Dupont-Aignan : confessions, petits calculs et grande confusion

Mise à Jour du lundi 15 mai 2017 : Comme je l’écrivais dans l’article ci-dessous, il y avait fort à parier que l’accord entre Nicolas Dupont-Aignan et Marine Le Pen ne survivrait pas à l’échec (hautement prévisible) de cette dernière : « Je vois bien cet accord tomber en complète désuétude dès dimanche soir », écrivais-je à l’époque. Eh bien, c’est chose faite. La confusion dominant manifestement les petits calculs – ou de nouveaux calculs de coin de table étant venus se substituer aux calculs précédents – NDA a confirmé ce matin sur BFMTV que son accord avec le FN était caduc et que son parti présenterait des députés dans toutes les circonscriptions quitte à étudier des désistements au cas par cas pour le second tour.

« Nous avons bâti une alliance historique qui va changer le cours de l’Histoire de France » a déclaré Nicolas Dupont-Aignan dans le micro de Jean-Jacques Bourdin le 1er mai dernier. Rien que ça ! Il parlait bien sûr de l’accord de gouvernement négocié avec Marine Le Pen en vue de voir cette dernière accéder à la présidence de la République le 7 mai prochain. « L’objectif, c’est de gagner cette présidentielle » a-t-il affirmé les yeux dans les yeux du journaliste (voir vidéo en fin d’article, 21′). 

Comme ni Marine Le Pen (MLP) ni Nicolas Dupont-Aignan (NDA) ne sont idiots, ils savent très bien et ils savaient très bien en signant leur pacte que les chances de Marine Le Pen de gagner l’élection sont infimes. Nous sommes le mercredi 3 mai, le second tour aura lieu dans quatre jours exactement et le rapport de force est toujours de l’ordre de 60/40 entre Macron et Le Pen. Il est vrai que le grand débat mettant les deux candidats face à face aura lieu entre temps (ce soir), et il est certain que le favori a beaucoup plus à y perdre que sa challenger. Mais le voir décrocher de dix points d’un coup semble malgré tout hautement improbable.

Ce qui risquerait de mettre quelque peu en danger la candidature d’Emmanuel Macron seraient plutôt les insultes de haut niveau dont Nicolas Dupont-Aignan a été l’objet de la part d’un quarteron d’acteurs (Gilles Lellouche, Mathieu Kassovitz…) trop contents d’eux et toujours prompts à donner des leçons. C’est typiquement le genre d’attitude vulgaire et sans argument dont nos progressistes bienpensants se sont fait une spécialité hystérico-ridicule, avec finalement plus de chance de pousser au vote Le Pen des personnes excédées du mépris dans lequel elles sont perpétuellement tenues par ces individus privilégiés que de les en détourner.

Il n’en demeure pas moins que la situation d’Emmanuel Macron reste aujourd’hui assez solide, contrairement à certains titres de presse qui expliquent à chaque variation d’un demi-point que l’écart se resserre entre les candidats. Histoire de nous faire peur, j’imagine. Pour Emmanuel Rivière, Directeur général de Kantar Public, on voit mal « ce qui empêcherait Emmanuel Macron d’être élu ».

Il fonde cette opinion sur un sondage Kantar Sofres pour le Figaro publié le 1er mai à partir d’un échantillon de 1 500 personnes. Non seulement les candidats sont crédités de 59 % d’intention de vote (Macron) et 41 % (Le Pen), mais la sûreté du choix est très élevée des deux côtés : 90 % pour Macron et 84 % pour Le Pen. Le souhait de victoire se situe à 45 % pour Macron et 29 % pour Le Pen, et le pronostic de victoire est de 56 % et 14 % respectivement. 53 % des personnes interrogées déclarent qu’elles ne voteront jamais pour Marine Le Pen tandis que 32 % sont irréductiblement hostiles à son adversaire.  La participation est évaluée à son niveau du premier tour, soit 77 % (voir ci-dessous graphiques du Figaro) :

Ce sondage très complet nous livre d’autres éléments intéressants, notamment le fait que le vote Macron, s’il est très « sûr », est plus un vote de rejet de Marine Le Pen qu’un vote d’adhésion au projet du leader d’En marche ! Mais ceci sera le problème d’Emmanuel Macron.

Pour en revenir à NDA, on peut rayer de la liste de ses motivations le poste de Premier ministre que MLP lui a promis en cas d’une très hypothétique victoire. Promesse que cette dernière a pu faire avec d’autant plus de facilité et la certitude de ne froisser personne dans ses propres rangs que personne ne s’attend à la voir devenir Présidente.

Pour le Front national, il n’y a aucun risque à tenter ce rapprochement avec NDA. On n’a pas entendu parler d’électeurs qui l’abandonneraient en raison de cette alliance. Au pire, il ne se passera rien, et il n’est pas exclu que la présence aux côtés de MLP de cet ancien membre de l’UMP, qui professe des idées très proches des siennes sans avoir l’inconvénient d’avoir été valser à Vienne avec la fine fleur de l’extrême-droite européenne, ne brise quelques digues qui empêchaient jusqu’alors des électeurs de droite de sauter le pas. L’idée étant de réaliser le meilleur score possible au second tour de la présidentielle afin d’obtenir ensuite le plus de députés possible, notamment à la faveur de triangulaires, ce qui permettrait éventuellement au FN de se placer comme première force d’opposition.

Dans cette affaire, tous les risques sont pour NDA. Une fois que Marine Le Pen aura été battue, il sera celui qui s’est allié au Front national, éventuellement pour rien et au prix de la cohésion de son parti Debout La France dont le vice-président Dominique Jamet a déjà démissionné, et au prix de la confiance de ses électeurs de Yerres (Essonne) dont il est député et maire. Au premier tour des élections législatives de 2012, il avait recueilli 43 % des suffrages exprimés, les socialistes 30 %, l’UMP 10 % et et le FN 7 %. On peut difficilement parler d’un territoire acquis au Front national.

Et de fait, il a toujours mis en avant cette spécificité d’être un gaulliste souverainiste dans la foulée d’un Philippe Seguin. Il a toujours mis en avant cette offre politique alternative raisonnable non extrémiste. Dans un entretien accordé au Point en février dernier, il considérait déjà à propos du FN :

« Il y a eu des propos qui ont évolué, c’est bien, mais l’arrière-boutique ne correspond pas à la vitrine et son programme n’est pas sérieux. »

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Et le plus amusant, c’est que face à Jean-Jacques Bourdin, il se présente à nouveau comme cela, sans réaliser combien les vertus dont il pare son côté du deal font ressortir combien elles manquent du côté Le Pen :

« Marine Le Pen a accepté un partenariat où j’apporte mon gaullisme, mon humanisme, mon sérieux, ma modération. »

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Laissons tomber le « gaullisme », terme qu’il ne définit pas et qui peut faire l’objet, surtout en période électorale présidentielle, de toutes sortes d’interprétations et de récupérations pratiques dans un peu tous les camps politiques : parle-t-on du De Gaulle qui a mis sur pied l’État providence avec l’appui des communistes, de celui qui a soutenu Jacques Rueff dans sa modernisation et son ouverture de l’économie française en direction de l’Europe notamment, de celui qui a fait de l’État un stratège économique, de celui qui a quitté l’OTAN ? Il y a plusieurs De Gaulle.

Mais à l’entendre expliquer avec insistance qu’il apporte humanisme, sérieux et modération à l’alliance avec le FN, on ne peut s’empêcher de penser qu’il juge ce parti fort mal pourvu de tous ces éléments. Je serais MLP, je finirais par être vexée. Il prend un soin extrême à faire savoir que le programme de gouvernement signé entre eux n’est pas le programme du Front national, que ce n’est même pas le programme de MLP lors du premier tour, mais un programme qu’il a lui-même amendé sur six points précis, dont, et ce n’est pas peu dire, la sortie de l’Euro qui ne serait plus vraiment la sortie de l’Euro. Quant à la préférence nationale, c’est complètement fini, on parle maintenant de priorité nationale, ça n’a rien à voir ! Comprenne qui pourra.

C’est ce que j’appelle les confessions de Nicolas Dupont-Aignan. Si les choses devaient mal tourner, adieu le FN et bonjour le sérieux et l’humanisme de Debout La France.

En attendant, il y a des sièges de députés à obtenir (et les financements publics associés), et donc une possibilité de renforcer DLF sans en passer par un humiliant retour au bercail de la droite. En 2012, NDA avait réalisé un score de 1,79 % au premier tour de la présidentielle. Aujourd’hui, il est à 4,70 %, de quoi se sentir pousser des ailes et souhaiter passer de parti à un député (lui-même, si l’on excepte François-Xavier Villain qui lui est aussi parfois rattaché) à parti doté d’un groupe parlementaire (au moins 15 députés). Le petit problème étant que la « percée » de NDA est au moins autant due aux ennuis de François Fillon qu’à ses qualités socialo-souverainistes propres.

NDA n’a pas fait mystère à J. J. Bourdin que son accord avec le FN prévoyait qu’il pourrait présenter des députés DLF dans les 577 circonscriptions dont 50 sans candidats du FN en face de lui. Mais là encore, petit problème : quelques minutes avant, Marine Le Pen répondait à un journaliste d’Europe 1 qui l’interrogeait sur leur accord législatif :

« Pour l’instant, ce débat n’a pas eu lieu. Chacun présente ses candidats et nous verrons bien, pour l’instant ce qui est important c’est la présidentielle. »

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Je vois bien cet accord tomber en complète désuétude dès dimanche soir. Les petits calculs, c’est bien, à condition de les faire à deux. Or 50 circonscriptions réservées à NDA, c’est beaucoup par rapport à ce que le PS a l’habitude d’accorder à EELV par exemple, et pour le FN, qui n’a pour l’instant que 2 députés, c’est 50 occasions de perdre des députés potentiels.

Mais à ce stade, on n’est jamais que dans la tambouille politicienne la plus classique. Il est beaucoup plus dérangeant de constater que sur le fond, la plus grande confusion règne. NDA estime que face à la souffrance des Français, face à cette « austérité » venue de Bruxelles qui les mine, lui seul a su se montrer courageux. Il justifie ainsi sa prise de contact avec le FN :

« J’ai fait mon choix, je ne veux pas voir la France gouvernée par les socialistes cinq ans de plus. »

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Fort bien. Et dans la foulée, il nous récite le chapelet intégral de l’extrême-gauche sur les patrons qui veulent asservirent les travailleurs, l’argent qui corrompt et les profits qui tuent :

Avec Emmanuel Macron, ce sera « la fin du droit du travail, la pire régression sociale, la fin des allocations chômage telles qu’elles sont aujourd’hui. » Ce sera « la dictature des banques, de Bruxelles, des marchés financiers. »

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On croirait entendre Mélenchon. On croirait entendre Marine Le Pen qui expliquait doctement avant le premier tour :

« Cela fait des années que j’ai détecté que le modèle économique ultra-libéral qui nous avait été imposé était mortel pour notre économie … »

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Le petit problème de tous ces braves gens qui veulent soulager la souffrance des Français par plus de protectionnisme, plus de taxes et plus de dépenses, c’est qu’ils voient partout un ultra-libéralisme qui n’existe certainement pas en France. Et NDA n’est pas le moins halluciné d’entre eux. Quand Emmanuel Macron fera du socialisme à la sauce social-démocrate façon Hollande, ce qui n’est déjà pas folichon, on peut être sûr que NDA et Le Pen n’auront de cesse, en tant qu’opposants, de hurler à l’ultra-libéralisme et proposeront à la place du socialisme puissance dix.


Ci-dessous, vidéo complète de l’interview de Nicolas Dupont-Aignan chez Bourdin le 1er mai 2017  (21′ 31″) :


Illustration de couverture : Nicolas Dupont-Aignan s’est expliqué sur son alliance avec Marine Le Pen  pour le second tour de la présidentielle 2017 au micro de J.J. Bourdin sur BFMTV et RMC. Photo du site nda-2017.fr.

8 réflexions sur “Dupont-Aignan : confessions, petits calculs et grande confusion

  1. Fun fact : Nicolas Dupont-Aignan a fait, lui aussi, son petit voyage à Berlin, euh… je veux dire Moscou, pour faire un discours aux députés de la Douma. Où, comme les autres (et c’était le but de l’opération), il a craché sur la France et les Etats-Unis, et passé la main dans le dos à Poutine.

    Bon, quand on voit les photos, en fait de Douma, il a été invité à parler dans un placard : une petite salle abritant une commission du parlement. Côté prestige, c’est moyen.

    Autre factoïde rigolo : Nicolas Dupont-Aignan est un Young Leader de la French-American Foundation. Il est donc, si j’en crois la vulgate mille fois lue et relue sous la plume des souverainistes et autres frontistes, un laquais de l’impérialisme américain, une marionnette injectée par les globalistes dans « l’Etat profond » afin de faire prévaloir les intérêts de la finance et des ploutocrates de Wall Street.

    Cela dit, je me réjouis qu’il se soit allié au Front national. Tout ce qui contribue à casser le pseudo « front républicain » est bon à prendre.

  2. ni Marine Le Pen (MLP) ni Nicolas Dupont-Aignan (NDA) ne sont idiots,

    Idiots sans doute pas, mais peut-être qu’ils ont fini par croire à leur propre propagande 😀

    Toute plaisanterie mise à part, NDA est clairement en train de prendre position pour la suite. Il y a des fauteuil de députés à conquérir, c’est certain. Il parie peut-être sur le naufrage de LR et le ralliement des rescapés à DLF ? C’est un pari audacieux, mais il n’a pas grand chose à perdre…

    En tout cas son discours qui convoque tous les boucs émissaires habituels (les banques, les marchés financiers, Bruxelles, les grandes entreprises, les pays à bas coûts qualifiés de concurrence déloyale, etc.) dans une allègre confusion des concepts me donne la nausée. Ce n’est pas nouveau d’ailleurs. Ses arguments sont exactement les mêmes que lorsqu’il considérait le FN infréquentable!

  3. Dupont-Aignan a misé sur le mauvais cheval. Quelles que soient ses motivations, frais de campagne, députés aux législatives, il est ridiculisé à jamais en se ralliant à la mégère sifflante que l’on a vu hier soir dans toute la vérité de sa haine et de son incompétence. Les revues de presse des radios montrent que toute l’Europe a été médusée par cette prestation où même les deux journalistes n’ont pas pu exercer leur rôle de modérateurs, tant on été dans la crise de je ne sais pas quoi. Ménopause ?
    Ne me dites pas qu’un seul électeur va encore voter Le Pen après cette pitoyable démonstration d’inaptitude à la fonction présidentielle ?

    (C’était mon impression lors de la ridicule anaphore Moi Président, je. Et pourtant les veaux ont gobé. Les mêmes sont capables de nous amener 5 ans de lepénisme)

  4. Je pense que NDA est monté haut à cause des « affaires » de Fillon et non grâce à ses mérites personnels. Mais il faut bien constater que les petits calculs politiciens sont peu râgoutants.

  5. Je me suis fait avoir par le titre putaclic de ton article sur CP : « Pourquoi Nicolas Dupont-Aignan s’est-il rapproché de Marine Le Pen ? » mais en venant ici pour te faire part du fait que je n’y avais trouvé aucune réponse je me rends compte que ce n’était le but de cet article !

    C’est vraiment idiot d’avoir changé le titre…

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