Problème n° 6 : Bercy et la chasse aux milliards ! #JeuxDu14Juillet

Quelle négligence de ma part ! Dans mon précédent article « spécial 14 juillet » que je consacre traditionnellement à cinq énigmes de chiffres et de lettres, j’ai complètement oublié de vous proposer un ultime problème d’une actualité brûlante, the problème qui agite fébrilement le microcosme politico-gouvernemental en ce début d’été :

Problème n° 6 : Comment faire pour limiter l’inextinguible déficit de nos comptes publics ?

Et pour s’en tenir à l’avenir immédiat, à propos duquel il semblerait que nous soyons vaguement liés par deux-trois promesses régulièrement repoussées à l’égard de l’Union européenne, comment parvenir à boucler 2017 en rentrant dans les clous d’un déficit maxi de 3 % et éviter de trop se gameller en 2018 ? 

Fichu problème, sur lequel tout le monde s’arrache les cheveux depuis 1974, date du dernier budget excédentaire de l’Etat !

Ce n’est pourtant pas faute d’avoir mis nos meilleurs limiers sur le problème n° 6. De Giscard à Chirac, en passant par Hollande et Macron, des énarques, toujours des énarques et encore des énarques à l’Elysée et dans les ministères ! Parfois un polytechnicien ou un agrégé de ci ou ça, parfois même un spécialiste des implants capillaires, bref, la crème de la crème de la solution fiscale.

Depuis, la France grenouille dans la spirale infernale « dépenses, impôts, dette » avec le palmarès magnifique qu’on commence à bien connaître : médaille d’argent mondiale pour le taux de dépenses publiques sur PIB (57 %) et médaille d’or européenne pour le taux de prélèvements obligatoires (45 %) !

                     

Si, avec une redistribution pareille, on n’arrive pas à être le pays modèle du bonheur et du « vivrensemble », c’est à désespérer de Bercy, Saint-Germain des Prés, Le Monde, l’Obs, Piketty, Lordon et le canal Saint-Martin réunis !

Et pourtant, notre taux de chômage est à 9,6 %, soit le double de ce qui se fait en Allemagne, aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni, notre croissance est plus qu’atone (1,1 % en 2016 contre 1,7 % en moyenne dans la zone euro), nos performances éducatives sont médiocres et notre dette caracole résolument vers 100 % du PIB. Sans compter que les taux d’intérêt pourraient bien remonter et alourdir dangereusement la facture.

C’est incompréhensible. Tant de bonnes intentions et si peu de résultats, comment est-ce possible ?

Il faut dire que l’équipe sortante Sapin Eckert, toujours prête à vanter son « sérieux » sans raison, n’a rien négligé pour assurer le spectacle budgétaire avant les élections.

Tout ceci s’est finalement soldé par un formidable ratage de Hollande et du Parti socialiste. Il n’empêche que toutes les promesses sonnantes et trébuchantes lancées en 2016 (garantie jeunes, dégel du point d’indice des fonctionnaires…) ont dû être tenues dans le budget 2017 et qu’elles se sont traduites par des dépenses qu’il a bien fallu caser, ou plutôt cacher quelque part à coup de débours différés et de rentrées fiscales avancées. De quoi « fragiliser la trajectoire des finances publiques », disait Didier Migaud, Président de la Cour des Comptes, dès septembre 2016.

En effet, pas complètement abusée par les trucs et astuces des deux comiques de Bercy, la vénérable institution nous alerte depuis un bon moment sur les « insincérités » du budget 2017 concocté par le gouvernement sortant : le retour projeté à un déficit public de 2,8 % est jugé « improbable », le taux de croissance envisagé à 1,5 % « trop optimiste » et les économies de dépenses largement médiatisées sont qualifiées d’« irréalistes ».

Emmanuel Macron était-il trop pris par sa campagne électorale pleine de fraîcheur et d’élan printanier, était-il trop occupé par les réglages millimétrés de toutes ses apparitions publiques pour prêter l’oreille aux mises en garde de la Cour des Comptes sur ces triviales affaires de gros sous ?

Toujours est-il qu’il s’était engagé à faire 60 milliards d’euros d’économies dans les dépenses (en tendance, pas en valeur absolue, ne rêvons pas) tout en lançant parallèlement un plan d’investissement de 50 milliards d’euros. Depuis, il a promis en plus des fonds pour l’innovation (10 milliards), le Sahel, le minimum vieillesse et un pass-culture de 500 euros pour tous les jeunes à partir de 18 ans. Bref, aucun engagement sérieux de baisse des dépenses.

Des baisses d’impôt devaient également entrer en vigueur dès 2018 (exonération de la taxe d’habitation pour 80 % des foyers fiscaux, limitation de l’ISF au patrimoine immobilier, transformation du CICE en baisse de charges) afin de provoquer un « choc pour l’emploi ». Financement ? Vague, si ce n’est une hausse de la CSG.

Or dès le lendemain de son long discours du 3 juillet adressé aux parlementaires réunis en grande pompe à Versailles, son propre Premier ministre Edouard Philippe, soudain angoissé ou rendu prudent par les derniers avertissements de la Cour des Comptes (29 juin), revenait le 4 juillet sur la plupart de ces mesures. Ce premier revirement ne fut pas officialisé n’importe où : juste dans le discours de politique générale du Premier ministre à l’Assemblée nationale.

Du sérieux, donc, ou du moins le croyait-on. Mais il semblerait que le duo Sapin Eckert ait trouvé de dignes successeurs.

Un peu embêté d’avoir à revenir sur ses promesses de campagne dès les premières semaines de son mandat comme le premier Hollande venu, soumis à moquerie et contestation de toutes parts, y compris chez ses proches, Emmanuel Macron, dans un second revirement, a finalement décidé le 9 juillet de désavouer la plupart des déclarations de son Premier ministre à l’Assemblée pour s’en tenir au projet initial malgré la situation catastrophique de la comptabilité nationale.

La Cour des Comptes ayant expliqué qu’il fallait trouver au minimum 4,5 milliards d’euros pour boucler 2017 sans se faire remarquer encore une fois par l’Union européenne pour dépassement des 3 %, les ministères ont été priés de dégoter d’urgence des économies à faire.

Gérald Darmanin, le ministre de l’action et des comptes publics, a donc eu l’occasion de montrer toute l’action dont il est capable. Dans une interview au Parisien le 10 juillet, il nous confirme d’abord que la France reste la France :

« Ni les collectivités locales, ni la Sécurité sociale ne seront mises à contribution. »

Il est vrai que nous ne parlons pas de n’importe quel pays. Nous parlons de la France, Mesdames et Messieurs, nous parlons de son merveilleux modèle social mondialement applaudi et envié. Et il est vrai aussi qu’avec la suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des ménages, les collectivités locales sont très inquiètes pour leurs financements. Il ne s’agirait pas de les braquer encore plus.

Donc seul l’Etat central est concerné par ce redoutable serrage de ceinture. Qu’on en juge :

« Nous avons considéré qu’il y avait possibilité de réduire le train de vie des ministères : sur la gestion du parc des voitures, avec des appels d’offres mieux négociés, etc. »

J’espère qu’il a pensé aux appels d’offre sur les ramettes de papier et les crayons de couleur.

Bercy économiserait ainsi 268 millions d’euros sur son fonctionnement, Matignon 60 millions et le Quai d’Orsay 282 millions. L’Education nationale devrait aussi trouver 75 millions d’euros. Pour bien mesurer l’effort colossal que tout ceci représente, rappelons qu’en 2016 nos dépenses publiques totales se sont montées à 1 257 milliards d’euros.

Autrement dit, on nous prend pour des idiots, on nous amuse, on nous endort avec une gesticulation grotesque pour économiser trois francs six sous vite fait bien fait. Mais pas un instant il n’est envisagé une remise à plat de la structure de nos dépenses.

C’est d’autant plus inquiétant que dans la même interview, Darmanin ajoute cette curieuse remarque :

(Dans l’Education nationale) « nous allons tenir l’intégralité des promesses du président de la République. (…) Nous faisons justement des économies pour pouvoir mettre de l’argent là où nous en avons besoin. »

Etrange. On croyait qu’on faisait des économies parce qu’on vivait au-dessus de nos moyens. Si c’est pour procéder à d’autres dépenses, même plus judicieuses aux yeux du gouvernement, cela ne changera rien à la situation globale.

Autre sujet d’inquiétude, les efforts réclamés aux ministères sont bizarrement répartis. En particulier, la Défense est plutôt mal traitée. C’est pourtant une attribution régalienne de l’Etat qui devrait à ce titre lui consacrer une certaine attention.

Or on lui demande des économies de 850 millions pour cette année, soit la plus grosse part des 4,5 milliards, alors que notre armée est engagée à l’extérieur (Irak, Syrie, Afrique) et que Macron lui-même avait promis de porter sa part dans les budgets à 2 % du PIB en 2022 pour faire face à la fois à son sous-équipement chronique et au retrait que les Etats-Unis disent vouloir opérer sur les théâtres internationaux. Fait rare, même le chef d’état-major des armées s’est ému ouvertement de ce changement de pied, ce qui lui a valu un blâme public sévère de la part du chef de l’Etat.

De là à penser que la véritable question qui préoccupe nos dirigeants consiste plutôt à savoir comment continuer à dépenser autant tout en ayant l’air de dépenser moins, il n’y a qu’un pas.

On constate malheureusement une fois de plus que le problème n° 6 de l’équilibre, voire l’excédent, des comptes publics, est à nouveau traité de façon purement clientéliste et cosmétique. La superficialité et la visée à court-terme sont de règle. 

La réduction des dépenses et le retour des budgets à l’équilibre n’est pas seulement une lubie bruxelloise visant à imposer « l’austérité » aux peuples européens par pure malice. C‘est surtout la seule façon de parvenir à réduire progressivement notre dette, laquelle n’est pas autre chose qu’un impôt sur les prochaines générations ; puis de pouvoir ensuite baisser les impôts afin de dégager les capitaux que des chefs d’entreprises avisés investiront à leurs risques dans les activités motrices de notre prospérité future.

Force est de constater que le « dépassement des clivages » prôné par M. Macron ne va pas jusque là. Comme avant, nos élites politiques restent intimement convaincues que la dépense publique favorise l’économie (et leur réélection). Comme avant, il n’est aucunement question de réfléchir en profondeur à ce que nous coûte notre état-providence ou notre millefeuille administratif.

Aussi, pour résoudre le difficile problème n° 6 sans rien changer de ce qui nous handicape en profondeur, il reste à espérer que la France pourra capter quelques miettes de la croissance mondiale retrouvée. C’était la solution (ratée) de Hollande. C’est manifestement aussi la solution de Macron. Le changement, c’est très difficile.


Illustration de couverture : Comment dépenser moins tout en dépensant plus ?

10 réflexions sur “Problème n° 6 : Bercy et la chasse aux milliards ! #JeuxDu14Juillet

  1. Peuchère ….
    Ce siècle avait deux ans. Rome remplaçait Sparte,
    Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte,
    Et du premier consul déjà, par maint endroit,
    Le front de l’empereur brisait le masque étroit.
    Si c’est comme cela qu’il commence son despotisme, cela finira mal, très mal.
    Après les retraités et n’oublions pas que tous les travailleurs actuels seront de probable futurs retraités, et après les militaires, quel va être le prochain corps constitué ou pas qui sera l’objet des « économies budgétaires » du gouvernement socialiste nouveau?.
    Ce sera l’Hôpital. Puisque ce gouvernement ce fout de la charité. Alors, mesdames et messieurs les personnels du corps Médical hospitalier et privé, prenez votre place dans le grand chaos économique que nous concocte l’évangéliste dictateur qui n’aime pas la contradiction.
    Peut être que le militaire pourra lui faire comprendre que la règle comptable du Last In First Out peut s’appliquer à la politique du nouveau Jupiter.

  2. Chère Madame, vous avez tout a fait raison avec votre analyse! Et je suis content que vous mentionnez les Pays-Bas. Apres la crise en 2008 nos comptes publics allaient tres mal. La politique a entamée une analyse profonde de nos dépenses et a decidee des baisses structurelles de depenses basées sur des choix reels et difficiles. Le resultat ? : la dette en dessous de 60% et en baisse vers 40% ; un surplus budgétaire, plus de deficit ; chomage en baisse vers 5 % ; croissance environ 2,3% ; tous les feus économiques en vert et marge de manoeuvre pour le gouvernement ; on n’est pas coince ! Mais l’essentiel: une vision sur le role de l’état et courage politique pour mettre en oeuvre. Faire des choix difficiles. Ca c’est gouverner.
    Cordialement Radinck J van Vollenhoven (Ancien fonctionnaire ministère Affaires Etrangères Pays-Bas en retraite, et plus important: marie avec Beatrice Valleix qui vous a écrit quelques fois) Bordeaux 15/7/2017

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    • Bonsoir Monsieur,
      Merci beaucoup pour votre témoignage sur les Pays-Bas ! J’ai tendance à citer surtout l’Allemagne et le UK en raison de la taille de leur économie quand je veux faire des comparaisons avec la France, mais j’ai fait récemment des recherches sur les Pays-Bas et j’ai trouvé qu’on pouvait aussi regarder de ce côté-là pour trouver l’inspiration !
      Transmettez mes salutations à votre épouse Béatrice dont je me souviens très bien ! Bonne soirée.

  3. Pingback: Ne rien changer aux dépenses : quand Macron fait comme Hollande | Contrepoints

  4. Aucune des structures pour contrôler la dépense, ne sera mise en place :
    – pouvoir de la cour des comptes sur les lois votées à l’assemblée comme le suggère l’iFRAPS en prenant exemple sur la GB.
    – délit de présentation de budgets publics ou de comptes administratifs insincères. Les peines d’emprisonnement et d’amende pourraient être identiques à ce qui se pratique pour les dirigeants d’entreprises. L’insincérité existerait dès lors qu’il y aurait des dépenses connues mais non budgétées ou des recettes surévaluées. Cela au lieu de la ridicule loi sur la moralisation de la vie publique !
    Rien de tout cela !
    C’est rigolo comme ça fait paniquer Edouard Philippe comme François Fillon à son époque : je suis à la tête du gouvernement d’un pays en faillite. Chut chut répond le président, refermons le couvercle de la gamelle qui pue…
    Une seule issue : attendre le défaut de paiement ! Il ne saurait tarder avec la prochaine et inéluctable remontée des taux.

  5. Vous citez à juste titre 3 caractéristiques essentielles, faciles à constater et comprendre qui caractérisent la plupart des régimes socialistes: un taux de prélèvement obligatoire record, un taux de dépenses publiques record, et des résultats médiocres au rendez-vous, dans quasiment tous les domaines confirmant que dans ces régimes on n’en a jamais pour son argent. On ne comprend pas qu’une pédagogie aussi simple et efficace que la vôtre n’ait pas été développée par nos dirigeants nouveaux… En fait si, on le comprend: leur silence prouve bien qu’ils sont eux-mêmes socialistes..on est mal barrés.

  6. Hahaha, quel guignol… « Nous avons considéré qu’il y avait possibilité de réduire le train de vie des ministères sur la gestion du parc des voitures »… Il fallait oser. Et en effet, c’est sur les ramettes de papier qu’on fait des économies. Des pompiers qui participaient au dernier défilé du 14-Juillet se sont vus refuser la mise à leur taille de leurs uniformes : il n’y avait plus de sous, ils ont dû se débrouiller pour les faire retoucher à leurs frais.

    Remarquez que les Français sont co-responsables de ce genre de chasse à la « mauvaise dépense », comme dirait Marine Le Pen. C’est bien sur la diminution du nombre des députés, la suppression du Conseil économique et social et les « voitures de fonction » que se concentrent les réclamations populaires. Il ne faudrait tout de même pas toucher au poste de fonctionnaire municipal inutile qui fait vivre Maman, au mois de congé-maladie frauduleux du beau-frère qui travaille dans les hôpitaux, à la subvention de « l’assoce » qui « emploie » la petite amie, au remboursement des médicaments non génériques « parce que les excipients des génériques sont complètement différents, et de toutes façons on y a bien droit vu ce qu’on paye », etc, etc.

  7. @ Tino @ Bouju et @ Robert :
    Dire qu’au Brésil, Dilma Rousseff a été destituée pour avoir falsifier les comptes publics afin de faciliter sa réélection !
    Une fois que vous avez cité ces 3 éléments (prélèvements, dépenses, mauvais résultats), votre interlocuteur prend un air vaguement compréhensif, mais comme « ya pas qu’ça qui compte dans la vie », il se dépêche de déplacer le sujet sur le terrain des « personnes fragiles qu’il faut bien protéger » ou sur celui des salaires exorbitants des capitalistes ultra ou sur le réchauffement climatique ou etc…
    Et comme dit @Robert, le Français voudrait qu’on résolve tous ses problèmes sans rien changer.
    C’est la promesse absurde qu’a faite Macron et elle a reçu un assez bon accueil pendant la campagne.
    Maintenant, on voit qu’il est rattrapé par ses vides et ses incohérences. C’était prévisible. Sans compter qu’il a pris la grosse tête à un point inimaginable.
    Si un peu de croissance mondiale vient nous aider, ça peut passer provisoirement, sinon ça cassera, tôt ou tard. C’est comme ça qu’on vit depuis quelques temps en France.
    J’ai hélas l’impression que tant qu’on n’aura pas touché le fond, on continuera à se payer de mots.

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