Et il paraît qu’on a moralisé la vie politique…

Réjouissons-nous. Les sombres affaires Thévenoud, Cahuzac ou Fillon, c’est du passé ! Cette impression prégnante que la classe politique a tous les droits, surtout celui de se remplir les poches sur le dos du contribuable, c’est terminé ! Les conflits d’intérêt, passe-droits et abus de pouvoir petits et grands, c’est bien fini ! Aujourd’hui, nous vivons enfin dans une République irréprochable, véritable paradis politique où l’on marche sereinement, sans craindre les ampoules douloureuses et les cors aux pieds disgracieux.

Eh oui, on a moralisé la vie politique française ! Ça remonte à quelques mois, au 15 septembre 2017 exactement, mais cette belle et grande nouvelle n’a certainement pas pu vous échapper. Preuve de la « politique autrement » promise par le candidat Macron en campagne, preuve du grand ménage de printemps réalisé dans tous les placards poussiéreux d’une République enfin remise en état de marche, ce fut non seulement l’objet de la première loi du quinquennat mais un véritable événement médiatique : le Président l’a signée lui-même en personne en direct à la télévision !

Tel le héros qui tient ses promesses plus vite que son ombre, il avait dit qu’il le ferait et il l’a fait pratiquement dans les secondes qui ont suivi son élection. Moralisation ? Check ! C’est un signe, qu’on se le dise ! Ce quinquennat sera celui de la transparence et de l’angélisme. 


Et peu importe que cette loi résulte au départ d’un accord électoral avec François Bayrou, ce dernier apportant les voix du Modem à la candidature Macron en échange du poste convoité de grand justicier.

Et peu importe que le dit grand justicier ait fini épinglé en train de faire la bête avec une stupide histoire de cadres du Modem « à recaser d’urgence » alors qu’il a toujours mis beaucoup d’application à faire l’ange de la politique et, par la même occasion, à faire la morale à tout le monde.

Pour une loi de moralisation de la vie publique, c’était fâcheux. Mais l’indélicat a été promptement débarqué de son poste afin de pouvoir prouver son évidente innocence sans entraver l’action du gouvernement (formule consacrée). C’est donc élu avec les voix du Modem et débarrassé de l’encombrant Bayrou que Macron a pu nous présenter sa loi fondatrice dans une de ces mises en scène de sa noble grandeur qu’il affectionne (vidéo,  02′ 14″) :

Soyons justes : on ne pourra qu’accueillir avec satisfaction les mesures concernant l’impossibilité pour les parlementaires d’avoir une activité de conseil parallèle, l’obligation de rendre des comptes sur l’utilisation de leur indemnité représentative des frais de mandat et la fin de la réserve parlementaire discrétionnaire(*).

Mais peut-on dire pour autant qu’on a « moralisé » la vie politique ? A observer la façon dont Emmanuel Macron structure son parti La République en Marche (LREM), à voir les opposants d’il y a 3 minutes retourner leur veste dès qu’une ouverture se profile et à constater par ailleurs combien rien n’est fait pour réduire le poids de l’Etat dans la vie des Français, je crains qu’on ne soit très loin du compte.

Chez LREM, on est vivement encouragé à « penser printemps » et à bousculer l’ordre établi pour sortir la France de ses vieilles ornières et lui permettre de prendre enfin son envol. Mais on est encore davantage prié de coller à la ligne présidentielle sans broncher. Pas question de fronder, pas question de s’éparpiller en courants, pas question d’être le moins du monde pluriel, même si les marcheurs étaient invités au départ à s’enrichir mutuellement de leurs différences.

Richard Ferrand et Christophe Castaner, deux fidèles de la première heures qui se comportent depuis le début comme les porte-flingues de la macronie, n’ont pas été bombardés d’autorité à la tête des députés LREM pour le premier et à la tête du parti pour le second pour animer une simple colonie de vacances. C’est tout l’appareil d’Etat qui est ainsi verrouillé au profit du Président, et ce d’autant mieux que Castaner a conservé son poste de secrétaire d’Etat aux Relations avec le Parlement.

Les Français étaient 52 % à trouver choquante la nomination autoritaire de Castaner à la tête de LREM ; ils sont maintenant 70 % à juger son maintien au gouvernement anormal. Mais Macron n’a pas reculé, et Castaner a invoqué une excuse vraiment trop mignonne : son mandat à la tête de LREM étant bénévole, il faut bien qu’il gagne sa vie. Et tiens, pourquoi pas au gouvernement ? Et pourquoi pas dans les relations avec le Parlement dont il a déjà l’expérience ?

Résultat concret, le parti majoritaire, l’exécutif et le Parlement sont dorénavant intimement liés par des hommes sans états d’âme qui doivent tout à Emmanuel Macron. Drôle de séparation des pouvoirs. Et pas vraiment un exemple de moralisation de la vie publique.

Autre situation ubuesque qui fait douter du sens que la classe politique donne au mot « moralisation » : Macron a réussi à faire entrer au gouvernement comme secrétaire d’Etat à la fonction publique auprès du ministre du budget Gérald Darmanin le député socialiste Olivier Dussopt (ex-socialiste depuis sa nomination au gouvernement), qui avait voté contre le PLF 2018 comme tous ses collègues socialistes seulement trois jours avant sa nomination ! Auparavant, il n’avait pas voté la confiance au gouvernement Philippe et il s’était prononcé contre les ordonnances Travail.

Le parcours politique d’Olivier Dussopt est particulièrement sinueux : proche de Martine Aubry à une époque, il avait ensuite rejoint Valls, avant de devenir le porte-parole de Benoît Hamon pour la primaire de gauche et de se la jouer très anti-LREM jusqu’au jour bienheureux de son entrée dans le gouvernement d’Emmanuel Macron vendredi 24 novembre dernier. C’est merveilleux de se sentir soudain aussi proche d’un gouvernement avec lequel on n’avait rien, mais alors vraiment rien en commun !

Commentaire de Valls, qui réfléchit de son côté à rejoindre LREM pour les élections européennes de 2019 : l’entrée de son ami Olivier Dussopt au gouvernement est une excellente chose car voilà un homme qui « a l’expérience du terrain et le sens de l’Etat ». Un sens manifestement très corrélé avec son avancement personnel qui ne colle guère avec l’idée qu’on se fait en général de la moralité en politique.

Mais parlons de l’Etat, justement. Que devient-il sous la férule d’Emmanuel Macron ? Se pourrait-il que la « politique autrement » aille jusqu’à chercher à en réduire le périmètre pour écarter la France de sa cavalcade vers la faillite économique et restaurer les capacités d’initiative de ses citoyens ? Absolument pas.

La semaine dernière, l’OCDE a confirmé ce que l’on savait, à savoir que la France est toujours sur le podium dès lors qu’on parle des dépenses publiques ou des prélèvements obligatoires. En 2016, elle était championne pour les premières avec 56,2 % du PIB et vice-championne pour les seconds avec 45,3 %. On sait grâce au PLF 2018 qu’il en sera peu ou prou de même en 2017 et 2018. Les dépenses, les prélèvements obligatoires et le déficit continuent sur leur dangereuse lancée.

On touche là à ce qui est le plus problématique pour la moralisation de la vie politique. Ainsi que je l’avais déjà souligné dans un précédent article, un Etat aussi largement répandu dans toutes les activités de ses citoyens, un Etat qui distribue tant de postes  enviés et tant de subventions, y compris à la presse, à la culture et aux entreprises, un Etat qui se mêle en permanence d’orienter les moindres aspects de l’existence de chacun en détenant jalousement un monopole sur l’Education et sur la santé, un Etat qui se croit fondé à jouer au stratège industriel malgré ses échecs répétés, un Etat qui pèse sur l’octroi du crédit via son entité BPI France – un tel Etat tient ses citoyens dans une forme très élaborée de dépendance et il crée lui-même la matière à la corruption et au clientélisme.

Dans ces conditions, on ne saurait s’étonner de voir les détenteurs du pouvoir s’y accrocher coûte que coûte, non plus que de voir les opposants devenir fervents partisans dès lors qu’on leur propose un poste en vue. Pour la classe politique et tous ceux qui aspirent de près ou de loin à se « dévouer au bien commun », la situation est beaucoup trop bonne pour être refusée et réformée en profondeur.

Aucune loi de moralisation de la vie publique ne changera quoi que ce soit, sinon à la marge, tant que le pouvoir politique, absolument tentaculaire en France ne sera pas soumis à des limitations qui passent obligatoirement par une réduction drastique de l’emprise de l’Etat sur la vie du pays. 

Hélas, aucune réduction des dépenses et des prélèvements obligatoires n’est à l’ordre du jour. Emmanuel Macron attache beaucoup d’importance à la solennité de son pouvoir, ce qui le conduit à signer en grande pompe à la télévision des lois somme toute marginales dans leurs effets. Mais quand on gratte un peu et qu’on considère les actions concrètes, dont les PLF constituent la face chiffrée, on voit qu’il fait de la politique comme on l’a toujours fait en France depuis 40 ans. 


(*) Environ 150 millions d’euros réalloués toutefois dans une « dotation locale de solidarité » censée être plus transparente ; n’espérons pas la moindre économie.


Illustration de couverture : Emmanuel Macron signe la loi de moralisation de la vie politique en direct à la télévision le 15 septembre 2017. Photo BFMTV.

15 réflexions sur “Et il paraît qu’on a moralisé la vie politique…

  1. « Les Français étaient 52 % à trouver choquante la nomination autoritaire de Castaner à la tête de LREM ; ils sont maintenant 70 % à juger son maintien au gouvernement anormal … » Et donc ? vous pensez qu’une fois élu un homme politique d’état doit gouverner « à la godille », au gré des sondages ? des changements d’humeur de l’opinion ? D’ailleurs depuis quand les politiques, une fois élus, en dehors des périodes électorales l’écoutent-ils .? Nathalie, on n’est pas dans une série US à l’eau sucrée, genre l’affigeante « Designated Survivor » (que je ne regarde que pour Natasha Mc Elhone), où le POTUS incarné par Kiefer Sutherland est un « white Obama » toujours juste et bon, pour faire court ! dans la vraie vie, une fois élu, il fait ce qu’il veut !

  2. La Constitution de la Ve république donne toutes les rênes de l’Etat à l’Exécutif et foule aux pieds le principe de la séparation des pouvoirs cher à Montesquieu. Emmanuel Macron ne fait que l’appliquer, ne différant en rien de ses prédécesseurs, malheureusement.

    Hélas! les temps ont changé depuis 1958 et ce qui passait inaperçu à une époque où la population était sous-informée est dévoilé au grand jour en 2017. Ainsi des turpitudes d’un Richard Ferrand pour aider sa compagne à acquérir un patrimoine immobilier avec l’argent des autres (notons la diligence avec laquelle la Justice enterra cette affaire). Mais le même Ferrand vous dira : « Que celui qui n’a jamais péché lance la première pierre! ».

    Oui l’Etat est partout dans la société française et malheur à ceux qui voudraient dénoncer cette situation : aussitôt la Nomenklatura qui en vit utilisera l’artillerie lourde contre toute menace à son train de vie : campagnes de dénigrement, voire d’excommunication (il ne faut rien dire sous peine de se voir traité de « populiste »). Avez-vous noté comment les médias publics (télévision, radio) ont été appropriés par leurs employés pour en faire « leur » outil de communication, au mépris du reste de la population, qui continue pourtant à les financer, par la contrainte cependant (car il n’y a pas, il n’y a jamais eu de « consentement à l’impôt », les citoyens payent leurs impôts sinon ils vont en prison!) ?

    De la même manière, le fait que l’Etat subventionne massivement toute la presse est très grave pour la liberté d’expression et le pluralisme, surtout si nous rajoutons à cela le fait que la majeure partie des journalistes en France provient de la même formation initiale et est donc formatée de la même manière : anti-capitalisme, endoctrinement au développement durable (nouvelle religion en expansion!), etc.
    La société française est pétrie de corruption. Cela commence lorsqu’un sénateur vient distribuer généreusement l’argent du Sénat pour bâtir la fidélité de ses vassaux. Idem pour l’Assemblée nationale.

    Le seul moyen d’en finir avec cette corruption généralisée est de mettre en place une véritable séparation des pouvoirs. Sinon tout ceci ne restera que voeux pieux.
    En ce qui concerne la réduction des dépenses, permettez-moi de rappeler que le dernier budget de l’Etat équilibré date de 1974. Or c’est en 1974 que, pour la première fois, un énarque accéda à la présidence de la république française. Depuis lors, la France a vu ses déficits croître, tout comme ses prélèvements obligatoires. Vous ne pouvez demander à un haut-fonctionnaire de baisser les dépenses publiques, ce concept n’a pas de sens pour lui…

    • Bertrand, bien d’accord avec vous et j’ajoute une anecdote absolument authentique sur l’ENA.
      Michel Debré fondateur de l’ENA sur un aéroport de la corne de l’Afrique. Pendant qu’ils marchaient sur le tarmac Debré demanda à mon père ce qu’il pensait des 2 stagiaires de l’ENA qu’il lui avait envoyés 3 mois plus tôt. A la vue de la moue de mon père Debré s’exclama « je vais te dire, la plus grande connerie que j’ai faite de toute ma carrière est la création de l’ENA ». Vous voyez, la prise de conscience du problème de l’ENA n’est pas nouvelle et même Debré savait qu’il avait enfanté un monstre…

    • Ainsi des turpitudes d’un Richard Ferrand pour aider sa compagne à acquérir un patrimoine immobilier avec l’argent des autres (notons la diligence avec laquelle la Justice enterra cette affaire). Mais le même Ferrand vous dira : « Que celui qui n’a jamais péché lance la première pierre! ».

      Tout est une question de vocabulaire. En Socialie on ne dit pas mentir, mais « relever un malentendu chez son interlocuteur. »
      On ne dit pas « Richard Ferrand a profité de la Mutuelle pour s’enrichir », mais « Richard Ferrand reconnaît des marges de progression ».

  3. Castaner a invoqué une excuse vraiment trop mignonne : son mandat à la tête de LREM étant bénévole, il faut bien qu’il gagne sa vie.

    En d’autres termes, Castaner bénéficie d’un emploi fictif au sein du gouvernement afin de lui permettre de travailler bénévolement pour LREM. Ou encore, LREM bénéficie d’une subvention en nature sous la forme du financement du mandat de Castaner. Dans les deux cas, ces agissements méritent de passer devant la justice…

  4. Il y a toujours un moyen de détourner la loi, embauche ma femme (ou mon mari), j’embaucherai ta fille. Il est quand même paradoxal pour une loi sur la morale qu’un député puisse prendre sa maîtresse à son service, mais pas son épouse.

    Tout ceci n’est qu’enfumage destiné aux gogos, et il est malheureux que le quinquennat commence par une pantalonnade.

  5. Solennité et éloquence, de grands et longs discours qui changent si peu les affaires, même pas à la marge.
    En fait, a-t-il vraiment le pouvoir de changer le système profond ou la facilité (lâcheté) de s’y retrancher ? Ce qui compte c’est durer, gagner du temps le plus possible, exemple le tour de passe-passe CSG immédiat, réduction taxe d’habitation étalé.
    Lisez le rapport de l’IGF : « enquête sur La contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés de 3% sur dividendes »
    C’est la faute à personne, ce sont tous des fonctionnaires au-dessus de tous soupçons, en tout cas ils y ont tous intérêt et avec cynisme.
    http://www.igf.finances.gouv.fr/files/live/sites/igf/files/contributed/IGF%20internet/2.RapportsPublics/2017/2017-M-076.pdf
    Parfois une petite lueur pour tenter d’empêcher la ritournelle, de censurer la fuite en avant
    https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/030873192643-pour-une-nouvelle-repartition-du-temps-parlementaire-2130320.php#xtor=EPR-3059-%5Bnl_ideesdebats%5D-20171115-%5BProv_paywall%5D-1957871
    Amélie de Montchalin qui tente une sortie pour freiner la machine à dépenser, une bien frêle possibilité de coincer la technostructure.
    Mais ça c’est encore de l’échauffement, attendez qu’on passe aux mises en oeuvre consistantes et osées, dispendieuses en tout cas, la suppression de la taxe d’habitation ou le prélèvement à la source. Là ça va devenir rock n’roll !

  6. Pingback: Et il paraît qu’on a moralisé la vie politique… – Virginie Jeanjacquot

  7. @ Tous, merci beaucoup pour vos commentaires ! Et Merci à Yé pour la symphonie Cévenole que je ne connaissais pas !

    Comme dit Robert Marchenoir, « Moralisation de la vie publique, y’a du boulot ». Juste changer complètement de vision franchouille de l’Etat pour en limiter le pouvoir et faire disparaître toutes ces poches trop nombreuses que les dirigeants pillent, légalement ou non, dans les grandes largeurs.
    Suggestion amusante (et plausible) de fm06 : le bénévolat de Castaner chez LREM (qui reçoit pourtant des subsides de l’Etat) est financé par son poste au gouvernement dans un mélange des pouvoirs pas très ragoûtant ! En tout cas, comme le dit Calvin, quand on a le pouvoir à Paris, impossible de retourner à Forcalquier (il aurait pu redevenir député, c’est pourtant bien, député).
    Je pense aussi que Macron est obligé de limiter sa garde rapprochée à qq personnes car il n’a probablement pas encore de « dossiers » sur le « nouveaux visages ». C’est une pure idée, mais elle mérite d’être considérée. On sait comment procèdent les hommes politiques pour s’assurer des fidèles.
    Pour le reste, comme le signalent Le Gnôme et Tino, Macron semble être le spécialiste de la « pantalonnade » d’affichage, de la « Solennité et éloquence, de grands et longs discours qui changent si peu les affaires, même pas à la marge. »
    @ Bertrand @Oblabla @Souris donc : Je ne pense pas que la Constitution soit la première fautive. Pour moi, c’est surtout l’ampleur de notre Etat qui attire tous les indélicats (souvent Enarques mais pas que) qui finissent par se persuader qu’ils sont les sauveurs indispensables de la France. Et quand on est le sauveur, on ne va pas chipoter pour une petite affaire de mutuelle, n’est-ce pas ?
    @ Suryquoise : de droite ou de gauche, ils sont tous les mêmes…. mais Solère me paraît plus cohérent que Dussopt sur le plan des idées. Une qui godille beaucoup, c’est Calmels.

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