#LeGrandDébat : une lourde impression de déjà vu

Mise à jour du jeudi 6 avril 2017 : Après un premier débat à 5 qui n’a pas apporté grand chose de nouveau à ce qu’on savait déjà sur les candidats présents (article ci-dessous), le second, organisé le mardi 4 avril dernier par BFM et CNews entre les 11 candidats présidentiels a confirmé les redites permanentes de campagne (essentiellement teintées de postures théâtralisées et de professions de foi étatistes) et a surtout viré à la cacophonie complète. 
Un troisième débat devait avoir lieu le 20 avril sur France 2, soit 3 jours avant le premier tour. Plusieurs candidats (Mélenchon, Macron, suivis de Fillon) ayant fait savoir qu’ils n’y participeraient pas, et l’expérience BFM n’ayant pas convaincu, la chaîne a annulé l’émission. Elle a proposé de la remplacer par une suite d’entretiens individuels de 15 minutes avec tous les candidats. Affaire à suivre …


Le saviez-vous ? Barbara Pompili est Secrétaire d’Etat chargée de la biodiversité dans les gouvernements successifs de M. Hollande depuis plus d’un an. Le poste est d’importance : il s’agit de sauver les abeilles et d’interdire les cotons-tiges en plastique. Non, je ne caricature pas. Il est vrai qu’on y traite aussi des dossiers juridiques complexes tels que l’inscription du préjudice écologique dans le Code civil. Mais dans l’ensemble, la fonction n’est pas trop désagréable. Aujourd’hui, par exemple, la Secrétaire d’Etat est attendue en Savoie pour un tour en bateau sur le lac du Bourget à l’occasion de la journée mondiale de l’eau. 

• Il n’est cependant pas certain que cette confortable situation puisse durer encore longtemps. Dans un assaut d’indépendance particulièrement rugyssant*, Barbara Pompili vient de trahir spectaculairement la solidarité gouvernementale la plus élémentaire en brisant la règle édictée lundi par Bernard Cazeneuve, à savoir pas de ralliements de ministres à Macron. Dans le collimateur du Premier ministre, Jean-Yves Le Drian dont on attend d’un jour à l’autre le passage à l’ouest social-démocrate.

Mais c’est la charmante Pompili qui a pris les devants. Le Grand Débat de lundi soir (20 mars 2017) l’aurait-il convaincue que Benoît Hamon, candidat officiel du PS, ne pourra pas s’en sortir ? Toujours est-il que dès le lendemain 7 heures, c’est-à-dire hier matin, peut-être après une nuit qui porte conseil, elle se précipitait à la matinale de France Info et annonçait, comme une belle série de sympathisants ou activistes de gauche avant elle, rejoindre l’ex-ministre de l’économie en saluant son projet pour :

« une écologie réaliste, un engagement européen fort et une volonté de répondre à la détresse qui nourrit le FN. »

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A la lecture des deux sondages qui sont sortis dans la foulée de ce premier débat entre les cinq principaux candidats présidentiels, il s’avère que Barbara Pompili partage l’avis des personnes interrogées : Macron serait le grand gagnant de l’épreuve, tandis que Hamon en serait le grand perdant. A la question « Qui a été le plus convaincant ? » le premier recueille l’assentiment de 29 % ou 24 % des téléspectateurs interrogés tandis que le second est à 11 % ou 10 % selon le sondage.

Les concurrents d’Emmanuel Macron auraient-ils eux aussi tendance à penser que le leader d’En Marche ! s’en est bien sorti ? Si l’on en juge par le fait qu’il a concentré les critiques de la plupart des politiciens intervenus dans les matinales d’hier, on aurait tendance à répondre positivement.

Un consensus s’est formé sur sa candidature parmi ses opposants : il manque de « colonne vertébrale. » C’est une expression qui fut déjà utilisée par François Fillon et Florian Philippot. Hier, Jean-Christophe Cambadélis a rejoint le club en estimant que Macron, en se déclarant à plusieurs reprises d’accord avec l’un ou l’autre de ses adversaires, « a surjoué une position centrale » qui risque de se retourner contre lui pour gouverner :

« (Cela) montre que ce serait un président qui serait d’accord avec tout le monde sans avoir de colonne vertébrale. (…) Quand vous avez Hue (ex-PCF) d’un côté et Madelin (ex-Démocratie libérale) de l’autre, ça va être dur de mettre tout le monde d’accord. »

Les acrobaties plus ou moins maîtrisées de Macron comme les difficultés de Hamon, tout ceci est bien connu depuis longtemps, tout ceci fait même partie du discours officiel sur la campagne électorale. Barbara Pompili n’a certainement pas attendu le débat de lundi soir pour s’en rendre compte.

• A titre personnel, j’ai du mal à désigner un vainqueur de ce débat. J’ai vu des candidats exactement conformes à ce qu’on savait déjà d’eux et j’ai surtout eu une terrible impression de déjà vu, déjà entendu.

A la faveur des nombreux débats des primaires de droite et gauche, François Fillon et Benoît Hamon avaient déjà eu l’occasion de présenter leur projet. Qu’ont-ils dit hier qu’ils n’avaient pas dit précédemment ? Rien. Se sont-ils comportés différemment de ce que l’on savait déjà d’eux ? Non.

Fillon se veut le candidat de la transformation en profondeur des structures de notre pays, il est celui qui semble rejeter la dérive de « l’Etat qui paie » théorisée par Hollande, il est celui qui a identifié un risque de faillite et qui promet de s’atteler à la tâche de l’éviter. Non sans s’enfermer malgré tout dans le politiquement correct de la COP21, dans celui de la retraite par répartition ou dans quelques petites rechutes de dépenses keynésiennes, en faveur de l’emploi par exemple.

Il a ré-exprimé tout cela avec le même calme, le même sérieux, voire le même ton éteint et peu enthousiasmant que lors de ses interventions précédentes. Si l’on tient à trouver une nouveauté dans son argumentaire, on peut remarquer qu’il se présente aussi comme le seul candidat susceptible d’obtenir une majorité législative pour gouverner, ce qui n’est pas faux.

Benoît Hamon, peu à l’aise, laborieux et donnant souvent l’impression de réciter des morceaux entièrement préparés à l’avance, nous promet l’inverse, c’est-à-dire un « futur désirable », pacifique, écologique et bienveillant sous les auspices d’une Europe sans austérité et d’une dépense publique incontrôlée à travers son projet symbolique de revenu universel d’existence.

Les trois autres candidats n’ont certes pas eu l’occasion préalable de s’exprimer dans des débats, mais ils se sont tous succédés dans des émissions assez longues leur permettant de développer leur projet telles que l’Emission politique de France 2.

Qui pouvait ignorer que Marine Le Pen, fidèle à sa tactique  de se mettre à sourire d’un air ironique entendu quand elle n’a plus vraiment d’argument à opposer, adopte à peu près tous les travers collectivistes de ses collègues d’extrême-gauche, qu’elle veut s’affranchir des diktats de Bruxelles et des puissances d’argent et qu’elle veut fermer nos frontières aussi bien contre l’immigration que contre le libre-échange ?

Qui pouvait ignorer que Jean-Luc Mélenchon, tout aussi partisan de la dépense publique que Benoît Hamon et MLP, est devenu le plus écologiste de tous nos hommes politiques – à l’entendre, la première urgence de sa VIème République concernera le « défi » climatique – tout en restant sur le plan social un redistributeur acharné à travers une fiscalité confiscatoire comportant ISF renforcé et 14 tranches d’imposition sur le revenu, la dernière atteignant un taux de 100 % ? Sur la forme, qui pouvait douter qu’il saurait se montrer mi-tribun, mi-cabotin pour stimuler l’intérêt des téléspectateurs ?

Qui pouvait ignorer, enfin, qu’Emmanuel Macron, dans son style très particulier de leader charismatique qui enflamme les foules dans une forme d’illusion lyrique, vanterait un projet qui dépasse les clivages, mobilise les énergies, rend fier, réconcilie et transforme en profondeur, tout en restant fidèle au modèle social-démocrate de l’Etat providence lourdement redistributeur ? Dans l’émission « Candidats au tableau » diffusée sur C8 la veille (le dimanche 19 mars), il a d’ailleurs utilisé la même formule que François Hollande à propos de « l’Etat qui paie » (minute 6′ 40″).

• J’ai mauvaise grâce à me montrer grincheuse, car il apparaît que ce rendez-vous électoral inédit a été très apprécié des Français. Inédit parce que depuis 1974 et jusqu’à présent, la France se contentait d’organiser un débat d’entre-deux tours entre les deux candidats arrivés en tête au premier tour. Et très apprécié, car d’après les mesures de Médiamétrie, les téléspectateurs furent 9,8 millions à regarder cette très longue émission de plus de trois heures qui s’est achevée vers minuit et demi. Les débats d’entre-deux tours des primaires avaient réuni 8,5 millions de téléspectateurs à droite et 5,5 millions à gauche, ce qui représentait déjà des scores très élevés. Il est clair que les Français se passionnent pour cette échéance électorale (alors que l’abstention s’annonce inhabituellement élevée à un mois du premier tour).

J’admets volontiers que le débat de lundi soir, premier du genre en France et premier de la liste pour cette élection, présentait sans doute une certaine nouveauté pour de nombreux téléspectateurs. Les 11 candidats étant maintenant officiellement connus et validés, il est certes bon qu’on puisse les voir tous dans ce genre d’exercice de présentation de leur programme.

Nous vivions donc dans la préhistoire médiatique avec un seul débat, mais nous voilà maintenant totalement entrés dans la modernité médiatique, car on nous en promet carrément quatre de plus. Deux débats complémentaires sont prévus sur BFM (4 avril) et France 2 (20 avril) avant le premier tour du 23 avril, et il est question d’organiser également deux débats d’entre-deux tours. Nous aurons ainsi l’occasion de découvrir les 6 candidats que nous n’avons pas encore vus officiellement, mais pour les cinq autres, je me demande vraiment ce qu’ils vont pouvoir nous dire sans qu’on s’ennuie à mourir.

Cette multiplication des débats nous est vendue au prétexte hautement démocratique d’approfondir les thèmes abordés. Remarquons d’abord que la qualification de « débat » est purement nominale et que le rôle des journalistes consiste uniquement à distribuer les temps de parole. De plus, s’il est question d’approfondir les sujets comme ce fut le cas lundi soir, c’est-à-dire pas du tout – le passage  où les candidats se bornèrent à réciter les uns après les autres une petite mesurette sur l’école étant emblématique de la superficialité de l’exercice – on comprend mieux que l’intérêt premier est celui de l’audience des chaînes de télévision.

Je me demande même ce que les deux candidats de tête vont pouvoir se dire entre les deux tours qu’on ne sache déjà pratiquement par coeur.

Les sondages actuels nous disent que Marine Le Pen arriverait en tête au premier tour avec environ 26 % des suffrages, qu’elle serait suivie d’Emmanuel Macron (24 à 25 %) puis de François Fillon (18 à 20 %). Ils nous disent également que la cristallisation du vote est déjà bien entamée pour MLP et Fillon (environ 75 %), plus faible pour Macron (environ 50 %). Ils nous disent enfin que l’abstention telle qu’évaluée aujourd’hui pourrait être assez élevée (32 %).

Sauf nouveaux rebondissements judiciaires**, sauf nouveau coup de théâtre caractéristique de cette élection « complètement dingue », on peut éventuellement se risquer à prévoir un second tour Le Pen Macron ou Le Pen Fillon. Extraits prévisibles des débats d’entre-deux tours :

MLP : Mes chers compatriotes, je veux être la Présidente de la République française, vraiment française, pas la VRP des puissances d’argent ou la vice-chancelière de Mme Merkel. Je veux faire respecter l’indépendance nationale et l’intégrité du territoire, et je veux redonner le pouvoir au peuple. Dans ce but, j’organiserai un référendum pour vous laisser toute liberté de choisir votre avenir.

FF : L’enjeu de cette élection, c’est l’alternance. La politique des extrêmes ne peut conduire qu’au chaos. Je suis le seul candidat qui peut mener le redressement de notre pays en comptant sur une majorité cohérente. J’ai quelques défauts, mais j’ai aussi l’expérience et la volonté de tout faire pour la plus belle des nations, la France.

Macron : Merci à vous tous, amis téléspectateurs, merci Marine Le Pen pour cette discussion très enrichissante. Je souhaite avant tout réconcilier, car notre pays se divise sur la peur. Le projet que je porte libère et protège, il donne accès à la culture et redonne de l’envie et de la fierté. Notre pays doit redevenir une chance, une chance pour chacun. 


Le Grand Débat du 20 mars 2017 sur TF1 entre les candidats Hamon, Le Pen, Fillon, Mélenchon et Macron (vidéo intégrale, 3 h 11′) :


* Néologisme construit à partir du nom de François de Rugy : écologiste proche du PS comme Barbara Pompili, et candidat malheureux à la primaire de gauche, il a récemment déclaré son soutien à Emmanuel Macron après s’être engagé à soutenir le vainqueur de la primaire.
** Qu’on ne peut exclure étant donné que l’enquête concernant les emplois présumés fictifs de Penelope Fillon serait maintenant étendue à des faits d’escroquerie aggravée et de faux et usage de faux.


Illustration de couverture : Les 5 candidats du premier Grand Débat de la Présidentielle le lundi 20 mars 2017 sur TF1 : Fillon, Hamon, Le Pen, Macron et Mélenchon.

11 réflexions sur “#LeGrandDébat : une lourde impression de déjà vu

  1. C’est amusant le jeu des couleurs et lumières sur la photographie prise en illustration. Je ne sais pas si c’est voulu mais Macro semble fortement mis en valeur (inversion du côté de l’ombre, le plus lumineux des 5 portraits…)

  2. En-tiè-re-ment d’accord, du déjà vu, ennuyeux à mourir, je hasarderais bien une hypothèse : le record d’audience résulte de la confusion délibérément entretenue par TF1 entre débat et jeu télévisé. Avec l’espoir d’une empoignade, d’un dérapage verbal ?
    Quant à vos prévisions, Nathalie, on s’y croirait. Pour Macron, ajouter son tic verbal : Macron ne dit pas « Mon projet », mais « Le projet qui est le mien ».

  3. @ Edmond FRANCOIS : C’est Camba qui le dit ! (Mais ce genre de commentaire positif sur un candidat venant d’un ancien ministre plutôt considéré comme libéral n’est pas neutre. Tout comme Laine, par exemple.)

    @ Ungars : Il est vrai que Fillon, Hamon et Le Pen font assez gris, tandis que Macron et Mélenchon ont l’air plus colorés. J’ai trouvé cette photo-montage sur internet et on y voit à ce sujet toutes sortes de couleurs et de postures. Pas de volonté particulière de pousser l’un ou l’autre, ni chez moi, ni en général.

    @ Souris donc : Vous avez raison, c’est souvent « le projet qui est le mien » ou « le projet que je porte » ! Je vais faire un petit changement en ce sens ! (allez, 3 mots en plus, tant pis !)

    @ fm06 : Merci ! A force de les regarder et de les entendre, on finit par voir que « les éléments de langage » sont bien en place !

  4. En fait est-ce le débat lui-même qui compte ou l’exploitation autour c’est à dire les commentaires journalistiques, les appréciations par eux-mêmes (ou pour eux-mêmes), les sondages. Car ce qui compte avant tout c’est de façonner (manipuler) l’opinion des citoyens dans des limites convenues même aux extrêmes.
    Donc effectivement décevant, rien de plus que le catalogue comparé des thèmes habituels à la mode, rien de politiquement inconvenant.
    Lorsque 1/4 de la population active (emplois marchands qui n’ont pas encore quitté le pays) fait vivre tout le reste de la population, ne devrait-on pas aborder des questions plus fondamentales ?
    Qui positionne le curseur plus d’Etat – moins d’Etat sur chacun des candidats ?
    Pourtant aujourd’hui je crois, sort une enquête montrant qu’1/4 des enseignants de l’éducation nationale souhaiterait travailler dans le privé. Il y aurait donc une attente….
    Pourquoi au lieu de batailler sur le nombre de fonctionnaires à diminuer, un candidat ne fait-il pas la proposition iconoclaste : moi candidat vais faire en sorte de vous donner envie de travailler dans le privé ou sur des emplois marchands ? En gros vous donner (rendre) la Liberté de choisir votre destin collectif.

  5. @ Calvin : 🙂 vous voyez le niveau de sacrifice auquel je m’astreins pour faire vivre ce blog !

    @ Tino : Pour les médias, la campagne présidentielle est une belle occasion de générer du papier facile et récurrent pendant des semaines et des semaines.
    Quant aux candidats, quand on voit comment ils sont complètement façonnés et tenus par leurs communicants (Macron et son langage peaufiné pour chaque situation, Fillon et ses SMS pendant le débat etc..), on ne risque pas d’en voir un quitter les sentiers battus.
    Mais finalement, « les Français » ont-ils envie de quitter les sentier battus ? Ce ne sont pas les sondages complètement contradictoires sur leurs aspirations qui manquent.
    (Je me souviens d’un sondage où il ressortait qu’ils voulaient voir un renouveau des visages politiques et où ils arrivaient dans le même temps à plébisciter Juppé)

  6. Affirmer que les jeunes aujourd’hui n’ont pas la chance qu’ont eu les baby boomers relève au mieux de l’intox mais plus certainement du mépris dans lequel vous tenez toute une génération d’ouvriers et d’employés qui ont construit le monde confortable dans lequel vous avez été élevée. En effet les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas la chance pour la plupart de n’avoir connu comme seul horizon de fin d’études qu’ un certificat d’étude ou un C.A.P.; ils n’auront pas la chance de voir leur début de vie professionnelle stoppée brutalement par l’appel sous les drapeaux ; les filles d’aujourd’hui n’auront pas la chance de se retrouver en enceinte à 17 àns et d’être obligée d’épouser un garçon de rencontre pour ne pas encourir l’opprobre générale ; tous les jeunes d’aujourd’hui n’auront plus la chance de mourir encore de méningite, de pathologie considérées comme bénignes en 2018 mais mortelles dans les années 60 ; les jeunes d’aujourd’hui n’auront pas le privilège de ne pouvoir voter avant l’âge de 21 ans ; les jeunes femmes d’aujourd’hui n’auront pas la chance de ne pouvoir être maitresse de leur corps ; enfin les jeunes d’aujourd’hui n’auront jamais la chance de vivre et être impliqués, voir victime d’un conflit européen d’une rare barbarie ou de guerres de décolonisation non moins meurtrières de masse. C’ est vrai les jeunes aujourd’hui ont moins de chance.

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