La consultation du Docteur Fifi

Comme tous les ans à la même époque, mon ami le Dr Fifi, dont j’ai déjà eu l’occasion de parler ici et , est revenu samedi 5 novembre dernier complètement revigoré et gonflé à bloc par ce qu’il a vu et entendu lors de l’édition 2016 du congrès parisien « Video-Digest » qui s’adressait à l’ensemble des médecins, infirmiers et industriels de l’hépato-gastro-entérologie. C’était tellement intéressant, tellement opérationnel, tellement branché sur les derniers développements de son art aussi bien en termes de recherche fondamentale que de nouvelles technologies opératoires que dès lundi, donc hier, m’a-t-il assuré dimanche, il change certaines de ses pratiques ! 

Quand la fin de carrière commence à pointer le bout de son nez, quand la ministre de la Santé Marisol Touraine passe son temps à imaginer comment vous brimer et vous contraindre un peu plus, quand vous avez acquis l’intime conviction que la voie étatique qu’elle trace inéluctablement pour la santé en France, mélange de pénurie galopante et de déficits chroniques, est vouée à la catastrophe sanitaire, il est parfois difficile de se motiver.

Par bonheur, la médecine, comme nombre d’autres professions, est en pleine effervescence et le challenge intellectuel est formidable. Les progrès de la recherche médicale, ceux de la miniaturisation, ceux des technologies de l’information, ceux de l’imagerie médicale lui font faire des bonds de géant à tel point que le praticien qu’il est aujourd’hui n’a plus grand chose en commun avec le jeune médecin fraichement docteur qui s’installait en libéral il y a quelque trente ans. Le regard sur les maladies, la précision des diagnostics, les pratiques et les traitements ont changé du tout au tout, chaque nouvelle année apportant son lot d’évolutions significatives.

◊◊◊ Il y a trente ans, le Dr Fifi établissait son diagnostic avec des radios de l’estomac et des intestins et il envoyait ses patients vers un chirurgien qui leur ouvrait le ventre pour extraire polype et tumeur ou supprimer un bout d’organe. Il employait même un manipulateur radio et possédait une machine de radiologie dans son cabinet car il pratiquait lui-même sa radiologie digestive. Le manipulateur radio est parti en retraite assez vite, excellent timing qui a évité au DFifi d’avoir à lui expliquer que dorénavant, les radios, c’était fini, vive l’endoscopie !

L’endoscopie est une technique très polyvalente utilisée en médecine digestive, mais aussi en urologie et en pneumologie, qui permet de faire des diagnostics et de procéder à des traitements au cœur de l’organisme sans pratiquer une ouverture chirurgicale. Elle consiste à introduire par les voies naturelles et à diriger vers les organes ciblés plusieurs canaux spécialisés. Un premier canal véhicule une caméra reliée à un écran sur lequel le médecin peut se repérer. Il est complété par un ou deux canaux opérateurs portant les instruments d’intervention, et par deux canaux, l’un d’insufflation d’air ou d’eau et l’autre d’exsufflation, pour les besoins de gonflement ou de lavage de l’organe (un peu comme dans la bouche chez le dentiste, mais en interne).

L’endoscope filme, mais il prend également des photos et il peut aussi pratiquer une biopsie des muqueuses étudiées afin qu’un anatomo-pathologiste les analyse au microscope. Mais aujourd’hui, la définition des images retransmises sur l’écran est telle que vous avez l’impression de vous balader dans un estomac comme dans votre maison. Dans bien des cas, le médecin peut faire un diagnostic directement à l’écran avec la même précision que le microscope.

En évitant des actes de chirurgie lourde, l’endoscopie peut se pratiquer en ambulatoire. Cela signifie que le patient n’est hospitalisé que le temps de la préparation et de l’intervention. Il peut généralement rentrer chez lui le jour-même. Ces caractéristiques sont extrêmement bénéfiques pour les patients qui sont soumis à moins de stress post-opératoire et qui échappent au risque d’attraper une infection nosocomiale. En principe, la sécurité sociale y trouve aussi son compte car tous les stades de la prise en charge sont raccourcis.

◊◊◊ Lors de sa première journée, le congrès Vidéo-Digest a la particularité de présenter en « live » les vidéos d’une vingtaine d’interventions endoscopiques réalisées par plusieurs équipes d’opérateurs qui les commentent en même temps qu’ils travaillent. Cette année, elles étaient filmées au CHR de Nice et leur programmation avait été prévue à l’avance afin de présenter des cas variés et intéressants. Le lendemain, les opérateurs se déplacent à Paris pour parler directement de leurs travaux de la veille devant les participants (pourquoi j’ai fait comme ça, quelles furent les difficultés) et donner des conseils pratiques.

Qui dit « live » dit éventuellement risque d’incident en direct. Ce fut le cas cette année. Mais là encore, les progrès dans les pratiques et les matériaux utilisés sont tels qu’on se demande s’il y a encore lieu de parler d’incident. Lors d’une endoscopie pour enlever un polype, l’opérateur effectue une dissection sous muqueuse. Manque de bol, il perfore indument la paroi de l’intestin. Les participants voient le péritoine, sorte de masse gélatineuse jaune, apparaître. Aïe. Il va falloir fermer cette blessure.

Il y a seulement 10 ans, cette situation se dénouait uniquement en chirurgie d’urgence. Le week-end dernier, l’opérateur, très cool, a dit : « Ah, tiens, perforation. Bon, laissez-moi trois minutes pour refermer avant de poursuivre. » Une infirmière lui a passé un « clip », ustensile métallique de taille variable qui se rapproche beaucoup du principe de l’agrafe et son agrafeuse. Clic-clac en plusieurs endroits de l’ouverture, et hop, l’affaire était réglée. Le clip s’éliminera spontanément au bout de quelques semaines.

Sur les 20 interventions différentes qu’il a visionnées, le Dr Fifi en pratique lui-même une douzaine. Les autres, plus rares, plus « compliquées », plus spécialisées, sont généralement effectuées dans des « centres experts » tels que certains services de pointe des CHR. Il est cependant important pour lui d’en avoir connaissance afin de les rendre accessibles à ses patients plutôt que de leur prescrire par habitude les pratiques d’avant-hier.

◊◊ En plus des retransmissions en vidéo, les participants de ce congrès peuvent assister à des ateliers spécialisés. Le Dr Fifi a choisi « hyperferritinémie. » Hyper-ferriti-némie. Encore un truc simple et appétissant !

Voilà la situation : un médecin généraliste a demandé une prise de sang qui montre un excès de ferritine (protéine qui permet de transporter le fer dans l’organisme). Ayant interrogé et examiné son patient, le médecin le renvoie vers un gastro-entérologue. Celui-ci se trouve confronté à deux possibilités principales : le patient souffre d’hémochromatose ou alors d’une NASH ou hépatite stéatosique (graisseuse) non alcoolique. (Et précisons qu’on va s’en tenir à des situations sans alcool pour éviter de décupler la taille de cet article !)

Comment faire la différence ? La question a un sens car en plus du plaisir de faire un bon diagnostic, et jusqu’à récemment il était parfaitement possible de se tromper, c’est toute la question du traitement qui est en cause, à laquelle s’ajoute celle d’une éventuelle enquête familiale car l’hémochromatose est génétique, donc transmissible.

Vous ne connaissiez pas cette maladie ? Moi non plus. Pourtant, c’est la première maladie génétique en France où sa prévalence est de 1 pour 300 habitants (dans sa version classique). Vous voyez que je ne vous emmène pas en des lieux totalement anecdotiques !

Cette maladie présentait des aspects régionaux, notamment en Bretagne, ce qui explique que le CHR de Rennes soit très en pointe en ce domaine. Ce sont justement ses équipes qui en ont identifié l’origine, à peu près en même temps qu’une équipe américaine en 1996. Elle se caractérise par une mutation homozygote (impliquant les deux chromosomes, c’est-à-dire celui venant du père et celui venant de la mère) du gène HFE qui régule l’absorption de fer. Cette mutation a été baptisée C282Y.

Les travaux du CHR de Rennes ont également permis d’écarter une autre mutation (H63D), que la profession tenait pour pertinente dans l’hémochromatose, mais qui n’a finalement rien à voir.

Concrètement, cette maladie se traduit par une surcharge en fer de tout l’organisme, avec des localisations préférentielles dans les articulations, ce qui donne des douleurs articulaires, dans le foie (peut finir en cirrhose), dans le pancréas (provoque du diabète), dans le cœur (insuffisance cardiaque), dans la peau (qui prend une couleur bleu-gris) et dans les organes sexuels (impuissance). Pas franchement très sympathique, tout ça. On peut même en mourir si ce n’est pas traité.

Le traitement classique parait pour sa part presque antique : il consiste à faire des saignées afin d’éliminer des globules rouges et forcer l’organisme à les reconstituer en puisant dans les surabondantes réserves de fer dont il dispose. Pour une NASH, le traitement se limite à un régime alimentaire. On voit l’importance de ne pas prendre une NASH pour une hémochromatose.

◊◊◊ J’en arrive ainsi à ces fameux changements de pratique que le Dr Fifi comptait mettre en oeuvre dès hier. On parle toujours d’un cas d’excès de ferritine dans le sang.

1) Dorénavant, il demandera systématiquement une IRM hépatique (exploration du foie et des organes adjacents).

2) Ce faisant, il demandera, comme auparavant, de rechercher la surcharge en fer du foie (ce qui le faisait conclure à l’hémochromatose). Mais il demandera aussi de façon systématique la surcharge en graisse du foie et la surcharge en fer de la rate. Concrètement, il s’assurera que le radiologue a bien téléchargé la dernière version du logiciel mis au point par le CHR de Rennes pour interpréter les IRM hépatiques.

Pourquoi ? Parce que la surcharge en fer de la rate est symptomatique d’un autre diagnostic qui n’a rien à voir ni avec l’hémochromatose, ni avec la NASH. Et parce que la surcharge en graisse du foie peut faire monter la ferritine (ce qu’on a vu dans la prise de sang) alors qu’il n’y a pas de surcharge en fer. Ceci élimine l’hémochromatose, comme la non surcharge en fer du foie l’a certainement montré, mais oriente en plus vers la NASH.

3) Enfin, s’il décide de demander un bilan sanguin complémentaire, il le demandera d’une autre façon : alors qu’il avait l’habitude de faire rechercher plusieurs mutations du gène HFE, il ne demandera plus que la mutation C282Y, seule mutation restant actuellement en cause dans l’hémochromatose. Encore une évolution qui devrait plaire à la sécurité sociale, car il est toujours long et coûteux de faire identifier des mutations génétiques.

Pourquoi demander une IRM si le bilan sanguin complémentaire a identifié une mutation C282Y, donc la présence d’une hémochromatose ? Pour être certain d’éliminer la NASH.
Pourquoi demander un bilan sanguin complémentaire si l’IRM a permis de s’orienter entre hémochromatose, NASH ou autres pathologies ? Pour obtenir la certitude diagnostique qui repose sur la mutation C282Y du gène HFE. Et parce que le médecin cherche à faire une synthèse, à reconstituer un puzzle qu’il attaque depuis plusieurs angles différents.

J’espère que cet article ne vous a pas semblé trop indigeste ! Je l’ai écrit pour essayer de montrer que la science médicale évolue extrêmement vite et très positivement pour les patients, que les médecins doivent se former en permanence faute de quoi ils risquent de pratiquer demain la médecine d’avant-hier (et malheureusement cela arrive, même chez des médecins beaucoup plus jeunes que le Dr Fifi), et qu’il est illusoire pour une personne non formée médicalement de prétendre faire des diagnostics et trouver des traitements adéquats en « regardant sur internet. »

Comment moi, patiente qui ne connait rien à la médecine, vais-je pouvoir discerner entre un bon médecin et un mauvais médecin ? Autant mes capacités me permettent assez facilement de faire la différence entre une bonne et une mauvaise baguette de pain, entre une paire de chaussures de qualité et une autre paire moins soignée, autant je suis devant mon médecin comme devant mon garagiste. Je n’ai que la ressource de lui faire confiance ou d’écouter les rumeurs de la ville.

S’il est donc assez difficile de faire acte de sens critique devant un représentant de la profession médicale qui vous soigne, il faut aussi constater, hélas, que la situation d’étatisation croissante dans laquelle se trouve la médecine aujourd’hui n’est pas faite pour nous aider à développer ce sens critique, ni pour pousser les médecins à se perfectionner.

On constate de plus en plus que des pénuries s’installent, aussi bien en campagne pour des médecins généralistes qu’en ville pour de nombreuses spécialisations. On n’en est plus à choisir, on en est à accepter le premier rendez-vous qui se présente. La fixation uniforme des prix, la gratuité apparente des soins et la généralisation du tiers payant prévue pour 2017 tendent à rendre les médecins parfaitement identiques et interchangeables entre eux et à dévaloriser leur travail. 

Dans cette situation de fonctionnarisation rampante, de disparition de l’esprit d’émulation, comment s’attendre à ce que la profession cherche à se perfectionner en permanence ? La politique que nous subissons va à l’encontre de la liberté des médecins, à l’encontre de la liberté des patients et à l’encontre du progrès humain.


◊◊◊ J’ai fait de mon mieux pour écrire cet article avec précision. Mais n’étant pas médecin, je ne suis pas à l’abri d’inexactitudes qui feront bondir les hommes de l’art au plafond. Merci de me signaler les sottises ! ◊◊◊ 


chirurgie-3Illustration de couverture : Salle de chirurgie. Photo de Gilles Lougassi. Copyright : CH d’Avignon.

3 réflexions sur “La consultation du Docteur Fifi

  1. Hymne aux progrès de certaines chirurgies ? bravo Nathalie ! Je ne suis pas médecin non plus mais jadis physicien puis ingénieur et enfin j’ai fabriqué des robots (industriels)
    Il nous est toujours présenté un cas idéal avec les compétences, les procédés, les équipes, les instruments et annexes allant de soi en focalisant notre attention sur un secteur particulier de réussite et en général avec des implications chirurgicales qu’on nous présente comme de pointe . . .
    Dans le cas commun qui ne demande pas d’intervention, c’est toujours la vue (parfois l’oreille : toussez, encore . . .) qui est le système de mesure par excellence du médecin aidé des instruments de plus en plus sophistiqués élaborés par des physiciens, ingénieurs, roboticiens . . . dont l’existence est ignorée superbement comme si l’abracadabrantesque Knock était capable de lire le marc de café agrandi 14 milliards de fois pour en déduire qu’il fallait saigner, saignez et saignez encore !
    Le diagnostique aujourd’hui repose sur les sens (aiguisés certes !) du toubib mais rien ou presque sur les plans de l’analyse physico-chimique ou de l’instrumentation (pression, rythme/pulsations, colorimétrie/chromatographique, débit, viscosité, résistance/conductibilité électrique, . . . dans 90% des cas exclusion faite de toute synthèse analytique et/ou statistique.
    A part avoir ingurgité un vidal, vu et revu moult malades plus ou moins allongés, discuté avec ses confrères lors de symposium, avec bon nombre de visiteurs médicaux représentant les intérêts de firmes pharmaceutiques et peu comparativement ceux des patients, le médecin est au fond assez désarmé malgré et même à cause des progrès de la science qu’il ne comprend ni n’intègre pas toujours, ses études ne le prédisposant pas à avoir LA démarche scientifique ad hoc : mesurez, comparez, déduisez, recommencez avec un autre processus . . . entre autres.
    Tout le débat entre les bons médecins et les moins bons . . . sans oublier les franchement mauvais ou pire encore.
    La médecine étatique va nous tuer, mais nous tuer proprement, c’est là toute la différence.
    Aujourd’hui, quand on rentre dans un cabinet médical en bonne santé, on DOIT en ressortir malade (paraphrase de « tout homme bien portant est un malade qui s’ignore » Knock ou le Triomphe de la médecine)

  2. J’ai tendance, parfois, à trouver vos billets longs …
    Mais, aujourd’hui, pas du tout au point de penser que Fifi puisse être votre mari !
    J’ai eu droit, par endoscopie à l’investigation de mon pancréas, ce qui a conduit à une opération (DPC) qui a permis à une charmante dame de passer dix heures sur mon corps de rêve et admirer ma « beauté intérieure ».
    Là, j’ai vérifié les « miracles » de la chirurgie !

    Par contre, je suis convaincu de cet aphorisme du Pr Jones (Berkeley)
    « On ne meurt pas du cancer mais -et avec plus de douleur- de la chimio »

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