PLF 2018 : Montre-moi ton budget et je te dirai qui tu es

Malgré les belles intentions libérales proclamées par le gouvernement, l’analyse des chiffres montre que l’esprit réformateur reste timide et que le modèle français « je dépense et je taxe » a encore de beaux jours devant lui. À lire, ce n’est pas si « technique  » !

Mercredi 27 septembre dernier, le Ministre de l’économie et des finances Bruno Le Maire et le Ministre de l’action et des comptes publics Gérald Darmanin (photo ci-dessous), ont dévoilé en Conseil des Ministres l’ensemble des hypothèses et mesures retenues par le gouvernement dans son Projet de loi de finances pour 2018 (PLF 2018) ainsi que la trajectoire des finances publiques prévue jusqu’à la fin du quinquennat en 2022.(1)

Au même moment, l’INSEE nous indiquait que la dette publique française avait atteint un nouveau record de 2 232 milliards d’euros soit 99,2 % du PIB à fin juin 2017.

Si l’on excepte les conceptions économiques particulières de nos extrémistes revendiqués selon lesquels « la dette, c’est de la rigolade » car on peut toujours taxer les riches, relancer l’inflation et faire défaut si besoin (Mélenchon) ou rejeter « la vision comptable des choses » quitte à « renationaliser la dette »(2) (Marine Le Pen), la campagne électorale de cette année a montré que plusieurs candidats de la classe politique mainstream semblaient avoir enfin compris que nos habitudes budgétaires laxistes, loin de dynamiser notre économie comme le croient les adeptes de la « relance », pèseront inéluctablement sur les générations futures et nous entraînent dangereusement vers la faillite si l’on ne fait pas résolument machine arrière.

A l’évidence, Emmanuel Macron fait partie de ces hommes politiques qui ont décidé de regarder la situation française avec lucidité. Dans le texte introductif du PLF 2018, on peut lire la chose suivante :

« Pour réduire la dette, nous devons réduire notre dépense publique qui est aujourd’hui la plus élevée en Europe. C’est un triste record. Si la dépense publique était la réponse à tout, nous devrions donc avoir le chômage le plus bas et le taux de croissance le plus élevé en Europe. Nous en sommes loin : notre croissance est sous la moyenne européenne, le chômage avoisine les 10 %. »

J’ai l’impression de me lire. J’ai eu mille fois l’occasion de souligner combien la France cumule des records de dépense, déficit et dette avec des résultats infiniment médiocres en matière de chômage, croissance et système éducatif par exemple.

Mieux encore, le gouvernement annonce tourner le dos aux méthodes actuelles pour adopter le conservatisme fiscal en faveur chez les libéraux de mon espèce :

« Nous faisons un choix stratégique : baisser en même temps la dépense publique et les impôts pour plus de croissance et plus d’emploi. »

Macron m’impressionne. Etre passé par l’ENA, avoir été conseiller économique puis ministre de François Hollande et en arriver là, ça tient du miracle ! Serait-il finalement plus libéral que je ne l’imaginais ?

Mais continuons la lecture. Et allons jusqu’aux chiffres qui seuls peuvent décrire concrètement la réalité économique qui nous est proposée. Voici le paragraphe qui suit immédiatement l’extrait précédent et qui forme la conclusion de la présentation philosophique des budgets 2017-2022 :

« Nous fixons un cap pour le quinquennat. Il tient en quatre chiffres : réduire la dette de 5 points de PIB, la dépense publique de 3 points, le déficit de 2 points et les prélèvements obligatoires de 1 point. »

.
Comment dire ? Quelle déception ! Après nous avoir expliqué, par exemple, que « le taux de prélèvement obligatoire est aujourd’hui supérieur de 10 points à la moyenne européenne », l’exécutif se donne pour grande ambition de le réduire de 1 point par rapport au PIB, un tout petit point de rien du tout, en 5 ans !

Prenez la dette. Comme on l’a vu, elle caracole aujourd’hui à 99,2 % du PIB. Le gouvernement se flatte de pouvoir la faire descendre à 96,8 % à la fin de cette année, puis de la ramener à 91,4 % à la fin de 2022. Il faut certes faire un premier pas, mais 91,4 %, à supposer que cet engagement soit tenu, reste un niveau exorbitant, d’autant qu’on s’attend sérieusement à ce que les taux d’intérêt remontent. Rappelons que selon le Pacte de stabilité et de croissance de l’Union européenne (UE) qui s’applique aux pays de la zone euro, non seulement notre déficit public est censé rester en dessous de 3 % du PIB, mais notre niveau de dette par rapport au PIB ne devrait pas excéder 60 % !

Un motif de satisfaction, cependant : le respect des 3 % a l’air en bonne voie. On sait que François Hollande l’avait promis pour 2013 mais qu’il n’a cessé de demander des délais supplémentaires à l’UE pour y parvenir. Il avait finalement prévu d’arriver à un déficit public de 2,7 % en 2017. Mais cet été, fausse surprise du nouveau gouvernement : le budget 2017 – dont Macron a forcément eu connaissance au moment de sa préparation – est insincère, il faut séance tenante trouver des économies à faire ! Selon les prévisions du PLF 2018, le déficit public s’établirait donc à 2,9 % cette année et 2,6 % l’an prochain pour arriver peu ou prou à l’équilibre en 2022.

De quoi se réjouir, donc. Et pourtant, là encore le doute s’insinue. Le document du gouvernement ne donne pas énormément de détails chiffrés et il n’est pas simple de tout recouper. Mais on ne peut s’empêcher de voir que dans un tableau intitulé Dépenses de l’Etat(3)(voir ci-contre), une nouvelle ligne donnant lieu à une baisse de dépenses de 4,5 milliards apparaît bien opportunément en 2020 : « Économies complémentaires Action publique 2022 ».

Sur le papier, ce genre de ligne est assez facile à intégrer, mais il n’est pas interdit de penser qu’elle relève purement et simplement du voeu pieux. La modernisation des politiques publiques est une volonté ancienne et récurrente des pouvoirs publics mais on ne l’a jamais vue se transformer en baisses de dépenses effectives. Sinon, on n’en serait pas là.

On en profitera pour constater que les dépenses de l’Etat(3) ne baissent pas. En 2018, il est même prévu qu’elles augmentent de 417 à 425 milliards d’euros, soit + 0,7 % une fois corrigées de l’inflation estimée à 1 % pour 2018.

Quant aux dépenses publiques totales – donc incluant les collectivités territoriales et la sécurité sociale en plus de l’Etat central – le document du gouvernement indique qu’elles augmenteront de 0,5 % en volume en 2018. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’elles augmentent moins vite qu’avant et que le gouvernement compte avec une naïveté admirable sur ses économies « Action publique 2022 » pour les stabiliser à la fin du quinquennat.

Du côté des prélèvements obligatoires, c’est-à-dire les impôts et les cotisations sociales, on apprend qu’ils passeront de 44,7 % du PIB en 2017 à 44,3 % en 2018. Comme le gouvernement nous a aimablement fourni le montant espéré du PIB pour ces deux années (2 283,6 et 2 349,0 milliards d’euros respectivement), on en déduit que les prélèvements obligatoires seront approximativement de 1 020 milliards d’euros en 2017 et 1 040 milliards en 2018.

Personnellement, j’appelle cela une hausse (de 1 %, une fois corrigée de l’inflation). Mais l’on sait que pour un homme politique, on peut parler de baisse dès lors que les dépenses ou les prélèvements augmentent moins que leur dérive « naturelle ». Manifestement, Macron nous refait le coup de la « baisse en tendance » dont Sapin et Hollande se sont abondamment nourris sur notre dos de contribuables.

Dans le tableau ci-contre, qui fait le suivi des grandeurs de nos comptes publics depuis 2005, j’ai essayé de récapituler au mieux les principales données du PLF 2018.

Le Haut conseil des finances publics (rattaché à la Cour des Comptes) considère que l’inflation (1 %) comme le taux de croissance (1,7 %) retenus pour 2018 sont « prudents ». Il juge par contre que les « économies » envisagées côté dépenses seront difficilement tenables, aussi bien pour finir 2017 que pour 2018. Donc non seulement les dépenses ne baissent pas, mais selon le vénérable Haut conseil il n’est pas exclu qu’elles augmentent encore plus que prévu.

Alors que toutes les études qui se succèdent depuis des années montrent que l’Education nationale ne manque pas de moyens mais d’une utilisation efficiente de ces moyens, remarque qui vaut aussi pour la Défense, les mauvaises habitudes se suivent et se ressemblent : ces missions voient leur budget augmenter (2 milliards pour la Défense, 1,2 milliards pour l’Education, 700 millions pour l’enseignement supérieur).

Parmi les mesures fiscales abondamment relayées par la presse, figurent notamment la baisse du taux d’impôt sur les sociétés de 33,3 % à 25 % sur 5 ans et la reconfiguration de l’ISF en IFI (ou Impôt sur la fortune immobilière) dès 2018. C’est ce que Mélenchon et une bonne partie de la gauche, voire même certains députés LREM, appellent faire des cadeaux aux riches.

Mais si l’on peut effectivement parler de baisses d’impôt en ce qui les concerne, si elles témoignent d’une attitude pro-entreprise de la part du gouvernement, si l’on peut espérer que ces allégements redonneront de la vitalité à l’investissement et par suite à la création d’emplois, il apparaît clairement dans le PLF qu’elles sont d’une part compensées par des hausses sur d’autres prélèvements (fiscalité du diésel, hausse de la CSG) et que d’autre part, le gouvernement cherche à imprimer une marque extrêmement dirigiste sur l’activité.

A ce titre, outre les 57 milliards d’investissement sur 5 ans annoncés récemment (alors que l’expérience montre que l’Etat est un piètre chef d’entreprise), l’exemple de l’ISF est particulièrement révélateur. Plutôt que de supprimer totalement cet impôt que très peu de pays continuent à prélever, qui coûte cher à collecter, qui rapporte peu et qui fait fuir les capitaux, il a décidé de le maintenir pour le patrimoine immobilier. Or l’immobilier est le premier actif au monde, il répond à un besoin assez primaire des humains, celui de se mettre à l’abri, celui de se loger, et il donne lieu à une activité économique importante dans le domaine des travaux de construction et de rénovation.

De façon purement idéologique, Emmanuel Macron a décidé que l’immobilier était un actif de « rentier », un mauvais actif, tandis que les valeurs mobilières seraient par comparaison de bons actifs que l’Etat se doit de favoriser. Ce faisant, l’Etat se mêle une fois de plus de ce qui ne le regarde pas et fausse le marché en cherchant à peser fiscalement sur les allocations d’actifs des particuliers.

Cet exercice du budget, toujours extrêmement révélateur des options politiques privilégiées par le pouvoir en place, confirme que l’équipe Macron s’est installée durablement dans la dialectique du « en même temps » : en même temps j’économise et en même temps je dépense, en même temps je baisse des impôts et en même temps j’en augmente et j’en crée d’autres, selon une action dirigiste de l’Etat sur la société qui ne permet pas d’enrayer sérieusement la dérive des comptes publics.

Les baisses de dépenses et d’impôts dont se vante l’exécutif dans son PLF 2018 ne sont réalisées qu’en « tendance », et si les activités productives sont encouragées, elles sont malgré tout canalisées selon l’idéologie gouvernementale. 

Comme pour la réforme du code du travail, les belles intentions libérales proclamées par le gouvernement pourraient vraiment aboutir à une transformation du pays si elles étaient suivies des actions correspondantes. Mais à l’analyse des chiffres, force est de constater que l’esprit réformateur reste timide et que le modèle social-démocrate français a encore de beaux jours devant lui.


(1) Pour les définitions des principales grandeurs de nos comptes publics, on pourra se reporter à l’article : Budget 2016 : opérations de contes à comptes (17 sept. 2015).

(2) La dette publique française est portée à 65 % par des investisseurs étrangers.

(3) Rappelons que les comptes publics se décomposent en 3 parties : l’Etat central et ses agences, les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale.


Sur l’affaire de la taxe à 3 % sur les dividendes qui se solde par un trou budgétaire de 10 milliards d’euros à rembourser aux entreprises, lire :
Taxe à 3 % sur les dividendes : Derrière le fiasco, la débâcle morale de l’Etat (article du 24 octobre 2017)


Illustration de couverture : Ministère de l’Economie et des finances, Paris Bercy. Photo AFP, Christophe Lehenaff.

14 réflexions sur “PLF 2018 : Montre-moi ton budget et je te dirai qui tu es

  1. Bonjour,

    La lecture du PLF est inquiétante.

    L’Etat ne renonce pas à intervenir dans des domaines non régaliens.

    Le respect du seuil de 3% pour le déficit est un leurre.

    Ce déficit s’aggravant représente, respectivement au titre de 2017 et 2018, 26,95 % et 27,91 % des recettes (cf. page 149 du pdf en lien).

    Si les recettes au profit de l’UE sont neutralisées en les retranchant à la fois des dépenses et recettes, le déficit constitue 28,65 % et 29,91 % respectivement pour 2017 et 2018.

    Les mauvaises pratiques persistent au préjudice de tous, une voie vers la misère.

    A bientôt,

  2. Total 5200 milliards de dettes au bas mot.
    http://www.temoignagefiscal.com/3200-milliards-cette-dette-hors-bilan-dont-nul-ne-vous-parle-par-jean-yves-archer/#comment-206909
    Si on ajoute l’impéritie d’EDF, de tout son règne, sur le plan du démantèlement des centrales atomiques, chiffrable en une fourchette floue de 200 à 500 milliards sous réserve d’inventaire, ceci dû aux errements et aventures de ses directions successives qui ne seront jamais sanctionnés, la dette de la SNCF (France Rail) de l’ordre de 50 M€, sous le tapis on découvre je ne sais combien d’autres milliards de l’ex-Crédit Lyonnais ainsi que d’autres 50 milliards des Charbonnages de France . . . à compléter.
    nb Excellent article, qui réveille ! bravo !
    – d’où une question : quel est le QI moyen de la classe politique passée, actuelle et probablement future ?

    • Pourquoi voulez vous absolument intégrer le coût du démantèlement des centrales nucléaires? C’est comme si nos aïeux l’avaient fait lors de la construction des cathédrales.
      C’est la nouvelle tactique des anti-nucléaires pour plomber la rentabilité de ces centrales. Les américains ont proprogé la durée de vie de leurs centrales de 40, 60 ans.

      • Euh… le coût du démantèlement des cathédrales ? Pourquoi diable voudriez-vous « démanteler les cathédrales » ? La fausse analogie qui n’a rien à voir, pour tenter de démontrer un truc indémontrable : un vice bien français…

  3. Oui il y a bien aux alentours de 5 Mds € de dette mais Mélenchon a dit qu’il n’y avait qu’à pas la rembourser.
    Et la grosse blague des 3 % ajustée entre 2 couloirs sur un ticket de métro puis sacralisée par Mitterrand (« j’ai dit ») et gobée par l’UE, lisez pour vous marrer :
    http://blogs.lesechos.fr/dominique-seux/l-histoire-du-critere-de-3-a15011.html?bX24tgrqz2JZgmsc.99
    Si on veut devenir sérieux, il y a au moins deux conséquences graves :
    – Les allemands se moquent : Wolfgang Kubicki a eu la phrase qui tue: « En tant que Président français, je propose que l’Allemagne paye pour tout le monde ».
    http://www.entreprise.news/liberaux-allemands-persiflent-deja-passager-clandestin-macron/
    – Il n’y a pas de choc fiscal-compétitivité et de simplification, donc les entrepreneurs ne viendront pas en France même à moyen terme, la confiance ne reviendra pas.
    Ils nous font prendre des vessies pour des lanternes !

    • « En tant que Président français, je propose que l’Allemagne paye pour tout le monde » :
      J’ai en effet traité ce sujet dans cet article :
      « Le message de l’U. E. à la France : de la réforme avant toute chose » (mai 2017)
      « On ne parle plus de mutualiser les dettes des pays de la zone euro, ce que l’Allemagne a toujours refusé, mais Macron a certainement en tête de mettre la main sur les excédents budgétaires que l’Allemagne a l’audace d’accumuler année après année. Dans la vidéo ci-dessus, après avoir pris l’Allemagne en exemple pour sa rigueur budgétaire, Moscovici précise le fin fond keynésien de sa pensée : « Je crois que l’Allemagne a tort d’avoir des excédents budgétaires, il faudrait qu’elle investisse plus pour la croissance collective. »

      • Autre aspect important autour de l’ISF que vous évoquez :
        « les valeurs mobilières seraient par comparaison de bons actifs que l’Etat se doit de favoriser »
        Les français ne sont pas tout à fait idiots pour placer leurs économies. Les valeurs mobilières sont extrêmement risquées La masse de capital est énorme et l’augmentation ne cesse de s’accélérer, les actions sont sur-sur-cotées, la profitabilité est insuffisante en regard du risque :
        https://brunobertez.com/2017/09/30/ediorial-le-secret-qui-ne-doit-pas-transpirer-sinon-vous-comprendriez/
        Donc ça va rien faire, le coup sur l’ISF.
        Les problèmes de la France sont les charges/dépenses sociales. L’OCDE rappelle que nous sommes les champions du monde. C’est peut-être de ce côté là qu’il faudrait agir pour redonner aux entrepreneurs l’envie de s’investir.

  4. Il ne reste plus qu’à boire pour oublier. En plus, ça fait rentrer des taxes, donc c’est bon pour la « relance » et « l’investissement ». Se bourrer la gueule et aider l’Etat, c’est joindre l’utile à l’agréable.

  5. « Au même moment, l’INSEE nous indiquait que la dette publique française avait atteint un nouveau record de 2 232 milliards  » : ça fait 40 ans que chaque chiffre concernant la dette est un nouveau record.

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