Une autre écologie est possible (VI) Et le nucléaire ?

Complément d’information du 8 février 2016 : Après l’accident de Fukushima, les pays très équipés en nucléaire civil ont voulu évaluer la dangerosité de leurs centrales. Deux scientifiques, dont James Hansen, ex-chercheur de la NASA connu pour sa partialité en faveur du réchauffement climatique anthropique, ont pris le problème dans l’autre sens : combien de morts la production d’électricité par le nucléaire plutôt que par les énergies fossiles a permis d’épargner entre 1971 et 2009 ? Ils arrivent au chiffre de 1,8 millions de personnes. Ils ont ensuite extrapolé que si l’énergie actuellement produite par le nucléaire était remplacée par le charbon (cas de l’Allemagne, par exemple) il faudrait enregistrer d’ici l’année 2050 4 à 7 millions de morts en plus (accidents miniers et pollution). Le détail méthodologique est donné dans un article du Huffington Post de 2013. La même année, James Hansen a co-signé une lettre ouverte « To those influencing environmental policy but opposed to nuclear power » (A ceux qui influencent la politique environnementale mais sont opposés au nucléaire) qui expose le dilemme des écologistes, à la fois opposés au nucléaire et aux émissions de CO2


Article écrit en commun par   h16 et Nathalie MP.

Il existe une gradation dans l’horreur écologique. On trouve assez haut la peur diffuse (et confuse) du réchauffement climatique, suivie de près par la peur de manquer de ressources naturelles. Un peu plus bas, celle de manquer de place pour stocker nos déchets, qui déclenche une frénésie de tris et de recyclages pas toujours judicieux. Mais indéniablement, au sommet de cette échelle se situe la peur panique de mourir d’un cancer, de muter atrocement ou d’émettre de la lumière en battant des paupières : l’industrie nucléaire et ses déchets dépassent tout dans l’effroi et la répulsion quasi-mystique qu’ils inspirent dans le public. 

L’épouvante est si palpable qu’à la suite de la catastrophe de Fukushima, les Allemands décidèrent de sortir totalement du nucléaire pour 2022 et ce, malgré la traque impitoyable des émissions de CO2 pour sauver la planète de l’autre horreur écolo, le réchauffement climatique. Paradoxe étrange : la seule source d’énergie pauvre en émissions de CO2 et efficace pour la production d’électricité est régulièrement écartée des solutions possibles. Quitte à bousculer du chaton mignon, tentons d’expliquer ce paradoxe sur le nucléaire.

Parc nucleaire francaisEt question bousculement de chatons, la France sait faire puisqu’elle est au deuxième rang mondial après les États-Unis pour la production d’énergie nucléaire et le nombre de réacteurs en fonctionnement. Par habitant (chatons compris), elle dispose même du plus grand parc mondial, qui en 2014 produisait 418 TWh(*) dans 58 réacteurs répartis sur 19 sites, couvrant ainsi 77 % de sa production électrique.

Le reste de l’électricité est assuré à 12,6 % par l’hydraulique, 5 % par le thermique à combustible fossile, 3,1 % par l’éolien, 1,1 % par le photovoltaïque et une quantité négligeable par des petits hamsters qui trottent dans leur roue à dynamo(**).

Approvisionnement en uraniumEh oui, la France bénéficie directement des travaux nobélisés de Becquerel et des époux Curie sur la radioactivité (1903), ainsi que de la décision politique prise après guerre d’accéder à l’indépendance énergétique grâce au nucléaire, renforcée par les chocs pétroliers des années 1970. Ceci a permis de faire passer notre taux d’indépendance de 23 % en 1973 à environ 52 % aujourd’hui. 

On objecte souvent que la France est dépendante à 100 % de son approvisionnement en uranium, mais la diversité des pays producteurs (Canada, Australie, Niger, Kazakhstan) comme celle des fournisseurs (AREVA représente 40 %) réduit notablement ce risque (voir carte ci-dessus).

Déchets radioactifs 2013

Mais voilà : en consommant 1 200 tonnes de combustible par an (dont 17%, soit 200 tonnes, proviennent de combustible recyclé), les 58 réacteurs français produisent des déchets qui sont traités à l’usine de traitement de La Hague (Normandie). 

Les déchets nucléaires (voir répartition de la provenance ci-dessus) sont bien sûr les combustibles non recyclés qui représentent seulement 4 % des combustibles usés et qui sont aussi les plus radio-toxiques (principalement les cendres de fission), mais aussi tout élément qui fut en contact avec une zone radioactive, aussi bien dans une centrale nucléaire que dans les autres industries, la recherche ou le secteur médical (gants, combinaisons, matériaux divers). En pratique, selon l’Andra, l’agence française chargée de la gestion de ces déchets, ils représentent 2 kg par an et par habitant, ce qui est très loin de nos 360 kg d’ordures ménagères. 

Qu’en fait-on ?

Eh bien, outre des croquettes pour chatons, essentiellement, on les stocke : temporairement en surface pour les moins radioactifs, à faible profondeur pour les autres ou en piscines et, plus nouveau, en couche géologique profonde (pas très loin de la cote de popularité de Hollande) pour les déchets les plus radioactifs de la catégorie HAVL (haute activité et vie longue), de toute façon peu volumineux.

Bref, s’il est bien grotesque de paniquer à cause des déchets nucléaires, finalement peu nombreux et bien gérés, peut-être est-ce le fait même de casser des atomes qui provoque l’angoisse Eh bien non, l’épouvante ne résiste pas à l’analyse des faits.

Prenez les catastrophes nucléaires. Si on ne compte pas le dernier album de Christophe Maé, il y en a seulement 3 à ce jour, à savoir Three Mile Island en 1979, Tchernobyl en 1986 et Fukushima en 2011. Notons au passage que cette dernière résulte d’un tsunami et pas d’un incident nucléaire initial. Si l’on élimine l’hystérie médiatique qui les a entourées, il reste des accidents isolés et bien moins létaux que d’autres.

Comparé aux autres sources d’énergie, une étude montre que le nucléaire a provoqué à ce jour 0,04 mort par TWh produit. L’énergie solaire est à 0,44 et le pétrole à 36. Le charbon, quant à lui, caracole en tête de cette liste macabre avec 100 morts par TWh produit. Autrement dit, toutes les autres sources d’énergie sans exception sont donc plus meurtrières que le nucléaire. Comme quoi, des accidents extrêmement rares, médiatiquement spectaculaires, provoquent une perception faussée et font oublier les accidents miniers et la pollution de l’air dus au charbon.

À cette très basse létalité, il faut ajouter un impact environnemental bien plus faible et bien mieux géré que pour les autres énergies. On l’a vu pour les déchets principaux, mais on se doit de rappeler aussi que la production électrique nucléaire produit très peu de CO2 (et sans émission lors du fonctionnement des réacteurs). Il faut ajouter la construction et le démantèlement d’une centrale pour voir apparaître ce poste, et on arrive à 35 g de CO2 par kWh, contre près de 500 g pour les centrales à pétrole, 1200 g pour les centrales à charbon, ou 16 tonnes pour le dernier album de Christophe Maé.

Certes, l’éolien fait mieux (20 g par kWh) mais reste peu efficace car il exige une météo favorable et des hectares de champs d’éoliennes pour devenir significatif, en plus d’accumuler des terres rares, hautement toxiques et polluantes, dans les alternateurs. Les miaulements de Greenpeace et de Cécile Duflot au sujet du nucléaire sont inaudibles sur le sujet des terres rares… qu’on retrouve également dans les panneaux photovoltaïques.

Enfin, citons aussi le coût très modéré du nucléaire pour le consommateur : selon un rapport de la Cour des comptes de 2014, le MWh (*) nucléaire français coûterait un petit 60 €, frais de démantèlement et de gestion des déchets inclus. Ça veut dire une électricité 22 % moins chère que la moyenne européenne et moitié moins qu’en Allemagne. C’est plus que l’hydroélectrique (15 à 20 €), mais moins que l’éolien massivement subventionné (80 €) ou le photovoltaïque dans le sud (100 €).

Récapitulons : les déchets ne sont pas catastrophiques, la production n’est guère polluante, les catastrophes sont extrêmement rares et peu létales. Peut-être doit-on justifier l’hystérie anti-nucléaire des chatons mignons de l’écologie punitive par une pénurie de combustibles ? Même pas. D’une part l’uranium 235 utilisé actuellement après enrichissement ne manquera pas. D’autre part, une autre forme de nucléaire est possible !

On peut évoquer rapidement les travelling wave reactors ou réacteurs à onde progressive, fonctionnant avec de l’uranium naturel ou du thorium, alternative non militarisable dont les réserves sont immenses. Citons aussi les réacteurs à sels fondus dont l’intérêt a donné lieu à de nouvelles études afin de les déployer en réacteurs de quatrième génération, ainsi que les projets de petites centrales personnelles dont on pourrait équiper directement des petits groupes d’habitat résidentiel.

Enfin, la surgénération permet de valoriser en tant que combustible nucléaire l’ensemble des matières fertiles telles que l’uranium 238, qui représente plus de 99% de l’uranium naturel, et le thorium, lui-même trois fois plus abondant que l’uranium. L’expérience menée en France à Superphénix (Creys-Malville, Isère) fut consciencieusement sabotée sur le plan politique, bien qu’ayant prouvé sa viabilité conceptuelle, et pouvant néanmoins faire partie de solutions retenues pour les générateurs de quatrième génération.

En parallèle à la fission nucléaire, on peut aussi évoquer les avancées dans la fusion. Il y a encore loin de la coupe aux lèvres, mais on peut citer ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor), plus grand centre de production expérimentale d’énergie de fusion, en cours de construction à proximité de Cadarache (Bouches-du-Rhône) et associant l’Union européenne, l’Inde, le Japon, la Chine, la Russie, la Corée du Sud, les États-Unis et la Suisse. Intéressant techniquement, il suscite cependant beaucoup d’inquiétudes… financières : le calendrier et le budget dérapent complètement (de 5 à 16 milliards d’euros).

Il n’est toutefois pas exclu que l’initiative privée de Lockheed Martin parvienne à produire une fusion contrôlée qui soit rentable (i.e. avec moins d’énergie en entrée pour démarrer et entretenir la réaction que ce qu’on peut en tirer en sortie). Mieux encore : ces expériences ne produisent pas de déchets de vie longue et, du point de vue de la gestion des incidents, ce sont des réactions qui s’effondrent si elles ne sont pas entretenues, c’est-à-dire s’arrêtent net en cas de problème, au contraire de la fission qui peut devenir critique (et exploser).

Enfin, et tant pis pour les chatons nucléo-sensibles qui ont eu le courage de lire jusqu’ici, rappelons que l’utilisation des isotopes radioactifs est de plus en plus importante en médecine, depuis l’imagerie médicale avec la scintigraphie, jusqu’aux traitements cancéreux. Chaque année, 35 millions de personnes dans le monde sont diagnostiquées ou soignées grâce à la médecine nucléaire, et ce chiffre croît avec la recherche et la diffusion progressive des équipements nécessaires. Bien moins controversé dans l’opinion, cet aspect dépend cependant de la disponibilité des isotopes dont certains doivent être enrichis au grade militaire, ce qui provoque à nouveau quelques miaulements pavloviens chez les chatons écolos les plus délicats.

Conclusion

Résumons : le nucléaire permet d’obtenir facilement, avec une mise en danger réduite, et en grande quantité, une énergie propre, peu chère, dont les déchets sont limités et de mieux en mieux gérés. Les combustibles utilisables sont abondants et les technologies en développement permettent d’envisager des réacteurs toujours plus performants et plus sûrs. Le nucléaire civil possède également des applications industrielles nombreuses, notamment dans le secteur médical. L’opposition hystérique est donc absolument indispensable ! 

Acte VI scène dernière : 

Nathalie MP :

Mais, mon cher h16, compte tenu de ce que nous venons d’écrire, comment se fait-il que la loi sur la transition énergétique portée par Ségolène Royal, prévoie de ramener la part du nucléaire dans la production d’électricité de 77% à 50% à l’horizon 2025 ?

h16 :

L’énergie, c’est la vie. Mais justement, toute cette vie foisonnante, Ségolène n’aime guère : comme tous les grincheux de l’écologie punitive, elle n’aime pas ces progrès, parce que chaque niveau supplémentaire d’énergie facilement disponible affranchit un peu plus l’Homme de sa condition animale. Et les grincheux, ils ne veulent surtout pas nous voir la quitter, trop contents qu’ils sont de pouvoir s’en servir pour exercer leur pouvoir de contrôle et de domination sur nous.

Rassurez-vous cependant, nous ne manquerons pas d’énergie, et le nucléaire restera longtemps une excellente réponse à beaucoup de nos défis écologiques.


(*) TWh : Terawatt-heure, c’est-à-dire un milliard de kWh (Tera = 1012).
MWh : Megawatt-heure, c’est-à-dire mille kWh (Mega = 106).

(**) Pour fixer les idées, précisons que la consommation totale d’énergie en France en 2014 se répartit en pétrole : 40,5 %, électricité : 24,5 %, gaz : 20,9 %, énergies renouvelables thermiques (bois, agro-carburants, biogaz et déchets, etc…) : 10,5 % et charbon : 3,7 %. Le nucléaire représente donc près de 19 % de ce total.


Illustration de couverture : Centrale nucléaire – Source : Banque d’images Fotolia.

16 réflexions sur “Une autre écologie est possible (VI) Et le nucléaire ?

  1. D’accord sur le constat technique et comme vous Nathalie (et H16) optimiste quant aux progrès du nucléaire de fission comme de fusion (surtout fusion car rejets quasi non polluant) comme sources d’appro futures.
    Le bémol que j’apporte cependant à votre démonstration, c’est que le nucléaire est structurellement (pour des raisons de technicité, de coût, d’approvisionnement et de sécurité) un process centralisé, étatisé, dépendant obligatoirement d’un monopole donc du lobby politico-économique qui le dirige. Avec EDF, la France a adopté un modèle énergétique monopolistique totalement en phase avec son mode de gouvernance centralisé, interventionniste, autoritaire donc liberticide. Les process écolo (mini générateurs à échelle individuelle) rendent aux citoyens toute initiative et responsabilité en matière de production donc de régulation de leur propre conso d’énergie ce qui caractérise à mon sens un modèle plus vertueux que le nucléaire. Il n’y a donc pas lieu d’opposer ces modèles mais plutôt de les conjuguer dans une vision libérale de la société (ce qui est assez difficile concernant le nucléaire..) tant l’énergie y joue un rôle important.

    • L’Etat français a l’art de saboter tous les projets qu’il touche. Le public finit par croire que c’est le projet lui-même qui ne va pas, alors que le problème vient de sa gestion par l’Etat et toutes les connivences qui vont avec.

  2. Pingback: Écologie positive – Le nucléaire, c’est supaire ! | Contrepoints

  3. Ce qui m’intéresse ce sont les déchet HA (haute activité), d’après les projections 2020 -2030, l’accroissement des déchets HA donnerait +/- 150 tonnes par an (? si je ne me trompe pas).
    cela representerait environ 8 camions de 20 tonnes (+ toutes les enveloppes de protection qui vont autour de ces déchets. Quant à moi, je me dis – en effet – que cela doit être gérable au regards des volumes à considérer.

      • Suite à ton lien d’hier (22 janvier 2017) je suis tombé sur le commentaire de Zelectron et le tien :

        Ca peut paraître bizarre mais il est plus facile de sortir du système solaire que de s’écraser sur le soleil.
        Pour l’instant d’ailleurs c’est impossible de faire un lancement vers le soleil car on ne dispose pas de la chimie sur les lanceurs pour atteindre un delta V de 24km/s qui est la vitesse de libération de notre orbite. Les lanceurs validés en vol ne permettent que d’atteindre actuellement un delta V de 9km/s

        Je vais essayer d’expliquer : la Terre tourne autour du Soleil a une vitesse de 30km/s et c’est ce que fait que nous restons en équilibre sur notre orbite : d’un coté le soleil nous attire et de l’autre notre vitesse de rotation autour du soleil nous éjecte. Toute fusée décollant de la Terre devrait en final combattre cette vitesse de 30km/s et partir donc à rebrousse chemin du sens de déplacement de la terre.
        Un calcul rapide indique que la vitesse de libération de l’orbite terrestre devrait être de 24km/s.

        Par contre pour s’éjecter du système solaire c’est beaucoup plus simple : il faut s’éjecter de la Terre dans le sens de rotation de la Terre sur son orbite car toute vitesse au-dessus de la vitesse de libération de la Terre (8km/s) s’ajoute à la vitesse de rotation de la Terre et va augmenter la force centrifuge (celle qui nous éloigne du soleil). Au besoin, pour atteindre les 16km/s de libération du système solaire on peut s’aider de l’attraction de planètes proches vu qu’elles tournent dans le même sens que la Terre et ça s’appelle l’assistance gravitationnelle et c’est ce qui permet de sortir facilement du système solaire. C’est ainsi que la sonde Voyager 1 est sorti du système solaire il y a 2 ou 3 ans.

        Voir le paragraphe 21 du lien :

        http://jcboulay.free.fr/astro/sommaire/astronomie/univers/galaxie/etoile/systeme_solaire/soleil/page_soleil.htm

      • Merci Sam pour toutes ces précisions. J’ai un grand regret, c’est de n’avoir pas commencé par faire des études scientifiques. Maintenant, le retard me parait difficile à combler. Heureusement que je peux compter sur des lecteurs experts !

      • https://www.nirgal.net/hohmann.html
        Dans le détail, pour atteindre le Soleil ce n’est pas si coûteux (si on est pas pressé, ce qui est le cas des déchets nucléaires) avec une procédure n’ayant plus à tenir compte des éléments; en particulier poids, encombrements d’un tas d’objets accompagnant une mission scientifique habitée ou non.
        J’ai parfaitement conscience que chaque lancement devra être réussi à 100%, mais en cas de bouleversement géologique ou autre, quel pourra être le prix humain ?
        Le débat reste une comparaison des probabilités d’échec et de finances (peut-être l’orgueil et l’incompétence des politiques)
        ps., dans une autre vie, jadis, je fus physicien

  4. Le stockage de déchets radioactifs de Bure pourrait coûter près de 35 milliards d’euros

    LE MONDE | 11.01.2016 à 19h19 • Mis à jour le 12.01.2016 à 08h01
    Par Pierre Le Hir
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    Août 2015, à Bure. Les bâtiments de surface du laboratoire sous-terrain de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). | JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN/AFP
    Combien coûtera l’enfouissement des déchets radioactifs français dans le sous-sol de la commune de Bure (Meuse) ? Depuis le début du projet de Centre industriel de stockage géologique (Cigéo), le chiffre final reste inconnu. Le chantier est pourtant majeur, puisqu’il s’agit d’enterrer, à 500 mètres de profondeur, les 80 000 m3 de résidus à haute activité et à vie longue (des centaines de milliers ou des millions d’années pour certains) produits par le parc électronucléaire hexagonal.

    En 2005, la facture avait été estimée entre 13,5 et 16,5 milliards d’euros. En 2009, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), chargée de ce projet, l’avait réévaluée à 36 milliards d’euros. Mais ce montant était contesté par les producteurs de déchets : principalement EDF, pour les réacteurs nucléaires, mais aussi Areva, pour les usines de retraitement du combustible et le CEA, pour les centres de recherche.

    Dans un dossier de chiffrage transmis au ministère de l’écologie en octobre 2014 – et jusqu’ici non accessible au public –, l’Andra estime désormais le coût du projet à environ 34,4 milliards d’euros, dont 19,8 milliards pour la construction, 8,8 milliards pour l’exploitation durant plus de cent ans et 4,1 milliards d’impôts et taxes, auxquels s’ajoute 1,7 milliard de dépenses diverses. Cela, aux conditions économiques de 2012.

    Il revient à présent à la ministre de l’écologie de fixer, par arrêté, le « coût de référence » du site. Ségolène Royal devrait arbitrer « prochainement », indique son cabinet. Arbitrer car, dans leurs observations, EDF, Areva et le CEA proposent de retenir un coût très inférieur, de seulement 20 milliards d’euros, modulé d’une « marge pour risques à déterminer ». Selon les trois producteurs de déchets nucléaires, appelés à financer l’installation, l’Andra n’aurait pas pris en compte toutes les « optimisations » possibles et certains de ses calculs s’écarteraient du « retour d’expérience industriel ».

    Lire aussi : A Bure, un campement contre « la poubelle nucléaire »

    Comment la ministre tranchera-t-elle ? Entre 20 et 34,4 milliards d’euros, l’écart est énorme. L’enjeu principal est celui de la sûreté. Précisément, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a publié, lundi 11 janvier, son avis sur le dossier de chiffrage, rendu en février 2015 mais jusqu’ici non public. Il en ressort que « certaines hypothèses retenues par l’Andra, d’ordre technique et économique, sont trop optimistes et de ce fait non conformes à l’impératif de prudence qui s’impose ». En clair, le chiffrage de l’Andra serait lui-même sous-évalué.

    En particulier, explique Jean-Christophe Niel, le directeur général de l’ASN, le dossier de l’Andra ne prend pas en compte la possibilité que le volume de déchets à stocker soit plus important que prévu, dans le cas d’un arrêt du retraitement du combustible. Et il mise sur des « opportunités » de réduction des coûts (galeries souterraines plus longues, alvéoles de stockage des fûts radioactifs plus grandes…) dont « la démonstration de sûreté reste à faire ».

    En tout état de cause, le « cimetière radioactif » de Bure, comme l’appellent ses opposants, devra encore franchir plusieurs étapes : d’abord, une loi sur la réversibilité du stockage, puis, en 2018, une demande d’autorisation de création, avec une enquête publique, avant une éventuelle mise en service en 2025, pour une phase pilote de cinq à dix ans.

    Lire aussi : Les déchets radioactifs tentent de refaire surface dans la loi Macron, en vain
    Par Pierre Le Hir

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