Panique et café-théâtre au sommet

L’action politique du gouvernement français s’est déplacée récemment sur le terrain du café. Et vu la façon dont les choses se passent on est fortement tenté de parler de café-théâtre. Remarquez que les expressions « café-concert de couacs » ou « café du commerce électoral » marchent très bien aussi.

Ce fut d’abord l’épisode lorrain du café chez Lucette, beau comme un clair-obscur de Rembrandt, une véritable cène hollandaise. Gaspard Gantzer, l’homme de la com élyséenne, nous a livré sur Twitter une impeccable image d’harmonie modeste et heureuse entre le Président de la République et une quintessence de Française éblouie par tant de proximité :

Mais, en professionnel scrupuleux qu’il est toujours, Gaspard Gantzer ne pouvait laisser François Hollande arpenter la scène nationale sans quelques répétitions. Ici comme ailleurs, c’est lui qui organise toutes les représentations de l’Elysée, qui écrit les scénarios, cisèle les dialogues, choisit les décors et place les personnages.

Et de son côté, François Hollande ne pouvait se permettre d’endosser son tout nouveau rôle d’ami des « sans-dents » sans quelques garanties, sur la qualité du convivial café par exemple. Comme au théâtre, tant de spontanéité millimétrée n’a été obtenue qu’au prix d’un dur labeur, et ça a fini par se savoir comme le montre la vidéo de BFM TV ci-dessous (2′ 29″):

Il faut croire que le gouvernement n’a pas complètement perçu le ridicule achevé de ses manoeuvres, pourtant largement moquées et commentées dans la presse et sur les réseaux sociaux. En effet, dix jours plus tard, c’est-à-dire avant-hier 11 novembre, Manuel Valls faisait pour son compte le coup du « café des amis » en se montrant tout sourire et innocence avec Emmanuel Macron, ministre de l’économie (44″):

Pour le Premier ministre, Emmanuel Macron est surtout un redoutable rival, un jeune loup plein d’ambition qui commence à lui casser les pieds en lui piquant ses idées de droite au moment où il faudrait songer, si ce n’est à se reporter à gauche, au moins à rester unis, dans la perspective d’élections régionales qui se présentent assez mal pour la gauche. Dans le baromètre de popularité Ipsos-Le Point du mois d’octobre 2015, le ministre de l’économie obtient 44 % de bonnes opinions, se hissant ainsi à la cinquième place nationale, tandis que Manuel Valls ne récolte que 38 % d’appréciations favorables. D’où panique et café des amis.

Habitué à jeter des petits cailloux libéraux qui sont autant de pavés dans la mare socialiste, Emmanuel Macron a récidivé ces jours-ci. Après ses propos sur les trente-cinq heures, puis sur le statut de la fonction publique, sur lesquels il a avancé puis reculé, il soutient maintenant le projet d’indexer au mérite une partie de la rémunération des fonctionnaires. L’idée est naturellement scandaleuse, tous les fonctionnaires sont méritants par construction, surtout avant les élections. Le ministre de l’économie, comme à chacune de ses incartades, s’est rattrapé aux branches, mais avec moins de conviction que d’habitude : « Je n’ai jamais dit que j’étais contre les fonctionnaires » s’est-il justifié. Et d’ajouter, façon « Et pourtant elle tourne » : « Maintenant, regardez la réalité des choses ».

Or « la réalité des choses » est terriblement embarrassante. La situation est « fort claire » comme disait Didier Bourdon dans son sketch Beyrouth : le mandat de François Hollande, débuté il y a trois ans et demi, entre dans sa phase finale, pour ne pas dire terminale, et rien n’a vraiment tourné comme espéré par le Président. Le « peuple de gauche » arrivé au pouvoir en 2012 est maintenant tout aussi éclaté que le Moyen-Orient décrit par Les Inconnus. Il s’agissait de faire le contraire de Sarkozy, il s’agissait de mettre l’Europe et la finance au pas, il s’agissait de domestiquer le chômage et d’apaiser la France, tout en se montrant bon gestionnaire du budget et de la dette que Sarkozy avait honteusement laissée filer, mais à ce jour, aucun résultat tangible n’est à porter à l’actif du gouvernement. Les réformes ou changements tant vantés sont soit des ajustements secondaires sans impact structurel fort sur notre économie (exemple : loi Macron) soit des décisions catastrophiques (exemple : loi Alur) aboutissant à l’inverse de ce qui était souhaité au départ.

Pire, la recette qui devait maintenir la gauche au pouvoir en toutes circonstances est en train de se retourner contre elle : le FN, qu’il fallait judicieusement renforcer pour tuer la droite et attirer tous les votes à gauche dans un second tour Hollande – Le Pen, est devenu à la fois si puissant et si proche des idées de gauche qu’il est en train de reléguer le PS en troisième division en captant ses voix sans affaiblir la droite. Les sondages les plus récents concernant les prochaines élections régionales confirment assez nettement cette sombre perspective de la gauche.

Sur l’ensemble de la France, selon une enquête Ipsos-Sopra Steria pour France 3 publiée vendredi 6 novembre, la droite (LR, UDI, Modem) obtiendrait au premier tour 32 % des suffrages, le Front national 26 % et le Parti socialiste 20 %. Le Front de gauche et EELV totaliseraient 12 % ensemble ou séparés. Dans la nouvelle région Nord-Pas de Calais-Picardie, un sondage BVA du 23 octobre donne  la chair de poule aux socialistes. Au premier tour, Marine Le Pen récolterait 42 % des voix, laissant 25 % à Xavier Bertrand (LR) et seulement 15 % à Pierre de Saintignon (PS). Dans tous les cas de figure, elle remporterait le scrutin haut-la-main au second tour.

D’où panique et café-théâtre au sommet. Totalement dédié à sa campagne contre le Front national, Manuel Valls ne sait plus comment s’y prendre. Tous ses efforts sur les thèmes conjugués de l’anti-racisme et du danger fasciste que représente le FN semblent n’aboutir qu’à augmenter les intentions de vote en faveur de ce parti honni. Je n’apprécie guère le FN non plus, mais la méthode Valls parait clairement hystérique et contre-productive.

Il n’empêche que dans un mouvement de panique désespérée, le Premier ministre n’en continue pas moins sur sa lancée. Il a proposé hier une fusion des listes PS et LR dans le Nord-Pas de Calais-Picardie, et le moins qu’on puisse dire, c’est que cette belle idée n’enchante ni la gauche ni la droite. Il vient immédiatement à l’esprit qu’une telle proposition ne peut que soutenir l’idée d’une collusion PS/LR, grand argument politique de Marine Le Pen pour gagner des points. A vrai dire, les observateurs les plus directs dans leurs propos se demandent purement et simplement si Valls n’est pas en train de « perdre complètement les pédales. »

Au-delà du combat controversé de Manuel Valls contre le FN, le gouvernement semble complètement désarçonné par la situation politique qui est en train de se nouer. Plongé dans les difficultés de boucler le budget 2016, tenu par sa récente promesse d’alléger la charge fiscale des classes moyennes, il n’a certes pas besoin en plus des idées plus ou moins fumeuses de députés en manque de spectateurs, dont l’ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault. Et pourtant !

Ce dernier, poussé par la promesse non tenue de Hollande de procéder à une remise à plat fiscale pendant son mandat tout autant que par un relatif désoeuvrement personnel, a réussi à faire adopter hier en première lecture à l’Assemblée nationale un amendement sur la dégressivité de la CSG pour les bas salaires. Ceci n’est pas sans poser de nombreux problèmes aussi bien techniques que politiques, le plus ennuyeux étant qu’il s’inscrit contre la promesse de pause fiscale pour les classes moyennes, que le gain dégagé par les bénéficiaires risque d’être déduit de la prime d’activité prévue pour entrer en vigueur au 1er janvier 2017 et que leur revenu fiscal de référence va possiblement augmenter jusqu’à les faire entrer dans l’impôt sur le revenu. Un beau méli-mélo en perspective si cette mesure devait être adoptée définitivement, et une confirmation du pilotage à vue délétère qui se joue entre le gouvernement, le Parti socialiste et ses divers députés.

Dans le même vent de panique, la promesse de campagne du candidat Hollande d’introduire le droit de vote des étrangers extérieurs à l’Union européenne pour les élections locales vient d’être prestement abandonnée par Manuel Valls. Dans un sursaut de lucidité, afin de ne plus pousser les Français vers le vote FN, encore plus dommageable au PS qu’à la droite ? Apparemment oui. Selon lui, une telle disposition reviendrait à mettre « le pays sous tension sur un sujet qui ne serait pas jugé comme prioritaire. » Surtout, il y aurait peu de chance de trouver une majorité, que ce soit par référendum ou par vote du Parlement réuni en congrès.

Grâce à Jean-Christophe Cambadélis, nous sommes passés du café-théâtre au théâtre de boulevard. Interrogé hier matin sur RFI à propos de la proposition de Manuel Valls de fusionner les liste PS et LR pour les prochaines élections afin de faire barrage au FN comme indiqué plus haut, le premier secrétaire du PS s’est montré complètement opposé à cette idée et a plaidé pour l’unique objectif de faire gagner le PS au premier puis au second tour. Dans sa bouche, cette stratégie devient :

« Je n’ai pas l’habitude de mettre mon caleçon après mon pantalon. »

En fait de théâtre, Cambadélis est un expert, il nous l’a amplement prouvé lors de son référendum sur l’unité de la gauche pour les élections régionales.

Et grâce au bel esprit d’Arnaud Montebourg, nous passons du théâtre de boulevard à l’opéra-bouffe : la rubrique Les indiscrets du Point nous apprend que depuis son poste de Vice-Président d’Habitat, l’ancien ministre de l’économie est extrêmement inquiet des développements de la politique française. Selon lui, tout est en place pour une victoire de Marine Le Pen en 2017 :

« L’Élysée feint de croire que tout n’est pas perdu. Or Hollande ne doit sa victoire en 2012 qu’à la rencontre de deux complexes hôteliers : le Sofitel où DSK s’est perdu et le Fouquet’s où Sarkozy s’est trop montré. En 2017, rien de tout cela ne se reproduira. Je suis très pessimiste pour mon pays. »

Moi aussi, je suis très pessimiste pour l’avenir de mon pays. Mais Montebourg, ancien ministre de Hollande – s’en souvient-il seulement ? – ne va pas assez loin dans ses « indiscrétions. » Il oublie de s’interroger sur le pourquoi de cet état de chose. Si une telle éventualité devait se produire en 2017, cinq ans après l’élection de François Hollande, presque neuf ans après le début de la crise des sub-primes, à quoi, à qui devrait-on en attribuer la responsabilité ? Encore une fois à Sarkozy, qui n’est certes pas sans responsabilité dans l’élection de Hollande, ou peut-être aussi un tout petit peu à François Hollande et ses ministres, vivants concentrés d’idéologie, de mensonge, d’incohérence et d’incompétence ?


Illustration de couverture :
Voici un bon café pour démarrer le jour,
Se refaire le moral après le triste show
Que le gouvernement nous joue plus qu’à son tour
En nous faisant payer avec dette et impôts.

2 réflexions sur “Panique et café-théâtre au sommet

  1. Droite et gauche nommées « traditionnelles » (le terme non contesté, trahi la vacuité de ces partis), surfent sur une seule et même vague, celle qui consiste à diaboliser le FN, insultant au passage tous ses électeurs.
    La gauche « socialiste » est composée de divers éléments (PS, ELLV, FDG, etc…), la droite quant à elle est bigarrée pour ne pas dire qu’elle ratisse très large (LR, UDI, MODEM, etc…). Le FN, pour constat, est une seule et même entité qui rassemble beaucoup plus que n’importe quel autre parti, même lorsque ces derniers s’amalgament. L’échec est total et se révèle à l’aune de simple constat.
    Le FN est-il la solution ? pas plus que les autre partis, ni pire, ni mieux, en revanche, il est tant que tous ses détracteurs mettent à jour leur logiciel de pensée à son sujet.
    Tous ces « traditionalistes » politiques sont, à l’image des médias qui les commentent, en panique. Le monde progressiste tel qu’il l’avaient imaginé s’effondre devant leurs yeux, les soit disant « valeurs » que véhiculaient ces partis n’ont été qu’un hold-up du langage. En effet, il ne suffit pas de dire : « république », « démocratie », « vivre ensemble », « égalité », « justice »… pour prétendre à un projet quelconque, tout n’est que posture, cela permet, surtout, de diaboliser tous ceux qui auraient le mauvais goût de ne pas être d’accord avec leurs idées politiques (lesquelles ?). Ne pas être dans leur camp, n’appartenir à aucun camp, c’est être contre lesdites « valeurs ».
    La question à poser aux électeurs est de définir ce qu’est être de gauche ou être de droite. Les réponses seraient particulièrement éclairantes sur l’obsolescence du paysage politique, notamment Français. Il en va de même avec ceux se réclamant du libéralisme, de quoi parlent-ils ceux la ?
    Le désastre qui s’annonce, tient au fait que nous vivons dans des sociétés ou la communication et l’émotion ont pris l’ascendant sur la réalité, le monde est pensé dans un futur hypothétique, le présent est dénié car imparfait.
    La réalité, mot valise, mais qui devrait nous obliger à la regarder en face, au moins celle de ce monde. Le monde et les humains ne sont pas parfaits, ils ne le seront jamais, cela relève du plus pur totalitarisme que de le croire ou souhaiter s’en approcher.
    Nous sommes dans Matrix, la Matrice, fiction de Andy et Lana Wachowski, pilule bleue ou rouge ? les bonne intentions et les bons mots ne tiendront plus les digues bien longtemps…

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