PAS D’AMALGAME : critique et contre-critique

A la suite des attentats terroristes du « Vendredi 13 », indiscutablement perpétrés au cri d’Allahu akbar, c’est-à-dire « Dieu est le plus grand » dans la religion musulmane, on a vu refleurir un autre cri bien de chez nous : « Pas d’amalgame ! », ainsi que toutes les réactions ironiques orthographiées Padamalgam qu’il ne manque jamais de susciter tant il est devenu une formule automatique de la bien-pensance sociétale de gauche.

Mais à l’instar de cette dernière, l’ironie sur le Padamalgam, qui se veut clairvoyante, tend aussi à tomber dans l’automatisme, celui de la mal-pensance réactionnaire et identitaire fièrement revendiquée. 

C’est en pensant à deux jeunes chauffeurs musulmans d’Uber avec lesquels mon mari et moi avons eu l’occasion de discuter hier et avant-hier, l’un originaire du Mali et l’autre de Tunisie, complètement démolis par les actes barbares de leurs coreligionnaires et en totale union avec le deuil de la France, que j’aimerais essayer d’entrouvrir une troisième voie, celle de l’invitation dans le champ de la liberté.

Indépendamment de tout contexte politique, ne pas se livrer à l’amalgame, c’est éviter de tomber dans des rapprochements faciles, c’est résister à la tentation des insinuations douteuses qui visent à créer artificiellement, par seule juxtaposition, des causes et des conséquences infondées. Ne pas se livrer à l’amalgame, c’est entreprendre une réflexion en laissant préjugés et mauvaise-foi derrière soi. Ne pas se livrer à l’amalgame, c’est faire l’effort de discerner, c’est faire l’effort de voir les différences, c’est faire l’effort de distinguer toutes les nuances du monde.

Dans cet état d’esprit, ne pas faire d’amalgame, c’est reconnaître en Kerviel un escroc, mais ne pas voir dans tous les Bretons ou dans tous les salariés de la Société générale des escrocs ; c’est reconnaître en Madoff un escroc, mais ne pas voir dans tous les juifs ou dans tous les financiers des escrocs ; c’est reconnaître dans le fils Fabius un escroc, mais ne pas en faire un argument contre son père dans ses fonctions de ministre ; enfin, c’est reconnaître en Abdelhamid Abaaoud et ses comparses, responsables des attaques du Vendredi 13, des terroristes, des assassins, des salopards immondes, mais ne pas voir dans tous les musulmans des terroristes. Ça parait évident.

Ça parait tellement évident qu’on se demande pourquoi, depuis des années, de Valls à Juppé et de Vallaud Belkacem à Douste-Blazy, on nous place en permanence face à l’injonction de ne pas faire d’amalgame chaque fois que des musulmans se livrent à des actes de terrorisme meurtriers au nom mal compris de leur religion, alors que des actes similaires commis par d’autres personnes dans d’autres contextes ne soulèvent pas autant de précaution, je pense par exemple au terrorisme corse ou aux règlements de compte marseillais :

Selon moi, l’explication vient de ce que, d’effort de discernement, ce « Pas d’amalgame » a progressivement glissé vers le « Circulez, y a rien à voir ! » Il a été dangereusement récupéré par nos dirigeants pour masquer, non seulement les échecs de leurs politiques d’intégration des immigrés de confession musulmane, mais également l’instrumentalisation qu’ils ont faite de ces populations dans un but entièrement électoraliste.

Les petits problèmes, puis les plus grands problèmes s’ajoutaient les uns aux autres – voile islamique, burqa, menus dans les cantines, horaires de piscine pour les femmes musulmanes, esclandres à l’hôpital, criminalité et trafics en tous genres, « territoires perdus de la République » – mais les autorités publiques ont préféré jeter le voile d’ignorance du « Pas d’amalgame » sur tout cela afin de ne pas avoir à remettre en cause les grands principes de l’anti-racisme et du « vivrensemble » pourvoyeurs de satisfaction morale et surtout de votes, comme l’avait calculé le think tank du Parti socialiste Terra Nova.

Dans la vidéo en lien (2′ 21″), Zohra Bitan, femme politique issue de l’immigration et ex-membre du PS, explique à quel point elle trouve le combat anti-raciste de ce parti indécent et inutile. Et elle ajoute :

« Si moi, tous les matins, devant ma glace, je m’étais arrêtée à ma tête d’arabe, je n’aurais pas avancé, je ne me serais pas intégrée et je n’aurais pas aimé ce pays. »

De son côté, Mohammed Sifaoui, rappelait hier par tweet combien les pouvoirs publics locaux avaient de responsabilité sur les compromissions au quotidien avec l’islamisme :

Le « Pas d’amalgame » ressassé en permanence par nos dirigeants appelle d’autant plus la critique qu’il est clairement à géométrie variable. Dans le joli manège du vivrensemble, quiconque n’est pas l’enthousiaste partisan du Mariage pour Tous est immédiatement taxé d’homophobie, quiconque n’est pas le généreux défenseur de  la dépense publique et de l’Etat providence est un ultra-libéral au coeur endurci par l’avidité individuelle et quiconque n’adhère pas sans condition à la doxa migratoire du moment est un dangereux suppôt du Front national.

Une attitude tout en « deux poids deux mesures » si décalée par rapport à la réalité quotidienne des Français ne pouvait que provoquer à brève échéance une réaction. La réplique ironique du « Pas d’amalgame » n’a pas tardé à apparaître sous la forme Padamalgam. En voici un exemple entre mille, glané ces jours-ci sur twitter :

Comme beaucoup de réactions, celle-ci part d’une dénonciation légitime de la prise en otage du débat public et de l’action publique par nos ministres et beaucoup de nos élites télévisuelles sur les seuls thèmes de l’anti-racisme et du « vivrensemble ».

Mais chemin faisant, la réaction Padamalgam, d’abord acte de clairvoyance dans le jeu trouble des dirigeants, se regarde elle-même, se trouve des raisons d’exister en tant que telle et se transforme en conviction aussi peu nuancée que le « Pas d’amalgame » détourné des socialistes. Si le tweet ci-dessus est censé être ironique, il reflète malgré tout le désir de ne surtout pas discerner, de ne surtout pas chercher à voir plus loin qu’un ensemble indifférencié et compact à base d’islam et d’Allahu akbar. Cette attitude trouve son accomplissement dans ce qu’Alain Finkielkraut appelle « l’indifférence » et « l’inhumanité revendiquée par le Front national », c’est à dire tout le discours comminatoire et globalisant anti-immigration et contre les réfugiés.

Il est parfaitement exact que les quartiers « sensibles » de nos banlieues abritent des foyers de prédication salafiste ou djihadiste, il est vrai que de nombreux jeunes sont travaillés par des imams qui jouent sur leur paresse, leur frustration ou leur crédulité pour les pousser à s’enrôler avec Daesh en Syrie, en cherchant à leur faire croire que l’Occident, USA et Israël en tête, est dégénéré et doit être combattu par tous les moyens. Mais il est tout aussi exact de dire qu’en France des milliers de familles musulmanes cherchent à vivre tranquillement, en bonne intelligence avec tous leurs voisins, en pratiquant leur religion sans esbroufe, en cherchant la meilleure éducation possible pour leurs enfants, comme en témoigne le nombre important d’enfants musulmans inscrits dans des écoles ou collèges catholiques, et en essayant de s’intégrer au mieux dans le monde professionnel.

Quel peut être l’effet du discours du Front national sur ces personnes ? Quel peut être l’effet d’un Padamalgam 5% ironique qui ne cherche plus à différencier ? À leur place, je me sentirais totalement et tout le temps remise en cause, jamais acceptée, jamais justifiée d’être là. Après ces attentats monstrueux, qui ont pour objectif de condamner l’art de vivre ouvert de l’Occident,  de tuer l’esprit démocratique, et aussi de chercher à creuser un fossé irréparable entre la France et ses immigrés musulmans, le Padamalgam ironique, le « chances pour la France » moqueur répété à tout propos par pur automatisme, ne sont plus seulement la preuve d’une quelconque clairvoyance à l’égard de la profonde incompétence de nos dirigeants. Ils prennent l’allure d’un rejet irrévocable.

Pour ma part, je préfère me rallier à ce que disait la Reine Rania de Jordanie en ouverture de l’Université d’été du Medef en août dernier. Elle y appelait les musulmans modérés à travers le monde à s’engager sans tergiverser pour gagner la lutte idéologique contre Daesh. De la même façon, le maire d’origine marocaine de Rotterdam, Ahmed Aboutaleb, dans une interview donnée mercredi dernier, s’est adressé lui aussi aux musulmans modérés et il les a priés instamment de « faire entendre leur voix et rejeter cette violence. »

A leur suite, à la suite de Zohra Bitan et Mohamed Sifaoui, cités plus haut, qui ont signé cet été dans Marianne, avec de nombreux autres musulmans, un manifeste commençant par :

« Nous sommes des citoyens de culture, de tradition ou de confession musulmane (…) Nous sommes surtout – et avant tout – des démocrates attachés à la laïcité et aux principes de la République »,

à leur suite donc, je préfère inviter les Français musulmans à rompre totalement et clairement avec les barbares qui instrumentalisent et cryogénisent leur religion pour la priver de la moindre évolution, afin de rejoindre l’esprit des Lumières et le champ de la liberté.

Si les musulmans de France, dans un mouvement de solidarité héroïque avec le pays, avaient l’élan de briser la chaîne de la peur dans laquelle Daesh veut les maintenir, pour descendre en masse dans la rue afin de proclamer leur attachement aux principes de la démocratie française, ça aurait de la gueule et je serais la première à marcher avec eux.


Padamalgam 1Illustration de couverture : Ironie du médicament Padamalgam contre le concept du « Pas d’amalgame » : « Tous les matins, je prends mon Padamalgam 5 mg. »

14 réflexions sur “PAS D’AMALGAME : critique et contre-critique

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  3. La TAKÏYA est le système le plus venimeux qui soit contre l’occident 🙁
    où est l’amalgame? qui est capable de discerner quoique ce soit à ce sujet ?
    Comment faire la différence (très fluctuante) entre les gentils et les méchants ?
    fermer les yeux comme l’ont fait pendant de nombreuses années les gauchards de tous poils et en les gardant mis-clos encore aujourd’hui ?
    Ils sont rarissimes pour ne pas dire inexistants les musulmans à prôner le djihad contre le djihad !

  4. Bonjour Nathalie,

    Sans hésiter je me joins au concert de louanges. Votre post me donne immédiatement une très bonne impression. Vous me faites de plus en plus penser à ces élèves tout droits sorties de l’école de jeunes filles de la Légion d’Honneur: 100% de réussite au bac, mariage impeccable, destin sans rugosité, belle carrière professionnelle, fortes en thème, mais pas un microgramme de créativité.

    Autant sur Israël, je vous ai trouvé très conne (ce que je ne me suis pas vraiment expliqué sur le coup, mais ce n’était pas dû à votre orientation complètement pro-israélienne, assez banale dans le fond, c’était dû à sa naïveté incompatible avec l’expérience de vie que vous affichez), autant là, je vous trouve très bien.

    Et depuis plusieurs posts!

    Vous ravivez en moi l’espoir de voir naitre un esprit bobo de droite, ce qui a toujours manqué, quand même.

    Après ces brèves considérations sur l’aspect esthétique de votre post, je crois qu’il ne serait pas idiot de passer au fond de votre propos.

    Que dites-vous dans le fond? Que les Français musulmans ne sont pas des vrais Français. Daesh dit à peu près la même chose. Mais surtout, ne croyez pas que je vais vous faire un procès à ce sujet, du genre: en établissant une différence entre Français, vous faites le jeu des terroristes.

    Pas du tout!

    Je vous range dans la catégorie des femmes catholiques courageuses capables de vaincre leurs propres réticences et, pourvu que le musulman soit à son tour capable d’abjurer sa foi, « dans un mouvement de solidarité héroïque avec le pays », car seul le musulman héroïque est patriote, et qu’il soit capable de « briser la chaine de la peur », car le musulman est pleutre comme chacun le sait, alors nous marcherons tous les deux avec ce musulman-là, car je serai évidemment avec vous pour dévaler les pentes de ces grandes avenues qui, seules à Paris, peuvent accueillir dignement les manifestations de la conscience du monde.

    Nous le prendrons sous notre coupe, tel un enfant perdu promis à l’assistance publique, et nous lui prodiguerons alors tous les soins que notre culture nationale nous a consciencieusement administrés, en ayant comme il se doit la certitude de bien faire.

    Ce sera beau et il est tout à fait probable que si les choses se passent ainsi que je viens de vous les décrire, l’épisode se termine par un bref intermède sexuel, qui n’engage à rien, cela va de soi. Je suppose que vous avez des enfants, moi aussi. Nous ne pourrons donc pas pousser à bout cet élan qui nous rassemblera accidentellement et notre étreinte, fugace, ressemblera à la Route de Madison (dans le meilleur des cas, sinon, c’est rien du tout).

    Une fois tout cela dit, il faut quand même revenir à votre position sur Israël, dont je vous rappelle qu’elle est la copie conforme du bréviaire du likoudiste de base, tendance Ligue de Défense Juive. Si c’est avec ça que vous avez l’intention de faire la paix avec les musulmans, alors je me dois de vous dire que vous vous mettez le doigt dans l’œil jusqu’à l’omoplate, très chère.

    Mais, après tout, c’est justement ce qui caractérise les bobos, qu’ils soient de droite, ou de gauche, nonj?

    Nunuche!

    • J’aime beaucoup votre commentaire, tout y est. Et surtout, au cas où vous auriez l’intention de poursuivre cette répugnante escarmouche ad hominem, ne vous imaginez pas une seconde que je prendrai la peine de supprimer vos commentaires. Je les trouve trop merveilleux, trop plein de procès d’intention, trop plein de votre suffisance qui s’étale sans jamais un vrai argument ni une proposition. Qui s’étale même dans les plus parfaits contresens (ex : où ai-je dit que les musulmans doivent abjurer leur foi ?).
      Il est vraiment important que tout le monde puisse les lire (et au fait, sachez qu’ici ça ne fera jamais grand monde, vous gâchez votre venimeux, visqueux talent).

    • @tschok – C’est tout de même navrant de perdre autant de temps à écrire un texte aussi grossier… Mais pas d’amalgame, je suis sûr que tous les trolls ne sont pas comme vous.
      Sinon, @Nathalie MP, très bon article, comme toujours. 🙂

  5. Tschok me semble être une sorte de voyeur qui visite les blogs pour y injecter ce qu’il estime être (car il est fier de lui-même le gaillard..) son hyper sens critique, sa remarquable syntaxe, son humour vachard, au fond sa perversité. Car le débat ne l’intéresse manifestement pas, ni l’argumentation, ni la contradiction, ni la conclusion. Ce qu’il aime c’est se montrer, balancer ses petites image crapuleuses, ses phrases assassines, faire le beau, briller, ou tenter de..
    Ce mec a un problème, probablement un complexe, il doit être frustré.

  6. Merci pour ce billet que j’aurai pu moins même rédigé. Je me sens d’un seul coup un peu moins seul. C’est ce que j’attend de l’esprit libéral. Ne pas être collectiviste non pas qu’en économie mais aussi ne pas être collectiviste en mettant dans le même sac à égalité toute une communauté et cela sans jouer aux bisounours cher à nos islamo-gauchistes aveuglés par leur idéologie anti-raciste et leur culture de l’excuse.

     » Selon moi, l’explication vient de ce que, d’effort de discernement, ce « Pas d’amalgame » a progressivement glissé vers le « Circulez, y a rien à voir ! » Il a été dangereusement récupéré par nos dirigeants pour masquer, non seulement les échecs de leurs politiques d’intégration des immigrés de confession musulmane, mais également l’instrumentalisation qu’ils ont faite de ces populations dans un but entièrement électoraliste.  »

    C’est tout à fait exact et cela n’excuse pas le manque de discernement ( souvent volontaire aussi ) des adeptes du  » padamalgan hein ?  » .

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