Xi Jinping vante le libre-échange ! Aurait-il lu Bastiat ? (#Davos)

contrepoints-2Accrochons-nous, car le monde change. Alors que Donald Trump, qui sera officiellement investi 45ème Président des Etats-Unis demain, semble vouloir engager son pays sur la voie du protectionnisme et du nationalisme économique pour développer les emplois et gagner en prospérité, le Président chinois Xi Jinping s’est au contraire prononcé avec ferveur pour le libre-échange lors de son discours d’ouverture du Forum économique mondial de Davos auquel il participait pour la première fois.

Oui, on parle bien de Trump, homme d’affaires milliardaire américain et on parle bien de Xi Jinping, Président de la République populaire de Chine et chef du Parti communiste chinois ! 

• Qu’il soit question de libre-échange à Davos n’est guère étonnant. A l’instar des réunions de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), le Forum fut du reste lui aussi une cible privilégiée des critiques et des manifestations des altermondialistes. On lui reproche bien évidemment son ultra-libéralisme débridé, son côté réunion des « rich and famous », et même son inutilité totale : « Il ne faut y voir rien de plus qu’une machine à café mondiale où des gens se rencontrent, bavardent, se serrent la main, échangent des tuyaux et s’en vont », disait Jacques Attali.

Mais pour Klaus Schwab, universitaire suisse docteur en économie qui l’a fondé en 1971, si le monde change rapidement et crée de l’anxiété, « la mondialisation est un bouc-émissaire facile. » Il regrette la tentation protectionniste actuelle et considère la réunion de Davos comme un indispensable et précieux outil de dialogue entre chefs d’entreprise, décideurs politiques, ONG et partenaires sociaux d’horizons variés.

A l’origine, le Forum économique mondial  s’adressait aux entreprises européennes avec l’objectif de les inciter à adopter des méthodes managériales développées aux Etats-Unis, notamment l’idée (« stakeholder theory ») que l’entreprise doit tenir compte de tous ses partenaires. Pas seulement des clients et des actionnaires, mais aussi des salariés, des gouvernements et des communautés locales au sein desquelles elle évolue.

Mais dès 1974, des responsables politiques sont invités et les centres d’intérêt sont progressivement élargis à l’ensemble des grandes questions qui agitent le monde, faisant dorénavant une large part aux problèmes sociaux, environnementaux ou de santé publique. La réunion annuelle de Davos, principal événement du Forum, se déroule actuellement du 17 au 20 janvier 2017. Elle réunit de l’ordre de 3 000 personnes autour de plus de 200 conférences.

• Que le Président chinois vante les mérites du libre-échange est sans doute moins évident, tout au moins sur le papier.  Mais quand on y pense, ce n’est guère étonnant non plus. Car si un pays sait ce qu’il doit à l’ouverture et à une certaine libéralisation de son économie, c’est bien la Chine !

Les chiffres sont connus, ils nous ont été communiqués par la Banque mondiale en 2015 (voir page 6 du rapport donné en lien, et voir aussi le graphique interactif de France 24) :  entre 1990 et 2015, le taux d’extrême pauvreté dans le monde est passé de 37,1 % de la population mondiale à 9,6 %. Si l’on regarde plus précisément l’Asie de l’Est dont la Chine constitue le plus gros morceau, ces taux sont respectivement 60,8 % et 4,1 %. En valeur absolue, il y avait 1 milliard de personnes vivant sous le seuil d’extrême pauvreté en Asie de l’Est en 1990, et l’on n’en compte plus que 83 millions en 2015.

C’est précisément ce que Xi Jinping a dit avant-hier aux 3 000 spectateurs qui l’écoutaient à Davos (voir un extrait de son discours dans la vidéo ci-dessous, 06′ 20″). Pour lui, la Chine a eu « le courage de se jeter dans les vastes océans des marchés mondiaux » avec tous les résultats positifs que cela a représenté pour sa population.

Faisant remarquer en début d’allocution qu’on pourrait caractériser notre époque en pleine mutation technologique exactement comme Dickens le faisait au XIXème siècle juste après la révolution industrielle : « It was the best of times, it was the worst of times »,  il a reconnu qu’il reste des difficultés qui ne sont pas encore réglées mais il estime que « la plupart des problèmes qui affectent le monde n’ont pas été causés par la mondialisation », citant à titre d’exemple la crise des migrants et la crise financière.

Il considère que seules l’innovation technologique, la mise en place d’une nouvelle gouvernance à l’égard des pays émergents et « la promotion de la libéralisation des échanges et des investissements » seront de nature à redonner de la croissance au monde. Usant d’une métaphore d’esprit très oriental qui ne surprendra pas les amateurs de proverbes chinois, il a plaidé pour que le monde dise « non au protectionnisme » :

« S’enfermer dans une pièce sombre parce qu’il pleut dehors ne sert à rien : l’oxygène et la lumière sont aussi à l’extérieur. »

Ce n’est pas la première fois que nous autres Occidentaux faisons les frais des leçons de libéralisme des dirigeants chinois. Alain Juppé en sait quelque chose, lui qui en août 2014 à l’université d’été du Medef riait jaune devant un ambassadeur chinois qui se moquait ouvertement de nos 35 heures (vidéo, 05′ 10″) :

• Aussi, il n’est pas inutile de rappeler à ce stade que si les déclarations économiques de Xi Jinping suscitent clairement l’intérêt des libéraux, il y a encore loin de la coupe aux lèvres et des paroles aux actes.

En l’état actuel des choses, la Chine n’est certainement pas un Etat libéral tel qu’on le conçoit en Occident. Les atteintes aux droits de l’homme sont légions, la peine de mort, bien que secret d’Etat, est élevée, et le contrôle d’internet est de plus en plus important. Sous couvert de lutter contre les rumeurs infondées et les idées fausses, le gouvernement entend couper toute critique politique, comme les pays communistes l’ont toujours fait avec beaucoup de talent.

Et même si l’on s’en tient au domaine économique, les entreprises étrangères savent qu’elles n’ont pas exactement les mêmes droits que les entreprises chinoises en Chine. Peu après le discours du Président chinois, la Chambre de commerce américaine à Pékin publiait les résultats d’un sondage auprès de ses membres faisant apparaître une tout autre réalité.

Non seulement la Chine pratique intensément le contrôle des capitaux, renforce en permanence ses monopoles d’Etat dans tous les domaines et impose une multitude de réglementations spécifiques aux entreprises étrangères, mais il semblerait que les choses aient empiré avec l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2012. En terme de barrières tarifaires à l’entrée, la moyenne des droits appliqués aux importations venant des pays membres de l’OMC se monte à 9,6 % contre 3,5 % aux Etats-Unis.

Autre façon de voir les choses, selon le rapport de la Banque mondiale sur le climat des affaires dans le monde en 2016 (tableau page 8), la Chine n’était qu’au 78ème rang, la Nouvelle-Zélande occupant le 1er rang, les Etats-Unis le 8ème et la France, ce qui n’est guère fameux, le 29ème.

• Dans ces conditions, que le Président chinois se soit attiré la réponse du berger à la bergère de la part du représentant de Donald Trump à Davos n’est pas tellement étonnant non plus.

Si l’on en croit Anthony Scaramucci, futur chef des relations publiques de la Maison Blanche, qui dit ne pas avoir écouté le discours de Xi Jinping, Donald Trump ne souhaite nullement « mettre fin à la mondialisation ». Les Etats-Unis demandent simplement à la Chine de bien vouloir accepter une certaine réciprocité, une certaine symétrie des échanges, afin de résoudre le problème des salaires des américains.

Et, ajoute-t-il, et c’est là que l’argument devient franchement bizarre, puisque l’économie américaine représente encore 23,6 % du PIB mondial, la hausse des salaires aux Etats-Unis aura forcément un impact mondial sur le pouvoir d’achat, et donc sur le commerce mondial et la paix mondiale. Bref, la mondialisation heureuse passe par la politique protectionniste de Donald Trump ! (A partir de la minute 5 de cette vidéo)

• La Chine et les Etats-Unis font irrésistiblement penser aux deux pays Stulta et Puera imaginés par Frédéric Bastiat (1801-1850) dans ses Sophismes économiques (1845). Rien ne paraît plus logique que cette idée d’imposer la symétrie dans les échanges. Et pourtant, l’obsession de la symétrie des échanges finit par déboucher sur l’escalade du protectionnisme, puis à terme sur la stagnation technologique et économique, voire l’appauvrissement, des pays concernés.

Dans son petit texte Réciprocité, Bastiat montre qu’un pays a intérêt à libéraliser ses échanges commerciaux, même si un autre pays ne le fait pas :

« Si nous abaissions nos barrières devant l’Espagne, sans que l’Espagne les abaissât devant nous, évidemment, nous serions dupes. Faisons donc des traités de commerce sur la base d’une juste réciprocité (…)

Les personnes qui raisonnent ainsi, je suis fâché de le leur dire, sont, qu’elles le sachent ou non, dans le principe de la protection. »

Ainsi, Puera doit faire face à deux problèmes : les obstacles créés par Stulta le gênent pour vendre ses productions, mais les obstacles qu’il a lui-même créé pour éviter d’être « inondé » des produits de Stulta le gênent également pour acheter ce dont il aurait besoin. D’où l’idée de supprimer un des deux problèmes en supprimant les obstacles imposés à Stulta, même si Stulta n’en fait pas autant de son côté. « Un jour sans doute Stulta apprendra à mieux faire ses comptes. »

Mais un tel raisonnement est difficile à admettre. Plutôt que d’y réfléchir, les gens de Puera préfère y voir l’effet des pensées bizarres d’un dangereux idéaliste : « N’écoutons pas ce rêveur, ce théoricien, ce novateur, cet utopiste, cet économiste. » Ils préfèrent de beaucoup la contre-argumentation des partisans de la réciprocité absolue telle qu’imaginée par Bastiat en 1845 en des termes qui ne nous étonneront guère tant on les entend beaucoup actuellement :

« L’orateur acheva de convaincre (l’assemblée de Puera) en parlant d’indépendance nationale, d’honneur national, de dignité nationale, de travail national, d’inondation de produits, de tributs, de concurrence meurtrière ; bref, il emporta le maintien des obstacles. »

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Malgré les déclarations enflammées du Président chinois Xi Jinping en faveur du libre-échange, il est loin de faire l’unanimité dans les esprits comme dans les faits dans son pays et dans le monde occidental.

Compte-tenu de la taille de l’économie américaine, le protectionnisme annoncé par Donald Trump aux Etats-Unis en est la manifestation la plus spectaculaire, mais on observe aussi un intérêt croissant des populations européennes pour les responsables politiques qui, tels Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon chez nous, proposent des mesures similaires. Les négociations du TAFTA (traité de libre-échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis) semblent quant à elles au point mort.

Cependant, une étude récente de l’OCDE montre que si les droits de douane se mettaient à ré-augmenter pour retrouver leur niveau de 2001, ceci coûterait 1,3 % de croissance à l’ensemble du monde sur 5 ans. A l’inverse une poursuite de la baisse des obstacles aussi bien tarifaires que non-tarifaires (normes, réglementations) pourrait dégager une croissance supplémentaire de 1,5 % sur 5 ans.

La relecture de l’oeuvre de Frédéric Bastiat s’impose. Qui se dévoue pour en faire expédier un exemplaire à Trump et un autre à Xi Jinping ?


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Illustration de couverture : Entrée du centre de conférences où se tient le Forum économique mondial de Davos (Suisse) du 17 au 20 janvier 2017. Photo Fabrice Coffrini, AFP.

10 réflexions sur “Xi Jinping vante le libre-échange ! Aurait-il lu Bastiat ? (#Davos)

  1. Autre élément de l’équation anti-libérale : l’espionnage industriel massif pratiqué par la Chine à l’encontre de l’Occident.

    Concernant les grands traités de libre-échange américains, il est amusant de voir qu’ils sont combattus par les populistes en France… mais aussi aux Etats-Unis. Les électeurs de Trump n’aiment pas ça du tout. Du coup, il y en a forcément un des deux qui a tort, non ?

    • Très juste. Les anti-TAFTA en Europe hurlent que ce projet de traité met les marchés européens à la botte des U.S.A. Les anti-TAFTA aux U.S.A. crient que ce projet de traité va faire la part belle aux Européens. Comprenne qui pourra.

  2. Article excellent qui souligne bien les dangers du protectionisme. Malheureusement, comme vous l’écrivez, l’époque est à la frilosité, au repli sur soi. Nous ne serons pas écoutés et les choses iront plus mal…

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  4. Xi Jinping connaît sans doute les principes fondamentaux du taoïsme, comme tout bon Chinois lettré.
    Or, selon les principes taoïstes, tout ce qui est vivant est mû par les principes à la fois opposés et complémentaires du Yin et du Yang. Ainsi, si Obama avait l’élégance et l’apparente douceur du Yin, Trump saura apporter son lot de virilité en injectant du Yang dans sa vision personnelle de l’Amérique.
    Pour le pire ou le meilleur…

  5. Quelle est la différence fondamentale entre le libre-échange et le protectionnisme ?
    Dans l’imaginaire collectif, le premier est attaquable, tandis que le second est justifiable.
    Pour paraphraser une ancienne troupe de comiques, désormais aujourd’hui plus ou moins inconnue, il y a le bon et le mauvais protectionnisme.
    Le mauvais protectionnisme, c’est celui de « l’America First », où les dirigeants américains veulent fermer les frontières aux migrants, aux biens et services chinois et européens, avec le risque de voir le monde s’embraser.
    Le bon protectionnisme, c’est celui voulu par Arnaud, Jean-Luc, Marine, celui des candidats à la présidence de la république française, qui veulent fermer les frontières pour consommer français, avec la chance de voir le monde entier faire pareil.
    Le mauvais protectionnisme est une contagion qui se propage dans les pays mal gouverné. Le bon protectionnisme est une bonne pratique qui s’étend aux pays respectueux des Droits de l’Homme.
    Le mauvais protectionniste va appauvrir son peuple, obligé de payer ses produits locaux plus chers (attention, cela ne concerne pas les produits bio. Les produits bio ne sont pas du mauvais protectionnisme – je répète – les produits bio ne sont pas du mauvais protectionnisme), accélérer le capitalisme de connivence des grosses entreprises locales, assurées d’avoir un marché sécurisé voire sclérosé.
    Par contre, le bon protectionniste redonne de l’emploi à ses ouvriers, donc du pouvoir d’achat, et les produits étrangers vont pouvoir être achetés sur place, en Chine, au Vietnam, en Allemagne, ce qui limitera les transports en bateau, avion, train, réduisant ainsi les pollutions. Et les Chinois ou Allemands comprendront vite qu’ils n’ont plus besoin de produire des choses pour nous !
    Les effets du protectionnisme sont variables selon QUI le met en place.
    Ainsi, les expulsions de clandestins par Barack Obama ou Manuel Valls sont moralement humaines et normales, alors que celles de Donald Trump ou Brice Hortefeux sont racistes et fascistes.
    Ainsi, le « achetez Français » du PCF des années 1970 ou la « Marinière » du Redressement Productif de 2012 sont des idées frappées au coin du bon sens. Mais pas les menaces de Trump sur Ford ou Wal-Mart.
    Le protectionnisme est justifiable selon celui qui le propose, ou ceux qui le soutiennent. Il peut s’apprécier sur le plan moral, c’est une chance, non ?
    Le libre-échange, lui, est toujours mauvais. Il n’y a pas de bon libre-échange à prévoir.
    Car le libre-échange, c’est l’abandon du pouvoir politique ; le laissez-faire, c’est la lâcheté des politiciens pourtant élus par des citoyens en attente d’actions et en demande de promesses.
    Le libre-échange, c’est l’absence de réglementations, de lois compliquées, de décrets techniques.
    C’est l’ennemi. Celui qui abaisse nos protections et ouvre grand nos portes aux quatre vents.
    Le libre-échange transforme les pays étrangers en puissances commerciales, en ennemis.
    En pratiquant le libre-échange chez nous, nous devenons faibles, timorés, livrés à l’inaction. alors que dans le même temps, ce même libre-échange, rend les autres pays plus forts, arrogants, dynamiques et nous abreuvent de produits bon marché. Et créent du chômage chez nous.
    Cette asymétrie ne laisse pas de doute. Le protectionnisme est bon et identique pour tous, s’il est appliqué par les bonnes personnes et pour les bonnes raisons (social, écologie, égalité), mais doit être combattu s’il est mené par les ennemis intérieurs qui veulent nous appauvrir.
    Quant au libre-échange, il doit être éradiqué. Ca tombe bien, on en prend le chemin.

    Voilà ce qu’aurais pu écrire si le sujet était proposé à l’école de la République.
    Et j’aurais eu 20/20. Il y a des références, peu de fautes de français, une argumentation digne des intellectuels reconnus dans le PAF, et un vrai attachement aux valeurs de la république.
    Reste le doute que ce texte ne reflète pas ma pensée profonde, et qu’un besoin de liberté soit volontairement masqué, comme un Zorro qui surgit hors de la nuit…

    • « Reste le doute que ce texte ne reflète pas ma pensée profonde » : Ca transparaît à chaque mot ! Soit les profs sont vraiment niais et ils vous mettent 20. Soit ils sentent une ironie rampante fort désagréable, ils vous mettent 20 et vous convoquent chez le proviseur ! 🙂

  6. Tiens, tiens, les « mondialistes » sont de nouveau à la charge sur ce blog. Incroyable de voir leur naïveté libre-échangiste même si les faits et les chiffres leur donnent tort. La Chine exporte, mais elle se PROTEGE, nuance. Le président de ce pays cherche simplement à continuer à avantager son pays, mais les irréalistes préférent voir continuer l’UE avoir des frontières commerciales les moins protégées au monde et PIRE, ils se déclarent partisans du sinistre Tafta. Quant on voit les dégâts causés par l’Alena, il y aurait cependant à réfléchir en la matière.

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