L’ouragan Irma lève le voile sur notre (mauvais) Etat

Les critiques qui fusent sur la faillite de l’Etat français à Saint-Martin après le passage de l’ouragan Irma remettent sur le devant de la scène la question plus générale du rôle de l’Etat.

Il y a une semaine exactement, le mercredi 6 septembre 2017, l’ouragan Irma passait sur Saint-Martin et Saint-Barthélémy, deux collectivités françaises d’outre-mer situées dans les Antilles. Emportant tout sur son passage, maisons, réseaux électriques, adduction d’eau, laissant le champ libre à des bandes de pillards en armes, il semblerait bien qu’il ait aussi mis brutalement à nu les carences de l’Etat français dans l’anticipation et la gestion de cette crise aussi bien sécuritaire que sanitaire.

De nombreux témoignages d’habitants affolés et esseulés, des articles de la presse des Caraïbes et la comparaison avec la fermeté en vigueur dans les territoires voisins relevant des autorités américaines ou néerlandaises ont aussitôt donné lieu à des interrogations brûlantes : l’Etat français a-t-il failli ?

Je ne reviens pas sur le déroulé spécifique des événements car le blogueur libéral h16 en a fait une description documentée et une analyse précise dans son billet de lundi dernier. La conclusion est sans appel : oui, à Saint-Martin, l’Etat français a failli.

Remarquons juste que Les Décodeurs du Monde n’ont pas eu grand chose à se mettre sous la dent pour tenter de faire retomber les polémiques : non, la sous-préfète de Saint-Martin n’a pas fui l’île ; non, Air France n’a pas augmenté ses tarifs ; oui, il y a eu des pillages côté néerlandais. Il est bon de tordre le cou aux rumeurs les plus délirantes, mais tout ceci ne nous apprend rien sur l’action effective du gouvernement.

Remarquons également que si Emmanuel Macron, en déplacement hier à Saint-Martin, a pu annoncer glorieusement que 1 900 militaires et policiers étaient maintenant déployés dans l’île, les préparatifs du 4 septembre recensés par Le Figaro font état d’un envoi de 57 militaires de la sécurité civile venus de France ainsi que six personnels de santé, un détachement militaire, 18 pompiers et deux officiers des Forces armées de la Guadeloupe et la Martinique. C’est presque ridicule compte tenu de ce qu’on savait de l’ouragan à cette date.

Le 7 septembre, le préfet de la Guadeloupe déclarait : « Il n’y a pas de pillage organisé ». Heureusement qu’il a dit « organisé », ça le dédouanera peut-être. Car du pillage, il y en a eu, et beaucoup. Aussi, le 8 septembre, le ministère de l’Intérieur se fendait d’un tweet annonçant le déploiement de …. 1 100 agents des forces de l’ordre pour le lendemain !

Mis gravement en cause, dénonçant des « polémiques politiciennes » allumées par des responsables politiques « alléchés par la souffrance » le gouvernement s’est finalement dit favorable à la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire. On verra ce que donnera ce louable effort de transparence.

• Mais au-delà du cas particulier et spectaculaire de Saint-Martin, c’est la question beaucoup plus large de la place de l’Etat en général qui est mise sur la sellette. Alors que du côté des libéraux les critiques fusent sur l’inadmissible démission de l’Etat dans les événements de Saint-Martin, les anti-libéraux pensent avoir trouvé une bonne fois pour toute l’argument qui tue. Exemple :

On le sait, les libéraux n’aiment pas tellement l’Etat, surtout quand il en vient à prendre les proportions gigantesques qui sont celles de l’Etat français et son cortège imbattable de dépenses publiques (57 % du PIB), prélèvements obligatoires (45 %) et dette publique (99 %).

Mais pour les libéraux classiques, ceci ne signifie nullement qu’il ne faut pas du tout d’Etat. Ils considèrent simplement que nos droits n’ont pas à être édictés d’en haut par l’Etat selon des échelles de valeurs variables visant à favoriser telle catégorie de population plutôt que telle autre suivant les régimes politiques ou les majorités au pouvoir, mais qu’ils précèdent toute forme d’Etat, qu’ils sont naturels et inaliénables, qu’ils sont en quelque sorte attachés à nous dès notre naissance. Il s’agit de la liberté, de la sécurité et de la propriété.

Dès lors, le seul et unique rôle très important de l’Etat, dit rôle régalien, consiste à faire respecter ces droits. C’est pourquoi un Etat libéral entretiendra et sera capable de mobiliser une armée et une police incluant des services de secours d’urgence ainsi qu’un système judiciaire et pénitentiaire afin de garantir l’intégrité des personnes et des biens en toute situation.

Dans le cas de Saint-Martin, les habitants se sont retrouvés seuls face à des bandes de pillards armés qui les menaçaient et qui en voulaient clairement à leurs biens, tandis que les gendarmes les enjoignaient de se défendre seuls, avec des armes éventuellement, car eux ne pouvaient pas sortir.

C’est dans cette mesure précise que les libéraux considèrent que l’Etat a failli dans sa principale mission de protecteur des personnes et des biens. Ce qu’ils déplorent dans les événements de Saint-Martin, ce n’est pas l’absence de l’Etat providence, comme le croit l’aimable auteur du tweet ci-dessus, mais bien l’incapacité de l’Etat français à assurer avec diligence sa fonction essentielle, celle qui seule peut justifier fondamentalement son existence, la fonction régalienne.

• Enlevez le régalien et vous vous retrouvez avec toute la partie Education, Etat providence (sécurité sociale et prestations sociales) et subventions distribuées de façon catégorielle selon les « fins souhaitables » (terme de Hayek) décidées par les dirigeants : subventions à tels ou tels aspects culturels, subventions à l’éolien, subventions à la presse, subventions aux entreprises, entrées au capital, fiscalité avantageuse pour telle pratique sociale ou tel investissement, etc.

Tout ceci n’est d’aucune nécessité pour garantir les droits naturels des individus. Tout ceci pourrait être assuré par d’autres agents économiques ou sociaux beaucoup plus nombreux et diversifiés qu’un seul Etat. Et tout ceci revient à donner à l’Etat les moyens de faire pression en permanence sur nos vies quotidiennes.

Si l’on peut dire, pour reprendre la sympathique expression du tweet ci-dessus, que les libéraux « crachent H24 sur l’Etat providence », il est complètement absurde de les accuser de déplorer son absence dans la crise de Saint-Martin.

D’abord parce que la critique porte sur la démission régalienne comme on l’a vu, et surtout parce que l’Etat providence n’a pas un seul instant disparu : sauf erreur, l’ouragan Irma n’a pas stoppé le paiement des prestations sociales à une partie de la population ni empêché le prélèvement des impôts et des cotisations sociales qui les financent auprès des mêmes ou d’autres citoyens.

Si le passage devastateur d’Irma sur les îles françaises inspire quelque chose aux libéraux en matière d’Etat providence, c’est bien plutôt d’être beaucoup trop présent, depuis des années et des années, jusqu’à annihiler toute initiative de développement dans un assistanat destructeur.

L’un des arguments avancés pour défendre l’Etat français dans sa gestion de la catastrophe à Saint-Martin repose sur le fait qu’on ne saurait faire des comparaisons valables avec la partie néerlandaise de l’île parce que cette dernière est beaucoup plus riche. Les niveaux de développement entre les deux parties sont complètement différents, rendant la tâche du gouvernement français nettement plus difficile. Drôle d’excuse.


De fait, si la partie néerlandaise de l’île est celle du tourisme de masse florissant, la partie française est celle du chômage de masse abrutissant avec un taux de 30 %, soit le triple de la partie hollandaise, tandis que le PIB côté français ne se situe qu’à la moitié du PIB côté hollandais.

Comme le titrait Capital en juin dernier, schéma ci-contre à l’appui : « Ile de Saint-Martin : Le business côté néerlandais, la déglingue côté français. » Flatteur, isn’t it ?

Comment expliquer cette différence, sinon par l’effet dramatiquement néfaste de politiques typiquement socialistes basées sur un Etat providence boursouflé et des subventions déversées en continu sur cette île avec pour seul effet d’enfermer durablement les populations dans le chômage et l’assistanat (1 habitant sur 8 touche le RSA contre1 sur 35 en métropole), comme on a pu s’en apercevoir également en Guyane en début d’année ?

Vérité et bienfait de la « décence » socialiste de ce côté-ci de la frontière, horreur du capitalisme ultra-libéral débridé au-delà. Cherchez l’erreur !

Finalement, il apparaît que l’Etat français entretient un Etat providence ventripotent et contreproductif qui finit par assécher complètement ses facultés d’assumer convenablement son rôle régalien.

Ces quelques considérations sur le rôle de l’Etat selon le point de vue libéral méritaient d’être redites. La gestion passablement calamiteuse de l’ouragan Irma par les services de l’Etat m’a fourni une bonne occasion.

Quant au tweet ci-dessus, il m’a tracé une ligne argumentative. Mais pas seulement. Vous aurez remarqué qu’après s’être bien emmêlé les pinceaux entre providence et régalien, l’auteur conclut sur une note méprisante : « Achetez-vous de la décence. »

C’est le « camp du bien » qui nous parle. Moi qui suis du camp… de quel camp ? Je ne me vois pas dans le « camp du mal ». Plutôt dans le camp du réel contre « l’illusion lyrique » ou dans celui des résultats concrets contre les belles intentions. De toute façon dans le camp de la liberté. Et donc moi qui suis dans le camp de la liberté, je lui réponds.


Illustration de couverture : capture d’écran du tweet discuté dans cet article.

 

21 réflexions sur “L’ouragan Irma lève le voile sur notre (mauvais) Etat

  1. Les mots ayant été massacrés, les libéraux sont accusés de tout et de leur contraire.
    Effort louable de leur répondre, mais sans doute un peu vain.
    En tout cas, oui, l’Etat parce qu’omniprésent à défaut d’omnipotent (malgré son racket insoutenable) a vraiment failli.
    Irma, et son soudain changement de trajectoire doublé d’une augmentation de sa force, montre que ce n’est pas la faute du gouvernement ni du président de n’avoir su anticiper. L’Etat est nu de ses gabegies.

    La structure étatique n’a pas et n’aurait pas pu répondre au desastre. Car il fallait des bras, des yeux, des muscles et des cerveaux, et non des Cerfa.

  2. Il faut donner leur indépendance à tous ces reliquats de la colonisation qui d’ailleurs la réclament, nous crachent dessus dès que l’occasion s’en présente, mais empochent sans vergogne aides et assistance tout en en déplorant l’insuffisance. Toujours le même schéma, quoi qu’il arrive.

    Indépendance aux DOM-TOM ! Nous n’avons plus les moyens d’entretenir ces danseuses.

    • Vous avez raison sauf à long terme, car dans un avenir pas si lointain, nous serons en mesure d’exploiter et d’extraire les nodules polymétalliques du fond des océans. Et les 200 milles marins représentent un avantage certain. Grâce à ces îles confettis sur une carte nous avons le 2ème plus grand espace maritime de la planète…

      • Peut-être dans un avenir lointain. Pour le moment, les eaux territoriales servent surtout d’aubaine aux passeurs d’immigration clandestine. Voir Mayotte où les femmes enceintes viennent pondre directement un petit Français, rendant tout le regroupement familial non-expulsable, avec déjà des cadis (justice islamique). Nos bons sentiments nous perdront.

      • Entendu ce matin sur Radio Classique : à Saint-Martin, la partie néerlandaise est plus chic, la partie française plus cheap. Mentalité 9-3, piller, râler, tout attendre de l’Etat-providence. Mais, les habitants de la partie néerlandaise allaient se faire soigner où ? A l’hôpital public français, bons médecins, soins gratuits.
        Nous sommes, décidément, les pigeons bons et cons.

        Indépendance aux DOM-TOM !

    • Pourquoi Saint-Martin France ne pourrait-il pas être aussi dynamique que Saint-Martin Pays-Bas ? Pourquoi la France ne pourrait-elle pas avoir là-bas une industrie du tourisme prospère, en plus des eaux territoriales mentionnées par Oblabla ?
      Changeons de politique ! Laissons tomber le socialisme ! (vous connaissez ma position libérale 🙂 )

  3. Il y a certainement un problème d’anticipation dans cette catastrophe prévisible. On l’a traitée comme un tremblement de terre… C’est à l’image de notre système de santé très curatif. Peut-être est-ce dû à notre esprit très « choriste » action réaction !!! On peut aussi remarquer ce qui s’est passé dans la petite île voisine : le même État mais semble t’il une population beaucoup plus attachée à surmonter par elle même ses difficultés le plus possible… Si un bon journaliste pouvait analyser ces faits, cela serait bien utile !!!

    • « une population beaucoup plus attachée à surmonter par elle même ses difficultés le plus possible…  »
      Il est clair que l’assistanat répandu partout n’incite pas les gens à se prendre en main, ni en temps ordinaire, ni au moment des grandes catastrophes.

  4. Je n’ai pas suffisamment suivi les événements pour prendre parti sur la question de la carence de l’Etat à cette occasion.

    Toutes choses égales par ailleurs, j’aimerais attirer l’attention cependant sur un élément occulté par les illusions étatistes : shit happens, la merde ça arrive, il y a des cas où on ne peut pas espérer être protégé par l’Etat, par exemple en cas de catastrophe naturelle.

    Nous avons tellement l’habitude du confort et de l’assistanat que nous trouvons tout bizarre que parfois, l’homme soit dépassé par les éléments. Certes l’Etat doit intervenir dans ces cas, mais en attendant son action, il y aura toujours une période de chaos, de pénurie voire de pillage.

    Il me semble que les Américains sont beaucoup plus habitués que nous à la survenue régulière d’ouragans, et n’en font donc pas tout un fromage.

    Ce qui m’a fait marrer, en tous cas, est la sortie résolument anti-libérale de Macron sur place, appelant à la fois à désarmer la population (OK, c’est sans doute justifié, je suppose qu’il s’agit essentiellement d’armes illégales aux mains de bandits) et à ne pas résister aux pillards par l’auto-défense : manque de bol, ce genre de catastrophe naturelle est précisément l’un des cas où rien ne marche pour se protéger, sinon l’auto-défense.

    La seule façon de se protéger face à des pillards lorsque l’ordre s’est effondré et que la police est absente, c’est : reculez ou je tire. C’est, d’ailleurs, ce qui se produit régulièrement aux Etats-Unis dans ce genre de circonstances, et tout le monde trouve ça normal (enfin, sauf les gauchistes).

    • @ tino

      Vous voulez dire : un point de vue intéressé. On ne peut pas accorder une once de crédibilité à un seul des « articles » publié sur ce site (et d’autres), qui s’appelle, faut-il le rappeler, 24 H Gold. En d’autres termes, il s’agit d’un site catastrophiste destiné à paniquer les gens, dans le but de leur faire acheter de l’or que commercialise ce site, directement ou indirectement.

      Au passage, conseiller aux gens de se munir d’or pour acheter des biens de première nécessité en cas de catastrophe telle qu’un ouragan, c’est véritablement se moquer du monde… et faire courir un danger de mort aux neuneus qui tomberaient dans le panneau, et se trouveraient dans une telle situation.

      Quant aux propos de l’article lui-même, ils sont farcis de mensonges (la préfecture a bel et bien appelé à évacuer) et de fraudes idéologiques : l’auteur affecte de prendre une position libérale, mais c’est pour mieux défendre l’étatisme et l’assistanat : c’est un scandale si les aides au logement diminuent de 5 euros, etc.

      Il est bien difficile de garder les pieds sur terre face à l’océan d’ignorance et de mensonges intéressés qui nous submerge.

  5. @gblardone.
    ce sont les manquements de l’état régaliens que nous pointons, pas ceux de l’état providence. Achetez-vous deux neurones, connectez-les, vous comprendrez peut-être la différence.

  6. @ Jacques et @ Calvin :

    Je ne l’ai pas indiqué dans l’article car je ne visais pas personnellement ce monsieur, mais il est journaliste et il a plus de 32 800 followers sur Twitter (on peut le constater simplement en cliquant sur le tweet). Il a donc une audience, une influence.
    On m’a dit en commentaire sur CP que répondre à ça n’avait pas d’intérêt. C’est d’ailleurs un peu ce que m’a dit Calvin : « Effort louable de leur répondre, mais sans doute un peu vain. » Je pense au contraire qu’il faut saisir toutes les occasions de contre-argumenter et remettre les confusions au carré. C’est moins une réponse ciblée spécifiquement à l’adresse de ce monsieur qu’une occasion de faire passer les raisonnements libéraux en s’appuyant sur les incohérences adverses.

    • Oui Nathalie. Ne vous laissez pas décourager. Il faut répéter, répéter et répéter encore même ce qui parait évident à certains ou idiot à d’autres. La liberté mérite qu’on la défende.

    • Absolument. Il faut casser les pattes à ce genre de slogans en bouteille, que les gens se répètent de proche en proche sans réfléchir. « C’est vrai, puisque tout le monde le dit ». En plus, ce « journaliste » m’a surtout l’air d’un gueulard qui passe son temps à insulter ceux qui s’écartent des clous de l’idéologie de gauche… Depuis quand la fonction de journaliste se confond-elle avec celle de militant, voire de flic de la pensée ?

      Puisqu’il faut quelques centaines de soldats et de pompiers une fois tous les dix ans pour intervenir dans les DOM-TOM en cas de cyclone, alors il faut payer des millions de gugusses à enfiler des perles au « bureau des temps » de la mairie 365 jours par an (moins les congés payés, les congés du maire et les congés-maladie frauduleux de complaisance), et leur donner le droit de partir à la retraite à 55 ans avec une pension payée par le contribuable. Toute la mauvaise foi des raisonnements outrageusement faux des étatistes…

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