Les recettes d’Aurore Bergé pour l’école : cuculinaires !

Mes amis, je ne voudrais pas vous donner de faux espoirs, mais il semblerait bien que cette fois, ça y est ! On a enfin trouvé le régime parfait pour que notre mammouth national, dans un formidable élan de félicité et de convivialité retrouvées entre parents, profs et élèves, se remette à gambader avec grâce et légèreté vers l’excellence éducative dont les classements internationaux de ces derniers temps ne témoignaient plus guère.

Les députés Aurore Bergé (porte-parole du groupe LREM à l’Assemblée) et Béatrice Descamps (UDI) viennent en effet de remettre au ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer les conclusions de leur mission « flash » – mais peut-être pas totalement éclairée – sur ce qu’il convient de faire dorénavant dans les établissements scolaires pour restaurer …

… la qualité des programmes et l’efficacité des méthodes d’apprentissage ? L’autorité professorale sur les élèves ? Non, pas du tout ; trivialité que tout ceci ! Ce qui compte dans l’éducation, c’est la relation de confiance entre l’école et les parents, quitte à en faire tout un plat, pendant la « semaine du goût » par exemple. Quand je vous disais cuculinaire !

Question éducation, si les résultats ne sont pas au rendez-vous, les rapports ne manquent pas, qui s’empilent au chevet du malade à un rythme soutenu depuis des années. Alors que tous les ministres un tant soit peu sérieux se sont cassés les dents sur l’immobilisme intransigeant de notre monopole éducatif, Jean-Michel Blanquer semble décidé à donner un vrai coup de pied dans la fourmilière en réhabilitant les savoirs fondamentaux et les méthodes pédagogiques éprouvées – apprentissage syllabique pour la lecture ou retour des classes bilangues par exemple.

Mais au-delà de ces décisions ponctuelles, la question reste entière : par quel bout prendre cette Education nationale pachydermique(*), baignée de pédagogisme et dominée par les syndicats d’enseignants, qui ne satisfait plus personne ? A lire le rapport d’Aurore Bergé, par le petit bout de la lorgnette du « vivre ensemble » le plus niais et le plus sirupeux. 

Au menu, si j’ose dire, de l’inclusif et des caresses, de la charte en veux-tu en voilà sur « l’égale dignité des acteurs éducatifs », du jargon lénifiant et abscons qui conduit à proposer d’appeler « parents empêchés » les parents les plus éloignés de l’école. Hyper-important pour ne pas casser l’ambiance : éviter les remarques désobligeantes dans les bulletins scolaires ; elles risquent de stigmatiser l’élève sur le long terme et nuisent à la relation parents-profs. Bref, il faut passer d’une « logique de convocation à une habitude d’invitation ».

Ne se croirait-on pas à la Fête des Voisins plutôt qu’à l’école ? Chers élèves, chers parents, l’école des Amis pour la vie serait honorée de votre présence aux cours et aux réunions ; sans obligation naturellement ; apportez vos jeux et vos goûters préférés.

Résultat, Aurore Bergé en est à proposer – dans le jargon type de la terminologie en vogue à l’Education nationale – des « prétextes inclusifs » et des « rituels positifs » comme la Semaine du goût qui permettrait à « chaque parent d’apporter une spécialité culinaire de son pays ». Voilà : cuculinaire !

LCP signale que cette dernière phrase a disparu du texte après sa première publication, mais le simple fait que les deux parlementaires aient jugé l’idée suffisamment significative pour la proposer en toutes lettres souligne tout le ridicule et la vacuité achevé de leur rapport. Aurore Bergé a d’ailleurs confirmé cette proposition sur RTL.

Indépendamment du cas de l’école, la réflexion qui vient immédiatement à l’esprit quand on lit un tel document – destiné au ministre de l’Éducation, rappelons-le – concerne la teneur hautement superficielle du travail parlementaire dont il témoigne en cette occasion. La mission est qualifiée de « flash », probablement pour faire comprendre qu’elle a été menée en très peu de temps, mais il ne s’agit en réalité que d’un terme de plus de cette novlangue prétentieuse qui maquille le médiocre en exploit et qui signifie ici : nul, baclé, sans intérêt, inutile.

On n’est pas vraiment surpris. Aurore Bergé, 31 ans et venue de la droite, fait partie de ces nouveaux visages printaniers qui ont rejoint Emmanuel Macron avec l’ambition de faire de la politique autrement. Très dynamique, pleine d’idées plus mignonnes les unes que les autres, elle s’est surtout fait connaître par une succession de bourdes assez remarquables qui nous rassurent sur la succession difficile de Ségolène Royal :

Dans son impatience à démontrer que les pistes cyclables installées par Hidalgo sur les voies sur berges ne fonctionnaient pas, elle a réalisé une vidéo qui les montraient complètement désertées et qui s’avèra ensuite avoir été tournée alors que la piste en question n’était pas encore ouverte au public. Ou comment redonner des arguments à son adversaire par sa propre bêtise ! Récemment, l’émotion suscitée par le décès de Johnny lui imposait irrésistiblement la comparaison avec les obsèques de Victor Hugo.

Les enseignants, qu’elle juge déconnectés de la réalité dans certains quartiers difficiles parce qu’ils « sont, plus qu’auparavant, issus des classes les plus favorisées de la population française » doivent-ils laisser tomber Victor Hugo et passer à Johnny en classe ? En tout cas, ils sont priés d’éviter tout recours à un « vocabulaire opaque » pour se rapprocher le plus possible de la sociologie des élèves de leur établissement.

Inutile de dire qu’ils n’ont pas tellement apprécié d’être ainsi décrits et que nombre d’entre eux ont rivalisé d’ironie et de parodie pour manifester leur mécontentement :

Remarquons d’ailleurs que les événements festifs au sein de l’école auxquels les parents sont conviés comme spectateurs et parfois comme organisateurs existent déjà de longue date, à commencer par la traditionnelle et incontournable fête de fin d’année de l’école primaire. Si les profs dont déconnectés du réel, les auteurs du rapport ne le sont pas moins.

D’une manière générale, les enseignants n’aiment pas être critiqués et sont toujours très prompts à se défendre. Il est cependant exact de dire que leur métier ne suscite plus vraiment de grande vocation, que les places offertes aux concours ne trouvent plus preneurs et que bien des candidats accèdent à l’enseignement sans avoir le niveau requis, ce qui n’est pas sans conséquences sur le niveau général des élèves et des futurs professeurs.

Mais de tout ceci, le rapport ne dit pas un mot, tout comme il ne dit rien de l’élément central de l’école : la transmission des savoirs. Tout est centré sur le « vivre ensemble » cher aux progressistes, quitte à baisser régulièrement les exigences scolaires pour faire vivre le mythe d’un système éducatif égalitaire et performant.

Non pas que la relation de confiance entre les parents et l’école soit un sujet mineur. Dans mon article consacré à l’école privée hors contrat La Cordée, qui est justement une école implantée dans un quartier difficile de Roubaix, j’avais cité l’exemple d’une maman qui disait que pour la première fois de sa vie, elle n’avait plus peur d’aller voir les professeurs ou le directeur de l’école de ses enfants. Dès lors que les parents, y compris les plus « empêchés », pensent que l’école est à même d’offrir un avenir à leurs enfants, la confiance revient assez vite.

Rendre les parents sensibles aux enjeux de l’école et en faire des alliés dans l’instruction (et pas uniquement l’amusement) des élèves est bel et bien un sujet de la plus haute importance. Mais le coeur de la relation parents-école doit se focaliser sur le fait que les élèves vont à l’école pour apprendre et se cultiver afin  d’aboutir à une bonne insertion sociale et professionnelle ultérieure. La bienveillance est toujours excellente, à condition qu’elle se déploie à bon escient, dans un contexte qui peut imposer naturellement son autorité car sa crédibilité éducative est  reconnue.

Malgré toutes les bonnes intentions de Jean-Michel Blanquer, malgré plusieurs décisions pédagogiques très positives, l’Education nationale telle qu’on la connaît, c’est-à-dire énorme, uniforme, très idéologisée et pratiquement immobile peut-elle rester encore longtemps le lieu unique d’une autorité éducative crédible ?

On touche ici à la réforme cruciale de l’Instruction qui serait de mettre fin à un monopole dont on ne sait plus comment colmater les brèches, et laisser se déployer des initiatives variées, originales, inventives, proches des besoins et calibrées spécialement pour des publics d’élèves différents, afin d’aller chercher chez chacun d’eux les talents nécessaires à leur entrée dans la vie adulte et professionnelle. Il en existe déjà, qui ne demandent qu’à se déployer. L’école La Cordée, par exemple.


(*) Voir L’Éducation nationale en chiffres 2017 : 12,8 millions d’élèves, 63 000 établissements, 900 000 professeurs et 200 000 autres membres du personnel.


L’éducation est un vaste sujet qui ne saurait être traité en un seul article. J’ai développé certains points et abordé certains autres dans les articles suivants :

A l’école avec J. – M. Blanquer (21 mai 2017)

Ecole « La Cordée » : privée, hors contrat, et pourtant elle tourne ! (15 octobre 2017)

Et la dette « scolaire » ? (17 décembre 2017)


Illustration de couverture : Aurore Bergé, député LREM des Yvelines – Photo © Ludovic Marin / AFP.

12 réflexions sur “Les recettes d’Aurore Bergé pour l’école : cuculinaires !

  1. La réforme Haby de 1975 a été un raté qui n’a jamais été revu et dont le tronc commun est devenu un dogme alors que des gamins n’ont pas les capacités ou l’envie de suivre ce genre d’études. La voie de l’apprentissage leur était ouverte avant que l’Education nationale ne la sabote. La Suisse, l’Autriche ou l’Allemagne ont conservé une voie de l’apprentissage puissante et force est de constater que le taux de chômage des jeunes y est bien plus faible.

    • Je ne résiste pas. Sur les murs de la rue d’Ulm : L’Haby-cyclette, la réforme des cycles, c’est son rayon.
      J’admire ceux qui ont eu le courage de lire les 29 pages du rapport de la mission flash de la greluche. Une diversion pour laisser Blanquer réformer tranquillement ?

  2. 275.000 contrats d’apprentissage signés en 2016 à l’échelle nationale, contre plus de 300.000 en 2012. Le gouvernement veut réformer en proposant de faire gérer par les branches professionnelles donc les Régions (Wauquiez en tête) s’y oppose car le magot va leur échapper. On est pas prêt de faire repartir la filière pourtant indispensable.
    Pour les « recettes », de quoi se mêle le gouvernement et tous ces fonctionnaires ?
    Ce qui est le plus grave, ce sont les quarante ans et plus, d’intoxication forcenée des élèves à l’anti-libéralisme, falsification de l’histoire économique du pays et du monde, du fonctionnement des sociétés humaines et de la grandeur incontournable de l’Etat comme seule solution.
    Sur ce terreau, il suffit d’un tweet sur l’inégalité qui est la cause de tous les maux, basé sur the World Inequality Report 2018, pour que l’assentiment soit général et sans aucun esprit critique puisqu’on leur a pas appris.cette vérité idéologique depuis toujours.

  3. Un jour, dans je ne sais quel coin sombre de la blogosphère, j’ai croisé un anonyme qui partageait sa sagesse : quand vous rencontrez une difficulté dans la vie, il faut toujours contourner le con. Au guichet, dans les administrations, au téléphone, dans les magasins, vous vous heurtez sans cesse à des cons, qui ne veulent rien savoir et qui ont résolu de vous emmerder.

    Au lieu de parlementer avec votre interlocuteur, abandonnez toute idée de le ramener à la raison : c’est un con, sa raison d’être est de vous contrarier. Laissez tomber tout de suite. Cherchez un autre employé, ce n’est pas ce qui manque (surtout dans les administrations). Contournez le con.

    Avec l’Education nationale, il faut coutourner le con. Il n’y a aucun espoir de faire gambader le mammouth. Ce n’est pas dans ses gènes. Il faut bâtir à côté.

    • Absolument et c’est en cours. Le privé se porte excessivement bien et les collèges et lycée publics commencent à paniquer de désaffection. Le mammouth va s’affaiblir et disparaître comme l’animal qui a disparu il y a 4000 ans

      • Je reconnais le succès des établissements privés, devant l’échec de Éducation National.
        C’est pour cela que Najat Vallaud-Belkacem a tout essayé pour empêcher l’essor des autres écoles.
        Je pense que le meilleur moyen de changer l’enseignement en France, ne viendra pas par une réforme par le haut (impossible avec les enseignants et leurs syndicats), mais par la monté en puissance d’une concurrence des autres établissements hors de la sphère de Éducation National.
        Un peu comme l’implosion de l’URSS.

  4. Motiver les élèves, y’a que ça de vrai ! rétablir les relations effort-récompense, et paresse-punition me semble indispensable. Et justement je découvre la punition ultime, celle qui devrait venir à bout des cancres les plus récalcitrants, ce jour dans le Figaro, le châtiment suprême : regarder 24 h de programmes de France Télévisions !
    Je suis sûr que cela donnerait des résultats étonnants !
    http://www.lefigaro.fr/medias/2018/02/02/20004-20180202ARTFIG00053-j-ai-ete-puni-j-ai-regarde-france-televisions-pendant-24heures.php

  5. Dans ce constat édifiant, tu oublies quelques perles du rapport, comme la volonté de vouloir faire habiter les enseignants dans les quartiers où ils enseignent, pour qu’ils soient bien au courant des réalités… Idéal pour faire fuir les derniers candidats crédibles.
    Cela dit, loin des caméra et des députés, quelque chose semble bouger : on n’hésite moins à faire prendre du recul aux éléments ayant comportement difficile à canaliser (= on vire les racailles), les classes de niveaux réapparaissent en douce.

    Pour rire un peu du niveau des élèves :

    https://www.ouest-france.fr/education/enseignement/decu-par-ses-eleves-de-5e-un-professeur-de-francais-leur-inflige-une-interro-delirante-5517215

  6. Bonjour à tous et merci pour vos commentaires !

    @ zelectron : 7 820 € sont les dépenses moyennes par élèves, tandis que la somme de 6 190 € concerne seulement le primaire (ou premier degré). Dans les pages suivantes, vous auriez pu voir aussi que le coût annuel d’un élève au collège est de 8 510 €, et au lycée de 11 040 € pour les sections générales et technologiques et 12 410 € pour les lycées pro (chiffres 2015 provisoires).

    @ Le Gnôme : En effet, le collège à programme unique ou presque fut une erreur fondamentale. A mon sens, le tronc commun de l’éducation doit être délivré au primaire sur les enseignements de base et déboucher sur un solide bagage semblable au certificat d’études de nos parents ou grand-parents. Ensuite, il me semble qu’il est préférable de privilégier une orientation adaptée aux capacité de l’élève plutôt que de vouloir à tout prix envoyer tout le monde à la fac – quitte à en abaisser dramatiquement le niveau ou à générer de l’échec à la pelle (à tarte).
    Le tout dans un contexte de choix et de diversité de l’offre éducative, chaque établissement se faisant sa réputation en fonction de la réussite ultérieure de ses élèves, qu’ils viennent d’une Terminale C1 ou d’un enseignement professionnel.

    @ Souris donc : 29 pages oui, mais quand vous enlevez au début page de garde, intro, avertissement, et blabla de circonstance, et à la fin la liste des entretiens, quand en plus vous considérez que la police est grosse, les interlignes espacés et les marges assez larges, la lecture est finalement assez rapide, d’autant que le contenu n’est guère intense !

    @ Tino : La connivence et le gaspillage qui règnent dans la formation continue fait partie des gros problèmes du système.

    @ Robert : Exact. Je pense de plus en plus que certaines choses sont devenues complètement irréformables. Il faut tenter autre chose. Mais pas facile, car si les expériences éducatives alternatives se multiplient, elles sont aussi de plus en plus soumises à contrôles. Voir par exemple ici : https://www.contrepoints.org/2018/01/21/307866-ecoles-contrat-retour-projet-de-najat-vallaud-belkacem

    @ Pheldge : Ah ah, oui, j’ai vu cet article ! Mais ce qui est punition pour les uns est parfois plaisir pour les autres !

    @ JHDR : C’est tout le rapport qu’on pourrait citer in extenso ! Les perles s’y succèdent sans interruption, à commencer par son affligeante nullité générale, même pour de la bisounourserie de gauche ! Il me fait penser à cette « initiative » de Ségolène Royal en débat d’entre-deux tours avec Sarko : Faire raccompagner toutes les policières à leur domicile chaque soir. Bien évidemment, l’idée de faire respecter l’Etat de droit avant toute chose (plutôt que de poser de la compresse humide et parfumée partout) ne l’avait pas effleurée !

    • « Le collège à programme unique ou presque fut une erreur fondamentale. »

      Les évolutions historiques sont beaucoup plus longues et progressives qu’on ne le croit. L’origine du collège à programme unique, c’est le fameux plan Langevin-Wallon proposé au lendemain de la guerre, du nom des deux professeurs communistes qui en furent les auteurs.

      Je l’ai lu. Eh bien, croyez-le ou non, ce programme est d’une modération et d’un raisonnable, à côté de ce qui se fait et ce qui se dit actuellement à l’Education nationale, qu’on pourrait presque le signer des deux mains. Et pourtant, il fut conçu à l’époque où le Parti communiste était le premier parti de France, dans un milieu, par des organisations et par des personnes qui étaient ouvertement communistes, pas simplement « de gauche » ou « pour le progrès social ». Et à l’époque où le PCF prenait ses ordres directement à Moscou.

      Le plan Langevin-Wallon proposait certes l’école obligatoire pour tout le monde jusqu’à 18 ans, chose dont on se rend compte aujourd’hui qu’elle est irréaliste et nocive, mais il mettait aussi beaucoup l’accent sur l’enseignement technique et professionnel, à l’instar des opposants à l’Education nationale aujourd’hui. Et il n’envisageait certainement pas d’envoyer tous les enfants d’immigrés à Sciences-Po par faveur spéciale « anti-raciste », ni de promouvoir les « études de genre », ni de créer des « licences en arts du clown ».

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