Conciliabules des ministres du mercredi 15 mars 2017

La scène se passe vers 9 h 15 le mercredi 15 mars 2017 au Palais de l’Elysée dans le bureau du Président de la République. Oui, ce matin, mais ceci est une fiction, donc toute ressemblance etc… serait fortuite.

Le Conseil des ministres doit avoir lieu à 10 h dans le salon Murat. (Ça, c’est vrai, c’est à l’agenda du Président).

En attendant l’arrivée du Premier ministre Bernard Cazeneuve et de son gouvernement, Michel Sapin, ministre de l’Economie et des Finances et Gaspard Gantzer, conseiller presse et communication du Président, tiennent compagnie à François Hollande dans son bureau. Ils sont rejoints par Jean-Christophe Cambadélis, puis par Manuel Valls.

Comme d’habitude, un huissier fait passer une corbeille de dattes et de loukoums, cadeau du prince héritier d’Arabie saoudite à son cher Président Hollande en remerciement de son amitié indéfectible et de la belle Légion d’Honneur qu’il lui a décernée. 


Hollande : Allez-y, servez-vous en loukoums. C’est pas ça qui manque. Comme tout le monde me quitte, même ma garde du corps préférée …

Sapin : Julie te quitte ? Pardonne-moi, François, mais j’ignorais totalement que tu avais des ennuis de ce côté-là aussi.

Hollande : Mais non, pas du tout, je parle de Sophie Hatt, la policière qui assurait ma sécurité. On l’a nommée à la tête de je ne sais quel comité il y a à peine un mois en Conseil des ministres. Michel, j’ai toujours soupçonné que tu t’endormais à la fin des Conseils. Tu as tort, c’est justement le moment le plus intéressant, celui des nominations. Tu penses bien que Sophie, elle est convaincue qu’elle me doit tout !

Sapin : Je te trouve bien optimiste. Les policiers n’ont pas arrêté de manifester pour dénoncer leurs conditions de travail depuis l’instauration de l’Etat d’urgence. Je n’ai pas l’impression que tu sois si populaire que ça chez eux.

Hollande : Chez les policiers non, mais chez certaines policières, je t’assure que … bref laissons cela. Prends plutôt des loukoums. Vous aussi, mon petit Gaspard. Au train où vont les choses, je vais être obligé de faire déménager toutes les caisses du prince Mohammed ben Nayef à Mougins. D’après les services compétents, c’est encore plus volumineux que mes dossiers et il va falloir prévoir un camion de plus que pour le départ de Sarkozy, rien qu’en sucrerie !

Evidemment (soupir), si je pouvais rester encore un quinquennat (soupir et regard en coin vers Sapin qui fait mine d’être très occupé avec la corbeille de dattes), je pourrais les écouler ces foutus bonbons (soupir résigné, personne n’a l’air de vouloir saisir la perche).

Gantzer : Merci M. le Président, mais si ça ne vous dérange pas, à cette heure-ci j’aimerais autant un café.

Hollande : C’est vrai que vous et le café, c’est une longue histoire ! Enfin, maintenant, si tout le monde doit se détourner de moi, il me restera toujours Lucette ! Il paraît qu’elle fait campagne pour moi ! C’est vous dire combien Hamon passe bien chez les militants socialistes ! Comme quoi, si je décidais de me …

Gantzer (l’interrompant) : Pardon, M. le Président, mais Lucette, c’est de l’histoire ancienne, et de toute façon, ce n’est pas franchement une lumière. Mais je vous rappelle qu’on a, enfin que vous avez, un Conseil des ministres à endurer ce matin. Un petit stimulant s’impose. Au fait, quel est l’ordre du jour ?

Hollande : Aucune idée. A tous les coups on aura du Najat avec ses politiques contre les inégalités à l’école et du Laurence Rossignol avec sa lutte contre le sexisme. En tout cas, c’était le menu de la semaine dernière. Mais je laisse tout ça à Cazeneuve. A lui de gouverner, maintenant que ce faux-jeton de Valls …

Sapin (l’interrompant) : Bonne idée, Gaspard ! Commandez des cafés pour nous tous (Gantzer sort avec l’huissier). Pour toi aussi, François, car même si tu ne suis plus rien, il se trouve que personnellement je ne dors pas tout le temps. J’interviens pendant le Conseil sur le sujet du CIMR et j’aimerais autant que tu écoutes. Car si tu te souviens bien, c’était l’un de tes 60 engagements. Le n° 14, pour être précis.

Hollande : Le CIMR ? Ça ne me dit rien.

Sapin : Ta grande réforme fiscale, ça te dit quelque chose ? Le projet de Piketty de fusionner la CSG avec l’impôt sur le revenu  ? Le prélèvement à la source ?

Hollande : Ah, ça ! Oui, évidemment, je n’ai quand même pas décroché à ce point ! Mais le CIMR …

Sapin : « Crédit d’impôt de modernisation du recouvrement ». Je t’accorde que côté choc de simplification, c’est raté. Mais c’est la technique que j’ai mise au point pour que les gens qui auront des revenus un peu trop exceptionnels en 2017 paient quand même de l’impôt sur 2017 en 2018. Tu vois le truc ? Ça s’appelle crédit d’impôt, mais c’est pour faire payer les petits malins qui voudraient charger la barque de leurs revenus 2017 en pensant qu’ils ne paieront pas d’impôt dessus à cause du passage au prélèvement à la source en 2018.

Hollande : Heu, ça a l’air compliqué. Une seule question : ça pourrait me concerner ? A titre personnel, je veux dire.

Sapin : Peut-être. Si ce n’est pas abandonné par la future équipe au pouvoir. Une bonne raison de m’écouter pendant le Conseil, de toute façon !

Hollande : Justement, la future équipe au pouvoir, c’est qui d’après toi ? Tu sais que je suis prêt à me sacrifier, à sacrifier ma vie privée, à sacrifier ma retraite à Mougins, à manger 50 loukoums par jour et à me farcir des CIMR pendant 5 ans de plus si ça peut sauver la France des griffes de l’extrême-droite et la garder dans le camp des forces de progrès. Et nous garder nous bien au chaud au pouvoir. Tu n’aimerais pas voir ton CIMR aboutir et servir de modèle fiscal à toutes les nations ?

Sapin : Tu me prends par les sentiments. C’est vrai que le CIMR, c’est un argument social et solidaire fort…

Gantzer (rentrant sur ces entrefaites avec les cafés) : Pardon M. le Président (se tournant vers Sapin) excusez-moi M. le Ministre, mais en tant que communicant, je dois vous prévenir que le CIMR me paraît être un argument de campagne beaucoup trop rébarbatif et beaucoup trop précis. Si jamais vous avez l’intention de rempiler, je vous conseille de vous en tenir au rêve, donc au flou, donc au flan. Voyez Macron.

Rappelez-vous ce que vous disiez lors de votre grand entretien télévisé d’il y a un an : « Entre ceux qui ne veulent rien faire et ceux qui veulent tout défaire, moi, Meilleur Ouvrier de France spécialisé en flan politique, je vais bien faire. C’est le nouveau slogan de ma Présidence. »

Hollande : Ah, mais c’est pas mal ! C’est moi qui disais ça ? En tout cas ça confirme ce que j’ai toujours su, je suis la synthèse parfaite entre Hamon et Macron.

Sapin : Ah, Ah ! Et quel est celui qui ne veut rien faire et celui qui veut tout défaire ?

Le téléphone sonne. L’huissier répond.

L’huissier : M. le Président, c’est M. Cambadélis. Il est devant la grille. Il demande s’il peut monter vous voir. Il dit qu’il s’ennuie tout seul à Solférino.

Hollande : Ça ne m’étonne pas. Moi aussi, je m’ennuie. Je m’arrange pour me faire inviter à l’étranger le plus possible, au moins on me fait à manger. Ici, la cuisinière oublie une fois sur deux qu’elle doit préparer mon repas. Hier j’ai dû téléphoner aux cuisines pour rappeler que j’étais encore là. Rien n’était prévu. Finalement on m’a servi un reste de soupe du personnel suivi d’une portion de vache qui rit. C’est maigre.

Sapin : Tu n’es plus au régime ? Viens nous voir à Bercy ! Macron a mis le niveau très haut pour les frais de bouche. Je ne peux pas te promettre des ortolans, mais je t’assure que nos fournisseurs sont les meilleurs de Paris. (Se tournant vers Cambadélis qui entre dans le bureau) : Alors, on en est où avec Hamon ?

Cambadélis : A peu près nulle part. C’est simple, je n’ai même pas fait d’édito vidéo lundi tant je suis à court d’idées pour relancer sa candidature et remotiver la base. D’ailleurs, pour être tout à fait franc avec vous, il commence à me casser les pieds, Hamon. « La vérité, c’est que tout le monde trouve que la campagne de Benoît est nulle ». Je l’ai dit dans le Parisien : il faut qu’il accepte d’infléchir son programme pour parler à tous les socialistes. Même Cazeneuve le lui a dit. Autrement, on est foutu.

Hollande : Et pourtant l’alignement des planètes commence à prendre forme. Fillon est officiellement mis en examen, Macron est touché par une enquête préliminaire concernant la French Tech de Las Vegas, et moi j’ai un parrainage ! L’unité de la gauche, et le sens de l’Etat, c’est simple, c’est moi ! Si mon image est quelque peu ternie vis-à-vis des Français, c’est parce que j’ai eu le courage de réformer comme personne avant moi ! C’est ce brave maire de Montredon-des-Corbières qui m’a parrainé qui le dit.

Sapin : Ne compte pas trop sur Las Vegas. Ce n’est quand même pas à toi que je vais expliquer que c’est un petit dossier bidon visant à faire croire que tous les candidats sont traités avec la même sévérité par la justice.

Cambadélis : De toute façon, comment peut-on se débarrasser de Hamon ? C’est quand même lui qui a gagné la primaire. Et à supposer qu’il abandonne si on le pousse assez fort, tu crois que Valls ne va pas remontrer le bout de son nez ? C’est le plan B, Valls, forcément.

Hollande : Non, le plan B, c’est moi. Moi aussi j’ai gagné la primaire. D’accord, c’était pour 2012, mais j’ai eu 60 % contre Martine qui a fait les 35 heures, ce n’est pas rien. Valls, il a perdu, je répète : perdu, contre Hamon qui n’est rien.

Gantzer : Il reste toujours Mélenchon qui vient de nous sortir ses 500 parrainages. Et Macron, plus en forme que jamais avec ses dîners Tupperware. A moins que vous ayez un deal avec lui.

Hollande : Pas du tout. C’est lui qui croit avoir un deal avec moi. Il ne se passe pas un jour sans qu’un de ses soutiens ne fasse des allusions lourdingues à l’importance que j’aurai dans sa majorité. Oui, il y a Mélenchon et Macron. Mais je crois que si je me présente, l’un et l’autre en pâtiront. Les socialistes seront contents de pouvoir revenir vers un candidat d’une facture socialiste plus classique qu’un Macron dont on a du mal à situer la ligne.

Sapin : Désolé, François, mais ça, c’est une victoire assurée pour Fillon et un échec assuré pour toi. Il va falloir que tu prennes patience. Voilà le schéma que je te propose : Laisse Hamon endosser l’échec. Continue à « hollandiser » Macron pour le ringardiser …

Hollande (le coupant, faussement bougon) : Ah bon ? Parce que tu me trouves ringard ? Ce n’est ni l’avis du maire de Montredon-des-Corbières, ni l’avis de Lucette, ni l’avis de Julie, ni l’avis de Sophie, ni …

Sapin  (le coupant en retour, un peu agacé) : Mais non ! Tu vois ce que je veux dire : laisse accréditer ton influence sur lui pour le couler sur sa droite. Continue à taper sur Fillon pour que, bien victimisé, il dépasse Macron et soit au second tour. Appelle à voter pour lui contre Le Pen, ce sera cohérent avec notre politique de front républicain, ça fera très noble et ça détruira tous les soupçons de coup monté contre lui avec l’aide du Canard. Récupère le PS après la présidentielle, (se tournant vers Cambadélis) excuse-nous, Camba, mais forcément, avec l’échec de Hamon, tu sautes. (se tournant à nouveau vers Hollande) Laisse Fillon se dépêtrer avec sa politique de rigueur qui va mettre tout le monde dans la rue, même l’extrême-droite, et présente-toi en 2022. Je te garantis que tu seras accueilli à bras ouverts !

Cambadélis (admiratif) : C’est pas mal ! Il est juste dommage que je ne sois pas dans le coup …

Hollande : Je peux te trouver un joli poste d’ici le mois de mai, ne t’inquiète pas pour ça. (réfléchissant) Voyons voir … , Président du Haut Comité pour la transparence des eaux usées, un truc écolo créé par Ségolène, ça te dirait ? Pour en revenir au scénario de Michel, ça ne résout rien pour mes caisses de loukoums, mais c’est vrai que ce n’est pas mal. J’aurai quel âge en 2022 ?

Sapin : 68 ans, c’est encore très convenable. Juppé en a 72 et il était sur les rangs.

Le téléphone sonne. L’huissier répond.

L’huissier : M. le Président, c’est M. Valls. Il est devant la grille. Il demande s’il peut monter vous voir. Il dit qu’il s’ennuie tout seul chez lui et qu’il a une proposition à vous faire.

Hollande (en se moquant) : Tiens, voilà le plan B ! (A l’huissier) Dites-lui de monter, mais vite, car le Conseil des ministres commence dans 5 minutes.

Valls (entrant dans le bureau) : M. le Président, je vous dois des excuses. Je réalise que j’ai agi de façon très cavalière avec vous en vous poussant à la renonciation et je pense maintenant que j’ai eu tort. Vous voulez toujours vous présenter ?

Hollande : M. le Premier ministre, c’est moi qui vous dois des excuses. Vous aviez parfaitement raison. Ma candidature aujourd’hui serait une absurdité.

Valls (interloqué) : Comment ça ? Vous renoncez définitivement ?

Hollande : Oui. la décision vient d’être prise, mais elle est prise.

Valls : Dois-je comprendre que vous acceptez de voir le Parti socialiste partir chez Emmanuel Macron ?

Hollande : Heu, pas exactement, mais ce serait trop long à vous expliquer, le Conseil des ministres va commencer d’un instant à l’autre. Quelle est cette proposition que vous souhaitiez me faire ?

Valls (mal à l’aise) : Eh bien, dans l’intérêt de la gauche, il me semble que vous devez vous présenter aux côtés de Hamon, Macron et Mélenchon de façon à garantir la victoire de Fillon cette année et permettre à la gauche de récupérer le pouvoir en 2022 après l’échec qui ne manquera pas d’arriver à la droite après l’application de son programme d’une grande brutalité ultra-libérale.

Hollande : D’accord pour faire gagner Fillon et le voir se planter ensuite, mais comment voulez-vous que je récupère le pouvoir en 2022 si j’échoue en 2017 ?

Cambadélis : Notre ami Valls de l’UNEF n’aurait-il pas dans l’idée de récupérer le PS pour son compte après la présidentielle ? Over my dead body, amigo ! Ce n’est pas toi qui va me trouver un poste dans la haute administration maintenant que tu n’es plus rien. Tu peux aller rejoindre Macron tout de suite, et le plus tôt sera le mieux !

Le téléphone sonne. L’huissier répond.

L’huissier : M. le Président, c’est M. Cazeneuve. Il vous fait savoir qu’il est arrivé pour le Conseil des ministres et il demande quel est le menu du déjeuner.

Hollande : Tranches de rigolade sur le dos de Manuel Valls ! Non, avec un peu de chance, on aura droit à des carottes râpées et un yaourt si la cuisinière n’a pas oublié qu’on est jour de Conseil des ministres. Allez Valls, venez avec nous, ça vous rappellera des souvenirs ! Mais ne comptez pas sur moi pour vous servir de strapontin ! Le plan de Michel est bien meilleur puisque j’en suis le héros ! Il vous expliquera ça pendant le déjeuner.


Avec, par ordre d’apparition :

  Michel Sapin 1      Camba  Valls

Tous les épisodes de cette série « Au Théâtre avec Hollande & Co » sont à retrouver ICI !


Illustration de couverture : Salle de réunion du Palais de l’Elysée. Mais ce n’est pas le salon Murat où se tiennent les Conseils des Ministres du mercredi. Photo : Dauphiné libéré.

8 réflexions sur “Conciliabules des ministres du mercredi 15 mars 2017

  1. Vous vous trompez tous :
    Hollande et Royal sont très amis du portugais Antonio Guterres qui est le nouveau secrétaire général de l’ONU. Hollande vise la présidence du Conseil de l’Union européenne, le poste est vacant en juin. Ce serait la première fois qu’un ancien chef de l’Etat occuperait ce poste. Il se dit  » La situation difficile de l’Europe d’après Brexit le justifierait »
    https://www.bruxelles2.eu/2017/01/22/hollande-president-de-leurope-possible-faisable/
    Quant à la Royale, elle brigue la direction du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) Elle peaufine son anglais pour remplacer en septembre prochain la Neo Zélandaise Helen Clark Et………. pour cela ils ont besoin de l’appui du nouveau président ……… donc la victoire de Macron leur est indispensable…..
    http://www.tdg.ch/monde/Hollande-veut-recaser-Segolene-Royal-a-l-ONU/story/27662183

    • 🙂 Ce n’est pas incompatible, les nouveaux Présidents quels qu’ils soient sont toujours très aimables à l’égard des anciens présidents, pour les « recaser » justement, pour avoir la paix et un débiteur.
      De plus, il est dit dans l’article sur FH que c’est maintenant que ça se joue.

  2. @ baichette : Il paraît que certains auteurs mettent un point d’honneur à expérimenter eux-mêmes les situations dans lesquelles ils plongent leurs personnages. Je vous avoue que pour les loukoums je passe mon tour !

    @ JJ-S : C’est une émission de télé-réalité à l’Elysée qu’il faudrait faire !

    @ Droopyx : Quand la fiction est largement dépassée par la réalité !

    @ Le Gnôme : Merci beaucoup !
    Côté permanence du spectacle, avec nos politiciens et la campagne présidentielle, nous sommes gâtés !

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