La cagnotte du 1er avril 2016

La scène se passe le vendredi 1er avril 2016 au Palais de l’Elysée dans le bureau du Président de la République.

Autour de François Hollande, sont réunis : Manuel Valls, Premier ministre, Michel Sapin, ministre des Finances, Jean-Christophe Cambadélis, Premier secrétaire du Parti socialiste, et Gaspard Gantzer, conseiller presse et communication du Président.

Un huissier fait circuler une corbeille de dattes et de loukoums envoyée par le prince héritier d’Arabie saoudite, en remerciement de sa toute nouvelle Légion d’Honneur

Toute ressemblance … Fortuite, bien sûr !


Le Président : Valls, mon vieux, pas la peine de faire cette tête-là, tenez, prenez une datte, ça va vous remonter. Je suis en train de préparer un petit discours qui va tout arranger, vous allez voir.

Valls : J’ai surtout vu les sondages et …

Gantzer (le coupant) : Pardon, Monsieur le Président. (Se tournant vers Valls) excusez-moi, M. le Premier ministre, mais c’est important. (Revenant à Hollande) Ceci est tout à fait inhabituel, je dois valider tous vos discours, un mot de trop et vous savez que c’est la catastrophe assurée.

Valls : La cata, on y est déjà. Vous avez vu les derniers sondages … ? …

Le Président (le coupant) : Mon petit Gaspard, j’apprécie beaucoup vos talents de metteur en scène, mais avec vous, ça peut aussi aller un café trop loin. J’avais l’air malin chez Lucette quand elle s’est mise à déballer toute l’affaire. Vous oubliez trop souvent que je suis aux responsabilités, moi. À partir de maintenant, il faut jouer serré. Mais vous n’avez pas entièrement tort, car je suis justement à la recherche d’un mot et je compte sur vous tous pour le trouver.

Sapin : A propos de mot, qu’est-ce que vous pensez de ma « cagnotte » ? Je trouve que pour une fois je me suis bien débrouillé. Vous remarquerez que je n’ai pas vraiment dit « cagnotte », j’ai dit « on ne touche pas à la cagnotte. » Personne ne peut m’accuser d’avoir dit « cagnotte. » Mais maintenant la France entière est convaincue qu’il y a quelque part une « cagnotte. » (Petits rires) Hihi, elle n’est pas cachée dans mon bureau, en tout cas. (Tout le monde fait « hihi » sauf Valls) Et on ne risque pas de me la voler, hihi ! (À l’huissier) Excellents, ces loukoums, merci. (À Hollande) Tu en veux un, François ? Allez, pour fêter ces bons résultats !

Hollande : (avec un petit soupir mi-ennuyé mi-entendu) Non merci, plus de sucrerie, la campagne a commencé… (À l’huissier) Passez-moi plutôt une biscotte, là, dans le troisième tiroir. (Revenant à la réunion) Sur ce coup-là, Michel, je dois dire que tu as fait très fort. J’espère juste que les Français ont bien suivi la manœuvre. Arriver à matérialiser une cagnotte qui n’existe pas tout en disant qu’il est hors de question d’y toucher comme si elle existait, ça tient de la prestidigitation. Un poste de ministre de la communication, Michel, ça te dirait ? Parce que tu es doué, si, si. Gaspard pourrait aller à Bercy avec Macron, ils sont de la même promo.

Cambadélis : Mauvaise idée, François. On tient un vrai résultat budgétaire, on ne va pas changer une équipe qui gagne. En plus, trop de jeunes loups aux finances et à l’économie, les frondeurs ne vont pas aimer. Tu signerais la fin de ta majorité.

Valls : Pardon d’avoir à te le rappeler, mais notre majorité est déjà en morceaux. Vous avez vu les sond… ? …

Gantzer (le coupant) : Merci pour la promotion, M. le Président, (se tournant vers Valls) excusez-moi, M. le Premier ministre, mais c’est important. (A Hollande) Ministre, ça m’irait bien, mais les chiffres et moi … Puis-je vous suggérer plutôt la culture ou l’éducation ?

Le Président : Bon, bon, Camba a raison, je suis aux responsabilités, moi, il faut jouer serré. Michel reste à Bercy. Je viens de remanier, je ne vais pas remettre ça maintenant, Ségolène me ferait une vie impossible pour avoir une promotion. Et, mon petit Gaspard, permettez-moi de vous le dire, mais je ne peux pas remplacer une femme par un homme. En tant qu’homme de com, vous devriez être le premier à le savoir. C’est à se demander si je ne devrais pas faire ma com moi-même.

Bon, reprenons. Comme je vous le disais, j’ai besoin d’un mot. Un mot qui me permette de transformer dans l’esprit de nos compatriotes l’abandon de la réforme constitutionnelle sur la déchéance de la nationalité et sur l’état d’urgence en grande victoire démocratique tout en faisant passer l’idée que nous ne lâchons rien de nos exigences en matière de sécurité. Allez, réfléchissez. Michel ?

Sapin : Moi tu sais, à part « cagnotte » … hihi … Je suis ministre de la cagnotte, pas mal comme titre, hihi !

Cambadélis (un peu agacé) : Oh ça va, Michel, on a compris. Tu as génialement évité de passer pour le ministre de la camelote, ok, mais pour l’instant François a besoin d’un mot magique, pour ne pas dire d’une formule magique pour balayer le passé et aller de l’avant. Alors cogite, Michel, cogite, c’est ton poste, c’est le mien, ce sont tous nos postes qui sont en jeu.

Valls (se levant pour aller chercher Le Monde de la veille) : Magique, c’est le mot ! Vous avez vu les …

Le Président (le coupant en crachant des miettes de biscotte sur la table) : Et ce n’est pas avec mes biscottes que je vais arriver à me faire une potion magique. Si on buvait un petit quelque chose ?

Cambadélis : Je ne suis pas contre. De l’eau si possible. Rassure-toi, François, je ne suis pas en campagne, mais je suis quand même au régime. Mais pour en revenir à ta formule magique, je te conseillerais de faire très politique. Tu l’as quand même annoncée toi-même en grandes pompes au Congrès réuni à Versailles, cette réforme ! Et les Français étaient tous avec toi à ce moment-là.  Fais comme moi : présente tes excuses aux Français dans une déclaration tout en dignité, sobriété et responsabilité et colle tout sur le dos de la droite. C’est bien le Sénat, où la droite est majoritaire, qui a tout fait capoter. C’est du moins ce qu’il faut faire comprendre : la droite a refusé l’union sacrée républicaine.

Le Président (s’étouffant à nouveau avec sa biscotte) : Parlons-en de tes excuses ! D’accord pour accuser la droite, c’est ce qu’on fait toujours, mais commencer par : « Nous présentons nos excuses aux Français » ! Il faut avoir perdu la tête, ne me raconte pas que tu n’avais bu que de l’eau ! Maintenant, tout le monde s’imagine que nous avons quelque chose à nous reprocher !

Valls : Tout le monde nous reproche déjà quelque chose, vous voulez dire. Vous avez vu les manifs ? Vous avez vu les …

Gantzer (le coupant) : Vous avez entièrement raison, M. le Président. (Se tournant vers Valls) Excusez-moi, M. le Premier ministre, mais c’est important. (À Hollande) Il ne faut jamais s’excuser, c’est la règle numéro un de la crédibilité politique. Tout doit toujours apparaitre comme mieux que prévu.

Sapin : Comme ma cagnotte … hihi.

Gantzer : Justement ! M. le Président, M. le ministre des Finances a raison, il faudrait trouver une cagnotte ! Laissez-moi réfléchir à voix haute. Voyons … Les attentats de novembre ont montré un déficit de sécurité, la révision constitutionnelle visait à le combler, mais l’arrestation de Salah Abdeslam rend ce déficit moins important que prévu. Nous sommes donc face à une cagnotte de sécurité qui rend inutile le recours à la révision de la Constitution. Je continue à réfléchir …

Le Président : Je vous en prie, c’est pour ça qu’on vous verse des salaires et des primes, mon cher. Maintenant que Valls a dégelé le point d’indice des fonctionnaires, veillez à dégeler aussi vos capacités professionnelles. Il ne faudrait pas que Michel perde la cagnotte qu’il n’a jamais possédée sans quelques compensations pour notre avenir à tous, comme l’a judicieusement rappelé le Premier secrétaire.

Valls (furieux) : J’ai dégelé ! On a tous dégelé le point d’indice ! Vous voudriez qu’on recule aussi sur la loi Travail ? Non mais vous avez vu les …

Gantzer (le coupant) : N’ayez crainte, M. le Président, je continue à réfléchir. (Se tournant vers Valls) Excusez-moi, M. le Premier ministre, mais c’est important. (A Hollande) J’ai trouvé ! Vous ne reculez pas sur la réforme constitutionnelle, vous accélérez sur le choc de simplification grâce à la cagnotte Abdeslam. Tout le monde connait votre engagement sans faille vis-à-vis des simplifications réglementaires. En ne touchant pas à la Constitution, vous vous constituez une cagnotte de simplification. Toujours rester dans la cohérence, M. le Président, règle numéro deux.

Le Président : La cagnotte Abdeslam ? Je ne suis pas sûr de bien vous suivre. Voilà typiquement le larron que nous aurions pu déchoir de la nationalité. Il arrive en France, justement. Et pour ce qui est du déficit de sécurité qui serait moins élevé que prévu, vous croyez qu’après les attentats de Bruxelles ça peut passer ? C’est que je suis aux responsabilités, moi. Les Français attendent des actions concrètes.

Valls : Si vous voulez du concret, sachez que j’ai déjà avisé Cazeneuve : ce ne sont pas 1,2 millions de manifestants qui ont défilé hier, mais 270 000. Et si vous vouliez bien jeter un coup d’oeil à ces sond …

Gantzer (le coupant, et se levant en s’agitant comme s’il était en transe) : M. le Président, la beauté de la cagnotte, c’est que justement elle se constitue quand on ne fait rien ! (Se tournant vers Valls) Excusez-moi, M. le Premier ministre, mais c’est important. (A Hollande) Ça marche pour tout ce qu’on ne fait pas qui se trouve mieux par hasard. Et si le hasard n’est pas assez généreux, il suffit d’annoncer le pire avant. Vous voyez tout l’intérêt pour la fin du quinquennat. C’est très bien, tous ces attentats déjoués, cagnotte de sécurité ! Et pour le chômage, il faut annoncer + 30 000 par mois. Comme on aura 20, cagnotte !

Cambadélis : Je ne voudrais pas doucher votre enthousiasme, mon cher Gaspard, mais si le terme cagnotte n’était pas encore arrivé officiellement dans nos éléments de langage, le principe sous-jacent est bien connu de nous depuis longtemps. Ce n’est pas à un vieux trotskiste comme moi que vous allez apprendre à faire des soustractions habiles.

Sapin : Mais Jean-Christophe, moi aussi j’ai été trotskiste, et tu peux mettre mon idée de cagnotte sur le compte de la solide formation que j’ai eu en ce domaine dès le lycée. Comment pourrais-je tenir mon rôle de ministre des Finances sans savoir soustraire ? D’où viennent tous les impôts supplémentaires qui sont rentrés dans ma cagnotte, à ton avis, si ce n’est de mon habileté à ponctionner et soustraire ?

Valls : Génial ! Maintenant, on se bat pour savoir qui aura l’idée la plus trotskiste ! Vous croyez que c’est le moment ? Vous avez vu les sond …

Cambadélis (le coupant et s’échauffant) : Tu te fous de nous ou quoi ? Toi aussi tu as été à l’UNEF, et tu n’es pas le dernier à transformer un ratage complet en succès. Je te rappelle que le 49.3, c’est toi, et pas qu’une fois ! Pour sauver ce libéral de Macron, en plus, faut le faire ! Et les consignes à Cazeneuve pour minimiser des manifs de gauche, c’est toi aussi, tu es le pire de nous tous, un vrai stal !

Valls (en criant) : Mais tu débloques complètement ! On n’est plus à l’UNEF ici, on est à l’Elysée, on est ministre, on gouverne la France, on rend des comptes à l’Union européenne, et toi, au cas où tu l’aurais oublié, tu diriges le principal parti de la majorité présidentielle ! Majorité ! Faut le dire vite ! Tu as vu les …

Gantzer (le coupant) : M. le Président, si vous me permettez de m’exprimer sans détour. (Se tournant vers Valls) Excusez-moi, M. le Premier ministre, mais c’est important. (A Hollande) Quand tout prend des allures de débandade, les meilleures techniques de récupération restent sans conteste celles de l’extrême-gauche. La méthode de la cagnotte développée par M. Sapin est tout indiquée, d’autant qu’elle vous permet de rester dans un contexte démocratique. Tout est question de présentation de l’information.

Le Président : Eh bien moi aussi j’ai appartenu à l’UNEF, et il est vrai que pour durer en politique, il n’y a pas de meilleure formation. Je suis aux responsabilités, moi, il faut jouer serré. Les Français comptent sur moi, et je compte compter pour eux encore longtemps. La débandade, vous y allez un peu trop fort, mon petit Gaspard. Je me suis tiré de situations bien pires. Et si je suis optimiste, c’est que la droite est tout autant en débandade que nous. Voyez chez Les Républicains, plus de dix prétendants pour la primaire, pas plus de consensus programmatique que chez nous et des snipers en embuscade partout.

Alors calmez-vous tous et reprenons. Cagnotte, c’est parfait dans le domaine économique, mais ce n’est pas assez lyrique. Ça manque de Liberté, Egalité, Fraternité. Vous voyez mon problème : avec la réforme constitutionnelle, je jouais la sécurité dans la démocratie.  Avec l’abandon il faut que j’arrive à jouer la démocratie dans la sécurité. Tiens, mais en voilà une idée : la sécurité dans la démocratie, la démocratie dans la sécurité. Je crois que je la tiens, ma formule. Et ça, c’est du lyrique.

Sapin : Si seulement tu pouvais inverser la courbe du chômage comme tu inverses les mots !

Le Président : Avec ta cagnotte appliquée partout où c’est possible, je crois qu’on tiendra encore quelques mois sans problème. Ensuite, c’est la campagne officielle et là, vous pouvez compter sur mes antécédents à l’UNEF. Mon ennemi la Finance va faire un retour en force comme jamais, je serai au second tour, toute la gauche oubliera ses divisions pour faire barrage à la droite ou au FN. Et me revoilà Président.

Messieurs, merci pour ce petit brainstorming qui nous a conduits à la conclusion que j’espérais. Vous pouvez finir les dattes et les loukoums avant de partir. En ce domaine ma cagnotte est véritablement inépuisable, le Roi Salman d’Arabie saoudite m’approvisionne régulièrement … Un homme charmant.


Avec, par ordre d’apparition :

  Valls  Gantzer  Michel Sapin 1  Camba


♥ ♣ ♦  150ème texte, dédié à mon frère qui fête son anniversaire aujourd’hui.  ♦ ♣ ♥  


Bureau FH 3Illustration de couverture : François Hollande à son bureau en 2014. Crédit Photo : © Maxppp.

6 réflexions sur “La cagnotte du 1er avril 2016

  1. Les décors sont de Contribuable Français, les costumes aussi, la cagnotte est fabriquée par l’entreprise Bonneteau de Arles (là où habite l’Arlésienne), le théâtre est entièrement subventionné, et tous les acteurs sont interpleintemps de l’embrouille. Seuls les loukoums ne sont pas français.
    Merci pour ce moment Nathalie…

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