Une Histoire du Monde en 100 Objets du British Museum

Et si vous faisiez un petit saut au Musée des Beaux-Arts de Valenciennes ? Je vous vois déjà contenir un bâillement étonné tandis que des images légèrement déprimantes mêlant province reculée, salles poussiéreuses et ennui assuré traversent votre esprit. À tort, je vous assure, car après Tokyo, Pékin, Shanghai, Abu Dhabi et Canberra, Valenciennes est à ce jour la première ville européenne à accueillir la célèbre exposition du British Museum « Une Histoire du Monde en 100 Objets » ! Il faudra faire vite, car elle se termine le 22 juillet !

Tout a commencé en 2006 quand Neil MacGregor, directeur du British Museum à l’époque, proposa à la BBC un programme radio de 100 émissions quotidiennes d’une quinzaine de minutes chacune autour d’un objet marquant du musée afin de tracer ainsi au fil des épisodes une histoire de l’humanité en 100 objets. Il fallut 4 ans pour préparer la série qui fut ensuite diffusée tout au long de l’année 2010.

L’engouement pour le programme fut immédiat, aussi bien de la part du public que de la critique, et il trouva un prolongement bienvenu, d’abord sous forme d’un livre incluant les photos des objets, puis sous forme d’un site internet interactif.

Le British Museum compléta l’opération en facilitant dans ses salles le repérage des 100 objets sélectionnés grâce à des étiquettes facilement identifiables, une brochure spéciale et une signalétique adaptée.

À ce stade, le projet ne nécessitait aucun déplacement des objets. Mais l’idée de le constituer en exposition à part entière ne tarda pas à émerger, tout comme celle de la faire voyager afin que le monde entier puisse profiter de cette reconstitution de l’histoire de l’humanité à partir d’objets appartenant certes aux collections du British Museum mais venant à l’origine de tous les points du globe. C’est ainsi que l’exposition commença une grande tournée internationale en 2014.

Les collections mises à disposition ne sont pas toujours parfaitement identiques. En fonction des conditions de voyage et de conservation des objets et selon l’espace disponible dans les musées d’accueil, les objets jugés trop fragiles sont remplacés par d’autres. Il arrive aussi que certaines pièces soient sujettes à controverse juridique quant à leur propriété effective. Par exemple, un jade chinois gravé du XVIIIème siècle ne fut pas inclus dans l’exposition de Pékin car sa provenance est douteuse : il aurait été « subtilisé » dans le Palais d’été.

Quoi qu’il en soit, la série de 100 est toujours reconstituée afin de respecter le récit général de l’humanité. Pour personnaliser l’ensemble, chaque ville d’accueil est invitée à proposer un 101ème objet en rapport avec son histoire particulière.

L’un des objets rares et fragiles de la sélection originale n’avait jamais quitté Londres pour cette exposition. Il s’agit du Cristal de Lothaire, travail très fin de gravure sur cristal réalisé vers 860 pour le roi Lothaire II, arrière petit-fils de Charlemagne. Il représente la scène biblique du jugement de Suzanne. Celle-ci, d’abord accusée d’adultère par des vieillards concupiscents dépités qu’elle ne cède pas à leur désir, est innocentée par le futur prophète Daniel :

Il se trouve que Lothaire II, qui régnait sur un territoire compris entre le Rhin et l’Escaut appelé faute de mieux Royaume de Lothaire ou Lotharingie (nom qui deviendra ensuite Lorraine), était préoccupé par son absence d’héritier. Il tenta de se débarrasser de sa femme stérile en l’accusant d’adultère, mais, comme Suzanne, elle fut innocentée par le pape.

Selon l’actuel directeur du British Museum Hartwig Fisher, ce cristal très précieux enchâssé dans un cadre de cuivre et d’or peut être considéré comme une allégorie de la tentative ratée de Lothaire II de divorcer de son épouse au mépris de la justice pour préserver son royaume. La Lotharingie sera alors partagée puis intégrée à ce qui deviendra par la suite le Royaume de France.

Ce précieux cristal est maintenant au Musée des Beaux-Arts de Valenciennes en compagnie du reste de la collection. Signe d’une attention amicale du British Museum aussi bien à l’égard de la France que de la ville de Valenciennes où coule l’Escaut, il confère à ce musée relativement inconnu le prestige et le sérieux des grands lieux d’exposition.

La vidéo ci-dessous (01′ 13″) vous donne un petit aperçu de ce qu’on peut y découvrir :

Le voyage commence il y a 2 millions d’années, dans les gorges d’Olduvai en Tanzanie, avec un galet taillé dit « chopping tool » c’est-à-dire outil à découper. Il servait notamment à ouvrir les os des animaux pour en extraire la moelle, substance très nourrissante qui contribua au développement du cerveau humain.

Cet objet, témoin des capacités techniques anciennes des humains, est le plus vieux conservé au British Museum et l’un des plus anciens connus au monde.

Pour rappel, les paléontologues font remonter l’apparition du genre Homo – dont nous autres, les Homo sapiens, sommes l’unique espèce survivante – à 2,4 millions d’années (Homo habilis). Mais la découverte en 2013 en Ethiopie d’une mâchoire fossile datée de 2,8 millions d’années a relancé le débat : la lignée Homo est-elle plus ancienne qu’on ne le pense ou bien la mâchoire appartient-elle à une espèce transitoire entre les Australopithèques (Lucy) qui se sont éteints il y a environ 3 millions d’années et le genre Homo ? Ce sont les fouilles et la découverte de nouveaux fossiles qui nous permettent de gagner en précision.

Expérience vertigineuse que de côtoyer de si près le quotidien de nos plus lointains ancêtres ! Je trouve toujours émouvant de réaliser que dès les premiers temps l’homme a cherché à dominer sa condition en prolongeant et en augmentant ses capacités par des outils. Hello, révolution numérique, intelligence artificielle et exosquelettes ! Vous êtes les galets taillés du XXIème siècle !

Une autre date importante de l’histoire des hommes est celle des débuts de l’écriture. On la situe vers 3 600 avant J.-C. avec l’écriture cunéiforme apparue en Mésopotamie.

Le développement de l’écriture correspond à un moment dans l’histoire où la mémoire n’a plus suffi pour administrer des groupes d’hommes de plus en plus nombreux. Il fallut trouver comment conserver des informations, qu’il s’agisse de transactions commerciales, de lois ou d’événements historiques.

La tablette en argile ci-dessus date de 3 100 à 3 000 avant J.-C. Elle a été trouvée au sud de l’Iraq et elle fait la liste de rations de bière dues à des travailleurs.

La Dame de Karpathos (ci-contre) est la statue grecque la plus ancienne du British Museum. Elle est datée de 4 500 à 3 200 avant J.-C. Globalement plutôt rustique dans sa forme, elle met en évidence le visage, les seins et la vulve du sujet, laissant penser qu’il s’agit d’une représentation de la fertilité féminine.

Le British Museum est particulièrement réputé pour sa section d’égyptologie. Sa collection de sarcophages de momies est exceptionnellement riche. Avec les objets précieux ou usuels retrouvés dans les tombes, elle nous raconte de nombreuses histoires sur la vie quotidienne dans l’Egypte ancienne.

Voici à gauche le sarcophage d’un prêtre nommé Nesperennub (vers 800 avant J.-C.) et à droite une palette de maquillage prenant la forme d’un animal familier de la vallée du Nil (4 000 à 3 600 avant J.-C.) :

                   

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J’achève mon petit tour avec l’objet que je préfère. Il s’agit d’une lyre absolument ravissante en forme de taureau datée de 2 500 avant J.-C. et dénommée « Lyre de la Reine ». Elle fut retrouvée dans les années 1920 dans une des tombes royales mises au jour à Ur en Iraq. Elle aurait appartenu à la Reine Puabi.

Composée de lapis lazuli provenant probablement d’Afghanistan, de coquillages du golfe Persique et d’or d’Egypte ou d’Iran, elle témoigne de l’étendue des échanges que la cité d’Ur pratiquait à l’époque avec le reste du monde. A gauche, ma photo (avec en prime un buste de Ramsès II dans le fond) et à droite, celle du catalogue pour mieux apprécier l’objet :

                      

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Même sans l’exposition du British Museum, le Musée des Beaux-Arts de Valenciennes ne vaut peut-être pas le voyage, mais mérite incontestablement le détour, comme on dit dans les guides de voyage.

Il abrite notamment une très belle collection de sculptures de l’enfant du pays Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875) qui n’a rien à envier à celle du Musée d’Orsay.

Pour moi, la plus belle pièce (ci-dessus) est une statue représentant un autre enfant du pays, le peintre Antoine Watteau (1684-1721), très XVIIIème, front intellectuel, oeil acéré et palette à la main. Carpeaux et Watteau sont tous deux titulaires du prix de Rome.

C’était mon article spécial vacances d’été 2018. J’espère qu’il vous a plu. 


Autres expos  intéressantes :
L’empire des roses – Art persan, Louvre-Lens, Lens, jusqu’au 23 juillet 2018.
Rodin and the art of ancient Greece, British Museum, Londres, jusqu’au 29 juillet 2018.
Amours en guerre, Historial de la Grande Guerre, Péronne, jusqu’au 9 décembre 2018.


Dans le même ordre d’idée, articles qui pourraient vous intéresser :
Sur les origines de l’homme : Nous, les humains de 2015 (8 mars 2015) et sur l’histoire des objets d’art : Louvre-Lens : galerie du temps, galerie de la mode (31 mars 2015).


                    Photos personnelles.


Illustration de couverture : Le Musée des Beaux-Arts de Valenciennes accueille jusqu’au 22 juillet 2018 l’exposition « Une Histoire du Monde en 100 Objets » du British Museum.

10 réflexions sur “Une Histoire du Monde en 100 Objets du British Museum

  1. Belles choses à voir. Je vais juste visiter Noyon, une des six pairies ecclésiastiques, et le Chemin des Dames cet été, c’est sur la route de Valenciennes, mais comme j’ignore si on peut se garer, je n’irai pas.

    • Pour rester dans l’esprit Chemin des Dames, je recommande la visite du site de Vimy. Pas le mémorial mais la ligne de front tenue par des Canadiens du côté des alliés. Les tranchées ont été préservées et on peut les visiter. Très instructif. Pendant un temps, Hitler était estafette à Vimy (côté allemand), ce qui veut dire qu’il faisait partie de ces soldats qui sortaient des tranchées pour porter des messages de ligne en ligne. Espérance de vie : 15 jours à 3 semaines ! Il a survécu…
      Une fois que vous êtes à Vimy, le passage à Notre-Dame de Lorette s’impose. Anneau de la mémoire etc.

  2. Quelle bonne idée ! La prochaine fois que je vais chez Carrouf pour reconstituer mes stocks de bière en promo, je fais mes notes de courses comme ça. C’est beaucoup plus classieux que le téléphone portable. On peut même les mettre en vitrine après, c’est très décoratif.

  3. Merci pour votre billet, qui m’a poussé à visiter en bonne compagnie l’exposition tout récemment avant qu’elle ne se termine. L’exposition est remarquable en tout point — et les rues et boutiques de Valenciennes en font une belle promotion ! Mon objet préféré a été la tablette du Déluge en écriture cunéiforme relatant un épisode fameux de l’Épopée de Gilgamesh, repris plus tard dans la Bible (https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/7a/British_Museum_Flood_Tablet.jpg). C’est émouvant de la voir devant soi… Merci encore,

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