BALLADUR : le retour en « grand maître Jedi » de Wauquiez !

L’ancien Premier ministre Edouard Balladur a fêté ses 89 ans hier, mais ce n’est pas la raison pour laquelle il fait un retour remarqué dans les médias cette semaine. Alerté par les égards appuyés dont Laurent Wauquiez l’a entouré le 27 janvier dernier lors du Conseil national des Républicains, Le Parisien a mené sa petite enquête et en a conclu qu’Edouard Balladur était une sorte d’éminence grise du nouveau Président du parti de droite, un « baron noir », un conseiller de l’ombre souvent consulté et volontiers écouté.

• Laurent Wauquiez ne fait aucun mystère de cette relation, bien au contraire. On dirait même qu’il la revendique, comme s’il était en recherche de légitimité et de racines dans son propre parti et de poids politique sur l’ensemble de l’échiquier national.

On le comprend, car selon un récent sondage IFOP sur le premier tour de l’élection présidentielle si elle avait lieu aujourd’hui, on voit deux têtes qui dépassent – Macron avec 36 % et Le Pen avec 23 % – puis on voit un Mélenchon challenger avec 16,5 %, tandis qu’avec un 8 % peu flatteur pour le leader d’un parti qui a le deuxième groupe le plus important à l’Assemblée nationale, Wauquiez se retrouve à faire de la figuration en compagnie de Benoît Hamon et Nicolas Dupont-Aignan :

Aussi, non seulement il a longuement fait applaudir Balladur au Conseil national, non seulement il l’a placé au premier rang à ses côtés (voir photo de couverture), mais, fidèle à son goût pour la métaphore Star Wars, il n’hésite pas à expliquer à son propos :

« C’est comme un grand maître Jedi auprès duquel on vient prendre conseil. Il est à la fois exigeant et bienveillant. Il me fait du bien. »

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Surtout, Balladur surgit d’une époque où la droite, évincée en 1981 par François Mitterrand, avait récupéré par deux fois (en 1986 et en 1993) les suffrages des Français après la débâcle des expériences socialistes, aussi bien dans leur version extrême avec le Programme commun de la gauche que dans leur version social-démocrate avec la « deuxième gauche » de Michel Rocard et successeurs.

Pour le dire avec les mots de Laurent Wauquiez :

« Il incarne le souvenir d’une époque où la France était prospère, avec une droite au pouvoir et qui s’assumait. »

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De son côté, Edouard Balladur se défend de tout rôle occulte. A l’entendre, il soutient Laurent Wauquiez par discipline de parti comme il aurait soutenu tout autre titulaire de la Présidence LR, exactement comme il a soutenu d’abord Sarkozy lors de la primaire de droite, puis comme il s’est rallié à Fillon quand ce dernier l’a emporté. Et maintenant, selon une formule qui a fait son chemin depuis l’élection de Macron, il considère tout simplement qu’il faut « laisser sa chance » à Wauquiez.

Il n’empêche que les deux hommes se parlent au téléphone et se rencontrent (trois fois par an pendant une heure exactement, nous révèle Le Parisien) et que l’ancien Premier ministre n’est pas sans influence sur le jeune leader de la droite. C’est d’autant plus intéressant qu’Edouard Balladur est considéré comme un homme politique libéral, tandis que Laurent Wauquiez ne l’est guère, même flanqué d’une Virginie Calmels qui dirige le courant DroiteLib au sein des Républicains.

• Né en 1929 à Izmir (ex-Smyrne) en Turquie dans une famille d’origine arménienne convertie au catholicisme, Edouard Balladur passe son enfance et son adolescence à Marseille puis il rejoint Sciences Po Paris dont il sort diplômé en 1950. La tuberculose l’oblige à interrompre ses études pour un temps, mais il intègre l’ENA en 1955 et devient conseiller d’Etat en 1957.

En 1964, il entre au cabinet du Premier ministre Georges Pompidou qui le nomme Secrétaire général de l’Elysée (d’abord adjoint puis en titre) quand il est élu Président de la République en 1969. Sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing et au début de celle de Mitterrand, il réintègre d’abord le Conseil d’Etat puis dirige différentes entreprises privées, notamment GSI, la filiale de services informatiques de la CGE (future Alcatel).

Toujours courtois à la limite du compassé et maladivement ponctuel, offrant au public l’image d’un homme scrupuleusement élégant (costumes « british » de Savile Row et chaussettes rouges Gammarelli comme les papes), il marie « le velouté de l’homme de cabinet et la civilisation de la confiture de rose », ainsi que l’exprimait joliment un écrivain de ses amis.

Première cohabitation avec Mitterrand (1986-1988)

La carrière politique d’Edouard Balladur commence véritablement avec les élections législatives de 1986(1) qui voient la droite reprendre la majorité aux socialistes (voir ci-contre la composition de l’Assemblée). Il est élu député RPR(2) de Paris, mais Jacques Chirac ayant été nommé Premier ministre dans le cadre inédit d’une cohabitation avec un Président socialiste, il rejoint le gouvernement comme ministre d’État, ministre de l’Économie, des Finances et de la Privatisation, ce dernier titre étant une nouveauté.

Il faut se rappeler que si Jacques Chirac voulait d’abord faire du RPR une force politique social-démocrate sur le mode d’un travaillisme à la française, la mise en place du programme commun de la gauche à partir de 1981 change complètement la donne et le transforme soudain en chantre du libéralisme.

Balladur lance donc une série de privatisations qui concernent aussi bien des nationalisations effectuées au lendemain de la seconde guerre mondiale que celles du gouvernement Mauroy.

Comme souvent, la priorité du gouvernement est l’emploi. Les chômeurs, environ 600 000 en 1974, étaient passés à 1,5 millions en 1981 sous l’effet du choc pétrolier. Le programme commun de la gauche n’avait rien arrangé, bien au contraire, puisqu’on en dénombrait 2,2 millions en 1986. Il décide donc de rendre le marché du travail plus flexible (tiens, comme c’est étrange !) en supprimant l’autorisation administrative de licenciement, en encourageant l’investissement et en faisant revenir les capitaux par suppression de l’IGF(3) (Impôt sur les grandes fortunes établi par les socialistes) et amnistie fiscale.

Ces mesures redonnent quelques couleurs à l’économie française : l’inflation repasse sous les 3 % après avoir atteint 13,4 % en 1981, la croissance repart (4,5 % fin 1988) et le taux de chômage amorce un petit retournement de 10,5 %  en 1986 à 9,8 % en 1988.  Le déficit public tombe de 3,2 % du PIB en 1986 à 2 % en 1987 et le ratio dette sur PIB se stabilise aux alentours de 33 %. Michel Rocard, qui succède à Jacques Chirac à Matignon lorsque Mitterrand est réélu en 1988, profitera largement des réformes « libérales » entreprises par la droite.

Seconde cohabitation avec Mitterrand (1993-1995)

La cohabitation de 1986 se reproduit de façon encore plus nette lors des législatives de 1993 (voir graphique ci-contre) sur fond de chômage qui augmente, de récession et de dette et de déficit publics qui explosent (respectivement 46,6 % et 6,4 % du PIB en 1993 dans le budget Bérégovoy).

Echaudé par son échec présidentiel de 1988, Jacques Chirac pense que le poste de Premier ministre ne doit pas être occupé par le futur candidat présidentiel de la droite. Il laisse donc la place à Balladur, étant entendu que celui-ci ne se présentera pas en 1995.

Mais bénéficiant d’une belle cote de popularité (58 % en octobre 1994) dans un contexte de crise économique et dans une ambiance de fin de règne mitterrandien, Balladur se présente néanmoins. Il est éliminé au premier tour et Chirac est élu (puis réélu en 2002) mais son initiative (trahison ?) crée une fracture durable au sein de la droite, avec d’un côté le clan Chirac Juppé et de l’autre le clan Balladur Sarkozy (ce dernier étant ministre du budget de Balladur entre 1993 et 1995).

Sur le plan économique, les privatisations sont à nouveau au menu (j’avais eu l’occasion de signaler qu’elles avaient « traumatisé » le très étatiste Florian Philippot !), le système des retraites par répartition connaît une première réforme (allongement de la durée de cotisation de 37,5 à 40 ans pour le régime général) et Balladur insiste sur la nécessité de restaurer les finances publiques.

Mais si le déficit sera ramené à 5,1 % du PIB en 1995, la dette continue de grimper pour dépasser les 55 % la même année. Balladur avait d’ailleurs lancé un grand emprunt d’Etat auprès des Français qui rapporta plus de 100 milliards de Francs au lieu des 40 prévus. Gros succès donc, mais un grand emprunt reste une dette …


Tableau récapitulatif des principales données utilisées

1981 1986 1987 1988 1993 1995 2017
Inflation (%) 13,4% 2,7% 3,1% 2,7% 2,1% 1,9% 1,0%
Chômage (millions) 1,5 2,2 2,2 2,1 2,6 2,6 2,5
Déficit public
(% du PIB)
-2,4% -3,2% -2,0% -2,6% -6,4% -5,1% -2,6%
Dettepublique (% du PIB) 22,0% 31,3% 33,7% 33,6% 46,6% 56,1% 97,0%

Sources : Inflation, Chômage (définition Insee), Déficit, Dette.


Quand on l’interroge sur son action économique lors des deux cohabitations, Edouard Balladur insiste tout particulièrement sur l’ambitieux programme de privatisations qu’il a mené à bien. Il considère même qu’en ce domaine très libéral, il est allé plus vite et plus loin que Margaret Thatcher. C’est du reste pour cela qu’il fut récompensé du Prix Jacques Rueff 1986.

Un Jacques Rueff dont il est finalement assez proche dans sa conception du libéralisme. Celui-ci avait en effet un désaccord avec les libéraux classiques car il considérait que l’ordre spontané n’existait pas, ou alors la société ne serait pas ordonnée. Or Balladur constate aussi qu’il n’est pas toujours en odeur de sainteté dans certains milieux qu’il qualifie d’ultra-libéraux. « La faute à ma conception d’un libéralisme ordonné » estime-t-il.

Balladur se montre également réticent lorsqu’il est question de traités de libre-échange. Expliquant (début 2017) qu’il a recommandé au Président du Sénat de ne pas ratifier le Traité de libre-échange entre l’Europe et les Etats-Unis (TAFTA) tant que les conditions ne seraient pas égales de deux côtés de l’Atlantique, il prône plus la surenchère protectionniste que la désescalade :

« Je ne suis pas partisan du protectionnisme, mais d’une concurrence entre égaux. »

.
Une position qui le rapproche très nettement de
celle adoptée récemment par Virginie Calmels et qui traduit assez clairement les limites du libéralisme au sein de la droite française. Au-delà de l’assainissement des finances publiques (et encore…), l’Etat garde son importance et le pays ses frontières, y compris pour les biens et services. En cela, il n’y a pas de raison qu’Edouard Balladur et Laurent Wauquiez ne puissent pas s’entendre.


Cet article et ceux que j’ai écrits sur Jacques RueffFrançois MitterrandJacques ChiracMichel Rocard, Alain Juppé et François Hollande, peuvent être considérés comme les éléments d’une petite contribution à l’histoire économique et politique de la Vème République.


(1) Scrutin à la proportionnelle intégrale qui donne deux sièges de plus que la majorité absolue à la droite et qui fait entrer 35 députés FN à l’Assemblée.

(2) Le RPR a été créé en décembre 1976 par Jacques Chirac par transformation du parti gaulliste UDR. Il deviendra ensuite UMP puis LR.

(3) Il a été rétabli par Rocard en 1989 sous l’acronyme ISF (Impôt de Solidarité sur la Fortune) et transformé en IFI (Impôt sur la Fortune immobilière) par Macron en 2018.


Illustration de couverture : Edouard Balladur avec Laurent Wauquiez lors du Conseil national des Républicains le 27 janvier 2018. Photo : Thomas Padilla / Maxppp.

8 réflexions sur “BALLADUR : le retour en « grand maître Jedi » de Wauquiez !

  1. Edouard Balladur était mon préféré, de très loin, en 95. Je fus même président de son comité de soutien dans un pays étranger. Il me semblait avoir dix fois plus de qualités que Chirac. Il aurait fait un bien meilleur chef
    de l’Etat. Mais dans le serrement de mains, la blague salace, le pied de cochon, les sourires à tout le monde, Chirac était bien meilleur.
    Balladur avait l’estime de Pompidou, il fut un très bon premier ministre, pendant la cohabitation avec Mitterrand.
    Les Guignols, les médias idiots, le Canard, l’ont ridiculisé et son image n’est pas bonne, aux yeux des gens superficiels et mal informés.
    Laurent Wauquiez ne pouvait pas trouver meilleure éminence grise. J’espère
    que la chose est vraie.
    Et, je songe à l’enseigne de votre blog, Edouard Balladur, en économie, est indéniablement libéral.

  2. Chère Nathalie MP.
    C’est à Balladur, en 93, que l’on doit les 25 ans de calcul pour la retraite, contre les 6 mois pour les ponx …
    C’est tout de même curieux pour un libéral, non ?
    Il doit y avoir une contorsion intellectuelle qui échappe au vulgum pecus …

    • Il n’a pas vraiment institué ce système à 2 vitesses, disons plutôt qu’il n’a pas touché (volontairement pour éviter de fâcher trop de monde à la fois) à la fonction publique. (Ce qui sera l’objet du plan Juppé en 1995 dont on sait comment il a fini).
      Mais comme je le dis en conclusion, d’une part il a laissé filé la dette en 93-95 et d’autre part, de façon très conforme à la droite, et à Wauquiez (ou Peltier) qui n’a de cesse de taper sur la mondialisation et d’ironiser sur les « golden boys », et maintenant sur l’ultra-libéralisme de Macron qui veut supprimer l’Exit Tax, il comprend mal l’idée de société d’échange. Donc on parle en effet d’un libéralisme très encadré …

      • « il n’a pas touché » …. Eh oui, il aurait pu, il aurait dû, mais s’est bien gardé de le faire, car, comme pour tout étatiste qui se respecte dans ce pays, il faut éviter de contrarier certaines catégories de la population, qui peuvent être bien utiles par ailleurs ….
        C’est avec cette trajectoire, que ce pays en est arrivé où il en est …..

      • Oui, c’est ça. Il aurait pu tirer vers le haut, et améliorer les conditions de calcul. Les politiciens, c’est des types, t’sé, ils ont deux boutons devant eux : tirer vers le haut, et tirer vers le bas. Quand ils appuient sur le premier, ça donne du pognon à tout le monde. C’est du pognon gratuit. Les ouvriers de la Banque de France, ils peignent les billets à la main, sans être payés, parce qu’ils sont gentils. Et puis ils les donnent à l’Etat, et l’Etat il les donne à nous. S’il est gentil.

        Et puis il y a les mauvais politiciens, les politiciens méchants, ils appuient sur le bouton qui tire vers le bas et dégrade les conditions de calcul. Ils sont cons, ces politiciens. Alors qu’il suffirait d’appuyer sur le bon bouton, celui qui nous donne de l’argent gratuit pour rien.

  3. J’ai un fils qui rigole toujours de Balladur qui mange ses frites au col de Balme avec Sarkozy (qui lui cire les pompes) au hasard d’une rencontre qu’il avait faite, gamin en faisant le tour du Mont-Blanc. On en trouve encore des traces sur internet :
    http://www.liberation.fr/france-archive/1996/07/23/balladur-la-haut-sur-la-montagne-il-recevait-ses-amis-politiques-a-chamonix-au-menu-frites-et-jambon_176452
    Balladur est une sorte de Raymond Barre, rares politiques qui comptent les sous de la République avant de sortir le carnet de chèque (compte approvisionné par nous) pour le moindre problème. Que savent-ils faire d’autre nos politiques ?
    Souvent très tôt le matin je me suis trouvé à prendre le TGV avec R. Barre et presque systématiquement la rame était à l’envers de ce qui était prévu à son arrivée à quai, ce qui obligeait à un chassé-croisé de dernière minute. Immanquablement le chef de quai courait s’excuser auprès du ministre qui soupirait bruyamment : « service public à la française ! ».
    Ces deux là étaient plus libéraux que tous les autres, c’est pas difficile !
    Souhaitons que Balladur puisse inspirer Wauquiez mais ce sera difficile pour ce premier de la classe qui n’a jamais joué sa peau, d’avoir des réflexes économiques de bon sens.
    Voyez B Lemaire (même type de pédigrée) qui propose de « flécher » notre épargne en direction de ce qu’il pense être bien pour nous, c’est- à-dire la bourse et les entreprises alors que sa déclaration de patrimoine démontre son inexpérience totale dans le domaine…

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