Dans la matière de l’univers

Dans un précédent article intitulé Dans la courbure de l’univers, je me suis livrée à une présentation partielle du récent livre du physicien Christophe Galfard L’univers à portée de main(*), en m’intéressant plus particulièrement à l’espace et au temps dans leurs dimensions infiniment grandes et infiniment rapides : soleil, galaxies, théorie de la relativité restreinte et théorie de la relativité générale. Je propose maintenant d’en continuer la lecture en descendant le plus loin possible dans la matière, c’est-à-dire dans l’infiniment petit, c’est-à-dire dans le monde « quantique. »

Imaginons un lingot d’or de 1 kg, de la taille d’une demi-plaquette de beurre. Et supposons du reste qu’il soit aussi facile à trancher que du beurre. Entièrement motivée par la science, et certainement pas par la petite fortune que je tiens entre les mains, je décide de découvrir de quoi ce lingot est fait.

Je le coupe en deux une première fois et j’observe les deux morceaux obtenus : c’est toujours de l’or, rien n’a changé en apparence sauf la dimension. Je renouvelle l’opération encore et encore, j’ai toujours de l’or dans les mains. Mais à la vingt-sixième ou la vingt-septième coupe, je tiens entre mes mains la plus petite particule d’or possible. C’est encore de l’or, mais si je coupe cette particule en deux une fois de plus, ce ne sera plus de l’or. Cette quantité élémentaire d’or est un atome d’or. On peut le couper, mais ce qu’on obtient alors n’est plus de l’or.

Pour se faire une idée de l’échelle entre le lingot de départ et l’atome obtenu par 26 ou 27 découpes en deux successives, Christophe Galfard propose d’imaginer quel objet il faudrait découper ainsi 26 ou 27 fois de suite pour obtenir quelque chose d’aussi fin qu’une page de son livre. Pour mieux s’en rendre compte, on peut procéder en sens inverse : si l’on plie en deux, 26 fois de suite, une page de 0,2 mm d’épaisseur afin de la doubler à chaque pliage, on finit par avoir un tas de 13,5 km de haut (0,2 x 226 x 10-6 km) ! Avec notre atome d’or, avec tous les atomes, nous sommes bien dans le monde de l’infiniment petit, dans le monde quantique.

La même opération avec une portion de Beaufort aurait donné un résultat identique, si ce n’est que le fromage n’étant pas un corps pur, la façon de faire les découpes aurait abouti à des atomes différents.

Toujours est-il que « toute la matière connue de notre univers est faite d’atomes. » Et ces atomes, de quoi sont-ils faits ? D’éléments plus petits qu’eux – réponse assez intuitive qui a l’avantage d’être exacte. Là où les choses sont moins intuitives, c’est que ces éléments plus petits sont tous identiques dans tous les atomes de l’univers. Seul leur nombre change d’un atome à l’autre, et c’est cela (rien que cela) qui crée des propriétés (et des valeurs) très différentes entre les matières que nous connaissons.

Laissons l’atome d’or pour regarder de plus près l’atome d’hydrogène(**), le plus petit des atomes : il est formé d’un noyau atomique portant une charge électrique positive et d’un électron chargé négativement, sorte d’onde qui frétille autour du noyau. Essayons d’attraper cet électron. Facile, pensons-nous.

Eh bien, non, très difficile au contraire. Au moment précis où l’on croit l’avoir bien en main, il s’échappe, manifestant ainsi les deux propriétés remarquables des électrons (et de toutes les autres particules) : 1. il est impossible de dire à la fois où il est et où il va, il est impossible de connaître en même temps sa position et sa vitesse (Principe d’incertitude de Heisenberg, qui valut à ce dernier le Prix Nobel de Physique en 1932), et 2. il est capable de bonds incroyables appelés « sauts quantiques » comme s’il s’échappait de notre main fermée à travers un « tunnel » virtuel, dit « tunnel quantique. »

À ce stade, Christophe Galfard nous met en garde. Dès qu’on utilise le mot « quantique », généralement précédé d’un nom comme monde ou saut ou tunnel, cela veut dire : attention phénomène bizarre. L’électron a fait un « saut quantique », mais il n’a pas véritablement « sauté. » Il a traversé un « tunnel quantique », mais il n’y a pas véritablement de « tunnel. » Ce n’est pas clair ? C’est normal, le monde quantique est mystérieux et ne s’applique pas à notre échelle (sauf peut-être dans le cas du chat de Schrödinger, voir plus bas). On raconte qu’Einstein donnant un cours sur le sujet aurait dit à ses étudiants : « Si vous m’avez compris, c’est que je n’ai pas été clair. »

Poursuivons dans le « pas très clair » en observant maintenant le noyau de notre atome d’hydrogène(**). Autant l’électron est une particule élémentaire, c’est-à-dire qu’on ne peut pas le scinder en particules plus petites, autant le proton n’a rien d’élémentaire. Au contraire, il donne abri à deux familles de particules élémentaires très originales que les physiciens ont découvertes très récemment : les quarks et les gluons. Tout proton contient trois quarks qui vivent agglutinés les uns aux autres grâce aux gluons (appelés ainsi parce qu’ils « collent » les quarks entre eux). Les quarks expérimentent une forme de liberté très particulière, appelée « liberté asymptotique » (découverte récompensée par un Prix Nobel de Physique en 2004), qui n’existe que lorsqu’ils sont regroupés. Ce sont les gluons, à la manière de gardiens, qui les empêchent d’exister seuls.

Les quarks et les gluons des noyaux atomiques représentent plus de 99,9 % de la matière. Je pèse 60 kg. D’après les calculs de Christophe Galfard, si je perdais tous mes quarks et mes gluons, je ne pèserais plus que … 18 g !

Les quarks et les gluons existent aussi dans les neutrons du noyau atomique et se déplacent des neutrons aux protons, assurant ainsi la stabilité du noyau. Plus un noyau atomique est gros plus les quarks sont faciles à « garder » dans leur liberté asymptotique, moins il est nécessaire d’avoir des gluons pour les « coller » les uns aux autres. Si, comme on l’a vu dans l’article précédent sur la fusion thermonucléaire au cœur d’une étoile, les gros noyaux formés par la fusion de deux plus petits ont une masse inférieure à la somme des deux masses initiales, c’est parce que le nouveau noyau, plus gros, contient moins de gluons. Ces derniers, inutiles en tant que masse, se sont transformés en énergie pure. Voici un exemple extraordinaire du lien qui existe entre les plus grands astres de notre univers et les plus petites particules que nous connaissons.

Pour finir, tout en persistant avec constance et cohérence dans l’idée d’être aussi peu claire que possible, j’aimerais parler du chaton (mignon ET pas mignon, soyons quantiques) de Schrödinger. Je ne fais pas cette proposition complètement au hasard. Erwin Schrödinger, qui a aussi reçu un prix Nobel en 1935 pour ses travaux en physique quantique, a eu l’idée d’une expérience pour faire apparaître à notre échelle les effets du monde quantique… sur un chat.

Matériel nécessaire pour l’expérience : un chaton pour lequel vous n’avez pas des sentiments trop développés (car un accident fatal est vite arrivé), une boîte qui puisse être fermée de façon à ce qu’on ne puisse pas deviner ce qui se passe à l’intérieur, une substance radioactive ayant 50 % de chance de se désintégrer pendant la durée de l’expérience, un détecteur de radiations, un marteau et enfin une fiole contenant un poison mortel.

Schrödinger's catMontage : on installe le marteau, la fiole contenant le poison, la substance radioactive et le chaton, encore assez mignon à ce stade, dans la boîte, de telle façon que le marteau casse la fiole et libère le poison si le détecteur capte des radiations. Et on ferme bien la boîte.

Expérience : il y a 50 % de chance que le chaton soit empoisonné puisqu’il y a 50 % de chance que la substance radioactive se désintègre.

Question : le chat est-il mort ? À l’échelle macroscopique qui est la nôtre, il sera facile de vérifier avec nos yeux que le chat est mort ou vivant. Mais à l’échelle quantique, ce qui peut arriver arrive. Comme la désintégration de la substance radioactive a autant de chance de se produire que de ne pas se produire, les deux se produisent. Donc tant que la boîte est fermée, le chat est simultanément mort ET vivant. Dès qu’on ouvre la boîte, le chaton s’échappe bien vivant OU gît immobile et mort au fond de la boîte.

Une expérience menée par le physicien français Serge Haroche et un collègue américain (et hop, prix Nobel pour les deux en 2012), non pas sur un chat, mais des atomes et de la lumière, a montré que les particules quantiques pouvaient exister simultanément dans des états différents pendant un instant. Une façon de prouver le double état mort/vivant du chat de Schrödinger.

Mais un mystère persiste : vous ouvrez la boîte et votre chaton bondit dans vos bras, bien vivant. Comme il était mort ET vivant, où est passé le mort ? Et si vous le récupérez mort, où est passé le chat vivant ? Des physiciens y réfléchissent et commencent à émettre des réponses. Selon un certain Hugh Everett, brillant mathématicien et physicien américain, la physique quantique implique qu’il existe une multitude d’univers parallèles qui font « qu’aucun choix réel n’est jamais effectué dans la nature, et que toutes les possibilités se produisent. » 

Je vous laisse méditer. Je ne sais pas vous, mais, en ce qui me concerne, je ressens soudain le besoin d’absorber d’urgence trois Aspégic 1000 contre la migraine avant de profiter d’une bonne nuit de sommeil. 

—> Prochain article « Univers » : Aux origines de l’univers (article du 14 mars 2016)

ATOMES  ET  TABLEAU  PERIODIQUE  DES  ELEMENTS

Atome carboneUn atome (voir exemple de l’atome de carbone ci-contre) est formé d’un noyau, comportant des nucléons c’est-à-dire des protons chargés positivement et des neutrons de charge électrique nulle, et d’électrons tournant autour du noyau dont le nombre est égal à celui des protons.

La charge électrique des électrons est négative et vient annuler la charge électrique des protons. Si un électron vient à quitter l’atome, ou si un électron vient le rejoindre, la charge de l’atome n’est plus nulle, mais positive ou négative, et dans ce cas, on parle d’ion, et non plus d’atome.

TPELe Tableau périodique des éléments, dit aussi Table de Mendeleiev, du nom du chimiste qui a proposé le premier une telle classification en 1869, comporte à ce jour 118 éléments chimiques. Ils sont rangés en ligne en fonction de leur nombre de couches électroniques et en colonnes en fonction du nombre d’électrons sur la dernière couche électronique. Ce classement a l’avantage de situer dans une même colonne des éléments qui présentent des propriétés chimiques semblables.

Numéro atomique et nombre de masse

Les éléments se suivent les uns les autres dans le tableau en fonction de leur numéro atomique Z, c’est-à-dire le nombre de protons contenus dans leur noyau (lequel est composé de protons et neutrons, lesquels, on l’a vu plus haut, sont composés de quarks et de gluons).

Exemples : L’hydrogène (H) possède le numéro atomique 1 car il a 1 proton dans son noyau, et donc 1 électron autour de son noyau. Le numéro atomique de l’hélium (He) est 2 car il a deux protons dans son noyau, et donc 2 électrons. Le numéro atomique de l’argent (Ag) est 47 car il a 47 protons dans son noyau.

Nombre de masse : il s’agit du nombre de nucléons contenus dans le noyau, soit la somme des protons Z et des neutrons N. La masse de l’atome découle de la masse de ces éléments, les électrons ayant une masse négligeable.

Formation des Périodes ou lignes du tableau :

Ligne 1 ou période 1 : L’hydrogène (H) et l’hélium (He) ont une seule couche électronique comprenant 1 électron pour l’hydrogène et 2 électrons pour l’hélium.

Au-delà de 2 électrons, on passe à la période 2 des éléments ayant deux couches électroniques. Les couches électroniques 2 et 3 comportent jusqu’à huit électrons quand elles sont complètes, les couches 4 et 5 jusqu’à 18 électrons et les couches 6 et 7 jusqu’à 32 électrons.

Au-delà de 10 électrons on passe donc à la période 3, au-delà de dix-huit à la période 4, au-delà de 36 à la période 5, au-delà de 54 à la période 6, et au-delà de 86, à la période 7. Et on s’arrête à cette couche électronique n° 7 pour l’instant.

Ligne 2 ou période 2 : Le carbone (C) comporte 6 électrons, 2 sur sa première couche électronique et 4 sur la seconde.

Ligne 4 ou période 4 : Le cuivre (Cu) a 29 électrons, 2 sur la première couche, 8 sur la seconde, 8 sur la troisième et 11 sur la quatrième.

Ligne 6 ou période 6 : le Polonium (Po) très apprécié de Vladimir Poutine a 84 électrons, 2 sur la première couche électronique, 8 sur la seconde, 8 sur la troisième, 18 sur la quatrième, 18 sur la cinquième, et enfin 30 sur sa sixième et dernière couche.

Isotopes

Un même élément comportant un nombre donné Z de protons dans le noyau peut recouvrir plusieurs atomes différents parce qu’ils n’auront pas le même nombre de neutrons N dans le noyau. Ces atomes, dits isotopes, seront cependant situés dans la même case du tableau des éléments.

Exemple de l’Uranium (U), élément très utile à notre production d’énergie électrique :
Il comporte 92 protons, donc 92 électrons, ce qui le situe dans la ligne 7 du tableau périodique (2 électrons sur la première couche puis 8, 8, 18, 18, 32 et 6 sur la septième et dernière couche). Il existe 26 isotopes connus de l’uranium, dont l’uranium 235 et l’uranium 238 qui ont l’un et l’autre beaucoup d’applications civiles et militaires.

Uranium 235 : Outre ses 92 protons, il possède 143 neutrons et donc son nombre de masse (somme des protons et des neutrons) est 235, d’où son nom,

Uranium 238 : Il a également 92 protons, mais 146 neutrons, ce qui porte son nombre de masse  à 238.

(**) Exemple de l’hydrogène (H) : Il comporte 1 proton, donc 1 électron.

hydrogène

Il existe de l’hydrogène à 0 neutron qu’on appelle hydrogène (nombre de masse = 1), puis de l’hydrogène à 1 neutron qu’on appelle parfois deutérium (nombre de masse = 2), et enfin de l’hydrogène à 2 neutrons appelé tritium (nombre de masse = 3).

Encadré réalisé par mes soins. Je ne suis pas scientifique, merci de me signaler les sottises.


L univers a portee de la main(*) L’univers à portée de main de Christophe Galfard, Flammarion, 2015.


Voie lactee NasaIllustration de couverture : Vue de notre galaxie prise depuis les Andes chiliennes à une altitude de 5000 m environ. Photo  de la NASA.

4 réflexions sur “Dans la matière de l’univers

  1. Bravo pour votre éclectisme ! on ne s’ennuie jamais à lire votre blog et on apprend sans cesse..
    Ainsi je connaissais la tomme de Savoie mais pas l’atome de Beaufort .. Et comme vous nous rappelez à juste titre que la masse c’est de l’énergie (E=mc2), on comprend par la même occasion tout le bienfait de nos casse-croûte fromagers durant nos randonnées alpines !
    Sinon, je m’interroge sur la conclusion aboutissant à démontrer la possibilité scientifique du don d’ubiquité qui aurait pour conséquence de porter un coup supplémentaire à bon nombre de catholiques très attachés à l’Eucharistie qui consacre la présence simultanée du corps et du sang du Christ dans ce sacrement, en tant que manifestation de la présence divine..

    • Bonjour Bouju,
      Sur votre dernière remarque : j’ai du mal à vous répondre, la mécanique quantique est compliquée, la foi catholique est compliquée.
      Soyez sûr d’une chose : en tant que catholique, aucune découverte scientifique ne me fait peur ou ne porte de « coup ». J’ai comme tout le monde envie d’en savoir plus, et j’ai en plus confiance dans la cohérence entre la science et ma foi.
      Ca nous ramène aux notions d’inconnu et d’inconnaissable de Kant. Avec notre raison, nous diminuons le champ de l’inconnu, serons-nous capable de venir à bout de ce qui, pour Kant était inconnaissable ?

  2. Bonjour, Comme Bouju qui l’est sans doute, je suis savoyard.
    Je viens de découvrir votre Blog grâce à H16 et me suis RSS abonné.
    Je trouve aussi que votre explication m’a permis de comprendre _vous vous êtes sans doute mal expliquée ;=)_ le paradoxe du chat(on) qui me laissais pantois depuis plusieurs années.
    Dans le domaine des muletiers je conseille la lecture de Aurélien BARRAU : « Des Univers multiples : à l’aube d’une nouvelle cosmologie ».
    Merci pour votre Blog

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