Code du travail : Klur, Gloo et politique « à la com' »

Les Klur, ce sont ce couple d’ouvriers licenciés d’une usine de confection textile appartenant au groupe LVMH. François Ruffin a lourdement instrumentalisé leur histoire qu’il a présentée dans son film documentaire Merci Patron !, lequel a ensuite servi de base conceptuelle aux rassemblements « La Nuit debout » lancés lors du quinquennat précédent contre la loi Travail de Myriam El Khomri. 

Gloo est un restaurant ouvert à New York en 2014 par des Français. Leur problème : ils ont beaucoup de mal à stabiliser leur équipe de service en salle et craignent chaque jour une démission car les opportunités de travail dans ce secteur sont nombreuses et les offres de salaires élevées. En France, les salariés sont très protégés – hip hip hip hourra ! pour notre Code du travail – tandis qu’à New York, chacun sait que « c’est l’horreur ». Cherchez l’erreur.

Alors que le Président de la République, brutalement chahuté dans les sondages, a cherché à se relancer par une grande interview au Point et y a réitéré sa volonté inchangée – quoique toujours assez vague – de « libérer les énergies », et au moment où le gouvernement dévoile le texte très attendu des mesures qu’il a négociées avec les partenaires sociaux pour réformer notre Code du travail, il me semble opportun de rappeler quelques réalités.

• Commençons par François Ruffin, celui qui avait tiré pas mal de ficelles derrière l’apparente spontanéité de « La Nuit debout ». Journaliste fondateur du journal d’extrême-gauche Fakir, devenu député en juin dernier sous les couleurs de la France insoumise (FI), il n’a pas fait mystère de toute la démagogie et toute l’agit-prop dont il compte user pour faire monter la colère du peuple et obtenir le retrait du projet.

Dans son fameux film documentaire, il avait déjà tendance à prendre les Klur pour de véritables demeurés, au point de choquer profondément jusque dans certains recoins spécifiques d’extrême-gauche ; aujourd’hui, ce sont carrément tous les sympathisants qui gravitent autour de la FI qu’il renvoie à leur imbécilité intrinsèque.

Ce chantre de l’égalité et de la justice, ce profond humaniste, cet homme attentionné à la douleur d’autrui et toujours près à voler au secours des autres(*) n’a-t-il pas expliqué, avec les mots de la fausse coolitude et le ton de la vraie condescendance, qu’il fallait décrédibiliser la réforme du Code du travail à partir de « trucs à la con » (frais de maquillage, statut de la première dame etc.) plutôt que d’entrer dans le dur d’une réflexion construite sur le marché du travail parce que « c’est trop technique » ?

Cette déclaration n’est-elle pas l’aveu lamentable qu’il n’existe qu’une seule façon de faire perdurer le dogme inébranlable résumé par Gérard Filoche dans son slogan « Touche pas à mon code » : celle qui consiste à détourner l’attention, scléroser le débat, empêcher toute prise de conscience et toute réflexion personnelle de la part des premiers concernés, les gens qui travaillent ou qui aimeraient bien travailler ?

Venant de politiciens prétendument « insoumis » qui n’ont à la bouche que les mots émancipation, dignité, morale, justice sociale etc., voilà qui prête à rire – à s’esclaffer bruyamment, même. Si ce n’est qu’on parle ici de la seule opposition vraiment active à l’Assemblée, une opposition si imbue d’elle-même et si boursouflée d’idéologie qu’elle semble incapable de faire autre chose que de la politique « à la con ».

Une idée pour François Ruffin : puisqu’il aime tant rendre service, puisqu’il croit en « la vertu subversive du témoignage » pour faire entrer le réel(*) à l’Assemblée, pourquoi ne s’intéresserait-il pas au cas de ma coiffeuse ? Elle cherche sans succès une nouvelle employée depuis mars. Mais, Madame, lui a dit son interlocutrice chez Pôle Emploi (en baissant la voix, car tout ceci est tabou), comment voulez-vous qu’on vienne travailler chez vous quand on peut vivre sur les prestations sociales ?

• Ce genre de cas n’intéresse pas les Ruffin, Filoche et Mélenchon. Cette coiffeuse n’est jamais qu’un patron et chacun sait que les patrons, esclavagistes en puissance sinon de fait, sont en position de force toujours et partout.

Pour ces grandes gueules de la justice sociale sur-diplômées en pro-chavisme, toute la vertu, toute la raison d’être du Code du travail consiste justement à réprimer toute possibilité d’initiative des patrons et à accorder toutes les garanties possibles aux travailleurs : emploi à vie, 32 heures hebdomadaires, salaire minimum élevé et progression salariale fixée par avance, le tout étant naturellement décidé sans aucune considération de contexte économique et d’évolution technologique.

Ce n’est pas dans le Code du travail, mais ajoutez à cela un peu de protectionnisme pour se mettre à l’abri des politiques vicieuses de certaines nations criminellement libérales et le tour est joué !

Cette vision est profondément fausse. Le cas du restaurant Gloo montre qu’un employeur est tout autant en concurrence avec d’autres employeurs que les salariés sont en concurrence entre eux, dès lors que le jeu du marché est non faussé par des réglementations écrasantes, des salaires minimum élevés et des contraintes pointilleuses à l’embauche comme à la débauche. Ce n’est pas aux Etats-Unis que le chômage atteint un taux de 10 % (il y était de 4,4 % à fin avril 2017), mais en France, pays qui se vante pourtant de son prodigieux système de protection sociale et de son Code du travail censé parer à tout.

Parer à tout, c’est justement ce qu’il est impossible de faire, et que l’on s’acharne à faire en pure perte depuis quarante ans à coup d’inflation législative et réglementaire, avec pour seul résultat d’avoir multiplié par trois le poids du Code du travail à défaut d’avoir maîtrisé significativement le chômage et redynamisé durablement l’économie française.

Dans le travail comme dans toutes les autres activités humaines, les aspirations des individus sont tellement nombreuses et variées qu’il est impossible de parvenir à tout englober dans un cadre unique centralisé qui répondrait à tous les cas et ferait au bout du compte le bonheur des hommes. C’est d’autant plus impossible que dans le contexte de révolution numérique que nous sommes en train de vivre, beaucoup des métiers de demain sont inconcevables aujourd’hui.

Finalement, on aboutit à un système planifié et dirigé selon un système de valeurs qui n’est pas forcément celui de tout le monde. Voir l’invraisemblable débat sur la possibilité de travailler ou non le dimanche : pour qui se prennent ces politiciens pour décider, selon leur vision personnelle de l’ordre moral souhaitable, quand et comment les autres doivent travailler ?

Il existe cependant une façon de tenir compte de toutes les situations particulières sans en oublier une seule : laisser employeurs et employés se mettre d’accord entre eux par contrat sur la façon dont ils souhaitent travailler et laisser les mécanismes naturels de l’offre et de la demande fixer les salaires, ce qui aura pour avantage de guider les demandes de travail des entreprises et les offres de travail des employés vers ce qui apporte le plus d’utilité(**) à la société.

• Dès lors, même si Emmanuel Macron a bel et bien « touché au Code », il faut vraiment beaucoup de bienveillance à l’égard du gouvernement pour considérer que les cinq ordonnances visant à réformer le Code du travail dévoilées hier par le Premier ministre Edouard Philippe et la ministre du Travail Muriel Pénicaud font bouger les lignes en profondeur.

Elles représentent certes un pas dans le sens de plus de souplesse et plus de décisions prises au sein des entreprises, directement entre les salariés et le patron, notamment dans les plus petites d’entre elles, mais c’est néanmoins la branche, où les syndicats règnent, qui devient privilégiée.

Elles simplifient aussi le dialogue social en regroupant le Comité d’entreprise (CE), le Comité hygiène, sécurité et conditions de travail (CHSCT) et les délégués du personnel en un seul Comité social et économique (CSE).

Autre point intéressant, l’appréciation des difficultés économiques d’un groupe qui souhaite licencier se fera selon le périmètre France et non plus monde. Mais concernant les indemnités de licenciement, l’Etat reste au contrôle et cherche à plaire de tous les côtés en plafonnant les indemnités prudhommales (fleur aux entreprises) et en augmentant les indemnités légales (fleur au syndicats).

Mais foin de la bienveillance ! Une fois de plus M. Macron s’est payé de mots. Ce qu’il n’hésitait pas à présenter comme une « révolution copernicienne » dans son interview au Point n’est finalement qu’un toilettage, non pas ultra-libéral comme semble le penser Médiapart, mais ultra-limité. Des éléments aussi fondamentaux que le temps de travail et le salaire minimum restent intouchables, la loi venue d’en haut reste dominante. Selon certains experts de droit social, « nous sommes finalement sur un projet moins intense que la loi El-Khomri ». Ce qui veut dire en clair que nous ne sommes pas très loin.

Il ne faudrait pas s’imaginer que cela va suffire à faire redescendre notre Code du travail à son poids de 1978, et il ne faudrait pas s’imaginer non plus que cette action sur le Code du travail va miraculeusement, à elle toute seule, supprimer le chômage de masse et redonner des couleurs à l’économie française.

La vraie « révolution copernicienne » serait de remplacer sérieusement la triste tradition française qui consiste à laisser filer dépenses publiques, impôts et réglementations, par la politique inverse, à savoir baisse des dépenses et des impôts, afin de redonner des possibilités de choix aux citoyens et laisser les capitaux disponibles s’investir dans des activités productives (génératrices d’emplois à terme) plutôt que dans le puits sans fond de notre modèle social, que tout le monde ne nous envie pas et qui est de toute façon à bout de souffle, retraites comprises.

Le traitement du chômage par des emplois aidés fait partie de ces politiques faussement judicieuses et assurément ruineuses auxquelles Emmanuel Macron semble vouloir mettre un terme, ainsi qu’il l’a redit au Point. On ne peut que l’encourager à dépasser les beaux discours et à s’engager franchement dans ce sens.

Si le parti de Jean-Luc Mélenchon prend plaisir à pratiquer l’insoumission « à la con » à l’Assemblée et dans les médias, que dire de la politique du gouvernement ? Accoucher d’une telle souris après avoir fait une montagne de ces ordonnances qui étaient censées « révolutionner » la France, n’est-ce pas aussi, d’une certaine façon, faire de la politique « à la con » ? C’est à tout le moins de la politique « à la com' ».


(*) Récemment, il a expliqué avec complaisance dans les médias comment il avait pris son téléphone et était passé par tous les « Tapez Etoile » du standard d’Engie dans sa tentative d’aider une dame de sa circonscription qui s’était retrouvée sans électricité après son retour de chimiothérapie. Mais finalement, boulette : Engie avait déjà réglé le cas de la dame en question. Sans lui, en fait.

(**) Rappelons que le travail n’a pas d’utilité en lui-même. Vous pourrez passer votre journée à creuser un trou et finir complètement épuisé, cette activité ne vaudra rien si personne n’en veut.


Illustration de couverture : Code du travail. Un livre rouge qui gagnerait à devenir vraiment petit.

12 réflexions sur “Code du travail : Klur, Gloo et politique « à la com' »

  1. Nathalie, on ne va pas dé-communiser le pays en un jour, ni même en cinq années … je note comme vous la fusion des différents comités, que les TPE de moins de 20 salariés pourront négocier avec un employé non élu et non mandaté par un syndicat, que les accords d’entreprise devront être approuvés par des organisations représentants 50% des voix, et non plus 30% comme aujourd’hui …
    Les syndicats, nos syndicats ultra-conservateurs, ont un énorme pouvoir de blocage et de nuisance, sans aucun rapport à leur représentativité. Au moins on commence, même si c’est timide, à ouvrir une brèche … Et ce modeste petit pas, semble bien accueilli, alors qu’on nous promettait une rentrée teintée de rouge :
    http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2017/08/31/20002-20170831ARTFIG00377-sondage-les-francais-favorables-a-une-courte-majorite-a-la-reforme-du-code-du-travail.php

    Il faut de la patience. On ne se désintoxique pas du jour au lendemain quand on est accro !

  2. Macron est agaçant. Il n’y a rien à critiquer, car il n’y a rien, tout court.
    On nous joue la réforme par ordonnance, sur le ton « la patrie est en danger ». On scénarise à outrance une dramaturgie autour de la réforme nécessaire, douloureuse, radicale.
    Et on nous sort… ça. Quelques textes techniques qui fondamentalement ne touchent ni au poids de l’administration, ni à la complexité de la loi, ni au coût du travail, ni à rien d’important, en fait.
    Ni le poids de l’état dirigiste, ni les connivences toxiques entre les différents acteurs ne sont réellement remises en question.
    Les commanditaires de Macron peuvent être contents, il change ce qu’il faut pour que rien ne change. Tout se passe comme prévu, tant pis pour nous.

  3. Il aurait fallu séparer les changements courts termes et ceux du long terme. Malheureusement la loi travail n’est pas un bon choix car si on veut vraiment simplifie, c’est un travail de long terme qui aura des effets long terme. Pour se donner l’illusion d’aller vite on a fait quelques changements cosmétiques qui n’apporteront presque rien ni sur le court, ni sur le long terme.
    Dans la situation désastreuse où nous sommes, il ne reste plus beaucoup de marges de manoeuvre pour décoincer les affaires. Pour un nouveau gouvernement, il faut donc à court terme actionner des dispositifs simples qui créent un choc rapide dans la courte période d’état de grâce. Fillon avait trouvé le truc simple avec la hausse de la TVA et la baisse de l’IS et pas à la petite cuillère pour créer un choc
    C’est pas le tour de passe-passe, CSG, charges sociales, TH, complexe à expliquer (illisible pour une majorité des citoyens) et à mettre en oeuvre.
    Après avoir remis de l’oxygène, on peut s’attaquer opiniâtrement à tous les douloureux chantiers de long terme et qui ne manquent pas, santé et retraite, sécurité, baisse de la complexité fiscale et zéro déficit, droit du travail, gestion paritaire, aides sociales, logements sociaux, éducation, culture, etc…
    Dans deux mois plus personne ne comprendra où ils vont et peut-être plus eux-mêmes comme c’est déjà un peu le cas.

  4. Que les rapports de la Cour des Comptes s’imposent aux administrations, ce serait déjà pas mal. Et éviterait leurs réponses désinvoltes. Nous avons en France une culture du gaspillage des deniers publics qui est proprement ahurissante. Hollande : ça coûte rien, c’est l’Etat qui paye.
    Et pas seulement au niveau de l’Etat. Les communes qui piaillent à cause de la suppression de la taxe d’habitation dilapideront un peu moins l’argent du contribuable en subventions aux associations qui n’ont qu’à se débrouiller avec les cotisations de leurs membres. Exemple, ici à la campagne, tous les ans, subvention aux boulistes. Pourquoi faire, ils ont déjà leur boulodrome aux frais de contribuable. Et tous ces ronds-points à « œuvre d’art » plus grotesques les uns que les autres. Comme on s’est copieusement moqué de nos édiles, maintenant le gaspillage se reporte sur les chicanes, en quilles ou jardinières fleuries, pour faire ralentir les voitures. Avant, elles ralentissaient toutes seules, le stationnement gentiment anarchique formant des chicanes gratuites.
    Et tout est comme ça. A se demander si les travaux perpétuels ne font pas circuler les enveloppes de black.
    Mentalité identique à tous les niveaux.

  5. Cette loi n’aura des effets qu’à la marge et seulement à long terme sur l’emploi. A court terme ce sera la destruction de 300.000 emplois comme l’a très bien expliqué Patrick Artus sur Boursorama dans une vidéo au moment des discussions sur la loi El Khomri.
    Le véritable chantier de reconstruction de ce pays sinistré c’est la baisse drastique des dépenses publiques (dépenses de l’état et dépenses sociales) qui permettra de baisser les impôts et taxes puis d’augmenter les investissements et de créer massivement des emplois.
    Cette loi ne concerne que le secteur privé… Et je suis ABSOLUMENT convaincu que c’est un leurre intentionnellement agité par Macron pour faire croire qu’il transforme le pays.
    Il n’a pas la moindre intention de toucher au secteur public et de diminuer les dépenses publiques (objectif minimum 100 milliards par an). J’ai écrit DIMINUER, pas réduire leur % d’augmentation naturelle…
    Macron pense s’assurer un confort politique avec cette loi et se faire passer pour un réformateur.
    Il ne faut pas être dupe, sauf à imaginer que Macron se lance dans 6 mois dans un programme de baisse de dépenses publiques et de réformes drastiques de l’état… On peut toujours rêver; en tout cas pas moi.

  6. Les quelques images qu’on a pu voir hier soir de la Marche contre Macron organisée par François Ruffin sous la bannière « Ils ont l’argent, on a les gens », euh, comment dire, clairsemés, les gens, une petite centaine, dress-code zadistes.

  7. @ Royaumont
    « On scénarise à outrance… et on nous sort … ça. »
    Exactement ce que je me suis dit en prenant connaissance des nouvelles dispositions.
    Comme je me suis fixé comme repère de dire ce qui va dans le sens de plus de liberté et ce qui va au contraire dans le sens de moins de liberté, j’admets qu’il y a un progrès, mais il est ténu, et il y a aussi des reculades avec la concentration de pas mal de décisions sur la branche.
    C’est de l’homéopathie. Il n’y a plus qu’à espérer que l’effet placebo marche aussi en ce domaine.

    @ Tino
    On rêverait d’une opération Code du travail base zéro : on annule toutes les dispositions et on réécrit le nécessaire et suffisant. Mais ça c’est une illusion, j’en suis bien consciente.

    @ Souris donc
    « A se demander si les travaux perpétuels ne font pas circuler les enveloppes de black » : c’était un formidable mécanisme de financement des partis politiques. Tous ces ronds-points qu’il faut refaire tous les 2 ans !

    @ Oblabla
    « Le véritable chantier de reconstruction de ce pays sinistré c’est la baisse drastique des dépenses publiques (dépenses de l’état et dépenses sociales) qui permettra de baisser les impôts et taxes puis d’augmenter les investissements et de créer massivement des emplois. »
    C’est aussi mon avis, comme je l’ai indiqué dans l’article.

  8. « Rappelons que le travail n’a pas d’utilité en lui-même. Vous pourrez passer votre journée à creuser un trou et finir complètement épuisé, cette activité ne vaudra rien si personne n’en veut. »

    Tutafé. C’est pourquoi les objections des étatistes sur l’air de « mais, euh, les fonctionnaires, il y en a beaucoup qui se donnent du mal » ne riment à rien. Si vous vous donnez du mal pour faire passer de la paperasse du classeur A vers le classeur B, on voit mal quel « service » vous apportez au « public ».

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