Martine Aubry : trois petits tours et puis s’en va ?

Replay du 29 novembre 2019 : Ça y est, Martine Aubry s’est officiellement portée candidate à la mairie de Lille ! Après avoir dit qu’elle ne briguerait pas un 4ème mandat. Mais tout comme elle a souvent poussé quelques coups de gueule par tribunes interposées dans la presse pour dénoncer la politique de riches de François Hollande, il n’est pas question de laisser Lille « devenir ce que la France devient aujourd’hui, c’est-à-dire [un pays où] seuls les plus riches sont aidés. » Tiendra-t-elle la distance, coincée qu’elle est entre l’Insoumis Quatennens et sa propre ex-directrice de cabinet Violette Spillebout qui roule maintenant pour LREM ? On l’a si souvent vue faire « trois petits tours et puis s’en va » …

À la faveur de la loi Travail qui divise profondément la gauche jusque dans les rangs éclatés du parti Socialiste, Martine Aubry revient sur la scène nationale, et comme souvent, c’est par la gauche qu’elle refait parler d’elle. « Trop, c’est trop ! » s’est-elle exclamée avec Daniel Cohn-Bendit, Benoit Hamon, Christian Paul, Axel Kahn et quelques autres dans une tribune intitulée « Sortir de l’impasse » publiée fin février 2016 dans Le Monde.

Selon les signataires du texte, les motifs de mécontentements à l’égard de la politique gouvernementale n’ont pas manqué depuis 2012, mais les défaites électorales successives, expressions de la colère populaire, leur commandent maintenant de tirer la sonnette d’alarme. Le cadeau aux entreprises que constitue le pacte de responsabilité, l’affaiblissement du Parlement consacré par l’utilisation du 49.3, les projets sur la déchéance de la nationalité (abandonnés) et la baisse du niveau de protection des salariés instaurée par la réforme du code du travail qui se profile sont autant de coups portés à la France et à la gauche. Non, disent-ils, « pas ça, pas nous, pas la gauche ! »

Sondage Ifop JDD avr 2016Alors que François Hollande, toujours au plus bas dans les sondages, défend son bilan partout où il se trouve, y compris pendant les commémorations du 8 mai 1945 (vidéo), donnant à penser qu’il est clairement en campagne pour un second mandat, les prises de position de Martine Aubry semblent rencontrer un certain écho dans sa famille politique au sens large.

Un sondage d’opinion Ifop relayé le mois dernier par le JDD faisait de la Maire de Lille (talonnée par Jean-Luc Mélenchon) la personnalité de gauche la plus appréciée des sympathisants de gauche, dans l’hypothèse où François Hollande ne se représenterait pas, tandis qu’Emmanuel Macron accédait au titre de personnalité de gauche la plus appréciée des Français pris dans leur ensemble (voir graphique ci-contre).

Confirmés par un sondage Odoxa réalisé quinze jours plus tard, ces résultats invitent à penser que s’il y a un phénomène Macron, il y a peut-être aussi un phénomène Aubry qui pourrait compliquer la donne à gauche pour 2017, non seulement au stade de la présidentielle, mais peut-être, encore plus, lors des élections législatives qui vont suivre. Ses partisans, le député frondeur Jean-Marc Germain par exemple, ont l’habitude d’expliquer qu’elle est surtout « candidate au débat d’idées » tout en laissant planer le doute en soulignant que ses contributions suscitent toujours beaucoup de signatures et un grand intérêt.

En réalité, avec Martine Aubry, la question qui se pose est celle de ses intentions profondes. Nombre des signataires du réquisitoire aubryste comptaient déjà parmi les signataires de la demande de primaire à gauche publiée dans Libération. Si François Hollande n’est pas considéré comme le candidat naturel de la gauche pour 2017, qui pourrait le remplacer ? Le nom de Martine Aubry, qui apparait aujourd’hui comme la plus crédible des opposants de gauche à François Hollande et Manuel Valls, vient évidemment à l’esprit. Or elle a redit ce week-end, comme déjà en février, qu’elle n’était pas candidate.

Conf MA Lille jan 2015On bute ici sur une caractéristique connue de Martine Aubry : tous les trois mois ou presque elle lance pétition, tribune, motion et think-tank sans qu’on voit venir la moindre concrétisation politique de ces opérations.

Un exemple récent concerne le dernier congrès du PS à Poitiers en juin 2015. Auteur d’une contribution décapante pour la politique du gouvernement, outre ses réticences sur le travail du dimanche et sur l’assouplissement des 35 heures évoqués par Emmanuel Macron, elle épinglait déjà le pacte de responsabilité en demandant que les contreparties aux baisses des cotisations sociales des entreprises soient fixées par la loi. Très remontée contre le jeune ministre de l’économie qui incitait les jeunes à « avoir envie d’être milliardaires », elle estimait au contraire que :

« notre modèle ne peut être l’individualisme et le consumérisme avec des horizons tracés par de nouveaux Guizot qui clameraient ‘enrichissez-vous’ pour paraître modernes. »

Résultat des courses, bien que n’apparaissant pas sur la photo de famille du Congrès, elle n’a pas apporté sa voix aux frondeurs conduits par Christian Paul, mais s’est ralliée à la motion A de soutien au gouvernement présentée par Jean-Christophe Cambadélis, dont la reconduction à la tête du PS a été largement confirmée. « Avec Martine Aubry, on n’est jamais sûr de ce qui se prépare » semble dire le regard méfiant que ce dernier pose sur la Maire de Lille lors d’une conférence de presse au début de l’année 2015 (photo ci-dessus).

♠ Pour nombre d’observateurs, notamment lillois et notamment socialistes, Martine Aubry se retrouve loin du pouvoir et il ne faut pas voir dans ses interventions autre chose que la nécessité d’exister et faire parler d’elle. Au plan local, le mandat municipal actuel, seulement à ses débuts, est perçu comme une sorte de fin de règne. Manquant de projet d’envergure comme le fut par exemple Lille 2004qui vit la ville accéder à une réelle visibilité internationale en devenant pendant six mois « capitale européenne de la culture », la politique locale est surtout marquée maintenant par l’impérieuse nécessité d’augmenter les impôts locaux après une gestion dispendieuse caractérisée par un endettement élevé, et par la profonde division du parti socialiste régional dans lequel Martine Aubry apparait comme la grande perdante.

Appelée à Lille par Pierre Mauroy, elle fut d’abord son adjointe avant de prendre les rênes de la mairie en 2001. Son arrivée obligea notamment le député Bernard Roman, qui se considérait comme le dauphin naturel, à rengainer ses ambitions municipales. Ce côté « parachutée » aurait pu être facilement oublié si, à son tour, elle n’avait fait venir à Lille le député de l’Essone (quel rapport avec le Nord ?) François Lamy comme son conseiller tout à fait officieux à la mairie.

Aujourd’hui, Martine Aubry a perdu la présidence de la communauté urbaine de Lille contre le candidat présenté par un regroupement de petites communes (2014). Elle a perdu la tête du PS du département du Nord en soutenant Gilles Pargneaux, premier Secrétaire sortant, contre Martine Filleul, ancienne adjointe lilloise à ses côtés (fév. 2015). Le Conseil général du Nord est passé du PS à un rassemblement de droite (mars 2015). Elle a perdu la nouvelle région Hauts-de-France en soutenant la candidature de son adjoint municipal aux finances Pierre de Saintignon arrivé troisième dans le scrutin régional de décembre dernier et dont la liste a été retirée sur ordre de François Hollande pour battre Marine Le Pen, candidate du FN (décembre 2015).

Il lui reste donc fort peu de points d’appui, même pas l’organisation de sa succession à la mairie de Lille dont Patrick Kanner, actuel Ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, et ancien Président du Conseil général du Nord, compte bien s’emparer en 2020 après s’être fait élire sénateur à l’automne 2017 (MÀJ du 22 août 2016 : Et voilà, même si Le Figaro semble le découvrir !)

Martine Aubry est donc nue. De plus, si sa voix porte à la gauche de la gauche parce qu’elle a rédigé les lois Auroux, parce qu’elle est « la dame des 35 heures » et parce qu’elle prône un concept d’Etat-Nounou qui prend soin de vous comme d’un bébé ou d’un malade de la naissance à la mort à travers son concept du « care » mis en avant pour la primaire socialiste de 2011, elle n’est pas sans une certaine ambivalence.

On a vu plus haut qu’elle s’était ralliée à la motion A de Cambadélis. Il n’est pas inutile non plus de rappeler que Pierre Mauroy a songé à elle comme dauphine, du fait de sa filiation deloriste chrétienne et européenne, pour donner un gage d’ouverture aux milieux centristes / catholiques / entrepreneurs de la région lilloise, ainsi qu’il le dit lui-même dans ses mémoires. Dans le prolongement de cette idée, et afin de garder la présidence de la Communauté urbaine de Lille en 2008, elle fusionne sa liste PS avec le Modem (et avec les Verts) entre les deux tours des municipales, rapprochement qu’elle dit réprouver lorsqu’il s’agit du niveau national.

Il est vrai également qu’après son premier passage au gouvernement dans la foulée de l’élection de François Mitterrand en 1981, elle est reconduite dans ses fonctions par Philippe Seguin (droite) lors de la première cohabitation (1986-88), puis elle est recrutée dans le privé par Péchiney. Elle se bâtit alors un solide carnet d’adresses de chefs d’entreprises qui vont l’aider à mettre en place sa fondation « Agir pour l’exclusion » à tel point qu’on la surnomme parfois « la petite soeur des riches. »

Enfin, digne fille de son père Jacques Delors (Président de la Commission européenne de 1985 à1995), avec lequel les relations seront cependant parfois difficiles, elle est européenne dans l’âme et ne remet nullement en cause le principe du pacte de stabilité qui demande que le déficit public reste inférieur à 3 % du PIB (programme présenté à la primaire socialiste de 2011). Cette attitude est assez peu caractéristique de la gauche du Parti socialiste ou de l’extrême-gauche, même si elle compte mettre en place cette mesure par une remise à plat de la fiscalité bien plus que par une baisse des dépenses.

♦ Nue en terme de soutien, ambivalente en terme de convictions ancrées à gauche, elle pâtit également de deux accidents voyants sur son parcours. La ville de Lille reste pour la plupart des Français celle qui a accordé des horaires de piscines spéciaux pour les femmes musulmanes avec du personnel exclusivement féminin en essayant de faire passer cette mesure pour une attention bienveillante à l’égard des femmes qui auraient des problèmes de surpoids. Cette dernière raison a tout l’air d’un raccrochage aux branches, car en Conseil municipal Martine Aubry a clairement assumé ses choix : « Faisons un petit détour (de nos principes républicains) pour que ces femmes gagnent et acquièrent leur émancipation. »

Le second point noir est celui de son élection à la tête du Parti socialiste contre Ségolène Royal lors du Congrès de Reims en 2008. Emaillé d’irrégularités de tous les côtés, le scrutin est contesté. Martine Aubry est finalement proclamée vainqueur quelques jours plus tard avec 102 voix d’avance (sur un total de 135 000 bulletins environ). Cependant, des témoignages nombreux attestent du bourrage des urnes auquel les soutiens de la nouvelle première Secrétaire du PS se sont livrés sans vergogne, notamment dans son fief de Lille.

Selon son entourage, après sa tribune virulente du Monde, Martine Aubry devrait faire rapidement des propositions afin de contrer « le discours de la peur du Premier ministre. » Attendons, tout en notant que les propositions concrètes, c’est précisément ce qui manque à son habitude récurrente du réquisitoire anti-Hollande.

Les Lillois qui la connaissent de près la jugent souvent velléitaire et doutent de son « envie » réelle. Ils se rappellent que son père Jacques Delors, sollicité de toutes parts pour se présenter à l’élection présidentielle de 1995, avait finalement décliné. Certains ont cru y voir un geste envers sa fille, afin de lui laisser la place pour plus tard, mais l’opinion générale penche plutôt pour un manque de décision.

Alors que Martine Aubry a vraiment avancé en ce sens lors de la primaire socialiste de 2011, suite à laquelle tous les candidats en lice se sont aussitôt reportés sur François Hollande, sa situation lilloise comme nationale s’est aujourd’hui dégradée, rendant beaucoup plus incertaine sa faculté à mobiliser des soutiens et à se mobiliser elle-même. D’autant que juste derrière elle, Benoît Hamon et surtout Arnaud Montebourg sont dans les starting-blocks.


Aubry 2010 contre réforme des retraitesIllustration de couverture : Martine Aubry (en clair) défile contre la réforme des retraites proposée par le gouvernement Fillon en 2010. On reconnait aussi Élisabeth Guigou, Catherine Tasca, Arnaud Montebourg, Jean-Paul Huchon, Harlem Désir et Claude Bartolone – Photo sous Creative Commons.

4 réflexions sur “Martine Aubry : trois petits tours et puis s’en va ?

  1. Quelle est le bilan politique de Martine Aubry ?

    -Une loi (les 35h) qui n’a servi absolument à rien si ce n’est augmenté la dette de la France.
    Je rappelle qu’une idée qui n’est copiée par personne n’est jamais une bonne idée.

    -Une ville et une métropole de Lille certes agréable à vivre mais désormais largement endetté et qui devrait devenir, du fait de l’augmentation des impôts locaux, une sorte de boboland du nord.

    Au final, qu’a fait Marine Aubry pour la France et les français hormis de la dette ?

    Toutes sa vie elle l’a passé dans les palais de la ripoublique hormis 3 ans chez Péchiney grâce au piston hydraulique de papa. Elle est une parfaite représentante de l’oligarchie politique française : Elle est énarque, n’a pas (ou si peu et avec piston) travaillé dans le privé, a un bilan essentiellement constitué de dettes et s’est enrichi avec l’argent des contribuables.

    Sa disparition de la vie politique ne pourrait être qu’un bienfait.

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  4. Le catholicisme est par essence incompatible avec le libéralisme. D’ailleurs le seul facteur unificateur qui reste à notre société en agonie est le marché et la consommation…Règne de la pornographie, du pain et des jeu… Laissez faire la nouvelle providence…

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