Soirée télé-loukoums à l’Elysée

La scène se passe dans la soirée du jeudi 24 novembre 2016 au Palais de l’Élysée dans le bureau du Président de la République. Un canapé bon marché a été placé devant l’écran de télévision.

François Hollande a invité son équipe rapprochée habituelle à suivre avec lui le dernier débat de la primaire de droite qui oppose François Fillon à Alain Juppé. 

Sont donc réunis autour de lui : Michel Sapin, ministre de l’Économie et des Finances, Gaspard Gantzer, conseiller presse et communication du Président, Jean-Christophe Cambadélis, Premier secrétaire du Parti socialiste et enfin Manuel Valls, Premier ministre, dont on commence à se demander s’il est toujours aussi rapproché qu’il devrait l’être.

Et comme d’habitude, un huissier fait tourner une corbeille bien garnie de dattes et de loukoums, cadeau du prince héritier d’Arabie saoudite à son cher Président Hollande en remerciement de son amitié indéfectible et de la belle Légion d’Honneur qu’il lui a décernée.

Toute ressemblance … Fortuite, bien sûr !


Sapin (jetant un œil surpris sur le nouvel aménagement du bureau) : Tiens, tu refais la déco ! Tu comptes donc rester ici encore un peu, hihi ! C’est drôle, mais j’aurais pensé que ce n’était pas vraiment le goût de Julie, ces canapés en faux cuir…

Hollande : Ce n’est pas le goût de Julie, c’est le goût de Lucette. Et désormais je ne pense plus qu’à Lucette, car Lucette, c’est la France que je veux séduire ! Tu sais, Lucette, (se tournant vers Gantzer) votre amie, mon petit Gaspard ! Cette Lucette qui a fait semblant de m’offrir un café, mais qui m’a vraiment fait passer pour un con !

Gantzer : Pardon, Monsieur le Président, mais quelle idiote, aussi, de tout raconter aux journalistes ! S’il faut vous trouver des Français typiques de la France profonde, ne vous attendez pas non plus à ce qu’ils aient plus de deux neurones !

Hollande : Attention, Gantzer, surveillez votre langage, un conseiller ne devrait pas dire ça ! Dans deux semaines j’annonce ma candidature, alors les blagues, les sans-dents et les confidences trop honnêtes, c’est terminé. Sachez que Lucette et moi, on est très bons amis. C’est elle qui m’a donné une adresse simple et de bon goût pour obtenir ce canapé proche des Français. C’est d’ailleurs ce qui me fait dire que dans la gauche simple et profonde j’ai toutes mes chances …

Sapin : Je ne voudrais pas te démoraliser, mais attends que Valls arrive avec ses sondages … Au fait, tu l’as invité ?

Hollande : Bien sûr ! Je le surveille de près. Et je t’annonce qu’aujourd’hui rien ne pourra me démoraliser : entre les chiffres du chômage qui tombent, c’est le cas de le dire, on ne peut mieux pour ma candidature, et le débat de ce soir entre les deux fachos qui vont s’étriper, je commence à voir une ouverture très possible. Alors détendez-vous, servez-vous en loukoums, (à l’huissier) pour moi, mes biscottes comme d’habitude, (revenant à Sapin et Gantzer) et offrons-nous une petite soirée typique du Français qui rentre chez lui après une journée de dur labeur fièrement accompli : un canapé de Prisunic, quelques loukoums du bled et un combat de catch à la télé !

Gantzer (complètement alarmé) : M. le Président ! Surtout pas Prisunic ! Quel terrible faux pas ce serait sur les réseaux sociaux ! Croyez-en mon expérience de communicant, si Juppé s’est planté comme il l’a fait, c’est entièrement la faute de Prisunic. Sur Twitter…

Sapin (le coupant) : Non, mais franchement, François ! Tu fais des remarques à Gaspard, mais je me permets de te rappeler qu’un Président ne devrait pas dire ça ! Et pour le chômage, il faut que je te parle.

Cambadélis (entrant dans la pièce) : Formidable résultat, le chômage ! (Faisant mine de s’incliner devant Hollande) Toutes mes félicitations, M. le Président ! Tu as gagné ton pari, François. Deux mois consécutifs de baisse, une baisse de 100 000 sur l’année : on tient le retournement qui nous intéresse. Gantzer, je compte sur vous pour nous trousser des petites courbes bien inversées !

Gantzer : Il faudrait surtout dire aux journalistes du Monde d’arrêter de se référer tout le temps au début du quinquennat et aux autres pays européens. Regardez comment ils concluent leur article de ce soir :

« Plus inquiétant, si l’on regarde les chiffres de plus près, la hausse est considérable depuis l’élection de M. Hollande : 598 000 demandeurs d’emploi supplémentaires sont à déplorer dans la catégorie A. »

Même Le Figaro n’en fait pas autant ! On ne sait plus à qui se fier ! C’est vrai, quoi ! En terme de communication, des journalistes ne devraient pas dire ça ! Vous ne pourriez pas en toucher deux mots à vos amis Davet et Lhomme, M. le Président ?

Hollande : Sont-ils mes amis ? Vu la façon dont l’affaire de notre livre a tourné, je les verrais plus à la solde de Montebourg ou Mélenchon.

Sapin : Sois tranquille, François, j’ai tout de suite tweeté l’inversion avec les bons mots clefs : Chômeurs, baisse, évident, réalité, jeunes. Regarde :

Cambadélis : Je me tue à le dire depuis des mois : « Ça – va – mieux. » Et tu as raison, c’est évident pour qui veut bien voir. La mauvaise foi en politique, c’est ce qui me pousserait presque à arrêter, mais ça me met tellement hors de moi que ça me remotive à fond. Surtout quand on voit les deux fachos qu’on a en face ! Au fait, ça commence quand, leur petit pugilat ?

Sapin : Dans un quart d’heure. Mais ceci dit, heureusement que la date limite de dépôt des candidatures pour notre primaire tombe avant la prochaine publication de la DARES, et heureusement que celle-ci tombera dans l’indifférence du lendemain de Noël, au milieu des excès de foie gras et des indigestions de papillotes, car je suis au regret de vous dire qu’on ne sait pas du tout pourquoi ça baisse. J’ai passé l’après-midi à faire des calculs avec Myriam, mais on n’y comprend rien.

Gantzer (à mi-voix dans son coin) : D’un autre côté, à part son socialisme chevillé au corps, Myriam n’a jamais compris grand chose…

Hollande : Oh, Gaspard, vous toujours si courtois ! Un conseiller ne devrait pas dire ça. Je le répète pour la forme, car c’est plutôt bien vu de votre part, c’est même pour ça que je l’ai nommée ! Au passage, vous mettez le doigt sur le grand problème du socialisme français : quand les ministres sont loyaux, ils ne comprennent rien et quand ils se mettent à comprendre, ils virent fascistes. Voyez Macron !

Sapin : J’espère que tes propos ne visent pas plus loin que El Khomry et Ayrault, parce que je vais finir par le prendre mal. François, je te le répète, un Président ne devrait pas dire ça. Tu veux te représenter, oui ou non ?

Hollande : On est entre nous, je plaisantais ! Et je t’assure que j’apprécie à sa juste valeur toute l’ingéniosité que tu mets à présenter et redresser nos comptes publics. Si je suis réélu, promis, je te garde !

Sapin : Bon, alors pour le chômage je vous explique. Vous savez que j’ai dû abaisser la prévision de croissance pour 2016 de 1,5 % à 1,4 %. Ça n’a l’air de rien, mais ce sont quand même quelques millions d’euros qui vont manquer dans les comptes. Et encore, 1,4 %, c’est pour ne pas décourager totalement les amis de Julie qui te soutiennent si gentiment. L’INSEE nous a calculé 1,3 %. Or vous savez qu’on ne peut guère compter sur une reprise de l’emploi en dessous de 1,5 %. D’un autre côté, on met le paquet pour faire rentrer des gens en formation, mais ce mois-ci on ne les voit pas vraiment dans les stats. Avec Myriam, on se demande où ils sont passés. Je crains que nous assistions à un réajustement purement technique.

Hollande : Si c’est technique, personne n’y comprendra rien. Fais en sorte que les hausses soient techniques et que les baisses soient le brillant résultat de ma politique, le CICE, tout ça … Tu me confirmes quand même qu’aujourd’hui on a bien une baisse de 100 000 depuis le début de l’année en catégorie A ?

Sapin : Oui.

Hollande : Eh bien, que veux-tu de plus ? C’est parfait. Il faut en profiter toute de suite. Comme disait Camba, il n’y a plus qu’à dessiner des courbes. Avec une échelle flatteuse, on peut même passer au plein-emploi !

Cambadélis : Absolument.

Gantzer : J’ai bien envie de lancer aussi un petit avertissement au Canard. A force de l’entendre raconter partout qu’on fait le forcing sur les 500 000 mises en formation, les gens vont finir par avoir des doutes.

Hollande : Non, les gens aiment bien la formation, les diplômes. Ça les rassure. Et ça fait partie de notre politique sociale. Il faut bien trouver à se différencier de nos deux fachos, même si ça coûte cher. De toute façon, après on peut toujours taxer les riches, ça aussi, c’est de la justice sociale. (Invitant les autres à prendre place dans le canapé) Bon, ça commence. (A l’huissier) Posez la corbeille de loukoums sur cette petite table, et venez regarder avec nous. Vous nous donnerez votre avis.

Sapin : Valls n’est toujours pas là, j’espère qu’il n’est pas en train d’annoncer sa candidature quelque part.

Gantzer : Ce soir ? Ce serait un beau flop. Il est plus malin que ça. Par contre, Macron qu’on dit si intelligent, on se demande ce qui lui a pris de se déclarer en pleine primaire de droite.

Hollande : Macron est intelligent, mais il a encore plus envie d’être Président qu’il n’est intelligent.

Sapin : Hihi, à mon avis, il n’est pas le seul. En tout cas, je peux t’assurer que ce n’est pas du tout mon cas. Je suis beaucoup plus intelligent que je n’ai envie d’être Président, et la preuve, c’est que l’Union européenne a encore accepté mon budget sans moufter ! Mosco, qui s’y connaît, m’a dit en privé que j’exagérais mais que j’étais très fort. Et c’est tout, hihi. (Yeux plissés et sourire content).

Hollande : Merci Michel. Je sais que je peux compter sur toi. Maintenant, chut, Juppé est en train de nous faire un joli numéro d’amitié politique.

Juppé à la télé : François (Fillon), tu sais que j’ai toujours eu pour toi de l’amitié et de l’estime. (…) Il y a des règles dans un débat, et dans un débat on peut se poser des questions. C’est ce que j’ai fait quand tes positions ou tes propositions ne me paraissaient pas tout à fait claires, et j’ai été un peu surpris de la virulence de ta réponse ! (Débat Fillon vs Juppé, à partir de 27′ 30″)

Cambadélis : Juppé est vraiment remarquable ! A croire que lui aussi a été formé à l’UNEF ! Cette façon de se faire passer pour la victime, alors qu’il pilonne Fillon depuis dimanche sur une suppression de l’avortement qui ne figure nulle part, c’est du grand art ! Il est vrai qu’on l’a bien aidé.

Hollande : Je ne devrais pas dire ça, et je ne l’ai pas dit à Davet et Lhomme, mais d’après ce que m’a raconté Chirac, le passage au RPR était une excellente formation également. C’est moins connu, mais ça marche d’autant mieux. D’ailleurs, Juppé et toi, vous avez en commun d’avoir été condamnés tous les deux pour vos petites magouilles respectives, preuve que Juppé n’a absolument pas peur de descendre dans le marigot quand il le faut. Il enfile ses fameuses bottes et hop !

(Le débat Fillon vs Juppé se poursuit et s’achève.)

Hollande : J’hésite entre Fillon et Juppé. Le premier est un adversaire facile pour un socialiste : remise en cause du modèle social et du mariage pour tous, ça fait beaucoup. Mais d’un autre côté, il risque de prendre des voix au Front national, ce qui n’arrange pas mes affaires. Avec Juppé, le FN caracole, mais c’est notre frange centre gauche qui s’effrite. Ce scénario n’est pas terrible non plus. Ce qui serait parfait, c’est que Fillon gagne le vote de dimanche mais sans trop d’éclat et que Juppé décide de se présenter quand même. On pourrait même voir à l’encourager. Vous avez des idées, Gantzer ?

Sapin : Gantzer aura sans doute des idées, mais pour l’instant, c’est LR qui encaisse 16 millions d’euros pour le candidat désigné. Avec quoi tu l’encourages, ton Juppé ? Tu veux taper dans les réserves ministérielles ? Je te l’ai déjà dit, on est à sec partout.

Cambadélis : François, désolé, mais je n’y crois pas trop. Juppé aurait 38 ans comme Macron, pourquoi pas, mais il a plus de 70 ans, et tout vieux briscard du RPR qu’il soit, les risques de faire cavalier seul sont énormes. Il doit commencer à vouloir soigner sa sortie. Tu vois qu’on n’a pas eu le règlement de comptes qu’on attendait. Je crains qu’il ne faille te résoudre à affronter un Fillon disposant de toute la droite derrière lui.

Hollande : Comme j’aimerais avoir toute la gauche derrière moi ! Cette primaire qu’on veut m’imposer est une horrible forfaiture. J’ai bien envie d’y aller hors primaire et de laisser les Montebourg, Lienemann, Hamon et Filoche s’amuser entre eux.

Cambadélis : Je réfléchis à ça depuis le début. Je cherche la faille qui permettrait de contourner cette idée ridicule. Notre meilleur atout c’est bel et bien la baisse du chômage. Comme c’était ton unique engagement, on devrait y arriver. Alors Gantzer, mettez-vous à vos retournements de courbes dès ce soir. Et toi François, si j’ai un conseil à te donner, renseigne-toi sur le tailleur de François Fillon et achète un costume digne de ce nom. On ne peut pas laisser le prochain mandat nous échapper, enfin je veux dire échapper à la gauche, à cause de tes pantalons éternellement fripés et mal coupés. Demande à Lucette, je suis sûr qu’elle a l’œil, question repassage.

Hollande (un peu vexé, se tournant vers l’huissier) : Et vous, qu’est-ce que vous pensez de tout ça ?

L’Huissier : M. le Président, vous savez que je suis entièrement à votre service. Puisque vous m’avez aimablement demandé mon avis, le voici : essayez aussi d’obtenir le nom du coiffeur de M. Fillon.

Valls (entrant en coup de vent et piochant dans les loukoums) : C’est déjà fini ? Excusez-moi, M. le Président, j’étais en Normandie, vous savez, pour la signature du pacte métropolitain. J’ai été retenu par des journalistes, rien de bien important, vous verrez ça demain. Je leur ai redit combien vous et moi avions des rapports de confiance et de franchise.

Cambadélis : Manuel, tu es bien passé par l’UNEF, toi aussi ?


Avec, par ordre d’apparition :

  Michel Sapin 1  Gantzer  Camba  Valls


hollande-regarde-la-tvIllustration de couverture : François Hollande regarde la télévision dans son bureau de l’Elysée. Il s’agit des résultats des législatives de 2012, mais je n’ai pas trouvé mieux ! Photo extraite du film « Le Pouvoir » de Patrick Rotman.

6 réflexions sur “Soirée télé-loukoums à l’Elysée

  1. @ Emma, Zelectron, Jean-François et Droopyx :
    Merci beaucoup pour vos sympathiques commentaires !
    Pour les loukoums, j’ai dans l’idée que ceux de Hollande / Prince Machin Al Saoud sont assez loin de véhiculer la douceur qu’on leur attribue généralement. Il faut avoir les dents très longues pour en venir à bout 🙂

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