Venezuela : le pays du socialisme radieux où l’avenir rime avec exil

Mise à jour du lundi 21 mai 2018 : Au terme d’une élection présidentielle anticipée sur le calendrier ordinaire, émaillée d’irrégularités, et à laquelle les forces d’opposition n’ont pas participé en signe de protestation, Nicolás Maduro a été « réélu » hier (20 mai 2018) pour 7 ans avec un score de 67,7 % et une abstention d’environ 54 %. Les candidats acceptés par le pouvoir pour donner une apparence démocratique au scrutin ont déclaré qu’ils ne reconnaissaient pas le résultat et demandent la tenue d’une nouvelle élection pour la fin de l’année. Trump a annoncé qu’il ne reconnaîtrait pas l’élection, l’UE pourrait faire de même.

L’Europe n’est pas la seule à devoir faire face à une lourde crise migratoire. D’après le quotidien colombien El Espectador, 550 000 migrants vénézuéliens ont été enregistrés en Colombie en 2017. Le Venezuela connaît-il la guerre et le terrorisme comme la Syrie ou l’Irak ? Manque-t-il de ressources ? Non. Il connaît juste l’inéluctable descente aux enfers politique, économique et sociale du socialisme réel brillamment instauré en 1999 par Hugo Chávez et brillamment porté à son sinistre apogée par son successeur Nicolás Maduro depuis 2013.

• Riche de son industrie pétrolière et de son agriculture, le Venezuela fut traditionnellement un pays d’immigration, aussi bien en provenance d’Europe (Italie, Espagne, Portugal) qu’en provenance des autres pays d’Amérique du Sud. Mais depuis l’arrivée d’Hugo Chávez au pouvoir, la situation migratoire s’est complètement inversée et les départs se sont encore accrus sous Maduro. L’an dernier, on estimait à plus de 2 millions les Vénézuéliens qui avaient quitté leur pays, dont 400 000 aux Etats-Unis et 300 000 en Espagne.

Depuis, les choses se sont tellement accélérées que de l’avis même des autorités des pays d’accueil, il est extrêmement difficile de maintenir les statistiques à jour. En Colombie, le chiffre officiel de 550 000 migrants doit être au minimum doublé pour tenir compte des arrivées clandestines. Comme tout bon gouvernement communiste, le gouvernement vénézuélien fait tout pour empêcher la fuite de sa population et limite l’accès aux services et aux documents permettant de circuler. Dernièrement, il a bloqué la page internet qui permettait de commander un passeport.

Les vénézuéliens craignent aussi que le passage légal à l’étranger ne les fasse figurer sur une liste d’opposants au régime, ce qui pourrait attirer des représailles sur leur famille, comme ce fut plusieurs fois le cas précédemment. L’affaire de la liste Tascón est encore dans toutes les mémoires. En 2003, 2,4 millions de personnes ont participé à une pétition légale afin de demander la tenue d’un référendum de révocation du Président Chavez. Celui-ci, déclarant que « quiconque signe contre Chávez, signe contre la patrie », utilisa cette liste pour écarter les signataires des emplois publics, les harceler politiquement et leur refuser la délivrance de certains documents officiels.

Au-delà de la Colombie, en première ligne ces derniers temps, le Brésil, le Pérou, l’Equateur et le Chili sont les destinations privilégiées des migrants vénézuéliens. On estime que depuis le début de l’année 2018 environ 1000 personnes se présentent chaque jour aux frontières des différents pays.

Et comme dans toutes les histoires de migration, rien n’est simple. En Colombie, le Président Santos souhaite durcir les conditions d’accueil et renforcer les contrôles à la frontière avec le Venezuela. Au Brésil, la petite ville de Pacaraima, 12 000 habitants, doit faire face chaque jour à des centaines et des centaines d’arrivants du Venezuela dans des conditions épiques. Au point de lasser la patience des habitants :

« Ici, tout a empiré. Ils (les Vénézuéliens) ne font rien à part voler. Si ça ne tenait qu’à moi, on fermerait la frontière. »

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Hormis le Chili, dont la situation économique et sociale est à mon avis la plus porteuse d’Amérique du Sud, on peut difficilement qualifier les autres pays d’accueil d’Eldorados. Je connais le Pérou, c’est un pays attachant, c’est un pays qui est sorti de ses convulsions terroristes marxistes des années 1980, c’est même un pays qui a enregistré de vrais progrès, mais c’est malgré tout un pays pauvre. Penser que les ressortissants vénézuéliens rêvent d’atteindre le Pérou en dit long sur la gravité de la situation qu’ils quittent.

• Quand on les interroge, ils parlent de l’abominable pénurie alimentaire qui règne, du manque criant de tout médicament, des infrastructures publiques délabrées, de l’insécurité exacerbée par la répression policière, de l’inflation galopante et des restrictions constantes des libertés individuelles :

« C’est une dictature, si on ne pense pas comme le gouvernement, on se fait violenter. Les journalistes ne peuvent pas faire leur travail et si on s’exprimait sur les réseaux sociaux, on irait en prison”.

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Après avoir refusé le résultat des élections législatives de décembre 2015 qui ont vu l’opposition prendre le contrôle parlementaire, Nicolás Maduro n’a eu de cesse de chercher à conserver le pouvoir, et toutes les manipulations institutionnelles sont bonnes pour y parvenir.

Car comment procède Nicolás Maduro lorsque tout l’afflige et lui nuit et conspire à lui nuire ? Il décide que la nouvelle Assemblée élue en décembre 2015 est illégitime et il fabrique à côté une Assemblée constituante en y plaçant d’office ses partisans. Sans oublier bien sûr d’enrober le tout dans le discours automatique de l’extrême-gauche sur la justice sociale, les augmentations de salaire et la libération des peuples – ce qui, dans le cas du Venezuela, n’exclut nullement les actes de répression violente qui ont fait 124 morts d’avril à juillet 2017 et encore quelques-uns en ce début d’année.

Devant l’aggravation catastrophique de la situation économique et sanitaire, des négociations se sont ouvertes cet automne entre l’opposition (coalition appelée Table de l’unité démocratique ou MUD) et le gouvernement : il s’agirait pour l’opposition de reconnaître la nouvelle Assemblée constituante en échange de l’ouverture d’un « canal humanitaire » pour acheminer des aliments et des médicaments vers la population en détresse et de garanties concernant l’élection présidentielle théoriquement prévue à la fin de l’année.

Mais là encore, Maduro a montré son esprit manipulateur en annonçant fin janvier des élections présidentielles anticipées pour le 22 avril 2018 (MÀJ : finalement le 20 mai 2018) pour garder le pouvoir, comptant sur la division de l’opposition, sur le temps court pour qu’elle puisse mener campagne, et même carrément sur son refus de participer à une mascarade de plus.

Argument : les pays de l’Union européenne ont voté des sanctions contre le Venezuela (embargo sur les armes et gel des comptes bancaires des hauts dirigeants du régime, plus exactement), nous allons leur montrer notre légitimité populaire.

Toujours dévoué à sa propre cause, Nicolás Maduro s’est donc mis à la disposition du peuple pour rempiler.  Sur la photo ci-contre (à gauche), on le voit tout content : il vient d’annoncer sa candidature. A peu près certains qu’il n’y aura pas de candidat d’opposition sérieux, lui et ses acolytes ne se gênent pas pour fanfaronner :

« Nous n’allons pas avoir de problèmes, nous avons un seul candidat pour poursuivre la révolution. » 

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• Quand on sait ce que la « révolution » a permis d’obtenir, il y a de quoi frémir pour la suite, et c’est bien pour cela que les Vénézuéliens continuent à déserter le pays.

En début d’année, le magazine britannique The Economist a publié ses prévisions de croissance pays par pays pour 2018 (graphique ci-contre). Le Venezuela a l’honneur douteux de figurer au premier rang des pays qui seront en récession, avec un recul du PIB de presque 12 %. Selon le FMI, le PIB s’est réduit de 33 % depuis 2014.

Bien que possédant les plus importantes réserves de pétrole du monde et une expérience industrielle de plus de 100 ans dans le domaine, le Venezuela a été incapable de maintenir sa production de pétrole. Marquée par la corruption et le manque d’investissement, elle s’est effondrée, ce qui prive le pays des devises étrangères qui lui permettraient d’acheter les biens de première nécessité qui font tant défaut à la population.

La pauvreté qui était de 49 % à l’arrivée de Chavez affecte maintenant 87 % de la population. Le pays est en hyper inflation (2 400 % en 2017, 13 000 % prévu en 2018) et les habitants manquent de tout. La sous-alimentation gagne tout le monde à tel point que les Vénézuéliens ont perdu 11 kg en moyenne en 2017 ! Pour donner une idée de la situation sanitaire désastreuse, il suffit de savoir que la mortalité infantile est en forte hausse depuis 2015 (de 14,8 ‰ à 18,6 ‰, soit plus qu’en Syrie) et que nombre de maladies qui avaient été éradiquées sont de retour.

Le Bolivar ne valant plus rien, le régime tente maintenant d’introduire une nouvelle monnaie pour récolter des devises. Il s’agit du Petro, curieuse crypto-monnaie d’Etat adossée aux réserves de pétrole du pays. Vu l’état délabré des institutions et de l’économie du pays, vu l’inflation subie par le Bolivar dans un pays que tout le monde sait riche en pétrole, rien ne dit qu’il y aura assez d’investisseurs prêts à faire confiance à la gestion calamiteuse du gouvernement en place.

On constate une fois de plus les retombées toujours souriantes de l’idéologie marxiste collectiviste couplée à une redistribution clientéliste intense et à l’immense corruption des apparatchiks au pouvoir. Comme l’écrivait Laurence Debray, vénézuélienne par sa mère, dans Le Point en novembre dernier, le Venezuela a certes souffert de la corruption dans le passé, mais :

« Dans l’histoire des dictatures latino-américaines (…) aucune élite militaire ne s’est jamais autant enrichie, battant un record pourtant difficile à atteindre ! La fille d’Hugo Chávez est devenue en quelques années la femme la plus riche du pays. »

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Comment s’étonner dès lors qu’une fois tous leurs papiers en main pour entrer en Colombie, en Equateur ou ailleurs, c’est dans une explosion de joie que Carlos, Victor et les autres traversent la frontière qui les sépare de leur avenir ?

“Il faut nous comprendre, on est tellement heureux ! On va enfin pouvoir commencer une nouvelle vie ailleurs. Ça y est, le cauchemar est fini !”

Un cauchemar qui continue d’inspirer Jean-Luc Mélenchon. Au secours !


La suite de cet article est à découvrir dans :
Maduro : la victoire en câlinant, en affamant et en trichant
(22 mai 2018)


Illustration de couverture : des migrants vénézuéliens sont massés à la frontière colombienne dans la ville de Cucuta le 25 juillet 2017. AFP.

11 réflexions sur “Venezuela : le pays du socialisme radieux où l’avenir rime avec exil

  1. Pour être honnête peut-être faudrait-il ajouter qu’un puissant voisin aimerait bien bénéficier d’une si considérable réserve de pétrole. Qu’elle soit mal exploitée arrange beaucoup de monde…
    L’Amérique aux américains n’est pas une veine formule, dommage que ce bon principe déborde jusque chez nous !!!

  2. Selon le même modèle Mme Hidalgo annonce le lancement de sa première « crypto », qui sera baptisée « Olympico » pour faire face financièrement aux Jeux olympiques de 2024.
    Pauvres parisiens qui vont bientôt se réfugier en province !

  3. Ce qui est très rigolo (pas pour tout le monde…), c’est que Mélenchon s’énerve désormais quand on lui parle du Venezuela. Il a dit à un journaliste quelque chose comme « lâchez-moi avec ça, ça va bien maintenant ». Parmi les adorateurs du chavisme, il y a aussi le communiste Jeremy Corbyn, qui dirige le parti travailliste en Grande-Bretagne.

    Pour le première fois depuis bien longtemps, un paradis communiste à réussi, à nouveau, à faire mourir de faim ses habitants : en l’occurrence, les enfants. Notamment parce que le lait maternisé est indisponible ou hors de prix.

    https://www.nytimes.com/interactive/2017/12/17/world/americas/venezuela-children-starving.html

    Quels sont les précédents ? En URSS, l’Holodomor. C’était avant la Seconde Guerre mondiale. Il doit bien y avoir quelques autres cas, mais je ne les ai pas en tête. Chavez, Maduro et Mélenchon peuvent être fiers.

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  5. Pas de manif pour la misère de ce peuple et contre la répression des opposants, une couverture plus que minimale de la presse sur ce sujet, il n’y a pas de doutes, être un dictateur de gauche vous permet tout.

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