Remaniement : Avec Castaner, le changement, c’est … non rien.

Mise à jour du mardi 16 octobre 2018 : La politique, c’est se placer « au bon endroit et au bon moment, sans forcément savoir ce que sera l’après » disait Castaner. Eh bien, l’après du moment, pour Castaner, c’est qu’il est nommé ministre de l’Intérieur en remplacement de Gérard Collomb. PORTRAIT [Replay] :

Le macronisme a-t-il prospéré en partie sur la frustration née d’une gestion des troupes menée à la hussarde depuis la rue de Solférino plus que sur une franche adhésion au nouveau concept politique « printanier » lancé par Emmanuel Macron ? A-t-il surtout représenté une opportunité de promotion politique inattendue pour des quadras et des quinquas désespérément englués dans les épaisseurs glauques de la Hollandie ?

A suivre le parcours de Christophe Castaner, actuel porte-parole du gouvernement et secrétaire d’Etat chargé des relations avec le Parlement, désigné cette semaine par le Président (oct. 2017) pour prendre la tête de son parti La République En Marche (LREM) [MàJ : et nommé ministre de l’Intérieur en oct. 2018], on pourrait certainement répondre que oui.

A vrai dire, à regarder Macron lui-même, on a du mal à ne pas conclure qu’il souhaitait surtout devenir calife à la place du calife, bien au-delà de tout projet de rénovation politique. Après tout, il était avec Hollande lorsque celui-ci fustigeait son adversaire la finance pendant la campagne de 2012, il était avec lui en tant que conseiller économique lorsque celui-ci a mis en place sa tranche d’imposition à 75 % sur les plus hauts revenus, et il était encore avec lui comme ministre de l’économie lorsque le Président a pris une inflexion « deuxième gauche » avec la loi Macron, précisément, et la loi Travail de Myriam El Khomri. Quelle merveilleuse ductilité politique !

Dans ce contexte, créer son propre mouvement (avril 2016), quitter le gouvernement (août 2016) et annoncer sa candidature présidentielle (novembre 2016) pour libérer les énergies et faire de la politique autrement, tout cela reflète plus le désir d’accéder au pouvoir en surfant sur le profond rejet que François Hollande inspirait alors aux Français que celui d’apporter un véritable changement de logiciel à la pratique politique et économique telle qu’elle se déploie depuis l’abandon du programme commun de la gauche en 1983.

Quant à Christophe Castaner, où serait-il aujourd’hui si François Hollande et Jean-Christophe Cambadélis n’avaient pas décidé unilatéralement au soir du 1er tour des élections régionales de décembre 2015 que les candidats PS dans l’impossibilité de barrer la route au FN, même en s’alliant avec le reste de la gauche, devaient se désister pour laisser la place à la droite ?

Cette décision concernait le Nord-Pas-de-Calais-Picardie et la région PACA. Or qui menait la liste socialiste dans cette dernière région ? Christophe Castaner, maire de Forcalquier depuis 2001 et député des Alpes-de-Haute-Provence depuis 2012.

Si dans le Nord le candidat PS était prêt au retrait, dans le sud Castaner ne l’entendait pas de cette oreille. Son score additionné à celui des écologistes et des autres forces de gauche le mettait au coude à coude avec Christian Estrosi. Il espérait donc pouvoir se maintenir. Mais la pression exercée par le PS depuis Paris a eu le dessus et c’est sans enthousiasme et du bout des lèvres que Castaner a finalement renoncé au second tour.

Un mal pour un bien, rétrospectivement. Comme il le dit lui-même :

« La fidélité au parti aurait pu m’emporter, mais les régionales m’ont donné la liberté et la facilité pour le quitter. Sans attendre, sans regret. Après cette campagne, j’étais quelqu’un d’autre. »

« Quelqu’un d’autre » qui se trouvait désormais mûr pour répondre favorablement aux appels du pied d’Emmanuel Macron. Ceux-ci ne tarderont pas et lui n’hésitera pas. Dans un entretien accordé à Libération en septembre dernier, il explique sa façon de voir les choses :

La politique, c’est se placer « au bon endroit et au bon moment, sans forcément savoir ce que sera l’après. »

Confirmant ainsi la force du duo frustration ambition, il confie aux journalistes de Libé sa théorie du « cliquet » : en politique, il faut monter cran par cran sans jamais redescendre. Et des crans, il en a déjà passé un certain nombre, tous au PS.

Né en 1966 dans le Var, il est du sud par les hasards des affectations de son père, militaire dans la marine nationale. Selon ses propres dires, il « zappe » son enfance, coincé entre un père autoritaire et radin et une mère femme au foyer. Il se montre médiocre à l’école et finit par assumer sa tendance rebelle en quittant le domicile familial à l’âge de 17 ans.

Les trois années suivantes se passent surtout en parties de poker, mais il en profite aussi pour adhérer au PS – ô surprise – dans le but de soutenir Michel Rocard. A 20 ans, nous sommes donc en 1986, il passe son bac en candidat libre, l’obtient au rattrapage et débarque à la fac d’Aix-en-Provence pour étudier le droit. Et là, à nouveau, ô surprise : il adhère à l’UNEF dont il relance la section aixoise.

A l’UNEF comme Filoche, Hollande, Cambadélis, Valls, Hamon, Montebourg … la liste est longue. Une excellente formation pour se hisser de cran en cran au PS, manifestement. Et de fait, Christophe Castaner passe par différentes collectivités locales, puis par différents cabinets ministériels. Il est d’abord chef de celui de Catherine Trautmann à la Culture, puis celui de Michel Sapin à la Fonction publique entre 2000 et 2002.

Elu maire de Forcalquier en 2001, il entre à l’Assemblée nationale en 2012 avec l’élection de Hollande et devient membre de la Commission des finances. Et en 2015, il est le rapporteur de la loi Macron. La boucle est bouclée en quelque sorte, car il tombe sous le charme de ce jeune ministre dans lequel il voit un nouveau Michel Rocard.

Suite aux déclarations intempestives de Macron à propos des 35 heures lors de l’université d’été du Medef (août 2015), un journaliste de Libération lui demande alors s’il dirait que le ministre est de gauche. Il répond :

« C’est quoi être de gauche aujourd’hui ? Vous savez, j’ai commencé au PS avec les rocardiens. A une époque, on se demandait si Michel Rocard était socialiste et aujourd’hui certaines des idées qu’il portait sont plus à gauche que des propositions du Parti socialiste ! »

.
Nous y sommes, on tient la recette du macronisme : une grosse pincée politique de rocardisme et des louches médiatiques de dépassement des clivages !

Aujourd’hui, Emmanuel Macron est Président, un gouvernement mi-sérieux, mi-médiatique, mi-droite, mi-gauche est nommé et 308 députés sur 577 sont entrés à l’Assemblée nationale sous les couleurs de LREM. Une majorité confortable, certes, mais l’adrénaline de la campagne et l’ivresse de la victoire sont loin désormais. Il faut gouverner, mobiliser et convaincre, jour après jour, adhérent par adhérent.

Le mouvement construit par Emmanuel Macron en quelques semaines à coup de discours envoûtants bien calibrés, ce mouvement qui se targuait en août dernier de rassembler pas loin de 400 000 adhérents, n’en a vu que 72 000 participer au vote sur les statuts qui s’est déroulé aussi en août – et encore, uniquement parce que la période de vote a été prolongée de deux semaines.

Donc LREM se cherche, donc il faut relancer l’espoir.  Tout en gardant la machine sous contrôle serré. Pas question de laisser les espoirs printaniers s’éparpiller en dehors des choix du gouvernement. Donc Macron a tranché : après avoir mis Richard Ferrand, autre fidèle de la première heure, à la tête du groupe LREM à l’Assemblée, il met Christophe Castaner à la tête du parti.

.
Ce dernier, sorte de porte-flingue immense et gouailleur de la Macronie (voir photo), est donc à la veille de franchir un cran significatif supplémentaire dans sa progression politique.

Malgré sa désignation par le chef au détriment d’un autre fidèle,  Benjamin Griveaux, il devra se plier aux apparences d’une sorte de vote de la base militante le 18 novembre prochain à Lyon.

Interrogé sur RTL avant-hier, il parle de décision collective et annonce non pas sa nomination, mais sa candidature, déjà rompu qu’il est – ô surprise – aux contorsions du langage politique. Peu de changement en ce domaine entre la politique comme avant et la politique autrement :

.
Formidable avancée pour lui, il faut l’admettre, car du temps du PS, malgré sa position de chef de file pour les régionales malheureuses de 2015 en PACA, François Hollande ne le connaissait même pas. Mais nette impression de déjà vu si l’on pense à la vie politique française. Les partis politiques tenus par un homme et voués à sa seule gloire sont légions ; le simulacre de démocratie pour la vie interne y est un grand classique. Avouons que pour de la politique autrement, le conventionnel s’accumule.

Quant au fond, LREM se met de plus en plus à ressembler à un PS au sein duquel la ligne social-démocrate la plus classique aurait triomphé. Dans cette configuration, Macron a le rôle de Rocard, mais ce pourrait aussi bien être Valls ou Hollande ; et Castaner, par les mots, la stature et le rôle, devient incontestablement le nouveau Cambadélis de la majorité. Je m’en réjouis, j’ai toujours adoré les joyeuses distractions que nous livrait régulièrement l’ex-premier secrétaire du Parti socialiste !

Avec son tropisme prononcé pour les lapsus peut-être révélateurs et souvent amusants (voir vidéo ci-dessous), Castaner devrait arriver sans peine à nous distraire également. Grand habitué des matinales, il manie la langue de bois avec un naturel méridional qui n’a rien à envier à nos traditions politiques les plus ancrées, comme en témoigne – ô surprise – le bandeau de la photo de couverture (voir ci-dessous).

Finalement, avec Castaner, on est rassurés. Pas de changement notable à prévoir. La politique continue comme avant.


Les célèbres lapsus de Christophe Castaner (vidéo, 46″) :


Mise à jour du 18 novembre 2017 : Lors du premier congrès du parti qui se tient à Lyon aujourd’hui, Christophe Castaner, candidat unique désigné par Emmanuel Macron,  prend officiellement la tête de LREM avec la mission de redynamiser un mouvement à l’arrêt depuis les élections de mai et juin 2017.


Illustration de couverture : Christophe Castaner (LREM) interrogé le 31 août 2017 sur BFMTV par Jean-Jacques Bourdin.

8 réflexions sur “Remaniement : Avec Castaner, le changement, c’est … non rien.

  1. Merci pour la vidéo des lapsus, au moins on va rigoler un peu.
    Les vrais boulets de Macron sont :
    Schiappa qui explique comment frauder la Sécu :
    http://www.atlantico.fr/decryptage/quand-marlene-schiappa-secretaire-etat-egalite-entre-femmes-et-hommes-detaillait-mode-emploi-pour-frauder-securite-sociale-3058906.html
    Et Richard Ferrand qui a bénéficié de la grande mansuétude des tribunaux pour ses détournements de fonds au profit de sa compagne et au détriment des « sociétaires » comme on appelle joliment les pigeons des Mutuelles.
    Vous avez dit Loi de moralisation de la vie publique ?

  2. LREM se met de plus en plus à ressembler à un PS au sein duquel la ligne social-démocrate la plus classique, aurait triomphé

    C’est exactement ça. Les ordonnances sur le code du travail l’ont confirmé. Le budget 2018 le confirme. On taxe, on retaxe, on surtaxe, on arrose sa clientèle, on augmente les dépenses en prétendant les réduire… Macron et son parti appliquent les brillantes méthodes socialistes. On voit où elles nous ont mené.

  3. Castaner est un apparatchik ordinaire : un arriviste médiocre qui magouille dans les appareils pour se pousser de col.
    Il ne faut attendre de ce type d’individu ni vision, ni projet, ni conviction, ni loyauté, ni courage, ni mêmes de compétences techniques.

    Avec Darmanin et quelques autres, il montre que ce gouvernement est dans la continuité de ses prédécesseurs.

  4. En même temps, cela étonnera qui ? Personnellement, j’ai toujours dit (avant même l’élection de Macron) que Macron président se sera dans le fond la continuité d’Hollande à deux différences près: Macron contrairement à Hollande est débarrassé de l’aile gauche du PS et Macron comprend bien mieux le monde moderne qu’Hollande (qui est depuis des décennies dans la politique). Macron contrairement à Hollande ne veut pas faire la synthèse (et il en a pas besoin, il a une majorité). Mais d’un point de vue idéologique, Macron c’est la même chose qu’Hollande et l’aile droite du PS: une politique social démocrate.
    Sur la forme, c’est autre chose: il est très différent d’Hollande et des politiciens traditionnels.
    A noter que l’on peut réellement considéré Macron comme centriste. Parce qu’entre l’aile droite du PS et l’aile centriste de la droite (qui est en France est d’ailleurs appelé la droite et le centre), il n’y a pas tellement de différences sur le fond.
    Pas étonnant que tant de gens pensent que Macron mène une politique de droite (ce qui était déjà le cas avec Hollande). Cela s’explique par deux choses: primo, le programme de la gauche a déjà été entièrement appliquée en France (ce pays est l’un des plus socialistes d’Europe: championne du monde des dépenses publiques sociales, championne d’Europe des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques,..La France peut difficilement devenir plus socialiste). Donc forcément, les francais ont l’impression qu’un politique tenant de faire quelques réformettes sans réel mise en cause du système actuelle c’est de la droite. Au contraire, la gauche au pouvoir comme elle a déjà appliquée son programme, elle se retrouve en difficulté: elle peut rien faire (ce qui déplait à l’électorat) ou faire de la France un pays encore plus socialiste (sauf qu’elle sait que c’est impossible car c’est économiquement impossible sauf à vouloir conduire à un effondrement de la France). On ne peut pas augmenter continuellement les impôts (le matraquage fiscal est déjà très important) et augmenter continuellement les dépenses publiques (surtout vu l’endettement public)).
    Secundo, en France, le centre a toujours été allié à la droite. Le centre est considéré comme faisant parti de la famille politique de la droite. Et cela fait longtemps qu’une fois au pouvoir, la droite mène systématiquement une politique centriste (qui est une politique social démocrate molle avec quelques réformettes qui ont pour ambition d’améliorer le système sans le remettre en cause).
    Donc, pour les francais, politique de centre = politique de droite.
    Sans oublier le fait qu’en France, il existe un courant assez influent qui prétend incarner la droite sociale (un doux terme pour signifier du socialisme de droite).
    Le problème de la droite francaise c’est qu’elle est composée de carriéristes sans aucunes valeurs et sans aucune opinion. Chacun pensant à son ambition personnel. Le carriérisme existe partout dans tous les partis politiques mais à des degrés divers. LR est sans le doute le parti le plus carriériste que je connais en Europe. Les politiciens de droite sont des girouettes. Or, comme la France est difficile à réformer, cela demande d’avoir des convictions et du courage. Politiquement, il est plus intéressant de rien faire que de réformer. Donc forcément, la droite ne remets pas en question le système francais qui est profondément gauchiste.
    Je n’aimes pas Macron mais je le préfère largement à cette fausse droite. Qu’il détruise cette droite molle sans convictions

  5. Eh oui, c’est bien de ça qu’il s’agit.
    Les seconds couteaux du PS, las de voir les éléphants de ce PS leur boucher l’horizon, ont trouvé une porte de sortie inespérée avec LREM …
    La suite coule de source … ils ont contourné l’obstacle … Castaner en est l’illustration la plus criante. LREM n’ayant été rien de plus qu’une machine à contourner les éléphants.
    Cela dit, assimiler Castaner à Cambadélis, n’est pas très à son avantage, et pourtant tellement réaliste…
    Voir ce larbin, cireur de pompes, débarquer à l’intérieur, ne présage rien de bon. Avec lui, Il n’y a pas lieu de se faire d’illusions pour ce qui est de la manière dont vont être traités aussi bien le racket à 80 sur les routes, que l’invasion migratoire …
    Il n’y a plus qu’à attendre que, tout comme le fruit mûr qui tombe de lui-même, sont passage résultant d’une brillante prestation, soit très éphémère …

Laisser un commentaire