Le bac à 88 % de réussite, c’est trop dur ! Vite, une pétition !

Lundi 17 juin 2019 : Bac 2019, c’est parti ! Mais qu’est-ce que le bac sinon l’expression achevée de notre passion nationale pour l’égalitarisme ?
Mercredi 19 juin 2019 : Ça y est, la pétition 2019 est arrivée ! Le français, c’était trop dur ![REPLAY d’un article de juin 2018]

Le bac ne serait plus le bac si la semaine consacrée à l’examen ne s’achevait sur une pétition de candidats atterrés devant l’implacable difficulté de telle ou telle épreuve. Cette année (juin 2018), ce sont des élèves de Terminale S, hagards et bouleversés par tant d’injustice, qui pétitionnent depuis vendredi 22 juin dernier sur Change.org et apostrophent avec brusquerie le ministère de l’Education nationale : « C’était quoi, ce sujet de maths 2018 ? »

Selon un certain « Superman du bac de maths » qui a lancé l’initiative, tant les exercices obligatoires que l’exercice de spécialité faisaient appel à des notions soit trop abstraites, soit insuffisamment répétées en classe, soit hors programme. Compte tenu du haut coefficient de l’épreuve (7 en règle générale et 9 pour les élèves de spécialité maths), il demande donc une « harmonisation » des notations :

« L’harmonisation que nous pensons être nécessaire pourra aider plus d’un élève à avoir le bac et/ou une mention. »

A lire les commentaires qui suivent la pétition et à observer le long lamento des tweets désabusés qui l’accompagnent, nous sommes priés de comprendre que nous avons affaire à des élèves extrêmement sérieux, voire franchement brillants, qui ont bossé comme des dingues toute l’année, qui ont révisé comme des malades avant l’examen et qui craignent maintenant de passer de 18 de moyenne en maths à 2 au bac :

Mais à lire ces tweets et ces commentaires, on est également saisi d’une certaine angoisse. On parle ici d’élèves de la section S. On parle même surtout des « spé maths », ces élèves scientifiques qui ont choisi les maths plutôt que la physique ou les sciences naturelles comme spécialité, ces élèves de la fameuse classe de Terminale S1 qui font la fierté de leur proviseur et le bonheur de leurs professeurs, celui de maths comme celui de philosophie. On parle de ces élèves qui peupleront ensuite les meilleures universités, les meilleures prépas et les meilleures écoles. Ou du moins, c’est ce que je croyais.

Passons sur l’orthographe, approximative. On découvre des élèves qui ne parlent que bachotage et reproduction peu inspirée d’exercices-types appris par coeur, on découvre des élèves qui avouent de grosses difficultés en maths, au point qu’on se demande ce qu’ils font dans cette filière, on découvre des élèves qui se rebellent devant toute idée de mettre en oeuvre leurs capacités de raisonnement, on découvre finalement des élèves pour lesquels la présence en cours et un petit minimum de travail sont censés leur valoir automatiquement le bac et, pourquoi pas, une mention.

La pétition a immédiatement rencontré un énorme succès : ce matin (27 juin 2018), elle recueillait plus de 90 000 signatures, à comparer aux 190 000 candidats de la filière. Après les 55 000 votes obtenus en 2014 par une pétition similaire, c’est plus qu’un record, c’est une vague de fond, alimentée par les élèves eux-mêmes, mais aussi par leurs parents et grands-parents, par des étudiants qui sont passés par là et qui compatissent, par des enseignants qui refusent la sélection par les maths etc… Chacun y va de ses considérations sur l’honneur bafoué de la France, sur l’injustice qui règne dans ce pays ou sur l’abandon dans lequel des épreuves aussi difficiles plongent indignement les jeunes.

Pour autant, tout le monde n’est pas complètement dupe de ce petit coup de pression mis sur le ministère avant la publication des résultats. Le tweet assez représentatif des lamentations que j’ai inséré ci-dessus a certes suscité de la sympathie, mais il a aussi provoqué quelques moqueries dans les rangs des élèves :

De leur côté, des professeurs de maths qui enseignent en Terminale S considèrent que « cette pétition est totalement injustifiée ». Le sujet proposé n’a rien d’extraordinaire, il est même qualifié de « banal » par certains enseignants.

Mais évidemment, encore faut-il avoir compris que le bac, censé être la porte ouverte vers les études supérieures, ne se résume pas à débiter péniblement des notions apprises par coeur à défaut d’être comprises. Comme le souligne un correcteur interrogé par Le Monde, aucune pétition n’a été mise en ligne pour dénoncer l’extrême simplicité de l’épreuve de physique, tandis qu’un peu de difficulté indique :

« Qu’il faut réfléchir et qu’il ne suffit pas de réviser trois annales pour être prêt à passer les épreuves. »

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A croire que l’épisode « pétition » est passé au rang des traditions inévitables du baccalauréat. Tapez successivement dans google « pétition bac » 2018, 2017, 2016, 2015, 20142011, et croyez-moi, vous ne serez pas déçus !

Angoissés par l’attente des résultats, certains candidats et leurs proches ont instauré une sorte de folklore destiné à conjurer la peur et à s’attirer la sympathie populaire pendant cette quinzaine incertaine où l’on se demande avec perplexité si l’on va obtenir ce bac si chichement distribué à … 88 % des candidats (88,6 % en 2016 et 87,9 % en 2017).

Folklore et peurs bien inutiles, donc, comme on le constate aisément à ce taux de réussite, lequel n’a cessé d’enfler tout au long de la Vème République ainsi que le montre le tableau  récapitulatif ci-dessous :

Taux de réussite au bac  (Sources : 19611980200120102017)

Années : 1961 1980 2001 2010 2017
Nombre de candidats 101 644 346 954 635 010 621 200 732 700
Bac général 60,5% 65,9% 79,4% 87,3% 90,6%
Bac technologique 59,2% 78,1% 81,6% 90,4%
Bac professionnel 77,5% 86,5% 81,5%
Toutes sections 60,5% 63,9% 78,6% 85,6% 87,9%
Bacheliers / génération 11,2% 25,9% 61,9% 65,5% 79,1%

Petit supplément « Spécial cinquantenaire de mai 68 » : cette année-là, le taux de réussite au bac passa soudainement à 81,3 % après 59,6 % l’année précédente et avant 66 % l’année suivante !

De même, l’octroi des mentions a connu une inflation extraordinaire. Par exemple, de 1967 à 2017, la mention Très Bien du bac général est passée de 0,3 % à 13 % (voir graphique ci-contre, extrait du Figaro).

Autrement dit, plus la réussite est assurée, plus l’échec apparaît comme intolérable, plus les pétitions pour rehausser les notes sont nombreuses et plus elles recueillent de signatures.

De là à en déduire que la facilité réelle d’obtention du bac, consécutive à la baisse de niveau opérée de fait pour amener « 80 % d’une classe d’âge au niveau du bac » (selon le voeu de Jean-Pierre Chevènement en 1985), a transformé cet examen en un simple bulletin de fin de scolarité, en une simple formalité administrative de sortie dans l’esprit des familles, il n’y a qu’un pas.

L’échec en devient d’autant plus stigmatisant qu’il concerne proportionnellement de moins en moins d’élèves. Il est alors considéré comme une forme d’exclusion insupportable qui ne peut résulter que de la volonté maligne des autorités éducatives de procéder à une sélection (encore elle) aussi aveugle qu’indigne. Il en résulte que 88 %, c’est encore trop faible et que seul un taux de réussite de 100 % serait acceptable dans un pays où le bac apparaît comme la réalisation la plus aboutie de tous les fantasmes égalitaristes.

Folklore et peurs bien inutiles également quand on sait comment les notes sont systématiquement « harmonisées » à la hausse. Comme l’explique le professeur de maths cité plus haut :

« Les commissions d’harmonisation servent justement à ajuster les barèmes lorsque les professeurs s’aperçoivent qu’un sujet est plus dur qu’un autre. »

Mais concrètement, l’harmonisation va souvent beaucoup plus loin. Nombreux sont les témoignages de correcteurs priés – à l’oral, pas par circulaire officielle – de relever les notes de toutes leurs copies d’un point ou plus pour se mettre au moins au niveau de la moyenne académique de l’année précédente. Nombreux sont les professeurs priés de « valoriser » des copies sans queue ni tête pour peu qu’on y trouve un nom d’auteur ou un semblant de plan. Et nombreux aussi sont les profs interdits de correction au bac car ils se sont montrés trop exigeants envers les devoirs des candidats et trop récalcitrants vis-à-vis des consignes de notation « bienveillantes » lors d’une précédente session.

Toutes ces considérations sur la profonde décrépitude de l’évaluation du bac sont d’autant plus désolantes que pour la plupart, nos enfants ne sont probablement pas plus idiots et paresseux que ceux des générations précédentes. Oui, certes, les écrans ont pris le pas sur les livres, et ça peut expliquer certaines choses.

Mais auraient-ils été confrontés à un enseignement plus exigeant, à une discipline scolaire plus ferme et au sentiment que rien n’est acquis d’avance si ce n’est par leur travail assidu, leur aurait-on épargné l’idée que la réussite leur est due au nom de l’égalité et du droit aux études, peut-être n’en serions nous pas là aujourd’hui, c’est-à-dire à la traîne de la plupart des pays développés en matière éducative malgré nos presque 80 % d’une génération au bac.


Mise à jour du vendredi 13 juillet 2018 : Les résultats définitifs du Bac 2018 sont tombés ce matin. Après les épreuves de rattrapage, le taux de réussite ressort à 88,3 %. C’est un peu plus qu’en 2017 (87,9 %) et légèrement moins qu’en 2016 (88,6 %). Voici de quoi appréhender le niveau de « difficulté » de cet examen d’entrée à l’université.


Illustration de couverture : Salle de bac, Paris 2011. Photo AFP.

8 réflexions sur “Le bac à 88 % de réussite, c’est trop dur ! Vite, une pétition !

  1. Bon, Nathalie, c’est … affligeant, une fois de plus ! voici le sujet en cause :
    http://www.lepoint.fr/bac/bac-2018-les-sujets-de-mathematiques-de-la-serie-s-22-06-2018-2229556_3585.php
    ça ne casse pas trois pattes à un canard, faut pas pousser ! Les réponses sont données dans l’énoncé, et on ne demande pas de démontrer, mais de « vérifier » ce résultat … A pleurer ! Moi qui n’ai pas rouvert de bouquin de maths depuis allez 30 ans faciles, j’y arrive sans trop de peine ! Et après, ces gosses immatures viennent réclamer un accès libre à toutes les facs ? (pas de sélection, ni de « pré-requis »). Que dire des parents qui ont élevé de pareils irresponsables ?

  2. Il me semble que ces pbs pouvaient être résolus en première C de mon temps ou peut-être je radote.
    Même pas une intégrale ou quelques énoncés de « maths modernes » excessivement abstraits comme de mon temps…
    Le plus grave de l’idéologie (car ce n’est pas autre chose), c’est de donner l’impression aux jeunes que tout va être facile et qu’il auront droit à un travail que devra leur fournir la société sinon ce sera une horrible injustice, la faute des patrons, du grand capital et du libéralisme débridé et mondialisé organisé par je ne sais quel complot visant à les faire disparaitre…….ou vivre dans la servilité, ça ce serait vrai.
    Voila ce que Bill Gates conseilla à des étudiants :
    https://www.hrimag.com/10-regles-de-vie-professionnelle-extraites-d-un-discours-que-Bill-Gates-a

  3. Suite d’un commentaire laissé à propos de la coupe du monde de football.

    Envisager les difficultés des jeunes aujourd’hui par le petit bout de la lorgnette, en l’occurrence, leurs performances réelles ou augmentées au bac n’apporte pas l’once d’un début de solution au malaise actuel.

    Seule une analyse systémique à spectre large peut déceler des leviers d’action pour remédier à une situation préoccupante et même dramatique.

    Une donnée fondamentale trop souvent occultée : le malthusianisme ambiant qui s’est infiltré partout pour engendrer les « structures de mort » contre lesquelles Jean-Paul II n’a cessé de nous mettre en garde et de nous inviter à prendre notre bâton de pèlerin. Nous vivons aujourd’hui dans un espace mondain qui considère l’homme comme un être superflu, un gêneur, un parasite, un coupable.

    Et les principales victimes de cette vision sont : les générations montantes dès avant leur naissance, toutes les personnes jugées hors course, pas assez performantes, … coûteuses …

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