Ça s’est passé pendant la Semaine Sainte

ARTICLE DE PÂQUES 2017 Ça s’est passé pendant la Semaine sainte : Jésus entre à Jérusalem – Il chasse les marchands du temple.

Est-ce parce que le pape Benoît XVI (1927 – 2022) nous a livré son Jésus de Nazareth dans le désordre en consacrant son troisième et dernier volume à l’enfance de Jésus que j’aborde moi-même ici les événements de la vie de Jésus sans fil chronologique ? Le dimanche de Pâques arrive et j’ai déjà parlé de la Résurrection. J’en ai parlé avant l’annonce à Marie, qui prend logiquement place au tout début des Evangiles, et j’en ai même parlé avant les trois tentations du Christ au désert, épisode situé au début de la vie publique de Jésus.

• À vrai dire, si j’ai placé la Résurrection avant tout le reste, c’était surtout par besoin d’aller immédiatement à l’essentiel. Ainsi que l’écrivait Paul aux Corinthiens, « si le Christ n’est pas ressuscité, vide alors est notre message, vide aussi notre foi » (1 Co 15, 14).

Il n’est donc pas très étonnant que B16 se soit penché d’abord (et en 2 volumes) sur la vie publique de Jésus, celle où, arpentant la Galilée et la Judée dans une symbolique montée vers Jérusalem, il annonce la bonne nouvelle de la victoire de la vie sur la mort. Et il n’est guère plus étonnant de constater que le second volume*, aussi épais que le premier, soit entièrement consacré à une seule semaine de la vie de Jésus, son ultime semaine d’homme, la Semaine sainte, que les chrétiens revivent depuis dimanche dernier, dimanche des Rameaux, jusqu’à dimanche prochain, dimanche de Pâques.

La chronologie est certes un repère très utile pour faire connaissance avec le Christ, elle est même indispensable puisqu’on a affaire à un être qui, tout en étant Dieu, s’est aussi inscrit dans le temps historique. « Un édit de l’empereur Auguste », « pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie »« au temps où Pilate était gouverneur de Judée », notent scrupuleusement les évangélistes.

Mais l’intention de B16 va au-delà : Jésus de Nazareth n’est pas seulement une « vie de Jésus » dans laquelle il nous déroule avec précision la chronologie et la topographie le concernant. Il s’agit avant tout de chercher « la figure et le message de Jésus » :

« J’ai essayé de développer un regard sur le Jésus des Evangiles et une écoute de ce qu’il nous dit susceptibles de devenir rencontre. »

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A l’aube de ce week-end pascal, je vous propose donc d’aller une fois de plus à la rencontre de « Jésus de Nazareth » avec B16. Essayons de mieux voir sa « figure », essayons de mieux recevoir son « message » à travers deux événements du début de la Semaine sainte, l’entrée de Jésus à Jérusalem et la scène où il chasse les marchands du temple.

[Et adressons au passage un petit clin d’oeil amical au pape émérite : le 16 avril, c’est-à-dire ce dimanche de Pâques 2017, il fêtera ses 90 ans !]

Jésus entre à Jérusalem avec ses apôtres (Matthieu 21, 1-11). Il est sur un ânon qu’il a envoyé chercher car il « en a besoin ». C’est en tout cas ce que les disciples mandatés doivent répondre si on leur pose des questions sur cette requête. Ce faisant, Jésus entend se conformer à ce que le prophète Zacharie avait annoncé, ainsi que le rapporte l’évangile de Matthieu.

Depuis la naissance de Jésus, on parle de roi et de royaume à son sujet. Hérode fut à l’époque tellement inquiet d’une possible usurpation qu’il fit tuer tous les nouveaux nés pour tenter d’éradiquer la concurrence. Ici encore, il est bien question d’un roi qui vient, mais ce roi est « plein de douceur ». Surtout, à une époque où les puissants, les occupants Romains notamment, sont à cheval, il est douteux que Jésus cherche à établir une royauté en bonne et due forme terrestre, une royauté investie du pouvoir de la guerre, monté sur un âne.

Les pèlerins qui viennent aussi à Jérusalem pour fêter la Pâque juive (la fête de la sortie de l’esclavage en Egypte avec Moïse) l’acclament, chantent ses louanges, étendent leurs vêtements sur son chemin et agitent des branches d’arbre en signe de joie. Ce ne sont pas les habitants de Jérusalem, lesquels demanderont quelques jours plus tard sa  crucifixion, mais une foule de gens qui le suivent depuis longtemps ou depuis peu, qui l’ont entendu parler, qui ont été témoin de sa bonté – avec les enfants, avec les personnes rejetées au marges de la société – qui, peut-être, ont assisté à ses « miracles. »

C’est pourquoi Matthieu conclut la scène en disant :

« Lorsqu’il entra dans Jérusalem, toute la ville fut émue, et l’on disait : Qui est celui-ci ? La foule répondait : C’est Jésus, le prophète, de Nazareth en Galilée. »

On comprend que Jésus est un quasi inconnu à Jérusalem. Mais il inquiète : on parle de royauté à son sujet, il arrive entouré de beaucoup de clameurs et beaucoup trop d’enthousiasme. La ville est « émue. » Dans d’autres traductions, elle est dite plus précisément « en proie à l’agitation » ou « bouleversée ». La tragédie s’installe.

• Matthieu nous dit ensuite qu’une fois dans la ville, Jésus entre dans le temple, chasse les vendeurs, « renverse les sièges des changeurs et les tables des vendeurs de pigeons » (Mt 21, 12-17). Où est passé notre roi « plein de douceur » ?

Cette scène « violente » a donné lieu à une interprétation politico-révolutionnaire de l’événement. Dès le siècle des Lumières, il existe des tentatives pour faire passer Jésus pour un « révolutionnaire d’empreinte apocalyptique ». Ayant provoqué un soulèvement à Jérusalem, il aurait été arrêté puis exécuté par les Romains.

Nombre de Juifs, dont Judas qui va le trahir, pensaient ou espéraient en effet que Jésus était venu sur terre pour redonner au royaume d’Israël toute sa splendeur de l’époque du Roi David, et que, pour commencer, il chasserait les Romains. C’était notamment la ligne d’action du mouvement des Zélotes : leur « zèle » consistait à s’engager au service de la loi et de la liberté d’Israël au moyen de la violence.

Dans son livre « Jesus and the zealots » paru à New York en 1967, Samuel G. F. Brandon tenta de donner une légitimation scientifique à cette thèse qui voyait un zélote en Jésus, l’une des preuves flagrantes en étant la scène du temple, scène de « violence » que les évangélistes auraient cherché à édulcorer sans succès.

B16 fait dériver des travaux de Samuel Brandon les différentes théologies de la libération qui ont fleuri en Amérique latine dans les années 1970 avec l’idée de faire vivre l’Evangile à travers la lutte politique. D’inspiration marxiste au départ, elles ont évolué aujourd’hui vers l’altermondialisme et ont renoncé à la violence.

• « Mais qu’en est-il de Jésus ? » se demande B16. Son « zèle » pour le royaume de Dieu peut-il aller jusqu’à l’activisme politique et la violence ? Aucun autre épisode de sa vie ne l’atteste. A l’inverse, à un disciple qui tirera son épée pour le défendre quand les gardes romains viendront l’arrêter, il  dira :

« Remets ton épée à sa place ; car tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée. » (Mt 26, 52)

Et à Pilate qui lui demandera pendant son interrogatoire : « Es-tu le roi des Juifs ? », il répondra : « Ma royauté ne vient pas de ce monde » (Jean 18, 36).

Chez Matthieu, il explique son geste du temple en disant :

« Ma maison sera appelée une maison de prière. Mais vous, vous en faites une caverne de voleurs. » (Mt 21, 13)

Dans son Evangile, Marc précise que Jésus se mit à « enseigner » et qu’il disait :

« L’Écriture ne dit-elle pas : Ma maison sera appelée maison de prière pour toutes les nations ? Or vous, vous en avez fait une caverne de bandits. » (Marc 11,17)

Jésus agit pour redonner au temple sa vocation première de lieu de prière et restaurer l’accès de tous à la parole de Dieu. Or les marchands  qui font commerce d’objets pieux divers et qui changent la monnaie romaine en monnaie locale pour les offrandes font obstacle à cela. Par la même occasion, il universalise (« toutes les nations ») cette vocation fondamentale du temple.

Lors de son procès, quelques jours plus tard, des témoins, qui sont en fait de faux témoins, diront :

« Nous l’avons entendu dire : Je détruirai ce sanctuaire fait de main d’homme, et en trois jours j’en rebâtirai un autre qui ne sera pas fait de main d’homme. » (Marc 14, 58)

« Je détruirai ce sanctuaire » : violence, encore violence, pour accuser Jésus et le faire condamner. Mais ce que Jésus a vraiment dit à propos du temple nous est rapporté par Jean au début de son évangile :

« Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai. » (Jn 2, 19)

Ce n’est pas Jésus qui détruit. Au contraire, il « relève ». Quant aux destructeurs du temple, ce sont bien ceux qui en font « une caverne de voleurs », certainement pas Jésus qui agit pour le reconstruire en lieu de prière en chassant les marchands. Et l’on devine aussi que Jésus évoquait déjà sa propre destruction et sa résurrection « le troisième jour », laquelle n’est certes pas faite « de main d’homme ».

La suite de la scène décrite par Matthieu est très explicite du fait que Jésus est bien le roi « plein de douceur » de la scène précédente :

« Des aveugles et des boiteux s’approchèrent de lui dans le temple. Et il les guérit. » (Mt 21, 14)

Jésus n’apporte pas la violence, il apporte la compassion et la guérison. Il ne se détourne pas des déshérités, il les accueille. Concluons avec B16 :

« Jésus ne vient pas comme destructeur, il ne vient pas avec l’épée du révolutionnaire (…) Il montre Dieu comme celui qui aime, et son pouvoir comme le pouvoir de l’amour. »

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Je vous souhaite un excellent week-end de Pâques ! Profitez-en bien, car après la Semaine sainte, c’est une semaine électorale de tous les dangers qui nous attend !


* Jésus de Nazareth, De l’entrée à Jérusalem à la Résurrection. Joseph Ratzinger, Editions du Rocher, 2011.
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Illustration de couverture : Entrée à Jérusalem de Fra Angelico (environ 1400 – 1455), Couvent San Marco, Florence. Cet épisode, fêté par les chrétiens le dimanche des Rameaux, marque le début de la Semaine sainte qui trouvera sa résolution le dimanche suivant dans la Résurrection du Christ.

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