur enfant malgré les contraintes de la carte scolaire.

Le ministre ne se cache pas vraiment de vouloir mettre les établissements en concurrence ou plutôt dans une situation de relative autonomie et de saine émulation en les incitant à faire preuve de créativité, notamment dans les domaines culturels et artistiques (M. Blanquer tient beaucoup au chant choral). La restauration des classes bilangues ainsi que le latin et le grec sont d’autres moyens de rendre un établissement attractif aux yeux des parents.

Pour entraîner le corps professoral dans ce mouvement de restauration des attraits de l’enseignement public, la formation des enseignants va être entièrement revue et un dialogue social personnalisé va s’ouvrir avec chacun d’entre eux. Aussi bien les évolutions de carrière que les mutations ou les primes seront discutées de la façon la plus proche possible de chaque professeur. Dès cette année, une incitation financière de 1 000 € sera attribuée aux enseignants des zones les plus prioritaires.

On voit donc que tous les efforts de Jean-Michel Blanquer visent à conserver le mammouth dans son intégrité de monopole pachydermique12,9 millions d’élèves et 1,1 millions de salariés dont 881 400 enseignants – tout en essayant de lui faire adopter les traits d’un enseignement mobile et décentralisé, adapté à la diversité des élèves et riche de multiples projets éducatifs dédiés à des excellences et des réussites variées en phase avec les évolutions de la société. Pour lui :

« Chaque élève est différent. C’est une bonne chose, c’est ce qui fait notre humanité, et un système éducatif du XXIème siècle doit à la fois garantir un socle commun à tous les élèves et être capable d’avoir une personnalisation pour chacun. » (Conférence de presse, 29 août 2018)

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Il estime que l’Éducation nationale a fait la preuve de son agilité et de sa puissante capacité à se transformer en créant les classes de 12 en quelques mois dans les Zones d’éducation prioritaire et il en tire de grands espoirs pour la suite :

« Si nous redonnons ses lettres d’or au système public, ce problème (de fuite vers le privé) se résoudra ipso facto. »

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L’objectif est louable, mais a-t-il un sens ? Au point de rigidité quasi-cadavérique où il en est arrivé, le mammouth peut-il encore être sauvé ?

L’opposition des syndicats au retour à des méthodes pédagogiques éprouvées ainsi que leurs réactions hostiles à toute forme d’évaluation directe des professeurs et contre toute mise en concurrence des établissements sont néanmoins des plus préoccupantes et permettent de douter de l’ampleur des résultats espérés par le ministre dans le cadre d’un monopole inchangé, voire renforcé.

Sans même parler du formatage des esprits inévitablement induit par un enseignement monopolistique d’Etat – « que ce soit un monarque, un clergé, une aristocratie ou la majorité de la génération en cours », comme disait John Stuart Mill en 1859 – notre Éducation nationale reste une énorme machine extrêmement coûteuse et alourdie par un syndicalisme qui se refuse par confort et idéologie à voir que le monde avance. On la voit mal se mettre à gambader avec légèreté.

On assiste aujourd’hui au développement de nombreuses écoles privées, sous contrat pour beaucoup mais également hors contrat, dont les projets pédagogiques ont montré leur utilité et leur pertinence pour des enfants qui ne trouvent plus leur place dans le système – même si toutes les mauvaises raisons possibles (salafisme, intégrisme, groupuscules anti-vaccins…) sont convoquées pour essayer de les contrôler toutes quand seulement quelques-unes sont suspectes.

Au-delà d’une profonde réforme interne à l’Éducation nationale, dont Jean-Michel Blanquer a commencé à s’occuper, c’est d’initiatives éclairées et de liberté d’enseignement que notre pays a besoin pour sortir du lourd retard éducatif – déjà détecté dans les tests internationaux – que l’évaluation nationale à l’entrée en 6ème vient de faire éclater à la face des syndicats d’enseignants et des fonctionnaires de la rue de Grenelle. 


Illustration de couverture : La rentrée scolaire 2018 aura lieu lundi 3 septembre prochain. A droite, le ministre Jean-Michel Blanquer (Photo AFP).

3 réflexions sur “Éducation : découvrez le bulletin des élèves qui entrent en 6ème …

  1. Il y a aussi d’autres problèmes, il semble que le recrutement d’enseignants se fait plus difficile et que le niveau de ceux-ci suit celui des élèves. C’est tout le système qu’il faut repenser, mais ce n’est pas pour demain.

  2. Vous avez d’un côté une doctrine socialisante qui poursuit le but d’enlever tout jugement décisionnel des parents pour tendre vers un égalitarisme idéal et de l’autre des parents qui au contraire sont en totale défiance du système et qui cherchent à échapper dans leur majorité à la techno-institution.
    Ce ne sont pas seulement les foyers favorisés qui sont concernés mais même dans les milieux défavorisés on cherche à éviter la « carte scolaire », pour des raisons « d’ambiance ». Enseignement privé, confessionnel, hors contrat etc…tout est bon pour tenter de rester dans le quartier sinon on le quitte, d’où une certaine corrélation entre le prix de l’immobilier et la présence d’établissements de prestige.
    Et encore à l’entrée en sixième, c’est l’entrée dans le tunnel foireux du collège et alors l’évitement maximal,
    Car en plus de la qualité de l’enseignement, il y a des ambiances difficiles, la peur des violences, du harcèlement.
    Notre petite fille qui vient de passer quinze jours avec nous et qui entre en 1ère, très bonne élève, plutôt fort en gueule, délégué de classe, s’est d’un coup épanchée sur son parcours d’atrocités au collège public. Car de plus, le harcèlement est aujourd’hui sur-amplifié par les smartphones, une mauvaise photo vous poursuit jusqu’à la maison, etc…Bref nos bagarres de cour d’école font sourire.
    J’en suis resté épouvanté pour les suivants (même si cela concerne les parents qui en sont bien conscients) mais cela démontre qu’à l’origine du niveau scolaire, il y aussi l’environnement général dans l’établissement scolaire et au proche extérieur.

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