Radio Blogueurs de l’été 2016 (II) et Bonne Rentrée !

écoutez la radio des blogueursAprès une première étape de Radio Blogueurs consacrée en juillet au blues et au « psychedelic rock » du San Francisco des années 1960 à travers la voix étonnante de Janis Joplin, je vous invite maintenant à suivre la côte Pacifique américaine en direction du sud afin de rejoindre le Pérou, puis le Chili.

Pas pour écouter de la flûte de pan, instrument courant et sympathique du folklore des indiens quechuas des Andes, mais pour découvrir la musique « criolla », c’est-à-dire celle des Sud-Américains d’origine européenne, grâce à la voix et à l’écriture musicale poétique d’une chanteuse péruvienne de très grand renom, Chabuca Granda (1920 – 1983), à une époque dorée et pourtant nostalgique, les années 1950 et le début des années 1960, où l’Amérique latine n’était pas encore entièrement plongée dans le chaos sanglant des dictatures* militaires ou autres.

Ma proposition musicale du mois d’août 2016

Joueur de cajon Caitro SotoChabuca Granda est l’auteur, compositeur et interprète de « Cardo o ceniza » (Charbon ou cendre) qu’elle chante ici avec l’accompagnement de deux guitares et un cajón.

(Le cajón est un instrument typique du Pérou. Il s’agit d’une « caisse » en bois sur laquelle le musicien s’assoit et produit des sons rythmiques en frappant la face verticale avec les mains. Voir sur la photo ci-contre le joueur de cajón Caitro Soto qui accompagna Chabuca Granda à de multiples reprises).

Paroles de « Cardo o ceniza » :

Cette chanson est très espagnole, car l’amour, souffrance indicible qui envahit tout, semble ne pouvoir se vivre qu’au bord du gouffre et fraye partout avec la mort. Mais elle est aussi très peu espagnole, surtout sous la plume d’une femme, car l’amour, bonheur indicible qui envahit tout, y est décrit avant tout à travers son expression physique.

Elle a été composée par Chabuca Granda en hommage à la chanteuse chilienne Violeta Parra (voir plus bas) qui s’était suicidée à la suite d’une rupture amoureuse dévastatrice.

Cómo será mi piel junto a tu piel,
cardo o ceniza, cómo será ?

Si he de fundir mi espacio frente al tuyo,
cómo será tu cuerpo al recorrerme ?
cómo mi corazón si estoy de muerte ?

Se quebrará mi voz cuando se apague
de no poderte hablar en el oído,
y quemará mi boca salivada
de la sed que me queme si me besas.

Cómo sera el gemido y cómo el grito
al escapar mi vida entre la tuya,
y  cómo el letargo al que me entregue
cuando adormezca el sueño entre tus sueños ?

Han de ser breves mis siestas,
Mis espéros despiertan con tus ríos.
Pero cómo serán mis despertares
cada vez que despierte avergonzada,
tanto amor, y avergonzada ?

Comment sera ma peau appuyée à ta peau,
Charbon ou cendre, comment sera-t-elle ?

Si le cercle de ma vie doit se fondre dans ta vie,
Comment sera ton corps qui me découvre,
Et comment sera mon cœur si je meurs ?

Ma voix brisée s’éteindra
de ne plus pouvoir murmurer au creux de ton oreille,
Et ma bouche affamée brûlera
de la soif qui me brûle toujours quand tu m’embrasses.

Comment sera le gémissement et comment sera le cri
de toute mon existence évanouie dans la tienne ?
Et comment sera la langueur où je m’abandonne
Quand mon désir d’amour s’endormira enfin entre tes rêves ?

Oh, que mes repos jamais ne m’arrêtent,
Et me laissent attentive aux élans que tes fleuves éveillent en moi !
Mais comment seront mes matins,
Chaque fois que je me réveillerai troublée,
Si amoureuse et si troublée ?

(NdNMP : Traduction française personnelle)

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Chabuca Granda (1920-1983)

Le nom complet de Chabuca Granda est María Isabel Granda y Larco. Par sa mère, elle appartient à la famille Larco, grande famille patricienne italo-péruvienne. Née en 1920 dans une ville minière du Pérou où son père travaille comme ingénieur des mines, elle passe une partie de son enfance au contact des indiens. Elle se souviendra toujours de leur gentillesse et en gardera le goût pour les musiques populaires, alors que ses premiers pas dans le chant se feront un peu plus tard sur les bancs des sopranos, dans le cadre du choeur de son collège catholique très huppé de Lima .

Elle débute sa carrière avec des chansons du folklore mexicain qu’elle interprète dans des bars ou des fêtes de villages. Peu à peu, elle se met à composer, rencontre les principaux musiciens péruviens et collabore régulièrement avec des guitaristes sud-américains de renom qui enrichissent ses compositions de toutes les subtilités harmoniques de la musique d’origine afro-espagnole.

Chabuca Granda à la guitareEn 1958, suite à une opération de la gorge, elle continue de chanter, mais dans un registre plus grave qu’auparavant. Sa tonalité intimiste et nostalgique en sort renforcée et lui donne une personnalité musicale unique.

Ses compositions les plus connues sont La flor de la canela, sorte d’hymne à la ville de Lima et ses habitants qui commence par « Dejame que te cuente, limeño » (Laisse-moi te raconter, Liménien), et El puente de los suspiros, pièce écrite pour célébrer le petit pont en bois du quartier de Barranco où vivent beaucoup d’artistes péruviens. Il y a maintenant une statue à son effigie dans le parc qui jouxte le pont et de nombreuses villes hispaniques dans le monde (Madrid, Buenos Aires et Santiago de Chile notamment) ont donné son nom à des places ou des avenues.

Violeta Parra (1917-1967)

En plus d’avoir inspiré Chabuca Granda pour l’une de ses plus belles chansons, comme on l’a vu plus haut, Violeta Parra est l’inoubliable auteur (paroles et musique) de l’ultra-célèbre « Gracias a la vida » (1966), popularisé dans le monde entier par Joan Baez et repris depuis par une multitude d’artistes aussi divers que Nana Mouskouri, U2, Florent Pagny ou Luz Casal. Ci-dessous, écoutez la sublime version originale de Violeta Parra (04′ 58″) :

J’espère que cet article vous a plu, tout au moins qu’il vous aura permis de découvrir deux artistes, deux voix, deux poètes sud-américaines très célèbres mais assez peu connues en France.

Bonne rentrée à vous et à vos enfants, et à très bientôt pour les affaires dites sérieuses !


* Exceptions notables : Cuba avec Batista en 1954 et Castro à partir de 1959, et le Paraguay avec Stroessner à partir de 1954.


Chabuca Granda 2Illustration de couverture : Chabuca Granda (1920 – 1983).

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