L’Avent, quelle aventure !

Article de l’Avent que je dédie à mes enfants :
Quelques considérations sur la venue de Jésus dans le monde à partir notamment du livre* de Benoît XVI sur L’enfance de Jésus

En cette fin de semaine, submergés que nous sommes par l’abondance des déclarations de candidatures à l’élection présidentielle – Valls, Pinel, Peillon, Alliot-Marie, si j’ai bien suivi – on n’en finit pas de s’interroger sur l’incroyable retournement, non pas de la courbe du chômage, mais du Président de la République lui-même qui, exemple inédit dans notre Vème République, a renoncé à se présenter pour un second mandat. 

Renoncer, renonciation … Comme Benoît XVI ? Même si François Hollande a soudain retrouvé des niveaux quasi angéliques de popularité grâce à sa décision, une telle comparaison semble un peu trop bienveillante pour lui. Autant B16 a renoncé à sa charge en toute lucidité car il ne se sentait plus la force de l’assumer alors que la pagaille de la Curie romaine dans le contexte de la sombre affaire « Vatileaks » lui commandait effort et fermeté extrêmes, autant Hollande s’est écarté du pouvoir contraint et forcé, non sans avoir expliqué que c’était vraiment trop injuste tant il avait fait un sans-faute depuis le début !

Tous les deux ont cependant un petit point commun. Si « un président ne devrait pas dire ça » pour reprendre le titre volontairement provocateur d’un ouvrage dans lequel Hollande s’épanche imprudemment et non sans vulgarité sur des sujets brûlants de politique française, B16 n’a pas manqué lui-même de subir les foudres implacables de censeurs scandalisés, de conseillers des médias et de catholiques ou non catholiques plus exégètes que le pape se récriant qu’un pape « ne devrait pas dire ça » !

De fait, B16, homme intellectuel peu familier des arcanes médiatiques, a été épinglé pendant tout son pontificat pour des propos – dûment décontextualisés au préalable, c’est plus vendeur – jugés trop conservateurs sur l’homosexualité, la contraception ou la place de l’Islam, sans compter sa prétendue sympathie pour les jeunesses hitlériennes.

En réalité, depuis Pierre jusqu’à aujourd’hui, un pape a deux missions : veiller à l’unité de l’Eglise et dire, dire et redire l’Evangile. On sait que l’unité des chrétiens a subi deux grandes entailles au cours de l’histoire, avec le schisme entre l’Eglise d’Orient et l’Eglise d’Occident consommé en 1054, puis avec la Réforme protestante qui a culminé au XVIème siècle. D’où l’importance extrême du dialogue inter-religieux dans la vie de l’Eglise, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur du christianisme.

Quant à l’Evangile, cette Bonne Nouvelle annoncée par Jésus-Christ typique de ce qu’un pape est totalement fondé à dire, B16 plus que tout autre s’est attaché à en parler avec simplicité et profondeur à travers ses trois livres consacrés à « Jésus de Nazareth. »

Ainsi que je l’expliquais dans un article antérieur centré sur la Résurrection, dans lequel on trouvera aussi un résumé de la biographie de B16, la première partie chronologique dédiée à L’enfance de Jésus* a été rédigée après les deux autres. Comme B16 le souligne dans son avant-propos, il s’agit avant tout d’une porte d’entrée à ses deux ouvrages précédents à travers ce que les évangélistes Luc et Matthieu nous donnent à connaître des premières années de Jésus, le but ultime étant bien sûr de se rapprocher au plus près de la figure et du message du Christ.

• En ce temps de l’Avent – Avent comme aventure et non pas comme before, comme j’aime le dire aux jeunes « sixièmes » auxquels je fais le catéchisme, et vu de cette façon, c’est beaucoup plus exaltant ! – en ce temps de l’Avent, donc, qui nous prépare à la révolution de Noël, à la venue sur terre d’un enfant homme et Dieu, je me suis replongée dans les pages de B16, et comme à chaque lecture j’ai été à nouveau frappée par le vent de liberté qui souffle sur toute cette extraordinaire aventure évangélique.

Le Credo, qui est la profession de foi des catholiques, commence par : « Je crois en Dieu le père tout-puissant » etc … Tout-puissant ? Oui et non. Nous croyons, certes, que Dieu est « créateur du ciel et de la terre. » C’est en effet un attribut qui ne manque pas d’une certaine puissance, surtout si on ne le considère que dans ses effets géophysiques.

Mais quand on parle de création, on parle avant tout de l’homme car c’est avec l’homme que Dieu a créé un lien, un dialogue, une alliance. Et l’amour est au coeur de ce lien. L’amour est la seule toute-puissance que Dieu revendique par la promesse de « la rémission des péchés », la promesse du pardon, pardon voulant dire « don parfait. » On voit qu’on parle bien d’amour.

Or qui ne sait que l’amour nous rend dépendants de la liberté de l’autre ? Dieu, en nous créant à son image, nous rend libres. Dès lors, il dépend de notre liberté pour se faire accepter. Comme l’exprimait Paul Evdokimov, un spécialiste de théologie orthodoxe et de Dostoïevski, sur lequel je suis tombée un jour par hasard :

… A la formule athée : « Si Dieu existe, l’homme n’est pas libre », la Bible répond : « Si l’homme existe, alors Dieu n’est plus libre ». L’homme peut dire non à dieu, Dieu ne peut plus dire non à l’Homme …

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• C’est exactement ce que nous explique B16 dans sa relation de la scène de l’Annonciation telle qu’elle nous est rapportée par Luc dans Luc 1, 26-38. Tout le projet de Dieu dépend entièrement de la liberté d’une jeune fille simple et obscure de quinze ans qui se trouve confrontée à l’inouï. L’ensemble de la scène se situe hors de toute expérience humaine connue. Il est du reste assez probable qu’une jeune fille issue d’une grande lignée et pourvue d’une éducation raffinée n’aurait pas eu plus de ressources que Marie pour y répondre sans s’effrayer d’abord.

Comme dans tous les moments vraiment révolutionnaires et significatifs de l’Evangile, l’ange Gabriel est à la manoeuvre. Un ange est un messager de Dieu. Ici, il s’agit d’annoncer à Marie que Dieu l’a choisie pour donner vie sur terre à son fils. On devine que c’est très simple ! Trente-trois ans plus tard, après la mort et la Résurrection de Jésus, on le retrouve près du tombeau ouvert, demandant aux femmes qui sont venues de bon matin pour s’occuper du corps de Jésus : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? » (Luc 24, 5). Drôle d’apparition, drôle de déclaration, qui les plongent d’abord dans l’effroi.

Marie elle-même nous est décrite comme « bouleversée » (verset 29). Elle nous est aussi décrite comme réfléchie. Elle se pose immédiatement des questions sur la signification de cet événement inédit. Ensuite, rassurée par Gabriel – « Sois sans crainte, Marie » (verset 30) – elle l’écoute :

« Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils ; tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand, il sera appelé Fils du Très-Haut (…) et son règne n’aura pas de fin. » (Luc 1, 31-33)

Remarquons que Gabriel fait son annonce au futur : tu vas, il sera, etc.. Pour l’instant rien n’est fait, rien n’est acquis. Qu’est-ce que Dieu attend, lui le tout-puissant, mais d’une puissance qui n’a ni or ni armée ? Il attend que Marie, usant de son libre choix, usant de la liberté dont il a voulu doter tout être humain, lui donne sa réponse. Lui dise oui. Mais va-t-elle dire oui ?

Dans son commentaire, B16 se rapproche d’une homélie de l’Avent de Bernard de Clairvaux (1090 – 1153), grand développeur de l’ordre cistercien. Pour ce dernier, Dieu veut revenir dans le monde et y apporter à nouveau l’espérance de la vie éternelle. Comme le résume B16 :

« Dieu frappe à la porte de Marie. Il a besoin de la liberté humaine. Il ne peut racheter l’homme, créé libre, sans un libre « oui » à sa volonté. En créant la liberté, Dieu, d’une certaine manière, s’est rendu dépendant de l’homme. Son pouvoir est lié au « oui » non forcé d’une personne humaine. »

Or Marie semble tergiverser. Sa réponse est comme suspendue. Elle interroge : « Comment cela va-t-il se faire puisque je ne connais pas d’homme ? » (verset 34). Dans son sermon, Bernard de Clairvaux la pousse à se montrer « magnanime » envers Dieu qui dépend tellement d’elle ! Quand, après réflexion et intériorisation de toute la scène, elle dit enfin oui, « Je suis la servante du Seigneur, que tout m’advienne selon ta parole » (verset 38), c’est Marie qui, dans une sorte d’obéissance pleinement choisie, libère Dieu.

• L’Annonce à Marie constitue aussi une ouverture concrète sur le sens de la Trinité. A la question plutôt justifiée de la jeune fille : « Comment cela va-t-il se faire ? » l’ange Gabriel répond :

« L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi celui qui va naître sera saint, il sera appelé Fils de Dieu. » (verset 35)

A l’époque où la scène se déroule, le concept du Dieu trinitaire n’est pas encore entré dans la doctrine chrétienne, mais c’est à ce moment-là qu’il entre dans l’expérience bien réelle de Marie. Le récit de l’Annonciation nous présente bel et bien Dieu sous la forme du Père qui espère la réponse positive de Marie, du Fils qui va naître sur Terre et du Saint-Esprit qui inspire les actions de Dieu et les rend possibles.

• Si la Trinité est un élément complexe du christianisme, qui en fait une religion plus intellectuelle que rituelle, la double nature humaine et divine de Jésus ne l’est pas moins. B16, nous faisant faire un saut de trente-trois ans vers les dernières heures terrestres de Jésus, nous rappelle dès les premières phrases de son livre que Pilate, lors de son interrogatoire, lui demande : « D’où es-tu ? » (Jean 19, 9).

Notable romain, dignitaire de la première puissance mondiale de l’époque, familier du droit et de la raison, Pilate se trouve devoir juger Jésus que ses propres concitoyens juifs lui ont amené, l’accusant du blasphème de se faire passer pour le fils de Dieu, alors que tout le monde sait bien qu’il est de Nazareth, charpentier et fils de Joseph. Rien de mystérieux là-dedans, juste une grande présomption déplacée de sa part, voilà ce que pensent les grands prêtres et la plupart des gens.

Lors d’un premier interrogatoire, Jésus avait admis être roi, ce qui pouvait être inquiétant pour le représentant d’une puissance occupante comme Pilate, mais il avait précisé : « Ma royauté ne vient pas de ce monde » (Jean 18, 36). Pilate a l’habitude des Juifs en lutte contre la domination romaine. Or ce Jésus, qui dit qu’il est en ce monde « pour rendre témoignage à la vérité » (Jean, 18, 37), lui semble tout autre et lui laisse une impression mystérieuse. D’où sa question, qui est celle de son origine profonde. Et d’où aussi sa volonté de le relâcher, bien qu’il soit, ou parce qu’il est, lui-même sceptique : « Qu’est-ce que la vérité ? » répond-il à jésus.

Cette question sur le « qui » et le « d’où » de Jésus est au coeur des Evangiles et revient à plusieurs reprises au fil des textes. Fils de Joseph ou fils de Dieu ? Grâce au « oui » librement consenti de Marie, nous pouvons, si nous le voulons, savoir que Jésus est bien le fils de Dieu et participer avec elle à l’aventure de l’Avent.


lenfance-de-jesusL’enfance de Jésus, Joseph Ratzinger, Edition Flammarion, 2012.
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annonciation-fra-angelico-escalier-san-marcoIllustration de couverture : Une des Annonciations de Fra Angelico (1400-1455). Visible en haut du grand escalier du couvent dominicain San Marco de Florence, Italie.

5 réflexions sur “L’Avent, quelle aventure !

  1. Bonjour Nathalie, c’est bien beau tout ça, mais ça ne doit pas occulter les vrais sujets ! donc je vous en la pose , la question qui tue, vous que vous en connaissez des choses secrètes et le dessous des cartes que elles sont pas retournées : B16 , c’est-y pas le sextusaïeul de à H16 ? ( H-B =7 et comme aïeul = grand reup’ )
    Ce sont là des question primordiales qu’il convient de ne pas éluder ! 😉

  2. Le christianisme prône la plus belle des lois que l’on puisse rêver : l’Amour !
    Que les hommes ne l’ai pas toujours (jamais ? ou si partiellement…) appliquée c’est un fait, mais personne ici-bas ne peut contester qu’il s’agit de La Loi Divine, pas des lois des hommes.

    En dehors du sujet (pas tout à fait) voici :
    Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais s’il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. » Alfred De Musset

    rem. y a-t-il des « religions » qui appelleraient à la vengeance ?

  3. @ Pheldge : Ah ah ! Je vois que la généalogie de Mister H vous intrigue ! Pour ce que j’en sais, chez les 16, en dehors du célèbre H, il y a eu au moins B, F, L, M (et sa mutation MI6), R et V. Du turbo-diésel au turbo-libéral, belle évolution !
    @ Zelectron : « le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange » : Musset n’avait que 24 ans quand il a écrit ça, ce qui explique sans doute la radicalité de sa perception du monde. Mais par conte il a raison : « on ne badine pas avec l’amour. » (Et personnellement j’adore son théâtre !)

  4. L’annonciation, ce moment où tout bascule, a beaucoup fasciné les peintres. F Hadjadj a sur ce sujet une réflexion magnifique dans son commentaire du rétable de l’agneau mystique des frères Van Eyck.

    Par ailleurs, la réflexion sur la toute puissance de Dieu renvoie également à un autre best-seller de la littérature catholique, à savoir l’indémodable « Joie de croire, joie de vivre » de François Varillon. Son style est à mon sens plus abordable que B16.

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