Loi Travail : Hollande s’est-il tiré une balle dans le pied ?

contrepoints-2Mes deux derniers articles consacrés à la situation intérieure de la France remontent à plus de trois semaines. Après avoir pris quelques chemins de traverse, je braque à nouveau mon regard sur la politique française et j’observe avec inquiétude que non seulement rien n’a changé depuis, mais qu’au contraire tout a empiré, tout a dégénéré, tout est parti en vrille. Comme je n’y décrivais pas le moins du monde une situation idyllique, ni même à peu près paisible, imaginez où nous en sommes aujourd’hui ! Et dans ce contexte qui semble complètement hors contrôle, qui voit pratiquement tous les Français, pour des raisons différentes, se liguer contre le gouvernement, François Hollande s’imaginerait pouvoir être réélu en 2017 fingers in the nose ? De plus en plus difficile à croire.

♣Dans le premier article, je soulignais combien François Hollande, très doué avant d’être élu pour expliquer comment réformer la France dans le sens d’un consensus national apaisé acté par l’élection présidentielle, était en train de voir sa vaine sagesse réduite à néant par contradiction avec ses mensonges de campagne électorale. Dans le second, je constatais, sans avoir à faire beaucoup d’efforts pour cela, qu’un syndicat, la CGT, fort peu représentatif mais profitant largement de nos impôts pour son financement et d’une nette bienveillance de l’Etat pour son fonctionnement, pouvait bloquer un pays, empêcher les gens de travailler ou se déplacer librement, dégrader violemment l’espace public et laisser des casseurs mettre le feu à une voiture de police occupée.

Or toutes les manifestations et toute la guérilla urbaine qui les entoure semblent curieusement exagérées par rapport à l’enjeu : il s’agit d’exiger le retrait de la loi El Khomri, qui n’apporte au code du travail que quelques modifications à la marge, notamment certains éléments de l’article 2 qui donnent plus de force aux décisions d’entreprise par rapport aux décisions nationales ou de branche professionnelle.

Les syndicats, tout au moins la CGT, SUD, FO et les syndicats étudiants de La nuit debout, n’en veulent pour rien au monde car ils redoutent la perte de leur influence chez les salariés.  Influence qui ne tient finalement qu’à leur capacité de nuisance et de blocage, certainement pas à leur représentativité et à leur capacité de proposition innovante pour re-dynamiser le marché du travail. Leurs seules idées s’appellent 32 heures, salaire garanti et interdiction des licenciements. Ça n’a jamais marché nulle part, mais peu importe ! En France, non seulement on manque d’essence grâce à la CGT, mais en plus on a les idées économiques de Gérard Filoche !

♠ Après les manifestations syndicales de la fin du mois de mai, juin 2016 a débuté dans les difficultés causées par des pluies torrentielles, des crues d’ampleur inhabituelle et des inondations faisant des dégâts importants. Si ces événements sont parfaitement accidentels, si après la crue vient immanquablement la décrue, ils ont malgré tout permis de confirmer la piètre opinion qu’on pouvait avoir de nos dirigeants. Toujours en tête en ce domaine, j’ai nommé Ségolène Royal, bien décidée à ne suivre que son bon vouloir (obtenir une alerte rouge), malgré le peu d’enthousiasme poli des experts en météo.

Peu après, le 10 juin, débutait l’Euro 2016, championnat de foot pour lequel la France a essayé de mettre les petits plats dans les grands afin d’accueillir dignement sur son sol les équipes nationales de 24 pays européens sélectionnés. Là encore, admirons le tour de passe-passe qui a conduit le gouvernement français à mettre son idéologie fiscale provisoirement dans sa poche en accordant des exonérations d’impôt à l’UEFA au motif que cela dynamisera les retombées économiques pour la France ! Quant aux nombreux commerçants, restaurateurs, cafetiers… qui, de Marseille à Lille, ont subi les débordements hargneux des supporters anglais et russes, ils sont en droit de se demander si ça vaut vraiment le coup de payer des impôts pour finir chaque soir de match avec un pavé ou une chaise dans sa vitrine (voir ci-dessous une vidéo des affrontements marseillais, 2′ 21″) :

Le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve considère que les mesures de sécurité organisées dans le cadre de l’Euro ne sont pas en cause. A propos des supporters violents, il explique : « La doctrine que j’ai arrêtée est extrêmement claire : les interpeller, les juger et les renvoyer. » Il n’en demeure pas moins que nous sommes théoriquement en état d’urgence, que les forces de police sont extrêmement sollicitées voire épuisées depuis les attentats de 2015,  malgré les promesses de François Hollande et de Manuel Valls de renforcer les effectifs de police. De toute façon, la création de 5 000 postes de policiers supplémentaires annoncée en grande pompe après les attentats de novembre est prévue pour s’étaler sur deux ans. Il est plus que probable qu’à ce jour le compte n’y est pas.

Le gouvernement, l’UEFA, les Russes et les Anglais avaient à peine eu le temps de se renvoyer le ballon à propos des supporters violents, que la France subissait à nouveau un attentat d’obédience islamiste. Lundi 13 juin en fin de journée, Larossi Abballa, 25 ans, tue Jean-Baptiste Salvaing, un commandant de police qui rentrait chez lui, pénètre dans le domicile de sa victime et tue également sa compagne Jessica Schneider. Il revendique ses actes au nom de Daesh auquel il dit avoir prêté allégeance trois semaines plus tôt. Selon lui, Daesh projette de « faire de l’Euro un cimetière. » Il sera finalement abattu par les policiers du Raid. Pour Jean-Claude Delage, secrétaire général du syndicat Alliance Police, « Frapper un policier, c’est mettre un très fort coup au moral. » Suite à cet événement, Bernard Cazeneuve a accédé à l’une de leurs demandes de longue date, rentrer en arme chez eux. Mais les islamistes ne sont pas les seuls à viser la police comme on va voir.

Passons sur les grèves des pilotes et des aiguilleurs du ciel,  sur celles de la SNCF et de la RATP, sur celles des éboueurs, dont les motifs sont divers, et qui toutes ne manqueront pas de donner au monde entier une bonne idée du sens de l’expression « Exception française », surtout en plein Euro 2016, événement sportif qui se voulait aussi festif et accueillant. Pour l’instant c’est complètement raté.

Manif anti Loi travail 14 juin 2016Et arrivons directement au mardi 14 juin 2016, jour où les manifestants syndicaux et étudiants ont fait leur grand retour contre la loi Travail. Bien que les rassemblements à Paris et en province se soient montrés moins étoffés que précédemment, non sans déclencher une bataille de chiffres assez incongrus entre les comptages de la police (125 000) et ceux des organisateurs (1,3 millions), cette journée n’est pas passée inaperçue tant les casseurs ont pris le dessus en vandalisant l’hôpital Necker et en causant d’innombrables dégâts dans de violents affrontements avec la police aux cris de « CRS SS » et autres slogans du même acabit. Le Black Bloc, dont j’ai déjà parlé, est à nouveau en cause, ainsi que le Groupe de Tarnac et son chef Julien Coupat, connus pour avoir saboté des caténaires de TGV en 2008. Les analystes de la DGSI ont repéré Coupat à Paris en marge des manifestations et à La Nuit debout, sans qu’il intervienne jamais directement. Selon eux :

« Le message insurrectionnel, habituellement cantonné à des sphères anarchistes qui méprisent les mobilisations sociales, est aujourd’hui rendu audible grâce au réseau affinitaire Coupat. »

J’y vois un lien avec les motivations de l’économiste Frédéric Lordon qui chauffait les étudiants de La nuit debout sur le mode :

C’est bien pour cela que nous sommes rassemblés ici ce soir, pour imaginer la catastrophe. Apportons-leur (NdNMP : aux tenants du monde libéral) la catastrophe. »

Ci-dessous, vidéo des affrontements entre la police et l’ultra-gauche, et réaction de Manuel Valls qui souligne l’attitude ambigüe de la CGT dont le service d’ordre se laisse plus ou moins volontairement déborder :

♦Jolie séquence tout emprunte de sécurité, démocratie, droits de l’homme et respect de la propriété privée. Voilà ce que j’appelle une France qui part en vrille. Et que dire des éléments de plus en plus divergents et incontrôlés qui bondissent dans notre shaker politique ! Si j’ai pris quelques lignes pour intégrer au récit le Black Bloc et Julien Coupat, auteur présumé du livre l’Insurrection qui vient, dont j’ai déjà parlé également, c’est parce que le bras de fer entre le gouvernement qui déclare qu’il ne cédera pas face à des casseurs, et la CGT qui déclare la même chose tout en mobilisant moins qu’avant, que ce bras de fer, donc, semble mettre en valeur l’extrême-gauche jusque dans les sondages récents sur les intentions de vote lors du premier tour de la présidentielle de 2017.

Une étude réalisée par l’institut BVA entre les 10 et 12 juin derniers montre en effet que dans le cas de figure où Sarkozy serait le candidat des Républicains, entraînant ainsi la candidature de Bayrou, Mélenchon obtiendrait 14 % des intentions de vote et dépasserait François Hollande qui se retrouverait en quatrième position avec 13 %. L’écart est serré et tombe dans les marges d’erreur, mais l’intéressant réside dans le fait que Mélenchon progresse de 2 points par rapport au sondage précédent, tandis que Hollande perd 2 points. Dans cette hypothèse, Marine Le Pen obtiendrait 28 % et Sarkozy 21 %. Remarquons que 28 % est précisément le score que le FN avait obtenu en décembre 2015 lors du premier tour des élections régionales.

Dans le cas où Juppé serait le candidat de la droite, il arriverait en tête avec 36 % des voix, Marine Le Pen le suivrait avec 26 %, et Hollande obtiendrait 14 % comme Mélenchon, ce dernier étant là encore dans une dynamique positive de 2 points, contrairement à Hollande. Au second tour, le candidat de droite quel qu’il soit, l’emporterait sans difficulté sur Marine Le Pen.

Tout se passe donc comme si le bloc droite était renforcé par la pagaille qui règne en France, tout en restant très stable dans sa composition droite / FN. Par contre le bloc gauche est en train de subir des modifications en faveur de l’extrême gauche.

On sait que François Hollande, fidèle à la technique mise au point par François Mitterrand, compte l’emporter en 2017 face à la candidate du FN qu’il aura fait monter suffisamment dans les intentions de vote par des mesures taillées spécialement pour envoyer les Français dans le giron du Front national, parti perçu comme plus fort et plus respectueux des traditions de la France éternelle. Dans les idées récentes, citons le projet de faire chanter le rappeur Black M à Verdun, celui d’introduire l’arabe en classe de CP, ainsi que la volonté annoncée de renforcer les contrôles et les autorisations concernant l’enseignement privé hors-contrat (sous prétexte de lutte contre la radicalisation).

Or je constate que malgré tant d’efforts, Marine Le Pen semble plafonner à 28 %, tandis que Mélenchon commence à grimper gentiment, mordant de plus en plus sur les voix potentielles de François Hollande. Bien sûr ce n’est qu’un sondage, bien sûr il faut tenir compte des marges d’erreur, et bien sûr on ne sait pas encore exactement qui sera sur la ligne de départ. Si l’on en croyait Médiapart, Emmanuel Macron, théoriquement « en marche », devait annoncer sa candidature la semaine dernière, avec pour objectif d’affaiblir le candidat de droite afin de laisser Hollande accéder au second tour face à Marine Le Pen.

La dynamique qui porte le candidat du Front de Gauche invite pourtant à se demander si pour une fois François Hollande n’aurait pas sous-estimé la capacité de nuisance de l’extrême-gauche. Confortée par la rupture des promesses à l’égard des électeurs de gauche que constitue la loi Travail même vidée de sa substance, elle pourrait gagner en crédibilité, y compris à la gauche du parti socialiste, pour enlever à François Hollande toute possibilité de parvenir au second tour. 

François Hollande a-t-il déjà intégré tout ça dans son shaker ? On sait pour l’instant qu’il se balade de stade en stade afin de suivre tous les matchs de l’équipe de France. La victoire d’hier soir (15 juin 2016) contre l’Albanie dans les derniers instants du jeu lui a sûrement donné les plus grands espoirs pour la relance de sa cote d’amour.


Manif anti Loi travail 140616Illustration de couverture : face à des manifestants contre la loi Travail et à des casseurs encagoulés qui leur lancent des projectiles aux cris de « CRS SS », les forces de l’ordre répliquent avec des gaz lacrymogènes et un canon à eau pour les disperser (Paris, aux alentours du métro Duroc, mardi 14 juin 2016) – Photo : afp.com / Alain Jocard.

13 réflexions sur “Loi Travail : Hollande s’est-il tiré une balle dans le pied ?

  1. Tout le monde en parle comme d’un stratège, l’annonce vainqueur facile de 2017, mais Flamby est mort pour moi. D’accord, il bouge encore, mais avec 11 % de popularité, et Mélenchon qui monte, poussé par la vague de contestation, il est foutu. même si au PS on essaie de sauver les apparence, personne ne croit plus en lui. D’accord, il est encore là pour un an, et garde un sacré pouvoir d’intimidation envers son camp, et de nuisance pour les autres. Mais c’est fini ! Le message « ça va mieux » est vite oublié, effacé par les manifs, les chèques distribués ça et là, n’ont pas permis de’enrayer la basse de popularité … c’est foutu pour lui ! Et c’est tant mieux pour nous ::)

  2. Tout est manipulé. Et pour copier monsieur Zemmour ce matin sur RTL, « tout ce que touche Hollande se transforme en caoutchouc », je dirais que « Tout ce qu’à fait Hollande c’est de la m….. (comme disait Jean Pierre Coffe). Ce ne sont plus les coups de pieds au c.. qui se perdent, ce sont des tètes qui ne sont pas c…..
    La France est tombée si bas avec lui, qu’elle ne pourra plus jamais retrouver son rang dans les nations dites « démocratiques ». Et le pire, c’est que ce sont nos enfants et surtout petits enfants qui verront le sang, la sueur et les larmes nourrir leurs vies pendant 20 ans. Tout ça pour « le pouvoir de quelques uns ».

  3. Nathalie,
    je souscris à votre billet … sauf
    « … monter suffisamment dans les intentions de vote par des mesures taillées spécialement pour envoyer les Français dans le giron du FN ».
    Que Mitterrand ait joué à ce jeu pour affaiblir la droite, mais la technique ne marche plus et pour plusieurs raisons :
    1. le Compromis Historique au sein de l’UMPS (simplification est claire ?)
    2. le transfert des électeurs vers le FN n’est plus en provenance de Droite;
    le matraquage idéologique à leur destination semble efficace,
    3. le jeu (ou faiblesse) hollandien a produit des effets délétères irrécupérables sauf au bénéfice de Lordon 🙂 !
    Nathalie, on est foutus !

  4. « François Hollande a décidé d’assister à tous les matches de l’équipe de France. »

    Le « chef de guerre » est donc comme tous les Français : il passe son temps à regarder le foute. Taubira passait ses soirées au théâtre et à l’opéra (et tenait à nous le faire savoir sur Twitter). Heureusement que la France connaît une passe difficile et que nos dirigeants veillent sur nous.

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