Merci la CGT, vive la République et vive la France !

Quelle semaine ! Une semaine furieusement française, pourrait-on dire. La presse étrangère nous observe avec un mélange de résignation et d’étonnement, et je suis certaine que vous connaissez tous un Anglais ou un Allemand qui vous a confié ses réflexions désabusées. « Vous les Français, vous marchez sur la tête, il n’y a qu’en France qu’on voit des blocages pareils » m’a expliqué Stefan Berger, ressortissant allemand qui travaille pour un fonds d’investissement et vit en France depuis plus de vingt ans. Il y avait comme une sorte de compassion gênée et interrogative dans sa voix.

En temps ordinaire, on vit sa vie, on travaille, on voyage, on se détend, on fait du sport, on rencontre des amis, on va au cinéma, on bouge à sa guise, et tout se passe à peu près bien, le ciel ne nous tombe pas sur la tête. L’actualité, les nouvelles, les infos, tout ce qui se passe dans le vaste monde nous arrivent à travers la télévision, les journaux et internet sans qu’on ait à observer un impact immédiat dans nos emplois du temps et nos façons de vivre.

Hum, je m’avance peut-être un peu. On est en France. Les impacts, même non immédiats, sont des impacts quand même. Et créer de l’impact pour les citoyens, voilà la raison de vivre de tout gouvernement qui se respecte. D’autant que, comme Najat Valaud Belkacem nous l’a rappelé lundi, premier jour de cette vaillante semaine « à la française » :

« un responsable politique au sommet de l’État (…) a un peu un rôle équivalent à ce que peut avoir un père de famille ou une mère de famille à l’égard de ses enfants. »

Qu’on se le tienne pour dit, le peuple français n’est « pas sorti de sa minorité », pour reprendre l’expression de Kant, et il a bien de la chance d’avoir un gouvernement à l’écoute pour le châtier comme pour l’encourager, mais certainement jamais pour le pousser à agir selon ses propres inspirations. Vous imaginez la pagaille qui ne manquerait pas d’advenir si chacun de nous pouvait avoir une bonne idée, la partager avec son voisin et la mettre en oeuvre ? C’est cauchemardesque. Et surtout, c’est interdit.

Prenez la Conférence nationale du handicap de 2014. Elle a fixé mille et une normes afin de simplifier la vie des personnes handicapées, notamment des clauses d’accessibilité. Tout cela est fort louable. Sur le papier c’est naturellement une excellente idée. Mais concrètement, on aboutit souvent à des absurdités ou à des complexités parfaitement inutiles.

Un exemple parmi cent : le grand Dr Fifi, éminent gastro-entérologue dont j’ai déjà eu l’occasion de mentionner le mérite médical dans ce blog, reçoit ses patients dans deux lieux différents selon les jours de la semaine. Il s’occupe exclusivement du tube, mais il lui arrive trois ou quatre fois par an de recevoir une personne handicapée qui se déplace uniquement en fauteuil roulant. Pas de problème, un des deux cabinets est parfaitement adapté à ce type de patient : plain-pied, large ouverture des portes etc… Il suffit de prévoir le rendez-vous à la bonne adresse. C’est d’ailleurs ce qu’il a toujours fait. Solution simple et élégante, tout le monde est content, tout le monde y trouve son compte. Mais non, ce serait trop simple. La loi est la loi, il va falloir aménager les deux cabinets selon les normes ministérielles.

Mais cette semaine, cerise sur le quatre-heures des petits enfants que nous sommes, nous avons eu la chance inouïe de vivre l’actualité en temps réel et directement dans nos vies quotidiennes, comme chaque fois que nos syndicats préférés décident de se mettre « en lutte », abandonnant provisoirement leur intense activité administrative liée aux 184 reconductions des CDD de leurs employés, ainsi que la restauration grandiose des bureaux et des appartements de fonction de leurs chefs(*).

En lutte pour quoi ? Pour défendre les droits des travailleurs contre les abus des patrons et du grand capital, of course. Quand on sait ce que contient la loi Travail, ou plutôt tout ce qu’elle ne contient pas, on se demande comment la situation a pu devenir aussi explosive. Manifestement, « l’inversion de la hiérarchie des normes », cette disposition qui permettrait dans certains cas de faire prévaloir les accords trouvés au sein de l’entreprise sur les accords de branche, ne plait pas du tout à nos amis de la CGT. Ils veulent rester les décideurs de tout dans l’entreprise et ils le font savoir avec un éclat tout démocratique.

De toute façon, si les étudiants de l’UNEF trouvent tous les soirs matière à refaire le monde contre la loi Travail en occupant, non sans charivari, les places publiques des grandes villes de France, plutôt que de peupler de jour les amphis des universités payées spécialement par nos impôts à seule fin de les instruire et de les préparer à entrer dans la vie active, il n’y a pas de raison que la CGT n’apporte pas elle aussi son savoir-faire inégalable en matière de merguez, pneus brûlés, blocages d’usine avec dégradations de moins en moins optionnelles, ainsi qu’intimidations et violences en tout genre envers les personnes récalcitrantes.

Elle est de plus en plus petite, la CGT, et elle représente de moins en moins de salariés, 3 % actuellement. Raison de plus pour frapper fort et se faire entendre. Tiens, voilà une bonne idée : bloquons les raffineries, lançons quelques autres petites grèves et attendons patiemment que le gouvernement retire sa loi.

De son côté, le gouvernement ne veut pas reculer d’un pouce sur le terrain, vu qu’il a déjà complètement reculé dans le texte. Il en va de la stature de grands réformateurs que MM. Hollande et Valls aimeraient bien se voir attribuer avant de passer au round élection de l’an prochain. La situation est particulièrement délicate. Dans ce bras de fer entre la gauche Elysée et la gauche merguez, la seconde n’a rien à perdre, d’autant que les inspecteurs du travail ont toujours tendance à trouver de bonnes excuses à ses petits dérapages.

Mieux, une majorité assez confortable de Français, 62 %, considèrent que les actions contre la loi Travail sont justifiées, ainsi qu’il ressort d’un sondage IFOP réalisé cette semaine. La crainte sur les facilités de licencier, ainsi que la faible popularité initiale du gouvernement expliquent l’essentiel de ce résultat. C’est tellement déprimant que je préfère ne retenir que la seconde raison, assez valable tout compte fait.

Un chauffeur Uber m’a confirmé hier soir « qu’il les comprenait, les gars, faut voir ce que le gouvernement veut faire à leurs emplois. » Ça ne serait pas plutôt le contraire : faut voir ce que la CGT fait à nos emplois ? Et à notre image, et à notre attractivité ? J’ai préféré ne pas discuter. D’ailleurs mon mari me pinçait gentiment le bras d’une façon qui voulait clairement dire : « Surtout, tais-toi, je te rappelle qu’on n’a plus d’essence. » Je savais que j’allais pouvoir me rattraper ici.

Bref, depuis le week-end dernier, il est devenu très difficile de s’approvisionner en carburant. Ma voiture est donc à sec depuis mardi. J’ai dû l’abandonner en plein centre de Lille après avoir parcouru à tout casser cinq kilomètres quand l’ordinateur de bord m’en accordait encore soixante. Un petit arrangement pour siphonner de cinq litres le réservoir d’une voiture de location devrait finalement me permettre de parcourir les quelques kilomètres qui me séparent de la Belgique, pays de cocagne où l’essence coule à flots relativement moins taxés.

Jeudi, nouveau coup dur : pas de journal. Si le fait de ne pas pouvoir compter du tout sur sa voiture complique pas mal la vie quotidienne, l’absence d’un journal pendant un jour n’est pas forcément très dérangeante, sachant que les précédents numéros s’accumulent sur une certaine table en attendant d’être lus ou carrément jetés (attention, pas de gaffe, uniquement dans le bac prévu à cet effet). Mais le principe, complètement anti-démocratique, est inadmissible : la CGT a bloqué la parution de tous les journaux qui ne voulaient pas publier son tract contre la loi Travail. Alors que Le Figaro, L’Opinion ou Libération mettaient leurs éditions numériques à disposition gratuite du lectorat, seule l’Humanité paraissait en kiosque, témoignant ainsi qu’il y a bien une « presse aux ordres » en France, mais pas forcément celle qu’on croit et pas forcément aux ordres de qui on pense.

Et hier, avec un total manque d’humour, mon Service des impôts des entreprises m’a adressé un courrier fort explicite me menaçant d’une amende pour « non respect des obligations déclaratives » : vous avez bien déclaré et payé votre TVA de décembre 2015, merci Madame, mais votre déclaration a été faite avec un petit peu de retard, ça fera 1325 euros. Que répondre dans le petit cadre ménagé à cet effet ? Envoyer une photo de pneu brûlé en disant « Niet » ?

Et dire qu’il va encore falloir que je pense à me connecter au fabuleux site internet impots.gouv.fr pour déclarer mes revenus avant la date limite, histoire de continuer à contribuer, avec le sourire, à la frénésie de dépenses publiques plus ou moins judicieuses qui est la règle dans ce pays, financement direct et indirect des syndicats scandaleusement compris, ainsi que l’expliquait en 2012 un rapport rapidement et soigneusement enterré par tout l’arc-en-ciel politique, le rapport Perruchot.

Merci la CGT, vive la République et vive la France !


(*) Malgré son éviction de la CGT, l’ancien secrétaire général Thierry Lepaon est toujours payé par la centrale syndicale. De son côté, le gouvernement vient de faire preuve d’une extrême fermeté contre les abus en lui trouvant un poste à l’Agence nationale contre l’illettrisme transformée spécialement afin de pouvoir lui octroyer une rémunération ! Alors luttons, camarades, luttons pour nos privilèges !


Manifestation CGT a Marseille ReutersIllustration de couverture : Manifestation de la CGT à Marseille contre la réforme des retraites de 2010 (Loi Fillon) – Photo : Reuters.

11 réflexions sur “Merci la CGT, vive la République et vive la France !

  1. Malgré le ridicule de leur situation, j’ai un peu pitié de nos « dirigeants » !
    « une majorité assez confortable de Français, 62 %, trouvent les actions contre la loi Travail justifiées ».
    Ont-ils une idée du contenu de la loi ?
    Au fond, les Français croient que les syndicalistes ont de fortes convictions au point de mettre en péril une part de leur salaire du mois !
    (ils ignorent que la reprise se fera contre le principe du paiement des jours de grève -comme il se fait à la SNCF-) !
    Personnellement, j’ignore le contenu de la loi (si ce n’est qu’elle fut pensée par nos oligarques bruxellois, mais là aussi, ce n’est pas une conviction absolue, d’autant que je me suis désintéressé des modifications en cours !
    Bref, c’est une grève anti-Hollande !
    Pauvre garçon, il doit souvent pleurer dans les bras de Julie.

    • Ah ah, c’est la faute à l’Europe ! Cet argument marche mal avec moi. Il suffit d’observer les différentes situations de pays à l’intérieur de l’UE, à l’intérieur de la zone euro et en dehors de l’UE pour voir que c’est peut-être un bouc émissaire pratique (car il y a effectivement pléthore de directives dont on se passerait bien et certainement beaucoup de fonctionnement à revoir) mais que ce ne peut être la raison unique du « ça va mal » ou du « ça va bien ». Chaque pays se suffit largement à lui-même pour aller mal, la France notamment.
      De plus, l’UE est quand même assez indulgente avec ses membres, encore une fois avec la France notamment : on ne peut pas dire qu’on a le couteau sous la gorge pour le retour à moins de 3 % de déficit public.

  2. J’aimerais qu’un journaliste d’investigation vérifie si le clicheton CGT = merguez est toujours d’actualité. Depuis le temps qu’il a cours, je pense que la lumière de la merguez nous parvient toujours, alors que la merguez est morte depuis des millions d’années. Je suppose qu’on en est plutôt au kebab et au hamburger, l’un n’excluant pas l’autre. Mais ne fréquentant pas les lieux festifs communistes, j’en suis réduit aux conjectures.

    Sur un sujet moins sérieux, je suis un peu baba que tout le monde s’énerve sur le blocage des journaux par la CGT. Cela ne fait jamais que la dix-millième fois depuis la Libération. Qu’est-ce qui est nouveau cette fois-ci ? L’exigence de la publication d’un communiqué de la CGT ? Il faudrait vérifier, mais ça m’étonnerait bien que les « camarades » n’aient jamais eu recours à ce chantage par le passé. Peut-être était-ce plus discret, peut-être était-ce présenté sous forme « d’article », au lieu de la page de publicité dont on nous parle aujourd’hui ? Les gens ont l’air de découvrir la lune.

    Evidemment que la CGT fait la loi depuis 1945 dans les quotidiens français, y compris en influant indirectement sur le contenu rédactionnel. La presse française ne paraît que la gueule écrasée sous la botte de la CGT, avec la menace constante d’étouffer complètement le bonhomme en appuyant un peu plus fort. Personne n’était au courant ? C’est même l’une des principales raisons qui sont en train de finir de tuer les journaux papier en France.

    Les langues se délient-elles maintenant, alors qu’Internet prive de plus en plus les communistes de leur pouvoir de chantage ? Le mal est fait, de toutes façons : les bénéfices ayant été spoliés par la CGT pendant les décennies de splendeur de la presse papier, elle n’a plus maintenant les capitaux nécessaires pour investir sur le Web.

    C’est ainsi que Le Monde en est réduit, sur son site Internet, à mettre en page d’accueil des articles sur le « sexe » qu’on aurait été bien en peine de trouver, il y a quelques décennies, dans la presse érotique qui se vendait sous le manteau.

      • Merci, Nathalie. Ca fait plaisir d’apprendre que dans ce monde funeste où toufoulkan, il reste quelques vraies valeurs qui résistent au temps.

    • Cher Robert,

      J’ai assisté une fois à une assemblée générale de la CGT pour la rectification de statuts de l’une de leur branche.

      Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils sont extrêmement bien organisés.

      Le projet de réformes desdits statuts devait bien faire au moins 40 pages imprimées en couleurs sur papier glacé, avec les lignes numérotées sur la gauche, et scindées en 2 autres colonnes : la proposition faite par le syndicat, la seconde avec des points pour, le cas échéant, proposer un amendement sur l’une de ces fameuses lignes.

      Les débats furent longs, mais le projet initial ne fut quasiment pas modifié.

      Une « camarade » contestait sans cesse la proposition faite par le syndicat, qui faisait voter les motions à main levée.

      Elle était accusée de vouloir créer des tensions au sein du syndicat pour des ambitions personnelles. Rien de moins…

      A dire vrai, vous vous sentiez obligé de voter pour les propositions faites par le siège de la CGT…

      Les récalcitrants, qui votaient contre ou proposaient des amendements sur une de ces milliers de lignes étaient accusés, par le président de séance, d’être des ennemis de la démocratie.

      L’adoption du projet proposé par le siège nationale fût donc adopté… à 99 % des voix !

      Voici une drôle de démocratie, qui ressemble davantage à un régime stalinien…

      S’en est suivi d’un pique-nique fortement arrosé de pinard et de bières premier prix venant de chez l’infâme exploiteur Lidl (j’ai pu voir les factures…)

      Bref, je me souviendrai pour toujours de cette AG si particulière…

      • Cher Alfred,

        En plus j’imagine que ce n’était pas dans les années cinquante.

        Les statuts sur papier glacé, et la bière en provenance de Lidl… Quelle erreur ! Quelle inversion des valeurs ! Bière d’abbaye et statuts imprimés sur papier Q, voilà qui pourrait me réconcilier avec le syndicalisme.

  3. Pingback: Une bonne semaine pour la CGT | LeSScro

  4. Ah ! Moi qui travaille aux impôts, je ne fais que cela en ce moment : aller sur impots.gouv.fr pour aider les contribuables récalcitrants à télé-déclarer.

    Impots.gouv avec ses pop-up et ses animations débilisantes, pour bien rappeler au citoyen lambda qu’il n’est qu’un crétin fini, un enfant n’ayant pas l’âge de rasion…

    Heureusement que l’Etat, dirigé par le nouveau petit père des peuples, paye des agences de com avec notre argent pour nous le rappeler !

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