État de grâce : c’est déjà fini ?

La semaine a démarré comme toutes les semaines post élection présidentielle. Les journaux ont mis de belles photos du vainqueur en une de leur édition spéciale et les journalistes sont partis à la pêche aux petites révélations mignonnettes et insolites concernant le nouveau Président. On nous a parlé de ses soirées karaoké quand il était à l’ENA et on nous a montré les « images émouvantes » de son mariage avec Brigitte. 

Malgré quelques calculs inquiétants montrant dès dimanche soir la faible adhésion dont Macron peut se prévaloir dans l’ensemble de la population, et malgré l’immensité de la tâche qui l’attend (et qui aurait attendu tout autre candidat), on s’est d’autant plus laissé bercer par ces gentils récits que les abandons et refondations à l’œuvre dans les partis concurrents évincés n’ont pas manqué de nous divertir grandement.

Mais tout ceci, c’était avant, et ça a duré exactement trois jours. Jeudi dernier, La République En Marche (LREM) a présenté comme promis les 428 candidats qu’elle a investis en vue des législatives des 11 et 18 juin prochains, étant entendu que le reste du contingent sera dévoilé d’ici une semaine. C’est là que les affaires sérieuses ont vraiment commencé, et autant dire qu’elles ont commencé dans le plus grand désordre et pas mal de couacs.

Comme beaucoup de Français, j’ai regardé le documentaire « Les coulisses d’une victoire » sur la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron diffusé par TF1 lundi soir dernier. Et comme beaucoup de Français, je me suis fait la même réflexion que Yann Barthès :

« Et moi qui pensais qu’une élection présidentielle, c’était du calcul, du cynisme et beaucoup de coups bas … Mais je faisais fausse route ! C’est tout le contraire : une campagne présidentielle, c’est avant tout de l’amour, de la bienveillance et du rire ! »

Dans ce film qui semble en effet n’avoir cadré que les instants les plus flatteurs d’une campagne dont on imagine mal qu’elle ait pu se dérouler en permanence de façon aussi lisse et potache, je retiens cependant trois éléments : Macron fait montre en toutes circonstances d’un calme et d’une égalité d’humeur qui confinent presque à l’insensibilité et à la désinvolture calculée ; lors de ses déplacements, il a pu constater lui-même que « les gens sont à cran » ; et on voit François Bayrou lui susurrer confidentiellement à l’oreille « Je suis là pour vous aider, rien d’autre ».

Or François Bayrou est soudain devenu une énorme pierre dans le jardin bien agencé qu’Emmanuel Macron tente de se cultiver jour après jour. Les investitures de LREM étaient à peine connues qu’il faisait part, bruyamment et chiffres à l’appui, de son mécontentement. [Ce matin, les alliés semblent s’être rabibochés, mais pour combien de temps ?]

D’après le Président du Modem – celui qui voulait « aider, rien d’autre » – il y aurait en fait un accord très précis entre son parti et celui du Président. Ce seraient exactement 120 sièges qui auraient été négociés, et voilà que le Modem se retrouve avec seulement  38 circonscriptions.

Second problème soulevé par le Modem, qui a pointé les listes avec beaucoup de vigilance, la part accordée au Parti socialiste dépasse tout ce qui était prévu. Selon ce décompte, outre la société civile qui est représentée par 197 candidats, ce sont 153 PS, ex-PS et PRG qui ont été investis, contre 38 Modem, 25 LR ou ex-LR et 15 UDI ou ex-UDI. Conclusion de François Bayrou :

« L’accord que nous avions négocié depuis des mois a été foulé aux pieds. En tout état de cause, je ne participerai pas à une opération de recyclage du PS. »

Certains dirigeants de LREM tentent de calmer le jeu et assurent qu’un terrain d’entente sera vite trouvé avec l’allié centriste, mais d’autres enfoncent le clou en disant que la commission d’investiture n’a retenu que les meilleurs candidats ou que le Modem ne peut pas bénéficier d’un « droit de tirage perpétuel ».

Pour sa part, Bayrou considère que sans son ralliement (annoncé le 22 février 2017), Macron n’aurait jamais pu décoller de 18 à 24 % comme il l’a fait. Légère entorse à la réalité, cependant : fin janvier, Macron était crédité par un sondage Elabe de 22 à 23 % des voix selon que Bayrou se présentait ou pas.

Surtout, malgré les déclarations de LREM sur le fait qu’il n’y a jamais eu d’accord d’appareils mais une entente sur des idées et des valeurs, Marianne indiquait dès le mois de mars qu’un accord législatif existait bel et bien et qu’il accordait 96 investitures au centre, dont au moins 80 au Modem.

Le flou a été très largement cultivé de part et d’autre avant la présidentielle pour ne pas trop ternir les concepts macroniens de politique autrement, renouveau et fraîcheur printanière, mais Bayrou réalise aujourd’hui à ses dépens que « quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup », comme dirait Martine Aubry.

Bayrou a certes derrière lui une longue et belle carrière de revirements et ralliements politiques opportunistes qui interdit toute commisération à son égard. On se rappelle par exemple son vote pour François Hollande en 2012.

Il n’empêche que sa petite aventure jette une lumière plutôt blafarde sur tous les flous qui sont en quelque sorte, ça se confirme, la marque de fabrique du modus vivendi politique d’Emmanuel Macron.

A l’affaire Bayrou, est venue se joindre une série de couacs qui font désordre. Alors que la publication des investitures devait constituer une opération de communication censée montrer l’engouement des citoyens pour LREM et le sérieux de la sélection pour assurer à la fois nouveauté et expérience (19 000 dossiers de candidature étudiés, entretiens, rencontres etc… ! voir schéma ci-contre), plusieurs personnes figurant dans la liste publiée jeudi ont fait savoir assez rapidement qu’elles n’étaient nullement candidates, et d’autres ont dû être retirées car ne correspondant pas aux critères voulus, celui des non condamnations notamment.

Jusqu’à présent dans la Vème République, le nouveau Président était toujours issu d’un parti politique qui, en plus de l’élan créé par son élection, pouvait compter sur un groupe de députés sortants importants pour reconstituer une majorité à l’Assemblée. Ce n’est pas le cas d’Emmanuel Macron, qui se voit obligé d’aller piocher un peu partout, et surtout au PS, les futurs députés de sa majorité présidentielle, dans des tractations qui ne sont pas sans rappeler les procédés de la IVème République.  Il serait plus exact de parler de coalition présidentielle avec tout le potentiel d’instabilité que cela comporte. En fait de renouveau politique, on a vu mieux.

La promesse de faire monter de nouveaux visages issus de la « société civile » est agréable sur le papier, mais n’est pas sans risque non plus pour le succès législatif du quinquennat. A lire le détail des investitures recensées par L’Opinion, on constate que la majorité présidentielle sera bel et bien « de droite et de gauche » comme se proclame Macron, mais on ne peut s’empêcher de se demander comment toutes ces personnes d’horizons aussi variés et souvent sans expérience juridique aucune vont pouvoir s’entendre et délivrer un travail efficace et cohérent.

On découvre par exemple le mathématicien Cédric Villani. Il a soutenu Anne Hidalgo lors des dernières municipales. Celle-ci était pro-Hamon et elle vient de co-signer avec Martine Aubry et Christiane Taubira une tribune de refondation du parti socialiste qui se positionne clairement contre Macron.

On découvre aussi Guy Salomon, coiffeur, qui a suivi Macron dans le cadre du ralliement du Modem. Ou Aude Amadou, ex-handballeuse de sensibilité centre droit qui pense que « participer à la vie publique, (…) c’est un devoir, comme celui d’aller voter ». On découvre – ah oui, c’est vrai, politique autrement ! – la belle-fille de Macron.

Sur quel programme s’engagent-ils exactement ? Derrière leur évident enthousiasme pour « changer la politique » – formule que tout le monde pourrait s’approprier et qui relève principalement du voeu pieux, il faut le reconnaître – parlent-ils tous de la même chose ?

En ce qui concerne les socialistes anciens ministres, Valls n’a pas été investi, mais il n’aura pas de candidat LREM en face de lui. Le Foll, Touraine et El Khomri pourraient bénéficier de la même mansuétude s’ils abandonnent l’étiquette PS. C’est une question de subventions publiques, mais politiquement, on s’interroge sur les contours d’une majorité qui ré-endosserait des éléments aussi marqués Hollande que ces trois ministres sortants qui n’ont pas spécialement brillé à leur poste. D’autant que plusieurs candidats de droite (Le Maire, Solère, Riester) sont également sans opposant LREM dans leur circonscription pour l’instant.

Quant aux entrepreneurs, ils écopent souvent de circonscriptions difficiles. Comme tout le monde ne sera pas élu, on se demande si les circonscriptions gagnables ont bien été dévolues aux personnes les plus qualifiées et expérimentées.

Emmanuel Macron n’est pas encore investi dans sa nouvelle fonction, mais il vient d’effectuer le premier mouvement crucial de sa présidence.

Même à supposer qu’il réussisse en juin à réunir une majorité présidentielle qui lui permettrait peut-être de gouverner, on ne peut que s’inquiéter de la façon dont se déroulent les investitures de son parti. Loin de lever les ambiguïtés, elle semble au contraire les entretenir dans un mélange de désordre incontrôlé et de roublardise assumée qui pointent plus vers une coalition instable façon IVème que vers une majorité cohérente. L’opération « recyclage du PS » est dénoncée par Bayrou qui y perd des plumes, mais aussi par la droite qui y gagne une nouvelle occasion de se légitimer en opposant.

Dans les constats de Macron, une chose est vraie : « les gens sont à cran ». Il semblerait bien que l’état de grâce, qui aura eu un semblant d’existence pendant trois jours, soit complètement terminé.


Illustration de couverture : Fronton de l’Assemblée nationale, Paris. Photo : xc, shutterstock.

13 réflexions sur “État de grâce : c’est déjà fini ?

  1. C’est bien de « gagner » un médaillé Field dans son équipe. Mais je préfère le voir calculer des équations mathématiques très compliquées pour le français de base, plutôt que de le voir se fourrer dans un calcul politique à 45 millions d’inconnues, sans compter les doublons des listes électorales.
    Et comme on le sait, mais pas tous, « La sagesse ne peut pas entrer dans un esprit méchant, et science sans conscience n’est que ruine de l’âme.” donc, ce scientifique n’a ni le droit ni le moindre intérêt à se soucier des conséquences de la vérité qu’il va s’employer à nous faire « avaler ». Qu’il n’oublie pas qu’aujourd’hui, nous assistons à un changement de valeur. Surtout celles des politiques. Et quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup.

  2. On ne peut pas dire que les politiciens professionnels aient connu une grande réussite dans le redressement de la France. Les plus médiocres : Bayrou et Hollande qui revendiquent la paternité d’Emmanuel Macron, mais ne font que se parer des plumes du paon. Le coiffeur investi par LREM ne peut pas être pire, c’est tout simplement pas possible.

  3. « C’est là que les affaires (sérieuses) ont vraiment commencé » Les affaires sérieuses n’ont jamais pris fin, juste mises sous le tapis le temps de se faire élire…. L’impression d’avoir donné les clefs à des gamins, alors pour le traitement des affaires sérieuses …..

  4. Je pense qu’il faut leur laisser un peu de temps, ton commentaire arrive « au milieu du gué » et il est évident qu’une liste de candidats aux législatives fait l’objet de marchandages.
    Quant à l’état de grâce , tous les commentateurs étaient d’accord pour dire et écrire qu’il n’y en aurait pas , donc le fait qu’il ait duré trois jours… c’est déjà pas mal. Et d’ailleurs c’était plus une occasion pour les média de faire du buzz sur une histoire quand même assez incroyable si on y songe, plutôt qu’un état de grâce.

  5. Pour Bayrou, je verrais bien un reconditionnement psychologique façon Orange Mécanique. L’immobiliser avec un dispositif qui maintient les yeux ouverts, et l’obliger à regarder en boucle sa prestation chez Bourdin en septembre 2016.

  6. Bon mais il a dit : « Nous réduirons d’environ un tiers le nombre de députés et de sénateurs. Ils disposeront de moyens supplémentaires pour faire leur travail. ».
    Donc certains devront être virés dans les 429 : 143 si je ne me trompe pas. Toujours ça de moins à supporter pour la République.
    Lundi il voit Merkel : si il possède certains atouts surtout dus au contexte de fragilité européenne, c’est un test pour le moins déterminant pour ne pas dire crucial. Va-t-elle lui donner des marges pour réformer? Toutes les réformes se payent; les allemands accepterons-t-ils de payer les réformes des français ?
    Sarkozy et Hollande avaient passablement échoué pour plaider leur position.

  7. Tout le monde semble découvrir aujourd’hui ce qui était tellement prévisible … Pour aller aux législatives, les candidats de LREM qui n’ont pas de programme, ne peuvent compter (encore une fois ) sur « l’effet Macron », et éventuellement une notoriété personnelle ( Villani …), et surtout sur le désir de renouvellement, de tourner une page. Que dans le tas, il y ait des recyclés, c’est inévitable, mais il y aura beaucoup de nouveaux ! ça me rappelle 1981 la « vague rose » et la « chambre des barbus » , car il y avait de nombreux nouveaux députés socialistes qui étaient enseignants et barbus 😉 Pour eux, ce n’est pas compliqué, ils voteront comme leur chef demandera. Les meilleurs d’entre eux apprendront le job et finiront par se faire un nom. De toutes façons, Macron va légiférer par ordonnances, alors ils auront du temps pour se former !
    Bon, le paysage politique va bouger, avec la disparition du PS et aussi je l’espère celle du « Gaullisme » comme référence absolue du parti dit de droite. Cette référence à la statue du commandeur était utilisée pour justifier tout et n’importe quoi, surtout l’intervention tous azimuth de l’état. Attendons de voir.

    Quant à M. « le merde pot » (vous me pardonnerez, mais inverser les deux mots décrit assez fidèlement ce triste personnage ), le retourneur de veste et pantalons professionnel, qu’on lui rappelle ce qu’il est et ce qu’il représente réellement, c’est à dire peu de choses (0 député Modem ! ) n’est pas pour me déplaire. 😉

  8. Pourquoi aurait il eu un état de grâce ? Il a quand même été élu par défaut avec des gens qui ont eu le réflexe du « front républicain » et avec un taux d’abstention et de bulletins blancs inégalé.

    De plus, l’électeur constate que le ni droite ni gauche permet surtout de recycler des gens de …gauche et fort peu de droite.

    Nous verrons à l’usage, mais avec un Bayrou qui tente de tirer la couverture à lui, je sens que ça ne va pas être de la tarte à la crème tous les jours et que sa courbe de popularité pourrait vite rejoindre celle de Hollande au pires moments.

  9. @ Jean : La situation de Macron est différente. Il y a toujours des marchandages de liste, mais au sein d’un même parti. Ici, Macron doit aller chercher chez les autres partis, car il part de zéro député et surtout, il n’a pas été élu confortablement, il importe donc de limiter au maximum la concurrence. Pour se faire, la politique autrement doit commencer par être tragiquement conforme aux pires méthodes de la 4ème.

    @ Claude : je ne dirais pas gamins, mais clairement trop tôt au pouvoir, pas prêt, ni sur la forme ni sur le fond.

    @ Souris donc : il est amusant de penser que l’actuel Premier ministre disait peu ou prou la même chose de Macron …. politique autrement !

    @ Tino : il y a de bonnes idées chez Macron, je l’ai déjà évoqué, mais attendons de les voir se concrétiser. La crainte, ce serait d’avoir de la loi Travail et de la loi Macron, càd des changements minuscules, baptisés avec grandiloquence libéralisation des structures.

    Breaking news : l’annonce de la composition du gouvernement est reportée à demain mercredi 15 h. Je l’aurais parié !

    @ Pheldge : Macron est quelque peu différent de Hollande, car il a évité de tomber dans « mon ennemi c’est la finance » et il a eu quelques remarques courageuses, notamment chez Whirlpool. Mais tout un pan de son prog reste désespérément socialiste.

    @ Gnôme : oui, dans le vote Macron, le rejet de Le Pen est plus fort que l’adhésion à Macron. D’où les difficultés pour s’imposer à l’AN, d’où la cuisine des investitures et des nominations. Pour moi, ce n’est pas de l’habileté politique, c’est une nécessité résultant d’un relatif échec à la présidentielle et ça renvoie Macron à la vieille politique. Remarquons aussi le nombre d’énarques dans les cabinets …

  10. Les journalistes crient à l’atteinte à leur indépendance parce que le nouveau gouvernement veut maîtriser sa communication et créer un système d’accréditation.
    Qu’est-ce qu’un journaliste ? Quelqu’un qui passe une dépêche d’agence par son filtre idéologique et relaye les déclarations des politiques, people et autres leaders d’opinion. Avec une prédilection pour le frivole qui fait vendre.
    Je trouve que mettre fin au bavardage à tort et à travers façon Hollande ou au verbiage sans queue ni tête de Ségolène est plutôt une bonne idée. Et que la presse devrait s’interroger sur sa liberté, elle qui accepte subventions et avantages fiscaux.

    • Je suis entièrement d’accord avec vous. Les groupes de presse quels qu’ils soient ne devraient plus recevoir une seule subvention directe ou aide pour les frais postaux de la part des pouvoirs publics. Les journalistes ne devraient pas avoir d’avantages fiscaux catégoriels. La profession ayant ainsi un peu le feu aux fesses serait obligée de se mettre à réfléchir à son travail si elle veut survivre à la concurrence naturelle qui se crée à toute vitesse via internet. C’est effarant combien tous ces journalistes se contentent de recopier les dépêches de l’AFP – avec les fautes en plus !

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