Manuel Valls : com’, ambition et coups de menton

Les mises à jour sont en fin d’article.

contrepoints-2Valls y va. Il nous l’a annoncé officiellement lundi 5 décembre 2016 après une séquence complexe du style « je t’aime, moi non plus » avec François Hollande qui venait pour sa part d’annoncer aux Français qu’il renonçait à briguer un second mandat. Autant le Président de la République nous a aimablement fourni une ultime occasion de le comparer à un ectoplasme sévèrement déprimé, autant Manuel Valls s’est livré avec délectation à son célèbre jeu de mandibules en martelant force, volonté, inflexibilité et révolte dans les termes de sa déclaration.

• Car oui, Manuel Valls est un homme révolté ! Qu’est-ce qui le révolte ? Le chômage désespérément accroché à 10 % de la population active, la pauvreté qui augmente parallèlement, le niveau plus que médiocre de notre instruction publique, pour ne citer que quelques points de l’actualité récente ? Certainement pas !

Tout Premier ministre(*) qu’il fût pendant les deux ans et demi qui viennent de s’écouler, disposant ainsi de pas mal de pouvoir pour agir sur ces éléments de déclassement du pays, il ne songe pas un instant à s’interroger sur ce qu’il a fait à son poste. S’il envisage bien de redonner à la France grandeur, hauteur et largeur, ce qui le chagrine au plus haut point, c’est l’idée « que la gauche soit disqualifiée de cette présidentielle » ! (vidéo ci-dessous, 01′ 34″) :

Et voilà notre Manuel devenu le chantre de l’union de la gauche ! Alors qu’en début d’année, il rejetait l’idée d’une primaire unique à gauche, estimant qu’il existait deux gauches « irréconciliables », la sienne qui voulait aller de l’avant d’un côté, et celle des frondeurs de tous poils, incluant les écologistes hors gouvernement, le clan Taubira, le clan Aubry et les signataires de l’appel à une primaire, il se présente maintenant comme le « candidat de la conciliation, de la réconciliation » face aux défis du monde et l’extrême-droite qui rôde.

Avant la renonciation de François Hollande, on imaginait fort bien un Valls trépignant d’ambition, furieux d’avoir été devancé par Emmanuel Macron, furieux de se voir bloqué par la préséance due au Président, claquer la porte du gouvernement et se présenter à la primaire contre lui. Il apparait maintenant qu’il a engagé un long bras de fer psychologique avec le chef de l’État pour obtenir son retrait. Comme l’explique le député de l’Eure François Loncle, soutien de Valls :

« La seule action possible, c’est la pression. Nous devons convaincre Hollande de ne pas se représenter (…). Et la pression s’amplifie, elle pèse désormais de tous les côtés sur Hollande. »

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Malgré ses protestations permanentes de loyauté, malgré ses assurances répétées qu’il privilégierait toujours les décisions collectives, ses proches et les journalistes se faisaient de plus en plus souvent l’écho de propos clairement frondeurs. « Je n’imagine pas manquer le rendez-vous » de 2017 confiait récemment Manuel Valls, ajoutant :

« Si le président de la République pense que de toute façon, s’il est candidat, je serai derrière lui, j’irai coller des affiches, parler dans le train, faire des déambulations, là c’est non. »

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Une journaliste de Libération a même révélé lundi qu’il lui aurait dit en off : « Je ne le respecte pas et je ne le supporte plus » en parlant de François Hollande. D’autres confidences font état d’une sorte de harcèlement permanent à l’égard du chef de l’État. Manuel Valls l’aurait interrogé tous les jours sur sa décision de se représenter ou non, mettant en avant son incapacité à mobiliser les Français :

« Ta relation avec les Français, elle est dégradée. Ta candidature peut provoquer la colère ou l’apathie. »

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popularite-valls-et-hollande-capture-decran-2016-12-06-a-20-59-58• Si François Hollande a été rejeté massivement par les Français, c’est également le cas de Manuel Valls. De quoi peut-il se prévaloir pour se différencier du Président dont il fut ministre de l’Intérieur de 2012 à 2014 puis Premier ministre jusqu’à hier ? À part une prestance physique plus flatteuse et une épouse jolie et musicienne, j’ai du mal à voir.

Avant d’accéder au gouvernement, son principal crédit politique provenait du poste de maire d’Evry qu’il a occupé pendant 11 ans (de 2001 à 2012). C’est du reste depuis cette ville où il siège encore comme conseiller municipal qu’il a annoncé sa candidature. Il aime y parader et vanter sa gestion municipale « dynamique, moderne et rigoureuse. » Mais ce n’est pas exactement l’impression qui ressort de la lecture détaillée des comptes de la communes qui font plutôt état de dépenses inconsidérées (frais de communication en hausse de 852,6% entre 2001 et 2003 et frais de personnel sans limite), d’impôts toujours plus élevés (+ 45,7 % en 10 ans), d’une dette bondissante et d’un clientélisme effréné (beaucoup de postes offerts pour « récompenser » les habitants).

Au ministère de l’Intérieur, on l’a beaucoup vu en déplacements et on l’a beaucoup entendu contre Dieudonné dont il a obtenu l’interdiction d’un spectacle pour motif d’antisémitisme, au mépris de tout respect de la liberté d’expression. Mais les résultats en matière de lutte contre la délinquance ne furent pas au rendez-vous, en raison notamment de la hausse « exponentielle » des cambriolages. Les créations de postes promises dans la police et la gendarmerie non plus. Si l’on compare souvent Valls à Sarkozy, pour leur passage commun Place Beauvau comme pour leur style pressé et leurs ambitions présidentielles, il convient de remarquer que le nombre de crimes et délits a baissé avec Sarkozy et qu’il a augmenté à nouveau avec Valls.

Comme Premier ministre, on peut difficilement détacher Valls du médiocre bilan économique de Hollande et du grand écart permanent réalisé entre les promesses de campagne contre la finance avant mai 2012 et les petites obligations structurelles à respecter vis-à-vis de l’Union européenne et surtout vis-à-vis de la réalité de l’environnement mondial ensuite. De plus, après avoir profondément dévitalisé les deux lois phares du quinquennat (loi Macron et loi Travail), il a dû les imposer par 49.3, méthode qu’il ne se privait pas de critiquer avant d’arriver au pouvoir.

Après les attentats de janvier 2015 dans les bureaux de Charlie Hebdo et à l’Hyper Cacher de Saint-Mandé, on ne peut le détacher non plus de la propension autoritaire de ce gouvernement « de gauche » (soutenu en cela par une bonne partie de la droite) à lutter contre le terrorisme par des méthodes qui n’ont pas fait leurs preuves si ce n’est par l’instauration d’un état d’urgence qui dure encore et une surveillance généralisée des télécommunications des Français, ces deux mesures n’ayant contribué en rien à éviter des attentats ultérieurs.

Quant à la déchéance de nationalité, qui n’a finalement pas abouti, Manuel Valls considérait qu’en la refusant, « une partie de la gauche s’égarait au nom des grandes valeurs en oubliant le contexte, notre état de guerre. » Ses soutiens le défendent en arguant que la mesure était d’abord voulue par le Président. Manuel Valls se serait contenté de vouloir la mettre en œuvre en bon Premier ministre fidèle et loyal.

Mais les frondeurs du PS et l’extrême-gauche lui reprochent surtout de prendre assez régulièrement des positions politiques de droite : déclaration d’amour à l’entreprise lors de l’université d’été du Medef (août 2014), discours sur les 35 heures qui rappelle beaucoup celui d’Emmanuel Macron même si ce dernier a été ensuite recadré par Valls, déclaration sur les Roms qui devraient rentrer chez eux (2013) etc…

• Manuel Valls serait-il de droite ? La droite se récrie, et ceux qui connaissent bien Valls, pour l’avoir fréquenté depuis le début de sa carrière dans les arcanes de l’UNEF et du Parti socialiste, parlent de posture de pure com’ au service de son immense ambition. Ecoutons Laurent Mauduit, journaliste de Mediapart, ancien des cercles trotskystes lambertistes, de la MNEF et de l’UNEF qu’il connaît bien :

« Cherchant systématiquement à prendre des positions décalées (NdNMP : 35 h, retraite à 60 ans), non pas dans une logique de conviction, mais de communication ou de marketing politique, il (Valls) ne rate aucune occasion de se distinguer et jouer de la provocation, dans le but de se faire un nom. »

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Si le parcours de Valls est très classique au sein du Parti socialiste, s’il reflète beaucoup d’ambition et une utilisation frénétique de toutes les ficelles des communicants politiques, les composantes formation, talent et mérite sont en revanche spectaculairement étiques.

Né en 1962 à Barcelone (Espagne) d’un père artiste peintre catalan et d’une mère suisse, il obtient la naturalisation française à l’âge de 20 ans. Baptisé à sa naissance dans la religion catholique, il rejoindra la franc-maçonnerie au Grand Orient de France (GODF) en 1989 et la quittera en 2005 en raison de sa charge de travail de député de l’Essonne (2002-2012). Il entre dans une loge « sulfureuse » intitulée « Ni maîtres ni dieux » qui rassemble surtout des militants libertaires, anarchistes, socialistes autogestionnaires ou communistes. Le passage de Manuel Valls par le trotskisme est soupçonné mais ne fut jamais prouvé. Cet épisode en constitue cependant un indice assez fort.

Un autre indice est donné par la façon inédite dont il a rejoint l’UNEF. Alors que les étudiants s’inscrivent généralement une fois qu’ils sont effectivement entrés à l’université, Valls a débarqué au siège du syndicat en plein été 1980 suivant son bac. Pour Laurent Mauduit comme pour beaucoup de témoins de l’époque, il n’est pas arrivé là par hasard, il a été « envoyé » voire « infiltré » comme seuls les trotskistes lambertistes savaient le faire. A l’UNEF, Valls rencontre Cambadélis et Jean-Marie Le Guen, formant avec eux un premier trio ambitieux qui perdure encore aujourd’hui.

Côté études, Valls obtient une licence d’histoire à la Sorbonne à 24 ans, soit 6 ans après son bac, ce qui est long. Dès la première année, il rejoint le Parti socialiste, se rapproche plus spécialement de la mouvance rocardienne et y fait la connaissance d’Alain Bauer, futur grand maître du GODF, et de Stéphane Fouks, futur publicitaire d’EuroRSCG et vice-président d’Havas.

Michel Rocard, Premier ministre de Mitterrand de 1988 à 1991, se méfie de Valls et du second trio ambitieux qu’il forme avec Bauer et Fouks. Il lui conseille d’approfondir ses études et d’apprendre un métier. Mais grâce à l’entremise de Jean-Paul Huchon, Valls finit par intégrer son cabinet en 1988. Il s’y occupe de communication. En 1989 cependant, Rocard refuse de le parrainer pour être en position éligible sur la liste socialiste aux élections européennes, lassé qu’il est par les intrigues de ce jeune homme trop ambitieux.

Si Valls n’est pas inquiété par l’affaire d’emplois fictifs et d’enrichissements personnels de la mutuelle étudiante MNEF qui éclate à la fin des années 1990 pour des faits ayant commencé en 1988 (contrairement à Cambadélis, Le Guen, Strauss-Kahn et d’autres), un courrier à en-tête de Matignon (Rocard étant Premier ministre, pas lui !) daté de 1990 et signé par lui jette néanmoins le trouble sur ses relations et ses intérêts dans cette affaire, d’autant qu’il fut administrateur de la mutuelle jusqu’en 1992 au moins.

En 2011, Manuel Valls a participé à la « primaire citoyenne » qui s’est terminée sur la victoire de François Hollande. C’est ce dernier qui lui a permis d’obtenir les parrainages nécessaires pour s’y inscrire. Ayant recueilli seulement 5 % des voix au premier tour contre 17 % pour Montebourg, signe assez net qu’il ne fait pas vraiment l’unanimité à gauche, il s’est immédiatement rangé derrière le futur Président dont il est devenu le directeur de la communication pour sa campagne présidentielle. C’est à partir de ce moment-là qu’il a reçu dans les rangs du PS le surnom « La Kommandantur » tant il s’est montré dirigiste et autoritaire dans sa façon de tout contrôler sur le chemin du candidat Hollande.

Valls
Ce portrait n’est guère plaisant, j’en conviens. Vous m’en excuserez, je l’espère, mais je n’ai rien trouvé de positif à dire sur Manuel Valls. Pour moi, il reste l’homme froidement calculateur et autoritaire qui veut interdire « les mots qui nous divisent » – les mots, pas les crimes – tout en nous divisant sans arrêt en faisant semblant de lutter conte le racisme et l’antisémitisme selon le schéma unilatéral du racisme des blancs contre tous les autres. Et il voudrait devenir Président ?
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(*) Manuel Valls a démissionné hier mardi 6 décembre 2016 de son poste de Premier ministre. Il est remplacé par Bernard Cazeneuve qui a cédé son poste de Ministre de l’Intérieur à Bruno Le Roux.


→ La suite de cet article est à lire dans « Manuel VALLS ou les tribulations d’un AMBITIEUX sans qualités » (2 juin 2021).


Mise à jour du lundi 23 janvier 2017 – matin : La primaire de la Belle Alliance Populaire, dite aussi « primaire citoyenne » ou primaire de gauche en vue de l’élection présidentielle d’avril et mai 2017, a réuni hier 1,6 millions de votants (selon les décomptes laborieux et contestés du PS), soit nettement moins qu’en 2011 (2,6 millions) et nettement moins que la primaire de droite de novembre 2016 (4,3 millions).
A l’issue du 1er tour, Benoît Hamon est arrivé en tête avec 36 % des voix et Manuel Valls le suit avec 31 %. Arnaud Montebourg, en 3ème position avec 17 %, s’est désisté sans surprise en faveur de Benoît Hamon.

Mise à jour du lundi 23 janvier 2017 – 19 h : Devant la polémique sur les chiffres de participation à la primaire qui a pris de l’ampleur toute la journée, le PS admet un bidouillage malheureux dans ses reports de résultats et l’attribue avec courage à la connerie d’un permanent ! Il a ensuite fait de son mieux pour essayer de retomber sur ses pattes de petite brebis innocente : communiqué de la haute autorité de la primaire. Ah le PS de Cambadélis, quel parti honnête et sympathique !

Mise à jour du jeudi 30 mars 2017 : Sèchement battu lors de la primaire de gauche par Benoît Hamon, Valls a décidé (comme François de Rugy avant lui) de rompre l’engagement de soutenir le vainqueur. Après avoir refusé de parrainer le candidat officiel du PS, il a annoncé hier qu’il voterait Macron au premier tour de la présidentielle pour battre le FN.


manuel-valls-pm-a-lanIllustration de couverture : Manuel Valls, Premier ministre de mars 2014 à décembre 2016, à l’Assemblée nationale en décembre 2015. Photo : afp.com / Dominique Faget.

8 réflexions sur “Manuel Valls : com’, ambition et coups de menton

  1. Valls, l’ambition comme aiguillon, la vacuité comme mission… Mais, qui sait, sur un malentendu, ça peut passer.
    En ce qui concerne sa (inespérée) décision de candidature, on dira (comme Brel) que Valls a mis le temps…

  2. Mal aimé de la 1ère gauche, mal aimé de la 2ème gauche, critiquant le programme libéral de Fillon un ancien premier ministre possédant 5 ans d’ancienneté dans la fonction, lui n’en n’ayant que 3, vindicatif maladif envers le Front National, qui croit-il rassembler autour de lui?.
    Et comme dit la publicité d’Afflelou, « il est fou, Valls, il est fou ».
    A la primaire de la gauche, il sera « dévallisé ». Même pas 5% des votants pour lui.

  3. Excellent réquisitoire.

    Je le garde sous le coude pour le transmettre autour de moi, au cas où Valls serait candidat du PS. J’ai quelques doutes à ce sujet, Manolo coup-de-menton, le gazeur des poussettes, n’a pas tant la cote que cela, à gauche.

  4. Dernière blague de Valls avant de quitter Matignon, d’après VA :
    Avant de quitter Matignon, Manuel Valls a signé un décret plaçant la Cour de cassation, plus haute juridiction française, “sous le contrôle direct du gouvernement”.

    Ce n’est pas qu’un ambitieux, c’est un dictateur en puissance.

  5. Valls, famille bourgeoise. Il met en avant son origine catalane, jamais son origine suisse, par sa mère. La Suisse, fi, paradis fiasco. Son épouse, Anne Gravoin, est violoniste dans l’orchestre Manoukian qui accompagne Laurent Gerra dans ses imitations de Hollande et…Valls.

  6. « Redonner à la France grandeur, hauteur et largeur. »

    Ben, pour la largeur, c’est déjà fait : avec 5 millions de fonctionnaires et 54 % du PIB qui est « produit » par l’Etat, le pays est gras du bide comme c’est pas permis.

    « Ta relation avec les Français, elle est dégradée. »

    Le voilà maintenant qui parle comme Hollande.

    « Une épouse jolie et musicienne. »

    Disons musicienne. Et encore, certains mauvaises langues le mettent en doute.

  7. Pingback: Camba : « Cette primaire est déjà une réussite !  | «Le Blog de Nathalie MP

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