Tiens, la concurrence a du bon !

En voilà une nouvelle ! La concurrence serait parfois intéressante pour le pouvoir d’achat des consommateurs ! Ce n’est pas moi qui le dis, mais le journal Le Monde qui a publié hier les résultats de son baromètre annuel sur les tarifs bancaires avec ce titre magnifique : « Quand la concurrence freine la hausse des frais bancaires » ! 

Et dire qu’on croyait tous que la concurrence était une déviance ultra-libérale complètement débridée par lequel le capitalisme le plus sauvage se remplit les poches de profits honteusement gagnés au prix de la misère la plus noire et d’inégalités galopantes ! Mais ça a l’air un petit peu plus compliqué…

• Passablement médusée par ce titre très inhabituel chez notre grand quotidien de référence, j’ai plongé dans la lecture de l’article. J’ai ainsi découvert que Le Monde publie depuis quelques années un baromètre sur les tarifs des banques pour les particuliers en association avec le site Meilleurebanque.com qui est un comparateur en ligne de frais bancaires appartenant au groupe de courtage de prêts Meilleurtaux.

Méthodologiquement, Meilleurebanque.com a passé en revue les nouvelles plaquettes tarifaires 2018 de 170 établissements bancaires classiques ou en ligne et les a appliquées à 6 profils de clients différents : jeune inactif, jeune actif, employé, cadre, cadre supérieur et senior. Les paramètres d’opérations bancaires et de revenus retenus pour chacun d’eux sont détaillés à la fin de l’article.

Si l’étude 2018 fait ressortir une petite hausse tarifaire moyenne de 0,34 % par rapport aux tarifs appliqués en 2017, hausse effectivement très modérée puisqu’on anticipe une inflation de 1 % en 2018, la rétrospective des baromètres similaires pour les années précédentes montre que ces tarifs s’inscrivent dans un mouvement de baisse depuis quelques années, comme on peut le constater dans le tableau ci-dessous.

Dans la colonne « Variation frais », j’ai reporté la hausse moyenne des tarifs de l’année considérée par rapport à ceux de l’année précédente. Dans la colonne suivante, j’ai donné la valeur 100 aux tarifs appliqués en 2012 et j’en ai déduit la valeur des tarifs des années suivantes grâce aux variations annuelles moyennes calculées par Meilleurebanque. Puis j’ai fait la même chose avec l’inflation dans les deux colonnes en bleu.

France : Variation annuelle des frais bancaires pour les particuliers
Année Variation frais       En base 100            Inflation     En base 100
2012 100 100
2013 1,22 % 101,22 0,90 % 100,90
2014 -2,02 % 99,18 0,50 % 101,40
2015 -3,50 % 95,70 0,00 % 101,40
2016 1,40 % 97,04 0,20 % 101,61
2017 1,16 % 98,17 1,00 % 102,62
2018 0,34 % 98,50 Est. 1,00 % Est. 103,65

On voit donc qu’entre 2012 et 2018, les tarifs bancaires sont passés de 100 à 98,50 soit une baisse de 1,50 % tandis que l’inflation était de 3,65 % (avec une estimation de 1 % pour 2018). La baisse déflatée sera donc d’un peu plus de 5 % en six ans.

L’étude met aussi en évidence la grande disparité des tarifs pour tous les profils testés selon que la banque est une grande banque de réseaux (classique ou mutualiste : Société générale, Crédit agricole etc…) ou une banque en ligne telle que Boursorama ou Fortuneo. Pour le profil « cadre », par exemple, les frais peuvent aller de 267 € à 55 € respectivement.

• Pour expliquer la stagnation tarifaire de 2018, la journaliste du Monde commence par mettre en avant la loi sur la mobilité bancaire qui a pris effet il y a exactement un an (le 6 février 2017). Introduite dans la loi Macron de 2015, cette disposition vise à faciliter le changement de banque des particuliers en fixant par la loi l’obligation de la nouvelle banque d’assurer elle-même, gratuitement et dans des délais définis toutes les démarches de transfert des ordres de virements et de prélèvements de l’ancien compte vers le nouveau.

On observe cependant qu’au bout d’un an, elle n’a pas eu d’effet significatif. Les Français s’avèrent très fidèles à leur banque où ils restent en moyenne une quinzaine d’années. Cette durée tend à diminuer, mais ni plus ni moins qu’avant la loi sur la mobilité. On constate même, si l’on en croit une étude de l’association UFC Que Choisir, que la gratuité exigée de l’ancienne et de la nouvelle banque pour le transfert des comptes les pousse à renchérir d’autres frais non réglementés dans la loi mobilité.

Pour Que Choisir, cette situation reflète « les nouvelles entraves mises par la banque à la concurrence » et appelle à l’évidence de nouvelles mesures coercitives. J’exprimerais les choses différemment – libéralement 🙂 : l’Etat a jugé utile de s’immiscer dans la tarification bancaire ; il a donc décidé de fixer certains prix en dehors de toute référence au marché, uniquement sur la base de son idée de ce que doit être le prix d’un transfert de compte, c’est-à-dire gratuit.

Résultat : au lieu de favoriser la mobilité, cette loi, comme toutes les lois défavorables à un acteur de façon unilatérale et discrétionnaire, entraîne inéluctablement ses contournements et favorise un obscurcissement complet du système de prix en vigueur pour ce type de service, à mille lieues de ce que devrait être un marché libre et concurrentiel.

• Mais puisque l’on constate globalement une baisse des tarifs bancaires, il reste une explication, à laquelle se rallie à juste titre la journaliste du Monde, celle d’une concurrence accrue qui voit des entrants arriver à tout moment avec de nouvelles idées de service pour le consommateur.

Comme pour de nombreux autres secteurs – taxis, transport aérien, hébergement, médias, … – les grandes banques de réseaux, qui considéraient jusqu’ici leur clientèle comme captive et dans une certaine mesure héréditaire, sont bousculées – entre autres(*) – par la révolution des technologies de l’information.

Des banques directes, puis en ligne, telles que ING Direct, Boursorama ou Fortuneo sont arrivées sur le marché depuis quelques années avec des structures de coûts réduites. Elles sont encore loin d’avoir le nombre de clients des banques traditionnelles (1 million pour les deux premières contre 7 millions pour BNP Paribas et 27 millions pour le Crédit agricole), mais elles grignotent petit à petit le marché par leur tarifs attractifs et leurs services rapides et simplifiés.

Ce mouvement profite bien évidemment à leurs clients, des jeunes qui ouvrent leur premier compte chez elles ou des transfuges des banques classiques, mais il profite également aux clients de ces dernières sans qu’ils aient à bouger car leur banque est alors poussée à moderniser son offre, affiner ses services et ajuster ses prix. Un nouvel entrant de qualité sur un marché et c’est tout le secteur qui est entraîné vers l’avant. Nul besoin de loi pour fixer arbitrairement les paramètres de la concurrence.

En ce début d’année 2018, les activités bancaires sont encore une fois en pleine évolution du fait de l’arrivée depuis novembre dernier d’un nouvel opérateur doté d’un potentiel de développement important : Orange Bank. Ce nouveau venu, beaucoup plus que la loi Macron sur la mobilité bancaire, fait craindre aux banques installées de perdre des clients ou de ne pas parvenir à capter les jeunes générations qui commencent tout juste à faire usage de produits bancaires.

Se revendiquant 100 % mobile et s’appuyant sur le potentiel de clients de son activité télécom ainsi que sur la notoriété de sa marque, Orange Bank fait partie de ces « néo-banques » qui s’attaquent non seulement aux banques traditionnelles mais également aux banques en ligne « ancienne » génération, tout comme les VTC, après être venus concurrencer les taxis réglementés, ont dû faire face  à l’arrivée d’UBER.

Cet exemple des prix des services bancaires montre très clairement deux choses :

· La coercition par la loi, en brouillant complètement le marché, est inopérante pour faire advenir une situation qui soit favorable aussi bien aux consommateurs qu’aux producteurs. C’est pourtant un mode d’action très en vogue chez nos dirigeants, y compris chez Emmanuel Macron et ses ministres qui rêvent d’instaurer partout le « juste » prix, notamment dans l’agriculture et l’alimentation.

· Le libre jeu de la concurrence, la possibilité (pas l’obligation) que de nouveaux acteurs entrent sur un marché, se traduit par une amélioration de la situation des consommateurs, que ce soit en matière de prix ou en matière de qualité de service ou les deux.

Ce qui est vrai pour les services bancaires l’est aussi pour d’autres secteurs – transports ferroviaires, éducation, sécurité sociale … – qui gagneraient à s’ouvrir à de nouveaux acteurs pour échapper à la malédiction des déficits couplés à l’insatisfaction élevée des bénéficiaires.


(*) On peut aussi citer les établissements de crédit spécialisés – pour le crédit auto par exemple –  et les courtiers de prêt comme Meilleurtaux.


Illustration de couverture : En-tête d’un article du Monde du 6 février 2018 sur les bienfaits de la concurrence appliquée aux tarifs bancaires.

8 réflexions sur “Tiens, la concurrence a du bon !

  1. Oui la concurrence profite à tout le monde, à commencer par le consommateur mais pas seulement. La concurrence pousse les producteurs de biens et services à faire toujours mieux pour moins cher. C’est un moteur de progrès. C’est tellement évident que cela crève les yeux…

  2. La concurrence, c’est bon quand ça fait du mal à lébanks, parce que lébanks c’est méchant, capitaliste et de droite. Et ultra-libéral. C’est beaucoup moins bien quand ça fait du mal à la Sécu, parce que la Sécu c’est gentil, communiste et de gauche, et d’ailleurs le monde entier nous l’envie.

    Le gouvernement français, tout comme « l’Europe », adorent imposer des prix bas pour « corriger des injustices ». Souvent, les victimes de ces « injustices » sont des personnes aisées, qui n’ont pas trop de problèmes pour payer les prix demandés.

    Par exemple, « l’Europe » a imposé la gratuité des virements internationaux. Qui fait des virements internationaux ? Très peu de gens, et ceux qui en font ont en général les moyens. Résultat : les bureaucrates de Bruxelles (qui gagnent extrêmement bien leur vie) économisent quelques frais sur les virements entre la Belgique et leur pays d’origine, tandis que les pauvres d’Europe doivent payer les frais accrus inévitablement imposés par les banques pour compenser ce manque à gagner.

    Même chose avec le prix des communications téléphoniques portables passées à partir d’un pays étranger, dont « l’Europe » a décidé qu’il devait être beaucoup plus bas. Qui donc passe son temps à sillonner l’Europe en passant des coups de fil internationaux ? Des gens qui ont largement les moyens de payer la facture — ou de la faire payer par leur employeur. Etc.

    Concernant les comparaisons des tarifs entre banques concluant à une baisse, je serais méfiant. Elles reposent sur des paniers de dépenses absolument arbitraires, et souvent peu réalistes. Qui, par exemple, utilise des « chèques de banque » ? Personnnellement, cela ne m’est jamais arrivé. Ce qui est sûr en revanche, c’est que les « frais de gestion » mensuels se sont généralisés. Et ça, personne n’y échappe, sauf, parfois… les riches, justement !

    Mais nous avons aussi l’inverse : parfois, le gouvernement impose des prix plus élevés, là aussi pour « corriger une injustice » ! Et comme de juste, le résultat, là aussi, c’est que les pauvres doivent payer beaucoup plus cher…

    Ainsi, la récente interdiction des promotions 1 gratuit pour 2 achetés dans les hypermarchés. Elles permettent de faire des économies considérables sur les produits du quotidien.

    Cette mesure idiote a été déclenchée par des abrutis qui se sont tapé dessus pour une promo de Nutella. Jusqu’ici, on était ravi de se foutre de la gueule de ces connards d’Américains qui se piétinaient pour une télé lors du Black Friday. Aujourd’hui, on découvre que le concon franchouille de base fait bien pire : il serait capable de tuer père et mère pour quelques pots de Nutella à 1,70 €.

    Du coup, on passe pour des pédzouilles à côté des rednecks et autres négresses obèses, qui eux, au moins, ne consentent à marcher sur la gueule de leur prochain que pour un écran plat géant.

    En pareil cas, l’Etat se doit d’intervenir. L’image de la Frônce est en jeu. Il interdit donc les réductions pour protéger les pitits paysans — j’ignorais que la France était connue pour ses plantations de Nutella. Ces messieurs du gouvernement ont sûrement des bonniches immigrées pour leur faire les courses, parce que les promos 2 + 1 ne portent jamais sur « le filet d’oignons », comme je l’ai lu sous la plume d’un pseudo-expert servile chargé de justifier la mesure dans les médias.

    Elle portent la plupart du temps sur des produits de la grande industrie (nettoyants ménagers, boissons, piles, café…), comme le rappelle fort justement Edouard Leclerc, qui se demande comment le fait d’augmenter le prix du Coca-Cola va améliorer le revenu du producteur de porcs breton. Mais bon, pendant ce temps-là, l’Etat « agit ».

  3. Rhoooo l’Etat connaît le Juste Prix, la preuve ?
    Vers les années 2010, il a pondu un forfait social pour la téléphonie mobile, avec un juste prix de 10€ pour (de mémoire) 40 minutes de communication et 40 SMS… Wahou… Fallait fournir ses Cerfas pour montrer qu’on y avait bien droit, nom de Dieu oops, pardon crévindiou…
    Sauf que quand Free est arrivé sur le marché : forfait 2€ et 2 heures d’appel et sms /mms illimités maintenant (c’était 60 il me semble au tout début)… 5 fois moins cher et 3 fois plus de contenu, ce qui fait un rapport de 1 à 15 à la louche aristarkienne…
    Il y a 6 mois, ce forfait social mobile à 10€, complètement anachronique, était encore dans les offres Orange… L’Etat, comme d’hab, complètement à la ramasse pour établir un juste prix…

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  5. Merci beaucoup pour vos commentaires !

    @ fm06
    Oui, cela crève le yeux, et pourtant …. C’est pourquoi j’ai trouvé que cet exemple des frais bancaires rapporté par Le Monde était une bonne occasion de faire un petit point.

    @ Robert
    « La concurrence, c’est bon quand ça fait du mal à lébanks, parce que lébanks c’est méchant, capitaliste et de droite. Et ultra-libéral. C’est beaucoup moins bien quand ça fait du mal à la Sécu » :
    Oui, c’est exactement ce que je me suis dit en voyant le titre du Monde.

    @ samplayers
    Ah, oui ! Très joli cas !
    « Juste prix » : un concept impossible à définir en dehors d’un vaste blabla sauce moraline !
    Il me semble qu’on a vu des choses similaires avec l’encadrement des loyers à Paris, càd des loyers qui se trouvaient en-dessous des bornes admises et que les propriétaires n’ont été que trop heureux d’augmenter !

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