Cahuzac : portrait d’un homme politique socialiste

Les mises à jour sont en fin d’article.

Mardi 15 mai 2018 : La Cour d’Appel de Paris a reconnu Jérôme Cahuzac coupable de fraude fiscale, de blanchiment de fraude fiscale et de déclarations mensongères. Elle l’a  condamné à 4 ans de prison dont 2 ans avec sursis, à 5 ans d’inéligibilité et à une amende de 300 000 €. Il échappe à la prison en raison des aménagements de peine possibles.

 L’ancien ministre du budget, Jérôme Cahuzac, est jugé à partir d’aujourd’hui (8 février 2016) pour fraude fiscale, blanchiment et déclaration de patrimoine incomplète lors de son entrée dans le gouvernement Ayrault en mai 2012. Il devrait être content puisque, sommé de s’expliquer sur son compte suisse non déclaré devant les députés le lendemain du premier article accusateur de Mediapart, qui a révélé l’affaire le 4 décembre 2012, il déclarait alors :

« Ce n’est que devant la Justice, hélas, que les accusateurs doivent prouver la réalité des allégations qu’ils avancent. Et c’est donc devant la Justice que je m’expliquerai devant ces contradicteurs en attendant d’eux des éléments probants qui à ce jour font manifestement défaut. » (déclaration de J. Cahuzac à l’Assemblée nationale le 5 décembre 2012)

Non sans avoir d’abord proclamé sa plus parfaite innocence en la matière : « Je démens catégoriquement … je n’ai pas, je n’ai jamais eu de compte à l’étranger … » (Vidéo  25″) : 

Dans son premier article, Fabrice Arfi, journaliste de Mediapart, révèle que Jérôme Cahuzac a détenu pendant de nombreuses années un compte non déclaré à l’Union des banques suisses (UBS) de Genève et qu’il l’a discrètement fermé et transféré à Singapour en 2010, juste avant de devenir le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale.

Le journaliste ne donne pas de montant et n’est pas formel quant à l’origine des fonds : revenus non déclarés de sa lucrative activité de chirurgien spécialisé en implants capillaire, ou troubles retombées des relations qu’il a nouées avec l’industrie pharmaceutique alors qu’il était membre du cabinet du ministre de la santé Claude Evin entre 1988 et 1991 (gouvernement Rocard) ?

Fabrice Arfi indique par contre qu’en 2008 un inspecteur des impôts du Sud-ouest écrit dans un mémoire adressé à sa hiérarchie :

« Alors qu’il exerce des activités au cabinet de Claude Évin, ministre de la santé, (Jérôme Cahuzac) ouvre un compte bancaire à numéro en Suisse. »

À l’appui de ses dires, le journaliste de Mediapart précise, l’air de rien, qu’il existe la trace d’une conversation datant de 2000, au cours de laquelle Jérôme Cahuzac s’inquiète de ce compte, alors qu’il brigue la mairie de Villeneuve-sur-Lot (dont il sera effectivement maire de 2001 à son entrée au gouvernement en 2012).

Le second article de Mediapart sort le lendemain et tourne intégralement autour du fameux enregistrement téléphonique de 2000 dans lequel Jérôme Cahuzac, dont la voix sera plus tard authentifiée formellement, discute avec son chargé d’affaires sans se douter qu’il a rappelé par mégarde son précédent interlocuteur dont le répondeur va enregistrer toute la conversation. Et quelle conversation ! On l’entend notamment déclarer :

« Ça me fait chier d’avoir un compte ouvert là-bas, l’UBS c’est quand même pas forcément la plus planquée des banques. » (pour écouter les enregistrements, cliquer sur le lien donné sous « second article »)

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À partir de là, la crédibilité de Mediapart affronte la crédibilité de Jérôme Cahuzac, lequel répétera sur tous les tons pendant trois mois, y compris les yeux dans les yeux de Jean-Jacques Bourdin, que jamais, jamais, jamais … à aucun moment, pourquoi démissionner quand on se sait innocent, etc… Voir vidéo à la minute 2′ 40″ :

Cependant, une information judiciaire est ouverte et l’authenticité de l’enregistrement est confirmée. Le montant du compte en suisse est révélé, il s’agit de 600 000 euros. Un autre compte off-shore, ouvert par l’épouse de Cahuzac et dont les mouvements avoisinent les 3 millions d’euros, est découvert à l’île de Man. Les enquêteurs établissent aussi que Jérôme Cahuzac recevait des sommes rondelettes en remerciement de ses activités de lobbyiste pour le compte de laboratoires pharmaceutiques.

De son côté, Mediapart continue ses investigations et trouve plusieurs sources pour confirmer que la clinique capillaire des Cahuzac avait l’habitude de proposer des petites ristournes agréables à ses clients s’ils acceptaient de payer en liquide. « Il m’a expliqué que les médecins payaient trop de charges à son goût… » explique un client lui-même médecin. Dans le même temps, les époux Cahuzac ont engagé une procédure de divorce et ils se disputent férocement le partage de leur patrimoine. Mme Cahuzac va même lancer avocats et enquêteurs privés aux trousses de son mari afin de découvrir l’intégralité de son patrimoine, ce qui ne sera pas sans incidence sur sa chute politique.

Si les socialistes ont commencé par demander la plus grande prudence à l’égard des allégations de Mediapart en rappelant que Jérôme Cahuzac devait bénéficier de la présomption d’innocence comme tout un chacun, l’abondance des éléments pointant en défaveur du ministre a fini par avoir raison de la solidarité gouvernementale. En mars 2013, Cahuzac est poussé à la démission par Hollande et Ayrault. Il se dit encore innocent et prétend quitter le gouvernement afin de laisser la justice faire son travail en toute sérénité.

Mais le 2 avril 2013, lors d’un interrogatoire par les juges en charge du dossier au pôle financier, alors que les preuves deviennent accablantes, Jérôme Cahuzac comprend que son attitude de probité outragée n’est plus tenable et avoue l’existence du compte suisse de 1992 à 2010, ainsi que son montant de 600 000 euros. Il est mis en examen pour deux motifs : blanchiment de fraude fiscale et blanchiment de perception de revenus provenant d’entreprises pharmaceutiques. Le même jour, il publie ses aveux sur son blog et se dit bourré de remords :

« J’ai rencontré les deux juges aujourd’hui. Je leur ai confirmé l’existence de ce compte (…) A Monsieur le Président de la République, au Premier Ministre, à mes anciens collègues du gouvernement, je demande pardon du dommage que je leur ai causé. A mes collègues parlementaires, à mes électeurs, aux Françaises et aux Français j’exprime mes sincères et plus profonds regrets. (…) » 

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Il est certain que tout socialiste qu’il soit – depuis 1977 mais dans la mouvance Rocard, Jérôme Cahuzac n’est pas exactement ce que le fondateur de Mediapart, Edwy Plenel, appelle un homme de gauche. Il est chirurgien, il est riche et, horresco referens, il est chargé d’appliquer une politique de « rigueur » dans le gouvernement Ayrault, ainsi que le précise Fabrice Arfi sans fioriture inutile :

« Aujourd’hui chargé d’appliquer la rigueur budgétaire dans les ministères, il symbolise quelques-uns des aspects les plus impopulaires de la politique économique voulue par le nouveau pouvoir socialiste. » 

Aussi, les socialistes ont d’abord voulu voir dans la démarche de Mediapart contre Cahuzac la volonté d’Edwy Plenel de porter un coup à la ligne social-démocrate du gouvernement pour le compte de l’ultra-gauche.

Si l’on ne peut pas totalement absoudre Mediapart de tels calculs, il faut reconnaître que Fabrice Arfi a eu une chance inouïe dans ses investigations. Son intérêt pour Jérôme Cahuzac était motivé initialement par une faveur que ce dernier aurait faite à Eric Woerth dans son affaire de la vente de l’hippodrome de Compiègne. Il se met à enquêter sur le ministre du budget et tombe sur « le scandale » du quinquennat Hollande !

Le procès de Jérôme Cahuzac commence donc aujourd’hui. Et pourrait assez vite être reporté car ses avocats comptent soulever deux Questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), l’une concernant notamment le cumul du contentieux fiscal avec la procédure pénale. Cahuzac a déjà écopé de sanctions fiscales, et la question se pose de savoir s’il peut être jugé une nouvelle fois pour les mêmes faits.

Si le procès avait lieu, il permettrait peut-être d’éclaircir l’incroyable attitude du ministre, ses mensonges répétés jusqu’au bout, devant les députés comme devant les Français, comme s’il pensait qu’il allait s’en tirer.

Dans un livre paru il y a environ deux semaines, Jean-Luc Barré, ancien adversaire politique de Jérôme Cahuzac, se fait son défenseur en avançant la thèse que les fonds du compte suisse seraient peut-être en rapport avec le financement des activités politiques de Michel Rocard. « Je n’aurais pas menti comme je l’ai fait si je ne m’étais pas senti couvert » aurait confié Cahuzac à Jean-Luc Barré. Ultime tentative de défense ou affaire encore plus profondément enfoncée dans les fonctionnements occultes des divers courants socialistes ? La QPC risque de venir mettre un opportun couvercle sur tout ceci.

J’ai titré « Portrait d’un homme politique socialiste. » Au départ, je pensais m’arrêter à « homme politique. » Mais dans l’affaire Cahuzac, tout ce qu’on déteste dans la fraude en général, dans la fraude des hommes politiques en particulier, prend une tournure particulière du fait du rôle du ministre au sein de son ministère du budget et du fait de son auréole de saint homme de gauche, membre du Parti socialiste.

À peine arrivé en fonction, Jérôme Cahuzac, l’homme qui se faisait payer en liquide parce qu’il trouvait que les charges des médecins étaient trop lourdes, s’est lancé dans une vaste opération destinée « à renforcer l’arsenal législatif contre la fraude et l’optimisation fiscale. » La loi visera notamment « les particuliers qui refusent de dévoiler l’origine de sommes non déclarées, placées à l’étranger », nous explique un journaliste du Point en novembre 2012, sans imaginer une seconde tous les articles qu’il va bientôt pouvoir écrire sur Cahuzac, premier fraudeur fiscal de France !

Les politiques socialistes ont toujours consisté et consistent toujours à taxer les « riches » (et on se rappellera que François Hollande n’aime pas les riches) pour financer le recrutement sans fin de fonctionnaires et assurer la redistribution sociale qui permettra à la société française d’accéder à l’égalité, et surtout aux hommes politiques socialistes d’accéder à leur réélection. L’ISF, symbole s’il en est de l’égalitarisme de façade en vigueur dans ce pays, est une création socialiste mise en place en 1982 par Pierre Mauroy dans le cadre du programme commun de la gauche (sous le nom d’Impôt sur les grandes fortunes ou IGF). Supprimé en 1987 lors de la cohabitation de Mitterrand avec Chirac, il fut ré-instauré en 1989 sous Rocard.

Il est parfaitement légitime de trouver que les médecins ont trop de charges, que les impôts sont trop élevés, que l’ISF est une spoliation qui va contre l’intérêt du pays. C’est du reste exactement ce que je pense. Par contre, il est typique de la mentalité des socialistes au pouvoir de vouloir faire « payer les riches » tout en étant riche soi-même, tout en arrangeant ses petites affaires afin de payer le moins possible et tout en radotant sans fin sur le monopole du coeur, sur la solidarité, sur les inégalités galopantes et sur la planète mise en danger par les affreux capitalistes.

Finalement, les hommes politiques socialistes sont bien à plaindre. Opportunément affligés de « phobie administrative » ou fiscale, à l’aise dans les signes extérieurs du pouvoir comme des requins dans l’océan au point de se faire cirer leurs trente paires de Weston dans un salon doré de l’hôtel Marigny (annexe de l’Elysée), ils se sentent malgré tout obligés d’appliquer aux autres des politiques administratives et fiscales dont ils doivent en plus vanter la haute tenue morale. C’est dure, la vie d’un socialiste.

Et c’est le moment de citer Pascal (Pensées) : « L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête. »


Mise à jour du mardi 16 février 2016 : Le tribunal correctionnel où a comparu Jérôme Cahuzac le 8 février 2016 dernier a jugé recevable la Question prioritaire de constitutionnalité posée par sa défense contestant le cumul des poursuites fiscales et pénales (voir dans l’article ci-dessous). Ses avocats ont fait valoir qu’il avait « accepté un redressement fiscal majoré de 80 %, d’un montant de plus de 2,3 millions d’euros, dont 500 000 euros de pénalités. » Cette QPC devant être examinée par la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel, le procès a été reporté au 5 septembre 2016.

Mise à jour du jeudi 8 décembre 2016 : Jérôme Cahuzac a été condamné ce jour à 3 ans de prison ferme et 5 ans d’inéligibilité, conformément à ce qu’avait requis le procureur lors du procès de septembre dernier. Son ex-épouse Patricia est condamnée à deux ans de prison et divers comparses écopent d’amendes et d’un an de prison avec sursis. Cahuzac fait appel de sa condamnation.

Lundi 12 février 2018 : Ouverture du procès en appel.

Mardi 15 mai 2018 : La Cour d’Appel de Paris a reconnu Jérôme Cahuzac coupable de fraude fiscale, de blanchiment de fraude fiscale et de déclarations mensongères. Elle l’a  condamné à 4 ans de prison dont 2 ans avec sursis, à 5 ans d’inéligibilité et à une amende de 300 000 €. Il échappe à la prison en raison des aménagements de peine possibles.


Cahuzac 3Illustration de couverture : Jérôme Cahuzac à l’Assemblée nationale. Crédit photo © Reuters.

4 réflexions sur “Cahuzac : portrait d’un homme politique socialiste

  1. « peut-être en rapport avec le financement des activités politiques de Michel Rocard. « Je n’aurais pas menti comme je l’ai fait si je ne m’étais pas senti couvert » aurait confié Cahuzac »
    …curieux, vu l’ancienneté des activités politiques de Michel Rocard [si on excepte sa fonction d’ambassadeur des pôles!], ce compte aurait depuis longtemps été soldé et réparti entre les comparses;
    Autrement, en politique, on peut mentir puisqu’on est couvert et, pour mentir comme il l’a fait – à l’Assemblée – il devait vraiment sentir les trois parapluies au-dessus de sa tête.
    Enfin, les QPC, qui encouragent les manœuvres dilatoires.
    Mais à part çà, Madame la….

  2. Il y a quelque chose d’étrange dans cette affaire.Tandis que M.Cahuzac est condamné en appel (puisqu’il avait fait appel de la décision des juges) pour avoir placé d’importantes sommes d’argent dans des « paradis fiscaux » (c’est ainsi qu’on les nomme)afin d’échapper à la fiscalité ordinaire M.Macron explique benoîtement à des millions de télespectateurs (peut-être confits en dévotion ?)que l’évasion fiscale n’existe pas en France.M.Cahuzac n’était pas vraiment n’importe qui puisqu’il avait précisément en charge les finances publiques,les finances de l’Etat.En réalité ces deux points de vue (ceux de MM Cahuzac & Macron)se rejoignent bien sur un point.Selon ces « responsables » publics l’évasion fiscale est une fiction,une vue de l’esprit,une sorte de mythe.Ils ne sont pas vraiment en désaccord avec M.Sarkozy selon qui « les paradis fiscaux c’est fini ».L’évasion fiscale selon toutes les estimations sérieuses s’élève à la somme dérisoire de 80 milliards d’euros par an.Il s’agit d’une estimation car s’il s’agissait d’une certitude ce colossal manque à gagner serait bel et bien dans les caisses de l’Etat.Les responsables actuels de l’Etat français sont très discrets sur le jugement historique qui vient d’être rendu par la cour d’appel.On peut le comprendre.En effet les juges viennent d’infliger un cinglant démenti aux appréciations pour le moins erronées des plus hauts responsables de l’Etat.Les paradis fiscaux existent et l’Etat français ne fait strictement RIEN pour que les 80 milliards de manque à gagner viennent abonder chaque année les caisses de l’Etat.La conséquence d’une telle dépense fiscale ?C’est l’austérité à perpétuité,ce sont des services publics à l’abandon,c’est le malthusianisme de l’investissement public,c’est une activité économique atone,c’est une transition écologique au point mort.Cette question est hautement politique.Pour le petit patron de P.M.E. (et nombre de Français qui travaillent dur)c’est 30 % d’impôts,pour M.Cahuzac comme pour M.Bernard Arnault ou M.Bolloré c’est plutôt 5%.Où se trouve l’égalité face à l’impôt ?Mais l’évasion fiscale qui semble bien être pratiquée à une échelle industrielle n’existe pas j’oubliais…..Soit ces responsables politiques sont de tristes clowns soit ce sont de fieffés menteurs soit de dangereux délinquants.Dans tous les cas de figure ils finissent tous par DEGAGER (un peu comme en Italie…)!

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