Dilma et Lula : la telenovela politique de la gauche brésilienne

Les mises à jour sont en fin d’article.

Mercredi 24 janvier 2018 : La condamnation de l’ex-président brésilien Lula pour corruption a été confirmée en appel et sa peine a été allongée à 12 ans et 1 mois de prison. Une telle décision signe en principe (mais des recours sont encore possibles…) la fin de sa carrière politique et l’impossibilité pour lui de se présenter à l’élection présidentielle d’octobre pour laquelle il est le favori. 

« Quand un pauvre vole, il va en prison. Quand un riche vole, il devient ministre. » C’est ainsi que s’exprimait Luiz Inácio Lula da Silva (dit Lula) en 1988, alors que, leader charismatique de l’opposition de gauche et fondateur du Parti des Travailleurs (PT) il briguait la présidence du Brésil. Aujourd’hui, le pays s’enfonce dans une grave crise économique et politique sur fond (et fonds) de corruption généralisée au plus haut niveau de l’Etat.  

Lula, qui dirigea le Brésil de 2003 à 2010 avant de passer les rênes à sa dauphine, l’actuelle Présidente Dilma Rousseff, se retrouve sérieusement impliqué dans le scandale de pots-de-vin qui secoue l’entreprise d’Etat Petrobras. Une dégringolade en règle, pour cet ancien syndicaliste, ouvrier métallurgiste, arrivé au pouvoir pour ses promesses de justice sociale et sous les acclamations de « guerrier du peuple. » 

De son côté, Dilma Rousseff encourt une possible destitution pour avoir falsifié les comptes publics en pleine campagne électorale pour sa réélection en 2014 afin de masquer l’ampleur des déficits. Elle est également citée dans l’Affaire Petrobras. Rappelons qu’en tant que ministre de l’énergie de Lula entre 2003 et 2005, elle était présidente de l’entreprise pétrolière publique.

Ajoutons à cela les graves difficultés économiques du Brésil qui est entré en récession en 2015, et on comprend que sa cote de popularité (8 %) côtoie maintenant les gisements de pétrole en eaux profondes trouvés récemment au large de Rio, alors qu’elle était de 73 % quand elle fut élue pour la première fois en 2011.

La corruption ronge le Brésil depuis longtemps et il est perpétuellement question d’en venir à bout. Au début de sa présidence, Dilma Rousseff a su se faire une réputation de fermeté à cet égard, en poussant à la démission les ministres de son propre parti (PT) pris la main dans le pot de confiture. Mais tout ceci est révolu. Dans le contexte de crise économique qui les touche, les Brésiliens sont lassés des affaires de corruption et réclament depuis plusieurs mois le départ de la Présidente dans des manifestations où ils se retrouvent nombreux et où ils ne mâchent pas leurs mots (ci-dessous, manifestation d’août 2015) :

« Dehors Dilma ! Ici c’est le Brésil, pas le Venezuela. Olé, Olé, Olé, nous ne sommes pas communistes, nous sommes patriotes, nous allons déloger ces merdes du pouvoir ! » (Selon un journaliste de l’AFP au Huffington Post, 16 août 2015)

Pour se sauver l’un l’autre, Dilma et Lula ont imaginé de nommer Lula au gouvernement afin de fournir à ce dernier une certaine immunité et faire bénéficier l’exécutif de la popularité dont ils pensent que Lula jouit encore dans le pays, appliquant ainsi avec beaucoup de zèle la maxime dénonciatrice de leurs années d’opposition. Une bien jolie histoire d’arroseur arrosé, et quand on dit arrosé, on parle aussi de plus de deux milliards de dollars payés par Pétrobras entre 2004 et 2014 au Parti des Travailleurs et aux autres partis de la coalition au pouvoir, dont l’équivalent de sept millions d’euros en faveurs diverses à Lula.

Les deux semaines qui viennent de s’écouler ont donné à la politique brésilienne toutes les caractéristiques des telenovelas, ces feuilletons à rebondissements très prisés des télévisions sudaméricaines, dont les ressorts sont assez souvent synonymes d’amour, gloire et beauté, mais également d’argent, pouvoir, mensonge et trahison.

Le 9 mars dernier, le parquet de Sao Paulo officialise ses poursuites contre Lula dans l’affaire Petrobras. Le 10, il demande son placement en détention provisoire. Le 11, la Présidente invite son prédécesseur à venir l’épauler au sein de son gouvernement, mettant en avant « son expérience et ses grandes capacités politiques. » Le 15, Lula accepte et le 16 il est nommé officiellement chef de cabinet de la Présidente, ce qui correspond à un poste de ministre.

Pour les observateurs, l’opinion publique et l’opposition, il semble clair que cette manoeuvre n’a pas d’autre but que d’éviter la prison préventive à Lula et le faire échapper à la justice ordinaire, les ministres ne relevant que du Tribunal suprême fédéral, plus haute instance judiciaire du Brésil. La contestation grandit, dans la rue comme dans la presse. Mais pour Dilma Rousseff, comme souvent pour tout homme ou femme politique de gauche en plein abus de pouvoir, la démocratie est de son côté et le peuple est son seul souci :

« Les cris des putschistes ne vont pas me faire dévier de cap ni mettre à genoux notre peuple. »

Or la présomption de manoeuvre politique trouve rapidement une confirmation via la publication par le juge Sergio Moro de l’enregistrement d’une conversation téléphonique entre Dilma et Lula le jour même de la nomination de ce dernier. La Présidente avertit Lula qu’elle va lui faire parvenir rapidement son décret de nomination et ajoute : « Ne t’en sers qu’en cas de nécessité. » La contestation est immédiate, les Brésiliens descendent en masse dans la rue et les députés d’opposition demandent la démission de Dilma Rousseff. Même le parti centriste PMDB, touché lui aussi par le scandale Petrobras, s’interroge sur l’opportunité de poursuivre sa participation à la coalition gouvernementale. La Présidente réplique en annonçant des poursuites contre le juge Sergio Moro (petit juge disent les soutiens de Lula) qui serait coupable de violation de la constitution.

Malgré la contestation, Lula prend ses fonctions le jeudi 17 mars 2016 (photo de couverture). Mais quelques heures plus tard, un juge de São Paulo ordonne la suspension de son entrée au gouvernement. Le même jour, les députés lancent la procédure de destitution de Dilma Rousseff à propos de la falsification des comptes publics. Aux dernières nouvelles, un autre tribunal aurait annulé la suspension le vendredi 18, autorisant Lula a exercer ses fonctions de manière provisoire. Voir le résumé de la telenovela « Dilma et Lula » dans la vidéo ci-dessous (0′ 55″) :

Quand Lula est arrivé au pouvoir en 2003, le Brésil sortait de vingt et un ans d’une dictature militaire (1964 – 1985) qui avait laissé le pays en situation de souffrance économique et sociale, et de dix-huit ans de restauration démocratique menée par des coalitions de droite ou centre-droit (1985 -2003). Grâce à ses matières premières (minerais, pétrole, canne à sucre, café) et grâce à une conjoncture mondiale porteuse, notamment par les effets de la demande chinoise, le Brésil a connu dans les années 2000 une période de « miracle économique » avec des taux de croissance allant jusqu’à 7,5 % par an (2010) qui en ont fait aujourd’hui la 9ème puissance économique mondiale (PIB). A cette époque, tous les investisseurs se précipitaient au Brésil, pays considéré alors comme la locomotive des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud).

Lula aime à répéter que sous sa présidence, 35 millions de Brésiliens (sur 200 millions) sont sortis de la pauvreté, mais il existe un débat parmi les économistes sur la question de savoir si le « miracle brésilien » est entièrement du fait de Lula ou de son prédécesseur le Président Cardoso. Ce dernier est crédité des principales mesures concernant l’accès de tous les Brésiliens à l’éducation, l’ouverture sur le monde par la hausse des exportations, et les progrès dans le domaine de la santé. L’existence même du « miracle brésilien » est sujette à discussion.

Les difficultés rencontrées aujourd’hui mettent en évidence le fait que les bénéfices tirés de l’exploitation des matières premières, s’ils ont permis de mettre en place des politiques sociales de court terme contre la pauvreté, n’ont pas été utilisés pour renforcer les infrastructures et favoriser le développement économique. Alors que la croissance chinoise marque le pas, tout cela se traduit maintenant par le retour de l’inflation (10,7 %) et du chômage (8,2 %), la baisse de la consommation et la baisse du PIB officiellement considéré en récession (-3,7 % en 2015). La monnaie (le Real) a perdu environ 30 % de sa valeur en 2015. En septembre dernier, l’agence de notation Standard & Poor’s a dégradé la note du Brésil au niveau des emprunteurs « spéculatifs », ce qui ne risque guère d’encourager les investissements étrangers. Dans ce contexte tendu, les dépenses liées à l’organisation du Mondial de football de 2014 qui ont dérapé de 30 % par rapport au budget initial, ainsi que celles prévues pour les Jeux Olympiques de cet été 2016 n’entraînent guère l’adhésion des Brésiliens.

La situation politique et économique du Brésil est donc assez peu réjouissante, c’est le moins que l’on puisse dire. Malgré cela, Lula et Dilma continuent à bénéficier d’un certain nombre de soutiens dans les rang syndicaux et au Parti des Travailleurs. Ce dernier a du reste organisé des contre-manifestations pour soutenir le gouvernement et s’opposer à ce qu’il appelle un « coup d’Etat » de l’opposition de droite. Pour les partisans de Lula, l’action du juge Sergio Moro ne serait rien de moins que l’indice d’un Etat policier en train de se mettre en place contre le gouvernement actuel. Insensible aux avantages de la séparation des pouvoirs, et manifestement tout aussi insensible au ridicule, l’ordre des avocats de Rio de Janeiro considère que :

« Le comportement du magistrat, typique des États policiers, met en risque la souveraineté nationale. »

A quoi Sergio Moro, répond, dans la plus pure tradition d’un Etat libéral :

« La démocratie dans une société libre exige que les gouvernés sachent ce que font les gouvernants, même quand ils cherchent à se protéger. »

On est toujours étonné de voir comment la gauche prise en flagrant délit de magouille et d’abus de pouvoir a l’art de vouloir nous faire prendre les vessies pour des lanternes en se faisant passer pour la victime alors qu’elle ne cherche qu’à se maintenir au pouvoir afin de masquer ses échecs et poursuivre ses malversations.

En réalité, le Brésil est parfaitement typique de l’évolution prise par les pays d’Amérique latine qui ont voulu suivre le modèle castriste sous les vivas de tous les altermondialistes de nos latitudes occidentales. De Cuba au Vénézuela en passant par la Bolivie, le Brésil, et l’Argentine jusqu’à récemment, c’est maintenant la déroute totale selon le schéma bien connu de l’emprise de l’Etat sur l’économie, ce qui démultiplie à la fois les possibilités de corruption et les probabilités de mauvaise gestion.

Le modèle, si l’on peut parler de modèle, étant entièrement fondé sur la richesse en matières premières, il ne fonctionne que lorsque l’environnement mondial est porteur, et s’effondre immédiatement lorsque la demande mondiale ralentit. Aujourd’hui tous ces pays sont confrontés à des pénuries violentes et à de la contestation populaire qu’ils ne savent juguler que par l’augmentation du clientélisme pour les fidèles et la répression pour les opposants.


Mise à jour du lundi 23 mai 2016 : Après de nombreux rebondissements, 55 sénateurs sur 81 ont voté jeudi 12 mai 2016 en faveur de la destitution provisoire de la Présidente brésilienne afin d’ouvrir son procès pour maquillage des comptes publics. Au terme de cette procédure qui ne doit pas excéder 180 jours, 54 voix sur 81 seront nécessaires pour écarter définitivement Dilma Rousseff du pouvoir. L’intérim est assuré par son ancien allié et vice-président Michel Temer. La situation politique brésilienne est devenue assez ubuesque dans la mesure où d’un côté Dilma Rousseff s’estime victime d’un coup d’Etat, tandis que de l’autre, nombre de ses opposants comme de ses partisans sont impliqués dans le scandale de corruption de la compagnie d’Etat Petrobras à propos duquel elle n’est pas directement accusée tout en étant néanmoins impliquée du fait de ses anciennes fonctions de ministre de l’énergie quand Lula était Président.

Mise à jour du mercredi 31 août 2016 : Au terme d’un procès dans lequel Dilma Rousseff a surtout compté sur son histoire personnelle et sur la contre-accusation de coup d’Etat pour se défendre, les sénateurs ont voté aujourd’hui sa destitution (61 voix pour et 20 contre). Le vice-président Michel Temer (centriste ouvert à un certain libéralisme) a prêté serment. Il est ainsi investi Président du Brésil jusqu’aux prochaines élections de 2018. Cet épisode met fin au cycle qui avait vu le PT (Parti des Travailleurs de Lula) dominer le Brésil depuis 2003. Le pays est aujourd’hui en récession profonde et doit avoir le courage de revenir sur la politique dispendieuse et inefficace de la gauche.

Mise à jour du mercredi 12 juillet 2017 : le juge Sergio Moro a condamné aujourd’hui l’ancien Président brésilien Lula à 9 ans et demi de prison pour corruption. Une première dans l’histoire du Brésil et une sérieuse défaite pour ce « guerrier du peuple » et ses partisans. Il reste cependant libre jusqu’à son procès en appel. Dans le même temps, le successeur de Dilma Roussef, Michel Temer, est pour sa part accusé de corruption passive dans une affaire impliquant le géant brésilien de la viande.


Dilma et Lula 4Illustration de couverture : L’actuelle Présidente du Brésil Dilma Rousseff et son prédécesseur Lula da Silva à Brasilia le 17 mars 2016, alors que ce dernier vient d’entrer en catastrophe au gouvernement. Photo : REUTERS / Adriano Machado.

8 réflexions sur “Dilma et Lula : la telenovela politique de la gauche brésilienne

  1. Bon, l’article, les magouilles des socialos-cocos, rien de très nouveau ! par contre, je me permets de protester énergiquement : « amour, gloire et beauté » est une série US dont ma très chère et tendre et moi-même, votre serviteur, furent des accros pendant, euh, un temps certain… Et ça n’a absolument rien de comparable avec les télénovelas sud américaines ! un peu de décence et de pudeur, je vous prie ! 😉

  2. Excellent cet article qui retrace les imbrications entre la décadence de Dilma Rousseff et les magouilles (alléguées) du PT. Deux petites remarques s’agissant de la situation économique :
    (1) Je ne connais pas la part qu’occupent les matières premières dans les exportations brésiliennes mais il est sûr que plus celle-ci est importante, plus la monnaie d’un pays suit de près l’évolution du cours des « commodities ». Un exemple bien connu est celui de l’Australie, dont l’industrie minière est importante et dont la monnaie s’est aussi considérablement dépréciée.
    (2) Le real s’est effectivement tellement déprécié depuis plusieurs mois voire plusieurs années que ce n’est peut-être pas si mauvais pour l’arrivée d’investissements extérieurs. Modulo deux choses au moins s’agissant des anticipations des investisseurs sur (a) les perspectives du BRL, si l’on a touché un point bas ou pas; (b) la façon dont le gouvernement traitera les capitaux étrangers (contrôle des flux, taux de change officiel ou non etc). J’ai lu un article récemment qui suggérait qu’en dépit des difficultés et de l’instabilité, certains considéraient qu’il était temps d’investir au Brésil. Peut-être qu’une destitution de Dilma les décidera à franchir le pas ?

  3. « il existe un débat parmi les économistes sur la question de savoir si le « miracle brésilien » est entièrement du fait de Lula ou de son prédécesseur le Président Cardoso » Ha bon ? La plupart des économistes sérieux reconnaissent que Cardoso est le vrai responsable du miracle brésilien. La seule chose que l’on peut reconnaitre à Lula s’est d’avoir eu l’intelligence de laisser en place ce que Cardoso a fait et de mener une politique de rigueur sauf en fin de second mandat pour faire élire sa protégée.
    Il n’y a que des économistes gauchistes pour attribuer la responsabilité de ce miracle à Lula.
    Il est intéressant de voir que le miracle brésilien est dû d’une part à des réformes (plutôt ) libérales et d’autre part, vient de facteurs extérieurs (ressources naturelles).
    Le problème s’est qu’il fallait continuer les réformes, l’économie brésilienne ne pouvait plus continuer comme avant (et ce de l’avis de tous les économistes de droite comme de gauche). Ce que n’a pas fait Rousseff. Rousseff a mené une politique immobiliste, elle n’a pas réformée le Brésil qui en avait grand besoin.
    D’ailleurs, on peut reprocher la même chose à Lula: ne pas avoir assez réformer le Brésil.
    Le modèle brésilien actuel n’est pas viable. Ce pays a besoin d’être réformer en profondeur

  4. Lula a continué dans la bonne voie qu’avait tracé Fernando Henrique Cardoso (d’abord comme ministre des finances puis comme président). Son ministre des finances, António Palocci, a réduit et le déficit budgétaire et la dette de l’État et a fait preuve de modération dans l’expansion de la masse monétaire. Le problème c’est qu’à la fin de son second mandat, pour faire élire sa dauphine, il a ouvert les vannes de l’argent public. Le Brésil même sur la bonne voie était confronté à de nombreux problèmes structurelles et avait un modèle intenable à long terme. Il fallait faire des réformes structurelles ce qu’a refusé de faire Dilma Rousseff. Et Lula. Le Brésil paye aujourd’hui sa lâcheté. Un article à lire: https://minarchiste.wordpress.com/2013/09/20/diagnostic-pauvrete-7-le-bresil/

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